La séance est ouverte à seize heures.
Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 3 mars 2021 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Par lettre en date du jeudi 4 mars 2021, M. François Patriat, président du groupe RDPI, a demandé de réduire à quarante-cinq minutes la durée de la discussion générale sur la proposition de loi rénovant la gouvernance du service public d’eau potable et d’assainissement en Guadeloupe et sur la proposition de loi créant la fonction de directrice ou de directeur d’école, examinées au sein de l’espace réservé à son groupe du mercredi 10 mars 2021.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, présentée par M. François-Noël Buffet (proposition n° 362, texte de la commission n° 419, rapport n° 418).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Dans la discussion générale, la parole est à M. François-Noël Buffet, auteur de la proposition de loi.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le texte qui est aujourd’hui soumis au Sénat, cosigné par des membres de la commission des lois émanant de plusieurs groupes, vise à répondre à une carence de notre droit née de trois décisions juridictionnelles. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel ont en effet constaté que la loi française ne comportait pas de voie de recours juridictionnel permettant de mettre fin à des conditions de détention indignes en prison. L’objet de ce texte est de mettre en place une telle voie de recours.
Au mois de janvier 2020, la Cour européenne des droits de l’homme, condamnant la France à indemniser trente-deux personnes incarcérées en métropole et outre-mer pour traitements inhumains et dégradants en application de l’article 3 de la Convention, a pour la première fois jugé que les requérants ne disposaient pas d’une voie de recours effective pour faire cesser ces conditions de détention indignes. Cela constitue une violation de l’article 13 de la Convention, qui reconnaît à toute personne dont les droits et libertés ont été violés le droit à un recours effectif devant une instance nationale.
Au mois de juillet 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a tiré les conséquences de cette décision et estimé que le juge judiciaire avait l’obligation de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif permettant de mettre un terme à la violation de l’article 3 de la Convention, en tant que gardien de la liberté individuelle, en application de l’article 66 de la Constitution. Cet arrêt de principe a ainsi ouvert une nouvelle voie de recours aux personnes détenues sans que le législateur ait eu l’occasion d’intervenir.
Cette situation n’a cependant pas été jugée pleinement satisfaisante par le Conseil constitutionnel. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, celui-ci a affirmé dans une décision du 2 octobre 2020 qu’il incombait « au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin », ce que les procédures actuelles de référé ne permettaient pas. Il a en conséquence décidé l’abrogation, à compter du 1er mars dernier, du second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale en ce qu’il ne prévoyait pas un tel recours.
Le Sénat a, à plusieurs reprises, interrogé le Gouvernement sur les suites qu’il entendait donner à cette décision et sur le dispositif qu’il envisageait de soumettre au législateur. Je dois à cet égard souligner combien notre collègue Jean-Pierre Sueur s’est investi sur le sujet, appelant plusieurs fois l’attention du Gouvernement.
Les règles de recevabilité de l’article 45 de la Constitution n’ont malheureusement pas permis d’instituer une telle mesure lors de l’examen du projet de loi relatif au Parquet européen, le Gouvernement ayant essayé de l’introduire dans ce cadre. Il n’y a eu aucun véhicule législatif adapté depuis.
Face à cette situation de blocage, j’ai pris ès qualités l’initiative, en y associant les membres de la commission des lois qui le souhaitaient, de déposer au Sénat la présente proposition de loi, sur laquelle le Gouvernement a accepté d’engager la procédure accélérée. Mais rendons à César ce qui lui appartient : ce texte est le fruit des réflexions de la Chancellerie sur le sujet, dont j’ai partagé l’analyse.
Le dispositif envisagé me semble répondre en tous points aux demandes tant de la Cour européenne des droits de l’homme que du Conseil constitutionnel. Selon l’article unique du texte, toute personne détenue se plaignant de conditions indignes de détention aura le choix de saisir soit le juge administratif des référés, qui dispose d’un pouvoir d’injonction, soit le juge judiciaire, qui n’a pas un tel pouvoir mais qui peut éventuellement ordonner une remise en liberté.
Concernant les critères de recevabilité de la demande, les allégations figurant dans la requête devront être circonstanciées, personnelles et actuelles. Le juge fera procéder aux vérifications nécessaires et recueillera les observations de l’administration pénitentiaire dans un délai compris entre trois et dix jours ouvrables.
Si le juge estime la requête fondée, il reviendra d’abord à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures pour mettre fin aux conditions de détention indignes. Le juge fera connaître à l’administration pénitentiaire les conditions de détention qu’il estime indignes, puis il lui fixera un délai, compris entre dix jours et un mois, pour y mettre fin par les moyens qu’elle estimera appropriés. L’administration pénitentiaire pourra notamment décider le transfèrement du détenu, avec l’accord du magistrat chargé du dossier s’il s’agit d’un prévenu.
C’est seulement si le problème n’a pas été résolu par l’administration pénitentiaire dans le délai prescrit que le juge judiciaire sera alors amené à statuer pour mettre fin à ces conditions de détention. Il aura le choix entre trois options : ordonner le transfèrement de la personne détenue ; ordonner la mise en liberté de la personne placée en détention provisoire, éventuellement assortie d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) ; ordonner un aménagement de peine si la personne est éligible à une telle mesure. Toutefois, le juge pourra refuser de prendre l’une de ces trois décisions si le détenu a au préalable refusé un transfèrement proposé par l’administration pénitentiaire, sauf s’il s’agit d’un condamné et que ce transfèrement porterait une atteinte excessive à sa vie privée et familiale.
La décision du juge pourra faire l’objet d’un appel, selon les cas devant la chambre de l’instruction ou devant la chambre de l’application des peines. L’appel du ministère public lui-même sera suspensif lorsqu’il sera formé dans un délai de vingt-quatre heures, l’affaire devant être examinée au plus tard dans un délai de quinze jours.
Nous proposons qu’un décret en Conseil d’État vienne préciser les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention (JLD) ou du juge de l’application des peines (JAP), ainsi que la nature des vérifications que le juge pourrait ordonner et l’articulation entre l’intervention du juge judiciaire et celle du juge administratif.
Certains pourront regretter les conditions d’urgence de cet examen parlementaire, mais elles s’expliquent à la fois par la nécessité de ne pas laisser perdurer une carence législative trop longtemps, alors même que l’abrogation décidée par le Conseil constitutionnel est entrée en vigueur la semaine dernière, et par le calendrier retenu par le Gouvernement pour le déroulement de la navette parlementaire. Il a bien fallu s’adapter. Ces conditions d’urgence n’en ont pas moins permis au rapporteur de la commission des lois, cher Christophe-André Frassa, de procéder à des auditions et à des consultations écrites, qui ont, à mon sens, permis à la commission d’améliorer l’effectivité de cette voie de recours nécessaire et attendue.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, la proposition de loi déposée par notre collègue François-Noël Buffet marquera à n’en pas douter une étape importante dans la garantie des droits fondamentaux dans notre pays. Elle introduit dans notre code de procédure pénale une nouvelle voie de recours garantissant à chaque détenu la possibilité de faire constater des conditions indignes de détention afin qu’il y soit mis fin. Elle mettra notre législation en conformité avec la décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre dernier, qui nous a donné jusqu’au 1er mars 2021 pour créer cette nouvelle voie de recours.
