Intervention de Philippe Bonnecarrere

Réunion du 18 février 2021 à 14h30
Élection du président de la république — Discussion générale

Photo de Philippe BonnecarrerePhilippe Bonnecarrere :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’objet du texte qui vous est soumis est devenu un non-sujet, et le sujet qui vous est en réalité soumis n’était pas un objet du texte initial.

Je ne reviendrai pas sur les amendements ni sur la présentation technique du texte : je fais mienne celle que vous avez faite, mes chers collègues, très complète.

Je me limiterai à un focus sur deux dispositions.

D’une part, la dissociation des élections départementales et régionales de l’élection présidentielle, modification apportée en commission et à laquelle notre groupe est très attaché. Ramener au 1er juillet 2021 le début de la période de financement pour l’élection présidentielle nous paraît le moyen le plus simple de bien séparer ces différents scrutins et d’éviter tout débat et tout contentieux ultérieur.

D’autre part, et c’est étonnant, la loi du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel a déjà été modifiée à vingt-trois reprises. Ce soir, ou dans les jours qui viennent, elle le sera donc pour la vingt-quatrième fois. Ces vingt-trois adaptations législatives ont pu porter sur les formulaires de parrainage, sur les règles visant à garantir l’équité et l’égalité, sur le mode de présentation des dépenses, etc.

Cela nous est présenté comme une tradition républicaine. Or j’aurais plutôt tendance à considérer qu’une vraie tradition républicaine consisterait à stabiliser les conditions de l’élection présidentielle et à ne plus toucher, sauf absolue nécessité, à la loi de 1962.

Mes chers collègues, allons directement à l’amendement n° 32 du Gouvernement tendant à instaurer un vote par anticipation pour l’élection présidentielle au moyen de machines électroniques, et ce dans une liste limitée de communes dans chaque département. Chacun le sait, cette disposition n’avait jamais été envisagée dans le texte initial.

Un point de procédure préalable : si vous rejetez tout à l’heure cet amendement n° 32, ce rejet sera définitif, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel, stabilisée dans une décision du 29 juin 2000, suivant laquelle « les seuls amendements susceptibles d’être adoptés après la réunion de la commission mixte paritaire doivent être soit en relation directe avec une disposition restant en discussion, soit dictés par la nécessité de respecter la Constitution, d’assurer une coordination avec d’autres textes en cours d’examen au Parlement ou de corriger une erreur matérielle ».

Vous constaterez immédiatement que les trois dernières hypothèses ne nous concernent pas. Le point essentiel est bien la notion de « disposition restant en discussion » : dès lors que cet amendement n’a pas été soumis à l’examen de l’Assemblée nationale, il ne peut exister, par définition, de désaccord ou de disposition restant en discussion entre nos deux assemblées. Cela signifie que la règle dite « de l’entonnoir » s’appliquera.

Il nous reste simplement, mes chers collègues, à nous forger une opinion sur cet amendement n° 32. Pour les sénateurs centristes, cet amendement est « abracadabrantesque » et source de désordre. Nous voterons donc très clairement pour son rejet.

Si l’objectif est un effet de faire évoluer notre mode de votation et d’expérimenter un vote par anticipation, la raison voudrait qu’on le fasse à l’occasion d’une élection locale. Les élections départementales et régionales, surtout après leur report au mois de juin, le permettaient, mais cela n’a pas été fait, bien que la proposition ait été présentée au Gouvernement.

Si je devais synthétiser mon point de vue à ce sujet, je dirais que n’est pas le plus conservateur celui qu’on voudrait présenter ainsi…

Si l’objectif était de favoriser la participation, chacun le ferait sien. Nombreux ont été les sénateurs à souhaiter que l’on avance vers le vote par correspondance – et donc vers un vote anticipé –, ou, dans une logique de plus long terme, vers le vote par internet.

Des solutions existent pour le vote par correspondance, même si, je l’admets, elles ne sont pas simples à mettre en œuvre. Accessoirement, elles ont un coût. L’exécutif a fermé la porte à ces solutions de manière très claire. Je le regrette, s’agissant du vote par correspondance.

Si l’objectif était d’intégrer l’hypothèse d’un maintien de la pandémie en mai 2022, l’idée de concentrer le vote par anticipation sur une centaine de bureaux semblerait plutôt aboutir à un résultat défavorable sur le plan sanitaire.

C’est donc peu dire que je ne vois pas de fondement sérieux à cet amendement n° 32.

Au-delà de la forme très inélégante – son apparition subite, sans aucun préalable, sans aucune concertation, sans aucun travail, sans aucune évaluation, sans aucune réflexion commune et, finalement, alors que c’est toujours nécessaire dans un exercice démocratique, sans aucune forme de maturation –, les motifs de son rejet sont multiples.

Je retiendrai essentiellement deux motifs de rejet de cet amendement.

Le premier, c’est la rupture du lien entre le vote et un territoire, cette alchimie qui a habitué nos concitoyens à se retrouver au même endroit pour un vote afin que, au minimum, leurs voix soient décomptées sur un même site, dans un même bureau, généralement dans la même commune.

Le second motif de rejet, c’est la défiance de notre société en général, la société française de 2021 étant un concentré de défiance. Au risque d’une formule un peu excessive, je crois même qu’on pourrait dire que notre pays est malade de cette défiance. L’amendement n° 32 ajoute encore de la défiance, tant les machines à voter ne sont pas intégrées à notre culture démocratique.

Le vote relève de différentes composantes : il y a une dimension culturelle ; il y a une forme de rituel républicain, de rituel individuel, de rituel dans sa dimension collective. Je ne crois pas que, à l’occasion de l’élection présidentielle, il soit sage d’y porter atteinte.

Finalement, l’amendement n° 32 a un mérite : en lien avec les propositions de loi sur l’introduction de la proportionnelle ou d’une part de proportionnelle, il souligne le malaise institutionnel résultant de la concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif. C’est cela le véritable sujet. Cet amendement est plutôt un élément supplémentaire d’inquiétude.

Mais, mes chers collègues, vous comprenez bien qu’il s’agit là d’un autre type de débat, qui intègre l’abaissement du Parlement. C’est non pas une blessure d’ego ou une souffrance personnelle, mais une inquiétude devant les risques d’une confrontation, sur le long terme, bien sûr, entre le Président de la République seul et nos concitoyens.

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