Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, en 1959, le juriste Georges Burdeau se demandait où était incarné le pouvoir dans la Constitution de la Ve République. Il concluait tout simplement que ce pouvoir, ce pouvoir d’État, était incarné dans le Président de la République, en vertu de son article 5 qui lui donne la capacité d’arbitrage au sein des institutions.
Cela veut dire tout simplement que la révision de 1962 n’a pas été un changement de nature, mais un changement de degré par rapport au pouvoir donné au Président de la République, un virage institutionnel. C’est ce qui fait que nous nous retrouvons là aujourd’hui, tout simplement parce que l’élection du Président de la République ne figure pas dans le code électoral. D’où cet exercice ritualisé que nous exécutons tous les cinq ans.
La vraie question est : « Faut-il continuer à procéder à ce rituel à un moment où nous faisons face à des circonstances exceptionnelles ? » C’est ce que propose la majorité sénatoriale, c’est ce que proposait l’exécutif avant son happening de mardi dernier.
En réalité, même un texte technique reste un texte politique, et persister à le traiter comme un texte technique, c’est simplement faire preuve d’une irrévérence trop forte vis-à-vis de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.
Cela voudrait dire aussi que, à l’exception de celui-ci, les autres scrutins ne seraient pas importants.
Cela voudrait dire aussi que la sacralisation de l’élection présidentielle ne nous permet pas de procéder à sa modernisation.
Or, me semble-t-il, il faut se garder des idoles, parce que, justement, en adoptant cette attitude, on en vient à intérioriser l’importance définitive de cette élection.
Le texte qui nous avait été proposé initialement était un texte de réglages, sans ambition majeure : une actualisation nécessaire avant chaque scrutin, parce qu’il faut procéder à des renvois vers le code électoral, parce qu’il faut prendre en compte les observations du Conseil constitutionnel.
Le texte qui nous est soumis a subi quelques modifications sur lesquelles je ne reviendrai pas, elles ont été largement évoquées, sans compter les quelques ajouts de la commission des lois : la convocation des électeurs par décret simple, l’actualisation de la liste des parrains, le caractère expérimental de la dématérialisation des comptes de campagne et des « reçus-dons », l’obligation de publication des marges d’erreur par les instituts de sondage – après l’adoption d’un amendement de Jean-Pierre Sueur –, le démarrage de la période de financement de l’élection présidentielle au 1er juillet, rétablissant ainsi une disposition contestée par le Conseil d’État – nous avons d’ailleurs déposé un amendement tendant à la supprimer.
Nous avons également fait quelques propositions : actualiser le parrainage en donnant une nouvelle place aux citoyens dans cette modalité de sélection des candidats ; prévoir la publication de la liste des candidats par le Conseil constitutionnel ; rendre le financement des campagnes plus transparent.
Viennent enfin les modalités de vote. Je n’entrerai pas dans leur détail, mais, depuis plusieurs mois, et pour le dire simplement, nous avons tout essayé : le vote par correspondance en 2022, le vote par correspondance par expérimentation, le vote par correspondance en 2027…
Nous avons aussi tenté de mettre en place un vote par anticipation, non pas au sens où l’entend le Gouvernement, mais étendant la période de vote au vendredi, au samedi et au dimanche.
Je regrette que la majorité sénatoriale n’ait pas jugé utile de retenir ces suggestions ou, au moins, de montrer qu’elle avait une quelconque volonté en la matière en les sous-amendant. En définitive, il ne faut pas s’étonner que les autres prennent des initiatives quand on refuse d’en prendre soi-même.
Pour finir, je précise, à l’attention du Gouvernement, qui semble suggérer, en feignant de le découvrir et en se parant des habits de la modernité, qu’il est précurseur en la matière, que, depuis neuf mois exactement, nous ne comptons plus le nombre d’amendements visant à moderniser notre droit électoral.
Arrive l’amendement du Gouvernement, qui a un avantage : faire l’unanimité contre lui. Comment tuer une bonne idée potentielle ? Eh bien ! je vais vous donner la réponse : comme ça !
Sur la méthode, cet amendement est tellement bon qu’il n’a besoin ni d’étude d’impact, ni d’un avis du Conseil d’État, ni de concertation. Pour le coup, le Gouvernement a été vraiment « en marche » contre sa majorité à l’Assemblée nationale.
Les délais ne laissent aucune place à la réflexion. Pas d’analyse, pas d’expertise. Il est vrai que la force immanente de ce gouvernement est telle qu’il n’en a pas besoin… Cet amendement tombe du ciel, dans toute sa verticalité jupitérienne, en catimini, à l’issue de la navette parlementaire. Bref, c’est parfait !
Sur le fond, nous avons le sentiment d’une improvisation, d’un grand flou, et quand c’est flou, vous connaissez la suite…