Le Sénat est depuis longtemps attentif au problème de la condition carcérale. Je ne remonterai pas jusqu’aux discours de notre illustre prédécesseur Victor Hugo, qui, tout au long de sa carrière, a dénoncé l’inhumanité des prisons du XIXe siècle. Je préfère vous renvoyer sur ce point à l’excellent ouvrage de notre non moins excellent collègue Jean-Pierre Sueur Victor Hugo au Sénat, publié en 2018.
Plus près de nous, comment ne pas évoquer le rapport rédigé en l’an 2000 par nos anciens collègues Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel Prisons : une humiliation pour la République, qui avait contribué à la prise de conscience par les pouvoirs publics et par nos concitoyens de l’état si dégradé de notre parc pénitentiaire ?
Depuis lors, des progrès ont été réalisés, grâce à des programmes successifs de rénovation et de construction de nouvelles places de prison. Depuis trois ans est mis en œuvre le programme « 15 000 », qui doit aboutir à l’ouverture de 7 000 places d’ici à 2022 et de 8 000 places supplémentaires à l’horizon de 2027. En outre, l’administration pénitentiaire a bénéficié de recrutements, notamment pour réduire le nombre de vacances de postes parmi les surveillants. Pourtant, des problèmes importants demeurent, notamment dans les maisons d’arrêt, qui restent suroccupées.
Quand on regarde les chiffres, on peut avoir l’illusion que la situation s’est améliorée depuis un an. Le taux d’occupation de nos établissements pénitentiaires s’établit aujourd’hui à 105 %, alors qu’il était de 115 % au début de l’année 2020, et le nombre de matelas au sol, qui est de l’ordre de 740, a baissé de 60 % en un an.
Il convient cependant de ne pas se tromper dans l’interprétation de ces chiffres. Ceux-ci s’expliquent en grande partie par la crise sanitaire, qui a entraîné la libération anticipée de nombreux détenus et qui a réduit les entrées en détention du fait du fonctionnement ralenti des juridictions pénales.
Depuis plusieurs mois, on observe une remontée du nombre de détenus, qui est la conséquence logique de la reprise de l’activité dans nos juridictions. Il est à craindre que la surpopulation carcérale ne redevienne rapidement d’actualité.
J’ajoute que la situation est particulièrement préoccupante dans plusieurs de nos établissements pénitentiaires d’outre-mer. Lors d’un déplacement en 2019, une délégation de la commission des lois avait par exemple pu constater les problèmes de surpopulation, d’hygiène et de violence dans l’établissement pénitentiaire de Guyane. Je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’y revenir au cours de la discussion.
Les peines d’emprisonnement privent les individus de leur liberté, mais elles ne doivent pas les dépouiller de leur dignité. Pour notre pays, il s’agit d’un enjeu non seulement de respect des droits fondamentaux, mais aussi de sécurité, puisque l’on ne peut pas travailler efficacement à la réinsertion des détenus et lutter contre la récidive si les conditions de détention sont inacceptables.
La proposition de loi qui vous est soumise ouvre une nouvelle voie de recours, organisée en trois grandes étapes.
D’abord, le détenu dépose une requête, examinée soit par le juge des libertés et de la détention si la personne est placée en détention provisoire, soit par le juge de l’application des peines s’il s’agit d’un condamné. Le juge fait procéder aux vérifications nécessaires et il recueille les observations de l’administration pénitentiaire.
Ensuite, s’il estime la requête fondée, le juge fait connaître à l’administration pénitentiaire les conditions de détention qu’il considère indignes et il lui fixe un délai pour y mettre fin. C’est donc dans un premier temps l’administration pénitentiaire qui doit faire le nécessaire pour remédier au problème. Il lui revient de déterminer les moyens à mettre en œuvre, le juge judiciaire ne pouvant pas lui adresser d’injonction, ce qui est conforme à la répartition des compétences habituelle entre les deux ordres de juridiction.
Enfin, si l’administration pénitentiaire ne parvient pas à résoudre le problème dans le délai imparti, le juge prend une décision pour mettre un terme aux conditions indignes de détention. Il a la possibilité d’ordonner le transfèrement de la personne détenue, d’ordonner sa remise en liberté s’il s’agit d’une personne placée en détention provisoire ou d’ordonner un aménagement de peine si la personne est définitivement condamnée, à condition qu’elle soit éligible à une telle mesure. Toutefois, le juge peut refuser de prendre l’une de ces trois décisions si le détenu a, au préalable, refusé un transfèrement proposé par l’administration pénitentiaire, sauf s’il s’agit d’un condamné et que ce transfèrement aurait porté une atteinte excessive à sa vie privée et familiale. En d’autres termes, le juge peut décider qu’un détenu qui aura refusé sans motif valable la solution d’un transfèrement restera en détention.
Vous le voyez, mes chers collègues, la proposition de loi ne consacre pas un droit absolu à la remise en liberté. Elle cherche à concilier le droit à des conditions dignes de détention avec le droit à la sûreté et avec l’objectif de prévenir les atteintes à l’ordre public.
Dans le texte qu’elle a élaboré, la commission des lois s’est attachée à préciser les hypothèses dans lesquelles il est possible de former un recours en appel. Il est notamment important que le détenu puisse contester la décision du juge de déclarer son recours irrecevable, ce qui n’était pas prévu dans le texte initial. Je précise que l’appel est examiné, selon les cas, par le président de la chambre de l’instruction ou par le président de la chambre de l’application des peines.
Sur mon initiative, la commission a également souhaité mieux associer le juge d’instruction à la procédure, en prévoyant d’abord qu’il soit informé du dépôt de la requête, puis qu’il puisse être consulté par le JLD avant de rendre sa décision. Le juge d’instruction peut en effet avoir connaissance d’informations utiles pour éclairer l’appréciation qu’il convient de porter sur le dossier.
La proposition de loi déposée par François-Noël Buffet est cosignée par des collègues membres des groupes Les Républicains, Union Centriste, Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, Rassemblement Démocratique et Social Européen, Les Indépendants – République et Territoires, Écologiste – Solidarité et Territoires. Cela montre qu’elle bénéficie d’un large soutien.
Par la voix de notre collègue Jean-Pierre Sueur, le groupe socialiste a regretté que nous n’ayons pas pris le temps de rédiger un texte de consensus qui aurait pu recevoir un soutien encore plus large. Je comprends l’intérêt qu’aurait pu présenter une telle démarche : elle aurait donné une force encore plus grande au texte issu des délibérations du Sénat. Je note cependant qu’elle aurait ralenti le rythme de nos travaux, alors que l’échéance du 1er mars, fixée par le Conseil constitutionnel, est déjà dépassée. J’observe surtout – le débat au sein de notre commission le 3 mars l’a bien montré – qu’il existe un accord entre nous sur les grands principes, mais que des divergences, tout à fait légitimes au demeurant, subsistent sur les modalités pratiques de la réforme.
Ainsi, concernant les critères de recevabilité de la requête, le texte demande que celle-ci contienne des allégations circonstanciées, personnelles et actuelles, constituant un commencement de preuve. Vous êtes favorable à un assouplissement de ces critères, monsieur Sueur, ce qui pourrait poser à mon avis un problème au regard du principe de bonne administration de la justice, avec le risque que les magistrats ne soient submergés par des demandes peu étayées, uniquement motivées par le souci de faire libérer un détenu par le biais de cette nouvelle voie de recours.
