Rien ! Certes, un amendement a été rédigé, vous l’avez dit, mais il était sans rapport avec le texte sur lequel il devait se greffer. Alors, le Sénat a pris le relais, et je remercie M. Buffet d’avoir eu cette idée. Cependant, quand le Parlement prend la main, il doit faire son propre texte et non se contenter de copier-coller un texte du Gouvernement qui n’a pas pu avoir le succès escompté. C’est son rôle !
Nous avons donc été saisis de cette proposition de loi avec une extrême rapidité, et je dois vous dire, monsieur le rapporteur, que je regrette profondément la façon dont se sont déroulées les auditions. En effet, s’il existe une autorité compétente en cette matière – personne ne le conteste –, c’est le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Comment peut-on justifier, mes chers collègues, de ne pas entendre Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté ? Franchement, monsieur le président de la commission, il était possible que la commission l’entende. Cela n’a pas été fait. Pourtant, cette institution, d’abord dirigée par Jean-Marie Delarue, puis Adeline Hazan et maintenant Mme Simonnot, a une grande expertise de ces sujets depuis très longtemps.
D’ailleurs, Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a envoyé un courrier, dont je tiens, puisqu’elle n’a pas été entendue elle-même, à citer des extraits : « Le texte qui vous est soumis ne peut être regardé comme suffisant pour préserver les droits des personnes détenues. Il semble au contraire avoir pour objectif principal » – j’insiste sur cette expression – « de limiter les conséquences des jurisprudences, en faisant obstacle aux recours qu’elles créent et même en restreignant les prérogatives du juge au profit de celles de l’administration. »
Je vais citer cinq points évoqués dans cette lettre ; ils sont repris par l’Observatoire international des prisons et de nombreux magistrats et avocats que nous avons reçus, mais ils ne sont pas présents dans le texte ou en contradiction avec lui.
Le premier point concerne les délais. L’indignité est inacceptable – vous avez raison, monsieur le garde des sceaux –, et il est urgent d’y remédier. Or il serait possible de raccourcir les délais par rapport à ce que prévoit le texte ; nous avons déposé des amendements pour cela, et vous pourrez les soutenir, si vous le souhaitez…
Le deuxième point concerne la saisine du juge. Il faut simplifier les choses ; sinon, la procédure n’aura pas l’effet recherché.
Le troisième point concerne la conformité du texte à la jurisprudence de la Cour de cassation. Je maintiens, monsieur le garde des sceaux – tout le monde peut vérifier ce point, y compris vous-même –, que la rédaction actuelle du texte est contraire à ce que dit la Cour de cassation. Pour vous le démontrer, je vais simplement vous lire son arrêt du 25 novembre : « Encourt en conséquence la censure l’arrêt qui, en présence d’une description circonstanciée, s’arrête au fait qu’elle ne renverrait qu’aux conditions générales de détention dans l’établissement pénitentiaire en cause et qui exige de l’intéressé qu’il démontre le caractère indigne de ses conditions personnelles de détention. » Or ce sont justement ces conditions personnelles de détention que vous mettez dans le texte. Clairement, vous ne tirez aucune conséquence de la jurisprudence de la Cour de cassation !
Le quatrième point concerne les transferts. Le texte prévoit bien, je vous en donne acte, monsieur le garde des sceaux, un examen des conditions familiales, mais nous pensons que ce n’est pas suffisant, et Mme Simonnot est du même avis que nous : il faut aussi prendre en compte les conditions sociales, la préparation de la sortie, l’activité rémunérée, la continuité des soins et le droit à la défense.
Vous savez très bien que le transfèrement peut être tout à fait dissuasif par rapport à la procédure qu’il s’agit ici de mettre en place – la lettre de Mme Simonnot fait également état de ce problème. En effet, si vous dites à quelqu’un qu’il sera transféré à 500 kilomètres, il hésitera peut-être à dénoncer ses conditions de détention, parce qu’il verra les conséquences pour lui en termes de lien familial et social.
Enfin – c’est le cinquième point –, les mesures appropriées pour améliorer les conditions de détention échappent en grande partie au contrôle du juge, ce qui est paradoxal selon Mme Dominique Simonnot, qui écrit dans sa lettre : « Il est à craindre que le recours au transfert pour le règlement des situations individuelles, combiné à la surpopulation carcérale qui touche de nombreux établissements, ne manquera pas de conduire au placement d’une autre personne dans les conditions contestées par le détenu transféré ; ce risque doit être expressément écarté par la loi. »
Nous le savons, vous l’avez dit, et tout le monde le dit, il faut que la France applique ce que disent la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation. Mais, pour mettre fin aux conditions indignes de détention, il faut faire en sorte, mes chers collègues, de lutter contre la surpopulation. Or, à cet égard, il y a quelque chose de quand même très étonnant : à la suite de l’ordonnance du 25 mars 2020, plus de 13 000 détenus ont été libérés, et nous sommes redescendus en dessous des 100 % d’occupation. Est-ce que cela a entraîné de considérables problèmes dans notre pays ? Non ! Au contraire. Vous êtes même désolé, monsieur le garde des sceaux, de voir les chiffres remonter… Nous en sommes à 60 783 places opérationnelles dans les 188 prisons de France avec un taux de peuplement de 105 % – dans les maisons d’arrêt, le taux est de 122, 7 % !
Ce combat est ancien. Je me souviens que Jean-René Lecerf, qui n’était pas de mon groupe politique, a mené un combat admirable pour l’encellulement individuel et pour une loi sur la détention pénitentiaire. Il expliquait qu’il existait d’autres formes de peines que la détention.