Une deuxième divergence demeure sur la place à accorder au transfèrement. Le transfèrement nous paraît préférable à une libération, qui doit rester la solution de dernier ressort, et il peut constituer une solution appropriée si un établissement est saturé mais que d’autres établissements à proximité sont moins chargés. Or vous défendez des propositions qui ont pour objectif commun de rendre plus difficile le transfèrement en multipliant les conditions à satisfaire. Il s’agit là – nous y reviendrons sans doute – d’une vraie différence d’appréciation entre nous.
Pour terminer, je tiens à remercier François-Noël Buffet d’avoir pris l’initiative de déposer cette proposition de loi. Je salue la décision du Gouvernement d’avoir inscrit ce texte à l’ordre du jour de nos deux assemblées en vue de son adoption rapide. J’invite l’ensemble de nos collègues à l’approuver, afin de remédier à la lacune qui a été identifiée dans la garantie de nos droits fondamentaux.
Je forme le vœu que ce texte marque une nouvelle étape sur la voie d’un redressement durable de notre service public pénitentiaire, l’objectif essentiel étant d’améliorer concrètement les conditions de détention, avec l’espoir que cette amélioration rende un jour à peu près inutile la nouvelle voie de recours dont nous débattons aujourd’hui.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il est une certitude qui m’a accompagné durant toute ma vie d’avocat et qui me conduit, désormais garde des sceaux, à agir : la privation de liberté ne doit pas être, ne peut pas être, une privation de dignité. Car nier les droits fondamentaux des personnes revient à contester leur humanité même !
Plus elle désocialise et déshumanise, plus la prison est un vecteur de récidive. La peine doit évidemment avoir un sens. C’est bien tout l’objet de mon action depuis mon arrivée à la tête du ministère de la justice.
J’ai d’abord souhaité que l’on poursuive activement l’accompagnement des dispositions de la loi du 23 mars 2019, qui a refondé l’échelle des peines, en restreignant la possibilité de prononcer des emprisonnements de courte durée, qui n’ont que pour effet la désocialisation, et en favorisant le recours aux alternatives à l’incarcération pour les actes les moins graves.
Vous le savez, la crise sanitaire a entraîné une réduction inédite de la population carcérale. Mais, depuis la reprise de l’activité juridictionnelle, le nombre de détenus augmente à nouveau. Nous comptabilisons 5 000 détenus de plus depuis le premier déconfinement, et 849 détenus sont aujourd’hui contraints de dormir sur des matelas posés à même le sol.
Nous devons mettre un terme à cette situation par une politique carcérale cohérente et volontariste. Nous ne pouvons pas perdre cette possibilité d’une population pénale maîtrisée offrant à la fois de meilleures conditions de détention comme de travail pour les personnels pénitentiaires. J’ai donc réuni très récemment l’ensemble des chefs de cour et de juridiction pour qu’ils analysent attentivement les marges de progression et qu’ils adaptent rapidement la politique pénale dans chacun de leur ressort.
Les aménagements de peine dès leur prononcé ont très significativement augmenté, de 3 % à 11 % en moins d’un an. C’est un signe très positif dont nous devons collectivement nous réjouir. Cependant, il convient de redoubler d’efforts. La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice porte en elle une révolution, certes juridique, mais aussi et peut-être surtout culturelle. Elle implique que l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale – autorité judiciaire, services pénitentiaires, mais aussi avocats – adaptent leurs pratiques. Le travail engagé doit se poursuivre quand on songe que, depuis l’entrée en vigueur du « bloc peine », au mois de mars 2020, qui interdit les peines de prison de moins d’un mois, 227 peines de facto illégales ont tout de même été prononcées.
J’ai par ailleurs souhaité que les alternatives à la détention soient développées en amont, c’est-à-dire au stade de l’opportunité des poursuites, car il ne faut pas confondre toutes les délinquances. La réponse pénale doit ainsi être adaptée, et la prison en fait évidemment partie, lorsqu’il s’agit de délinquance organisée et de violences graves aux personnes. Mais elle doit également prendre en compte la délinquance du quotidien, dite de « basse intensité », mais qui pourrit la vie de nos concitoyens. Cette dernière doit d’abord être traitée avec célérité et efficacité pour garantir la pédagogie de la réponse pénale, qui doit permettre de rompre le cercle vicieux de la délinquance.
La prison neutralise, mais, souvent, elle désocialise. Elle est parfois criminogène. Pour les incivilités et les délits de faible gravité, il faut des réponses rapides et constructives. C’est tout l’objet de la politique de justice de proximité que je porte et à laquelle la proposition de loi du même nom que j’ai défendue devant vous a fait écho.
L’amélioration des conditions de détention passe également par la construction de nouvelles places de prison pour écrouer dans des conditions plus dignes. Nous allons construire 15 000 places supplémentaires, conformément aux engagements du Président de la République. Les 7 000 premières places du programme immobilier pénitentiaire sont résolument engagées. L’objectif est désormais de lancer les 8 000 places supplémentaires avant le terme de la mandature, avec une livraison prévue à l’horizon de 2027. J’annoncerai d’ailleurs dans les jours à venir les sites qui ont été retenus par mes services.
Il nous faut enfin, et c’est l’objet de ma présence devant vous cet après-midi, tirer toutes les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 2 octobre 2020, qui demandait au législateur de garantir aux détenus placés en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention indignes. Cette décision fait suite à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 30 janvier 2020 ayant condamné la France pour ses conditions de détention dans plusieurs établissements pénitentiaires, ainsi qu’à deux arrêts de la Cour de cassation du 8 juillet 2020.
Afin de mettre notre droit en conformité avec les exigences constitutionnelles, j’ai immédiatement mobilisé mes services pour concevoir ce recours effectif. Conscient des enjeux, j’ai souhaité le soumettre à l’avis du Conseil d’État dès le 1er décembre 2020.
L’amendement reprenant ce dispositif ainsi validé par le Conseil d’État a été déposé à l’Assemblée nationale lors de l’examen du projet de loi relatif au Parquet européen au mois de décembre dernier. Pour faciliter les débats, je l’avais transmis en parallèle aux commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale, qui ont d’ailleurs fourni sur la question chacune de leur côté – et je dois les saluer – un travail considérable depuis de très longs mois.
Vous le savez – M. François-Noël Buffet l’a rappelé –, cet amendement a été déclaré irrecevable.
Depuis lors, le Conseil constitutionnel a une nouvelle fois été saisi sur les conditions de détention par une nouvelle QPC, actuellement pendante devant lui, concernant cette fois les détenus condamnés.
Je le dis d’emblée, il nous faudra peut-être adapter notre réponse même si nous avions anticipé cette situation en prévoyant un recours effectif tant pour les prévenus que pour les condamnés incarcérés.
Tel est donc l’objet de la proposition de loi que vous examinez ; elle enrichit le dispositif que nous avions conçu.
Qu’il me soit permis à cet instant de remercier chaleureusement M. le président Buffet et M. le rapporteur Frassa de leur travail, ainsi évidemment que M. le sénateur Sueur.
Ce texte crée le principe d’un recours effectif – c’est l’objet du nouvel article 803-8 du code de procédure pénale – et il rappelle l’existence de ce principe dans le deuxième alinéa de l’article 144-1 du même code, s’agissant des prévenus, ainsi qu’à l’article 707 pour les condamnés.
Si la personne est en détention provisoire, la juridiction compétente pour statuer sur la demande sera le juge des libertés et de la détention. Si la personne est en exécution de peine, la requête relèvera alors de la compétence du juge de l’application des peines.
Le juge saisi pourra, si nécessaire, faire vérifier les allégations circonstanciées du détenu, le texte reprenant les formulations des arrêts de la Cour de cassation ; s’il estime la requête justifiée, il fixera le délai dans lequel l’administration pénitentiaire devra mettre fin aux conditions indignes de détention, le cas échéant en transférant la personne dans un autre établissement pénitentiaire.
Si les conditions indignes perdurent à l’issue de ce délai, le juge pourra ordonner lui-même un transfèrement ou, pour les prévenus, la libération de la personne, le cas échéant sous mesure de sûreté. Pour les condamnés, il pourra prononcer une libération sous aménagement de peine, si la personne est éligible à une telle mesure. Le texte prévoit toutefois que la personne ne pourra pas être libérée si elle s’oppose au transfèrement qui lui aura été proposé, sous réserve, pour les condamnés, de la nécessité de ne pas porter une atteinte excessive au droit au respect de sa vie familiale.
Ce nouveau dispositif répond ainsi aux exigences constitutionnelles et permet de trouver un équilibre pour que le service public de la justice continue de fonctionner, en assurant la sécurité de tous.
La situation de nos prisons nous oblige collectivement à porter cette exigence d’humanité et d’efficacité pour maintenir la justice au cœur de notre pacte républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Yves Détraigne et Mme Brigitte Lherbier applaudissent également.
Applaudissements sur les travées du groupe SER.
Vous avez raison, monsieur le garde des sceaux, la privation de liberté ne doit en aucun cas remettre en cause la dignité de l’être humain.
Dès lors que le 2 octobre, le Conseil constitutionnel, dont les décisions s’imposent à toutes les autorités publiques, enjoignait qu’il y eût un texte de loi conforme aux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, qu’est-ce qui vous a empêché, entre le 2 octobre et le 1er mars, de déposer un projet de loi ?
Rien ! Certes, un amendement a été rédigé, vous l’avez dit, mais il était sans rapport avec le texte sur lequel il devait se greffer. Alors, le Sénat a pris le relais, et je remercie M. Buffet d’avoir eu cette idée. Cependant, quand le Parlement prend la main, il doit faire son propre texte et non se contenter de copier-coller un texte du Gouvernement qui n’a pas pu avoir le succès escompté. C’est son rôle !
Nous avons donc été saisis de cette proposition de loi avec une extrême rapidité, et je dois vous dire, monsieur le rapporteur, que je regrette profondément la façon dont se sont déroulées les auditions. En effet, s’il existe une autorité compétente en cette matière – personne ne le conteste –, c’est le Contrôleur général des lieux de privation de liberté. Comment peut-on justifier, mes chers collègues, de ne pas entendre Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté ? Franchement, monsieur le président de la commission, il était possible que la commission l’entende. Cela n’a pas été fait. Pourtant, cette institution, d’abord dirigée par Jean-Marie Delarue, puis Adeline Hazan et maintenant Mme Simonnot, a une grande expertise de ces sujets depuis très longtemps.
D’ailleurs, Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a envoyé un courrier, dont je tiens, puisqu’elle n’a pas été entendue elle-même, à citer des extraits : « Le texte qui vous est soumis ne peut être regardé comme suffisant pour préserver les droits des personnes détenues. Il semble au contraire avoir pour objectif principal » – j’insiste sur cette expression – « de limiter les conséquences des jurisprudences, en faisant obstacle aux recours qu’elles créent et même en restreignant les prérogatives du juge au profit de celles de l’administration. »
Je vais citer cinq points évoqués dans cette lettre ; ils sont repris par l’Observatoire international des prisons et de nombreux magistrats et avocats que nous avons reçus, mais ils ne sont pas présents dans le texte ou en contradiction avec lui.
Le premier point concerne les délais. L’indignité est inacceptable – vous avez raison, monsieur le garde des sceaux –, et il est urgent d’y remédier. Or il serait possible de raccourcir les délais par rapport à ce que prévoit le texte ; nous avons déposé des amendements pour cela, et vous pourrez les soutenir, si vous le souhaitez…
Le deuxième point concerne la saisine du juge. Il faut simplifier les choses ; sinon, la procédure n’aura pas l’effet recherché.
Le troisième point concerne la conformité du texte à la jurisprudence de la Cour de cassation. Je maintiens, monsieur le garde des sceaux – tout le monde peut vérifier ce point, y compris vous-même –, que la rédaction actuelle du texte est contraire à ce que dit la Cour de cassation. Pour vous le démontrer, je vais simplement vous lire son arrêt du 25 novembre : « Encourt en conséquence la censure l’arrêt qui, en présence d’une description circonstanciée, s’arrête au fait qu’elle ne renverrait qu’aux conditions générales de détention dans l’établissement pénitentiaire en cause et qui exige de l’intéressé qu’il démontre le caractère indigne de ses conditions personnelles de détention. » Or ce sont justement ces conditions personnelles de détention que vous mettez dans le texte. Clairement, vous ne tirez aucune conséquence de la jurisprudence de la Cour de cassation !
Le quatrième point concerne les transferts. Le texte prévoit bien, je vous en donne acte, monsieur le garde des sceaux, un examen des conditions familiales, mais nous pensons que ce n’est pas suffisant, et Mme Simonnot est du même avis que nous : il faut aussi prendre en compte les conditions sociales, la préparation de la sortie, l’activité rémunérée, la continuité des soins et le droit à la défense.
Vous savez très bien que le transfèrement peut être tout à fait dissuasif par rapport à la procédure qu’il s’agit ici de mettre en place – la lettre de Mme Simonnot fait également état de ce problème. En effet, si vous dites à quelqu’un qu’il sera transféré à 500 kilomètres, il hésitera peut-être à dénoncer ses conditions de détention, parce qu’il verra les conséquences pour lui en termes de lien familial et social.
Enfin – c’est le cinquième point –, les mesures appropriées pour améliorer les conditions de détention échappent en grande partie au contrôle du juge, ce qui est paradoxal selon Mme Dominique Simonnot, qui écrit dans sa lettre : « Il est à craindre que le recours au transfert pour le règlement des situations individuelles, combiné à la surpopulation carcérale qui touche de nombreux établissements, ne manquera pas de conduire au placement d’une autre personne dans les conditions contestées par le détenu transféré ; ce risque doit être expressément écarté par la loi. »
Nous le savons, vous l’avez dit, et tout le monde le dit, il faut que la France applique ce que disent la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de cassation. Mais, pour mettre fin aux conditions indignes de détention, il faut faire en sorte, mes chers collègues, de lutter contre la surpopulation. Or, à cet égard, il y a quelque chose de quand même très étonnant : à la suite de l’ordonnance du 25 mars 2020, plus de 13 000 détenus ont été libérés, et nous sommes redescendus en dessous des 100 % d’occupation. Est-ce que cela a entraîné de considérables problèmes dans notre pays ? Non ! Au contraire. Vous êtes même désolé, monsieur le garde des sceaux, de voir les chiffres remonter… Nous en sommes à 60 783 places opérationnelles dans les 188 prisons de France avec un taux de peuplement de 105 % – dans les maisons d’arrêt, le taux est de 122, 7 % !
Ce combat est ancien. Je me souviens que Jean-René Lecerf, qui n’était pas de mon groupe politique, a mené un combat admirable pour l’encellulement individuel et pour une loi sur la détention pénitentiaire. Il expliquait qu’il existait d’autres formes de peines que la détention.
Je pense aussi à Dominique Raimbourg, qui s’est beaucoup battu à l’Assemblée nationale pour mettre en place de nouvelles règles destinées à lutter contre la surpopulation carcérale.
Je pense aussi à Christiane Taubira, qui a tout fait pour mettre en place d’autres types de peines.
Je pense enfin à Robert Badinter, pour lequel la principale cause de la récidive dans ce pays, c’est la condition pénitentiaire.
Nous continuerons donc ce combat, qui passe aujourd’hui par l’adoption de nos amendements à ce texte.
Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi du président Buffet que nous examinons cet après-midi tire les conséquences d’une récente décision du Conseil constitutionnel, qui a estimé qu’il incombait au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne, afin qu’il y soit mis fin. Cette décision du Conseil constitutionnel fait suite à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la France, ainsi qu’à un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui a créé une nouvelle voie de recours ouverte aux personnes placées en détention provisoire.
La proposition de loi reprend le dispositif d’un amendement que le Gouvernement avait initialement envisagé de faire adopter, en décembre 2020, par l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au Parquet européen. Le Gouvernement a cependant dû y renoncer, lorsque l’amendement a été déclaré irrecevable par l’Assemblée nationale sur le fondement de l’article 45 de la Constitution.
Toujours est-il que la décision du Conseil constitutionnel imposait une action rapide, dans le délai qu’il avait prescrit. C’est ce qui a conduit notre collègue François-Noël Buffet à prendre l’excellente initiative du dépôt de cette proposition de loi.
Le texte insère dans le code de procédure pénale un nouvel article 803-8, qui prévoit dans quelles conditions et selon quelles modalités un détenu peut saisir le juge judiciaire, lorsqu’il estime subir des conditions indignes de détention, afin qu’il y soit mis fin. Il procède également à une mesure de coordination à l’article 144-1 du code de procédure pénale et complète le paragraphe III de l’article 707 du même code. Ce paragraphe III affirme le droit, pour toute personne condamnée incarcérée en exécution d’une peine privative de liberté, de bénéficier, chaque fois que cela est possible, d’un retour progressif à la liberté, en tenant compte des conditions matérielles de détention et du taux d’occupation de l’établissement pénitentiaire, dans le cadre d’une mesure de semi-liberté, de placement à l’extérieur, de détention à domicile sous surveillance électronique, de libération conditionnelle ou d’une libération sous contrainte, afin d’éviter une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire.
La proposition de loi précise que le droit de la personne d’être incarcérée dans des conditions respectant sa dignité est garanti par les dispositions du nouvel article 803-8.
Je me réjouis que la commission ait approuvé le dispositif équilibré de ce texte, tout en y apportant plusieurs précisions pour le parfaire.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants, comme le Sénat dans son ensemble, est particulièrement attentif au respect des droits fondamentaux des personnes. Il votera donc ce texte à l’unanimité. Toutefois, ne nous y trompons pas, l’adoption de cette proposition de loi ne résoudra pas à elle seule le problème posé par les conditions de détention dans notre pays. Elle ne dispensera donc pas la France de poursuivre son programme de construction et de rénovation de places de prison – vous en avez parlé, monsieur le garde des sceaux.
Je veux ici rappeler que le Gouvernement s’est engagé à ouvrir 7 000 places d’ici à 2022 et à lancer les opérations pour l’ouverture de 8 000 places supplémentaires à l’horizon de 2027. À plusieurs reprises, dans le cadre des travaux de la commission des lois, notamment en tant que rapporteur pour avis du budget de l’administration pénitentiaire, j’ai eu l’occasion de m’interroger sur le manque d’ambition de ce programme, qui se contente de prolonger des projets lancés par la précédente majorité. Je souhaite, monsieur le garde des sceaux, que, sous votre houlette, il soit amplifié – ce serait de bon aloi. Sa mise en œuvre devrait en effet conduire à une amélioration des conditions de détention, en réduisant la surpopulation dans les maisons d’arrêt. Il est donc primordial que ce programme ne prenne pas de retard du fait de la situation sanitaire et qu’il ne soit pas affecté par des mesures de régulation budgétaire.
Monsieur le garde des sceaux, pour tous ces combats qui sont à mener, vous pouvez compter sur notre groupe et sur le Sénat.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cela fait des années que nous ne cessons de décrier le sort réservé aux détenus dans les prisons françaises. Entre surpopulation carcérale et conditions de détention inhumaines et dégradantes, nos prisons ne sont plus, depuis bien trop longtemps maintenant, à l’image d’un pays qui se revendique patrie des droits de l’homme… et de la femme – nous sommes le 8 mars, tout de même !
Les chiffres sont alarmants : en moins de vingt ans, les prisons françaises sont passées de 48 000 à 72 000 personnes détenues. Si ce chiffre a récemment connu une légère baisse liée à la crise sanitaire, il n’en reste pas moins qu’au 1er janvier 2021 ce sont plus de 20 000 personnes qui sont encore détenues dans des établissements, dont le taux d’occupation est supérieur à 120 %. En outre, à ce jour, une trentaine d’établissements pénitentiaires a été considérée par la justice comme exposant les personnes détenues à des traitements humiliants.
Cette situation, nous ne pouvons pas prétendre la découvrir aujourd’hui ! Déjà en 2018, j’interpellais le Gouvernement sur les violences et les mauvais traitements que subissaient certains détenus à la prison de Villefranche-sur-Saône. La garde des sceaux d’alors m’avait formulé une réponse qui était le symbole du déni ordinaire des pouvoirs publics face à ce sujet pourtant si important, mais peu traité par les médias, donc peu exposé au regard des citoyens.
En juillet 2019, je publiais une tribune dans la presse pour dénoncer les graves violences physiques et morales qui ont lieu dans nos prisons et, à de nombreuses autres occasions, nous avons publiquement défendu le droit au respect de la dignité en prison, y compris dans cet hémicycle.
Ces nombreux appels sont restés lettre morte jusqu’aux décisions de la CEDH du 30 janvier 2020 et surtout du Conseil constitutionnel du 2 octobre dernier – c’est à cette dernière décision que nous devons ce texte précipitamment mis à l’ordre du jour de notre chambre. Le Conseil a considéré qu’il incombait au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge pour des conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine. L’échéance avait été fixée au 1er mars 2021.
Parce que la défense de la dignité des personnes détenues est notre engagement de longue date, nous ne pouvons que soutenir cette proposition de loi et nous y associer. N’oublions pas que, derrière celle-ci, des vies sont concernées.
La récente actualité nous le rappelle clairement. Le 2 février dernier, un homme incarcéré à Meaux est décédé ; il avait été hospitalisé quelques jours plus tôt à la suite d’une violente altercation avec des surveillants. Le même jour, à la maison d’arrêt pour femmes de Poitiers-Vivonne, une violente altercation avec des surveillantes causa à une détenue quarante-deux jours d’ITT.
Monsieur le garde des sceaux, selon votre prédécesseure, l’objectif du Gouvernement était, je cite, que, « d’ici à la fin du quinquennat, des conditions de détention plus dignes et conformes aux engagements européens soient mises en place ». Si cette proposition de loi est une première étape, nous attendons toutefois une amélioration urgente des conditions de vie dans les lieux de détention, ainsi que des relations entre les personnes détenues et les surveillants. Nous attendons aussi davantage d’écoute de la part du personnel médical et d’encadrement de ces établissements. Il est également important de se pencher sur les problèmes psychiatriques : ils sont traités avec un peu de négligence, alors qu’il s’agit d’une question si importante.
Ce n’est pas en construisant de nouvelles prisons, sitôt construites, sitôt remplies, que l’on réglera le problème de la surpopulation carcérale. La réforme des lieux de privation de liberté reste un chantier ample et complexe. En attendant, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera ce texte.
Applaudissements sur les travées du groupe GEST.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, c’est un constat que nous avons tous fait cet après-midi : la France fait partie des États européens dont les prisons sont les plus encombrées et dont la population pénale augmente. Au 1er janvier 2020, elle comptait 70 651 détenus pour 61 080 places opérationnelles, portant ainsi la densité carcérale globale à 115, 7 %.
Alors même que le principe d’encellulement individuel est inscrit dans notre droit depuis 1875, cette surpopulation chronique emporte de graves conséquences sur les droits et la dignité des détenus.
Entre 2015 et 2017, trente-deux requêtes ont été déposées par des personnes détenues en métropole et en outre-mer auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a, le 30 janvier 2020, condamné notre pays à résorber l’inflation carcérale et à instituer un recours préventif et effectif, permettant aux personnes détenues de faire cesser ces atteintes graves à leurs droits fondamentaux.
Dans un arrêt du 8 juillet 2020, la Cour de cassation, concernant un placement en détention provisoire, posait le principe selon lequel des conditions indignes de détention sont susceptibles de constituer un obstacle à la poursuite de cette détention.
Cette solution, entre maintien en détention et libération sèche, ne pouvait pas être considérée comme satisfaisante. Aussi, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a, le 2 octobre dernier, décidé l’abrogation à la date du 1er mars 2021 du second alinéa de l’article 144-1 du code de procédure pénale, qui prévoyait la remise en liberté d’une personne placée en détention provisoire, lorsque les conditions de ce placement cessaient d’être remplies. Il laissait par conséquent six mois au législateur pour faire respecter ce droit à être incarcéré dans des conditions qui ne violent pas la dignité humaine.
La présente proposition de loi, sur laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel, en créant un dispositif équilibré, à la fois protecteur des droits des détenus et garant de la sécurité des Français. S’inscrivant dans une démarche transpartisane initiée par le président Buffet, que je remercie, elle s’inspire de la proposition que vous aviez, monsieur le garde des sceaux, communiquée pour avis au Conseil d’État le 1er décembre dernier et dont la commission des lois avait été destinataire. Son adoption sous forme d’amendement à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au Parquet européen n’a pas été possible, car cet amendement a été déclaré irrecevable au regard de l’article 45 de notre Constitution.
Je ne pense pas qu’il soit utile de gloser sur le retard pris dans le vote de ces dispositions. Il me semble que la responsabilité est collective. Je crois utile de rappeler que l’initiative de la loi appartient également au Parlement.
Cette parenthèse refermée, le dispositif créé ne constitue pas à lui seul la solution pour améliorer les conditions de détention dans notre pays – nous en sommes tous d’accord. Ces dernières années, des mesures ont été prises pour incarcérer plus dignement.
S’il est vrai que l’incarcération est nécessaire dans certains cas, la peine est bien la privation de la liberté, et non la privation de la dignité, comme vous l’avez indiqué, monsieur le garde des sceaux.
Le Président de la République s’est engagé à créer 15 000 places de prison d’ici à 2027 ; 7 000 sont en cours de livraison. Je salue d’ailleurs la création de 981 places de prison supplémentaires en outre-mer ces dernières années, dont 182 dans mon département.
Un rapport de 2014, commandé par l’ancienne garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, avait dressé un constat particulièrement alarmant sur le surpeuplement de certains établissements ultramarins. Ces constructions ont permis de réduire le taux moyen d’occupation carcérale dans ces territoires : il est passé de 130, 7 % en 2012 à 113 % en 2019. À l’horizon de 2026, nous attendons 1 156 places supplémentaires.
Néanmoins, la prison n’est pas la seule solution, et je me félicite que des alternatives à la détention soient aussi développées. C’est le sens d’une réponse pénale adaptée, proposée chaque fois qu’elle est possible et utile.
Le groupe RDPI votera donc en faveur de cette proposition de loi, qu’il a cosignée et qui permet un recours effectif devant le juge judiciaire pour faire constater des conditions de détention contraires à la dignité humaine et y mettre fin. Il est bien évident que les mesures mises en place pour désengorger les prisons doivent être poursuivies.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dès 2013, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme en raison des conditions de détention d’un détenu qui, à la différence de nombreux autres demeurés silencieux, avait porté sa réclamation jusqu’à l’une des instances internationales les plus influentes.
Permettez-moi de rappeler quelques éléments qui furent relevés à l’occasion de cette décision au sujet des conditions de détention : les toilettes n’avaient pas de porte ; la chasse d’eau fuyait, il n’y avait donc pas de pression et rien ne s’évacuait ; près du lavabo, une prise électrique pendait ; les lits superposés, normalement scellés au mur, ne l’étaient plus, ce qui entraînait des risques de chute ; le local des douches était insalubre avec seulement une petite fenêtre et aucun système d’aération ; des cafards couraient partout.
Cette description est absolument édifiante, mais nous ne l’apprenons pas aujourd’hui. En plus d’un phénomène de surpopulation, le milieu carcéral est insalubre.
En cette Journée internationale des droits des femmes, j’aurai également une pensée pour les nombreuses femmes détenues dans notre pays, qui subissent des conditions similaires.
Évidemment, il n’est nullement question de remettre en cause le principe même de l’incarcération. Aux délits sont associées des peines, parmi lesquelles la prison. Cependant, celle-ci ne peut pas avoir pour fonction d’humilier les détenus. Nous devons tous avoir à l’esprit que chacun a vocation à en sortir. Nous espérions que ce constat et cette condamnation, en 2013, permettent d’améliorer l’état de nos prisons. Tel n’a pas été le cas.
Pis, en plus de subir des conditions de détention indignes et de souffrir des conséquences de la surpopulation carcérale, les détenus ne disposent d’aucun moyen de les faire cesser. En raison de cela, la France a été condamnée une première fois par la CEDH en mai 2015. C’est également pour ce motif qu’elle l’a été une nouvelle fois en 2020. Dans cette dernière décision, les juges européens ont rappelé trois objectifs à l’État français : supprimer le surpeuplement dans les établissements pénitentiaires ; améliorer les conditions de détention ; établir un recours effectif.
Ce tableau, que je viens brièvement de dépeindre, n’est pas à l’honneur de notre nation. Aussi, il y a lieu de se réjouir de l’initiative du Sénat qui vise à y mettre fin. Cette proposition de loi est évidemment la bienvenue. Je salue à cet égard l’auteur de ce texte, auquel le groupe du RDSE souscrit.
Toutefois, gardons à l’esprit que le fait de renforcer les droits des prisonniers ne revient pas à ce que les prisons soient moins saturées ni à ce que les cellules soient dans un meilleur état afin de respecter la dignité des hommes et des femmes qui s’y trouvent. Un droit de recours effectif ne répare pas des canalisations bouchées, pas plus qu’il ne désinsectise une cellule ou qu’il ne permet d’aérer des douches collectives.
Déplacer les détenus d’une maison d’arrêt à une autre, comme par un jeu de chaises musicales, ne permet pas non plus de réduire le nombre de détenus par maison d’arrêt.
Tout cela est et demeurera une question de moyens matériels, bien au-delà des moyens juridictionnels.
Renforcer les droits des prisonniers est une chose ; s’assurer que leur place est réellement en prison en est une autre. Le Sénat y travaille aussi, et nous aurons d’ailleurs demain les conclusions de la mission d’information sur l’expertise psychiatrique en matière pénale de nos collègues Delattre, Roux et Sol.
Pour conclure, je dirai que la procédure qui nous est présentée, pour être effective, devra nécessairement être plus rapide. Nous voterons ce texte ; nous resterons néanmoins vigilants par la suite sur l’état réel des conditions de détention.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi arrive tardivement, mais elle a au moins le mérite d’arriver, après une série de décisions d’instances européennes et nationales relevant de graves atteintes aux droits et à la dignité des personnes détenues.
La condamnation historique de la France, le 30 janvier 2020, par la Cour européenne des droits de l’homme a conduit à l’indemnisation de trente-deux personnes incarcérées dans différents centres pénitentiaires, en métropole et outre-mer, notamment pour violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants. La CEDH a estimé que les voies de recours prévues par le code de justice administrative n’étaient pas satisfaisantes, car elles ne permettaient pas de répondre aux problèmes structurels causés par la surpopulation carcérale, lesquels nécessitaient des mesures de réorganisation du service public de la justice.
Cette décision forte a eu pour conséquence un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui a estimé, le 8 juillet 2020, que le juge judiciaire avait l’obligation de garantir à la personne placée dans des conditions indignes de détention un recours préventif et effectif, sans que le législateur intervienne. Cette situation a été jugée insatisfaisante par le Conseil constitutionnel, qui a donc affirmé, en octobre dernier, qu’il incombait au législateur de garantir aux personnes placées en détention la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine afin qu’il y soit mis fin. Aussi, la présente proposition de loi tire les conséquences de cette censure et prévoit un dispositif de nature à garantir le droit à des conditions dignes de détention.
Nous n’avons rien à redire sur le dispositif proposé par l’article unique : si, après saisine d’une personne se plaignant de conditions de détention indignes, l’administration pénitentiaire n’a pas pris des mesures, comme un transfèrement, dans le délai prescrit pour mettre fin au traitement indigne, le juge a la possibilité d’ordonner soit un transfèrement du détenu, soit sa mise en liberté provisoire ou bien encore un aménagement de peine.
Malgré le caractère extrêmement grave des causes qui ont conduit à légiférer, bien tardivement, et même si je peux partager, pour une bonne partie, les propos de Jean-Pierre Sueur, je tiens à exprimer notre satisfaction de voir aujourd’hui cette question abordée avec des mesures générales pour mettre fin à cette situation inacceptable. C’est pourquoi nous voterons en faveur de cette proposition de loi.
Néanmoins, il est primordial de rappeler que le profond décalage entre les normes applicables et la réalité quotidienne des conditions de vie des personnes détenues n’a que trop duré, comme le notait le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport en 2018 : « Ni les lois sur l’encellulement individuel ni les normes relatives à l’espace vital par personne détenue, telles que recommandées par le Comité européen de prévention de la torture, ne sont respectées, pas plus que ne le sont les propres normes de l’administration pénitentiaire. »
Permettez-moi enfin, monsieur le garde des sceaux, de condamner, en cette Journée internationale des droits des femmes, les mauvaises conditions de vie des femmes en prison, qui portent trop souvent atteinte à leur dignité.
La construction de nouvelles places de prison, comme le souligne le président de la commission des lois, auteur de la proposition de loi, à la fin de l’exposé des motifs, ne peut être une réponse satisfaisante au problème. C’est pourtant, hélas, ce que vous proposez. Vous souhaitez également mettre fin aux réductions automatiques de peines en les assortissant de conditions, celle relative à la bonne conduite existant déjà. Or, comme le signalait hier la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot : « Il y a sans doute beaucoup de détenus qui voudraient être soignés, trouver un boulot ou une formation en prison, …
… mais on ne leur en donne pas les moyens. »
Plutôt que de prendre des mesures qui ne feront qu’aggraver les conditions de détention, il est au contraire urgent, selon nous, de réfléchir globalement au système pénal que nous souhaitons pour notre pays. Les études sur le sujet sont unanimes : la seule manière de lutter contre la surpopulation carcérale, et donc contre les conditions de détention indignes, est d’engager un grand plan de décroissance carcérale.
Cela irait à rebours des choix des gouvernements successifs, qui ont prôné une plus grande sévérité en matière de répression et une plus grande rapidité dans l’exécution des réponses pénales : alourdissement des peines et de la fermeté des sanctions prononcées par les juridictions, d’un côté ; extension du champ d’action de la procédure de comparution immédiate et volonté de mise à exécution des peines, de l’autre. Il faut y ajouter l’augmentation du nombre de personnes placées en détention provisoire.
Seule la mise en place d’une politique publique de désinflation carcérale sera en mesure de mettre un terme aux échecs des politiques antérieures. Cette proposition de loi doit entrer en vigueur rapidement, mais, surtout, ouvrir la voie à un débat plus large en la matière et à d’autres propositions pour améliorer notre système punitif.
Applaudissements sur les travées du groupe GEST.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi déposée par notre collègue François-Noël Buffet, qui vise à faire cesser une situation insupportable pour le pays des droits de l’homme. Prenant acte des divers arrêts et sanctions visant notre République, cette proposition a deux objets principaux. Le premier, c’est de garantir à tous les détenus des conditions de détention compatibles avec le principe de dignité de la personne humaine. Le second, c’est de créer une voie de recours effective lorsque sa dignité est bafouée.
Mes chers collègues, nous partageons le même constat sur toutes les travées depuis de nombreuses années : la situation carcérale, notamment au sein des maisons d’arrêt, n’est plus supportable dans un pays comme le nôtre.
Depuis le début des années 2000, le nombre de détenus en France a augmenté chaque année, alors que, pendant cette période, le nombre de places supplémentaires a crû moins vite, voire a diminué dans certains établissements.
Quand, en Allemagne ou au Royaume-Uni, la population carcérale des établissements pénitentiaires demeure légèrement en deçà du taux d’occupation maximal, aux alentours de 96 % du nombre de places opérationnelles, nous sommes à 116 % en France. La situation est encore plus critique au sein des maisons d’arrêt.
Déjà, en 2000, un rapport du Sénat, rédigé par nos anciens collègues Guy-Pierre Cabanel et Jean-Jacques Hyest évoquait « des prisons républicaines aux oubliettes de la société », ce qui représentait « une honte et une humiliation pour la République ».
En 2019, un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté établissait que la densité moyenne des maisons d’arrêt en France était de 138 personnes pour 100 places opérationnelles, 44 de ces établissements ayant une densité supérieure à 150 %. Pour certains, le taux d’occupation peut aller jusqu’à 200 %, voire 213 %. Je pense ici au quartier de la maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Ducos en Martinique.
Cette situation est bien connue des pouvoirs publics depuis une dizaine d’années. Elle fait peser au-dessus de nos têtes une permanente épée de Damoclès. La France avait déjà été condamnée pour la première fois à ce sujet en 2013. Il s’agissait alors de la maison d’arrêt Charles-III de Nancy. Pour autant, nos établissements pénitentiaires sont toujours surpeuplés et, bien souvent, les conditions de détention au sein des maisons d’arrêt sont considérées comme indignes. Il est question de vétusté, d’insalubrité, de trop grande promiscuité. C’est malheureusement souvent une réalité.
En effet, alors que tout propriétaire privé doit légalement garantir à ses locataires une surface habitable d’au moins neuf mètres carrés, il n’est pas rare que l’État français fasse cohabiter plusieurs codétenus dans une cellule de huit mètres carrés, avec un ou plusieurs matelas au sol. Cette situation est indigne.
Alors qu’en pleine crise sanitaire, pour assurer la protection de la santé de l’ensemble de nos concitoyens, des mesures drastiques de distanciation physique s’imposent à tous, depuis maintenant presque un an, l’opinion publique a découvert qu’il n’était pas rare que trois codétenus partagent la même cellule. C’est cette situation que vivaient bon nombre des trente-deux requérants qui ont intenté une action contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme. C’est donc tout logiquement que, le 30 janvier 2020, cette instance nous a, encore une fois, rappelés à l’ordre au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui dispose que « nul ne peut être soumis […] à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».
Pour le moment, nous échappons à la mise en œuvre de la procédure dite de « l’arrêt pilote », une procédure qui permet d’identifier des problèmes structurels et, surtout, d’imposer des mesures d’amélioration à l’État concerné. Nous ne pourrons pas éternellement y échapper, ce qui serait humiliant, vous en conviendrez, pour le pays des Lumières et des droits de l’homme.
Il s’agit donc de mettre fin à l’existence d’un problème structurel qui ternit l’image de la France en Europe. En matière de surpopulation carcérale, et je m’adresse ici au Gouvernement, la situation exige, comme le précise la Cour de Strasbourg, « l’adoption de mesures générales et structurelles visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention ».
À la problématique des conditions de détention indignes, conséquence d’une surpopulation carcérale, s’ajoute la question du droit de recours effectif. Lorsque l’on a le sentiment que son droit à la dignité est bafoué, il n’y a rien de plus dramatique que le sentiment d’être abandonné par la Nation.
En se mettant au diapason de la juridiction européenne, le Conseil constitutionnel, dans une décision qui brille par sa clarté et sa fermeté, est venu sanctionner le silence de la loi, le 2 octobre dernier. En résonance avec la Cour de Strasbourg, qui a constaté, à raison, que le pouvoir d’injonction du juge des référés n’était que de portée limitée, notre juge constitutionnel a également sanctionné notre incompétence en considérant que, trop souvent, les recours dont disposent les détenus sont inefficaces et inopérants en pratique.
Nous devons en tirer l’enseignement qu’un effort et une action collectifs sont nécessaires sur cette problématique. En premier lieu, c’est à nous, législateurs, qu’il incombe de modifier la loi pour faire cesser cette anomalie. Ce sera, ensuite au Gouvernement, ou plus précisément à l’administration pénitentiaire, de prévenir au maximum toute atteinte à la dignité des personnes détenues. Enfin, il reviendra au juge judiciaire, garant de la liberté individuelle, de mettre en œuvre toute mesure de nature à faire cesser une atteinte à la dignité lorsqu’il sera saisi d’une situation individuelle.
Nous saluons encore une fois l’initiative prise par le président Buffet devant l’inaction du Gouvernement, alors que la date butoir fixée par le Conseil constitutionnel se rapprochait. Nous saluons également la qualité du travail réalisé par notre rapporteur, Christophe-André Frassa, qui a su, dans le temps très limité dont il disposait, proposer à notre commission des améliorations bienvenues.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, en attendant que soit mise en œuvre une réorganisation structurelle et profonde de notre service public pénitentiaire, le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de loi sans réserve.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui intervient après l’arrêt de condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme à l’encontre de la France du 30 janvier 2020. La France a alors été condamnée à indemniser trente-deux personnes incarcérées dans un certain nombre d’établissements pénitentiaires de métropole et d’outre-mer.
La Cour européenne des droits de l’homme a notamment relevé des conditions indignes de détention de ces prisonniers, considérant qu’elles étaient constitutives d’un mauvais traitement au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour cette instance juridictionnelle, le minimum requis pour assurer la dignité que l’on est en droit d’attendre n’est pas respecté en France : possibilité d’utiliser les toilettes de manière privée ; aération disponible ; accès à la lumière et à l’air naturels ; qualité du chauffage ou encore respect des exigences sanitaires de base. De même, elle a relevé la présence de nuisibles, tels que des cafards, des rats, des poux, des punaises ou autres parasites. Elle en appelle donc à traiter ces mauvaises conditions par des moyens plus appropriés de désinfection, des produits d’entretien, des fumigations et en procédant à des vérifications régulières des cellules, ainsi qu’à prendre des mesures visant à résorber véritablement la surpopulation carcérale.
Cet arrêt de condamnation du 30 janvier 2020 relève enfin, et c’est là un point important, le non-respect de l’article 13 de la Convention européenne, qui reconnaît à toute personne dont les droits et libertés ont été violés un droit à un recours effectif devant une instance nationale. La Cour souligne en effet que les requérants ne disposent pas d’une voie de recours effective afin de faire cesser ces conditions de détention jugées indignes.
La dignité humaine en prison est l’un des sujets sur lesquels la France est régulièrement condamnée par la CEDH : dix-sept condamnations !
Dans le même temps, le 2 octobre dernier, le Conseil constitutionnel a exigé du législateur qu’il garantisse aux personnes détenues la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne, et ce en votant une nouvelle loi avant le 1er mars 2021.
S’il est évident que l’échéance ne sera pas respectée, la présente proposition de loi répond à un impératif de dignité humaine et constitue une étape importante pour améliorer le respect des droits fondamentaux dans notre pays. Je salue donc l’initiative du président de notre commission et le félicite de sa réactivité, plus grande que celle du Gouvernement, qui envisageait de traiter ce sujet dans le futur projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, dont l’examen n’est pas prévu, je crois, avant le mois de juin.
Ce texte doit donc permettre à un détenu qui considérerait faire l’objet de conditions de détention indignes de saisir le juge judiciaire. Une fois saisi, celui-ci disposerait de trois options : ordonner soit le transfèrement du détenu, soit sa mise en liberté ou bien un aménagement de sa peine.
Pour autant, monsieur le garde des sceaux, cette amélioration ne saurait faire perdre de vue ce qui doit être, me semble-t-il, la réponse véritable et durable à la question des conditions de détention, qui nous occupe aujourd’hui. Je veux parler de la construction de nouveaux établissements. Vous l’avez dit, la prison est une des réponses pénales possibles.
Force est de constater que le compte n’y est pas aujourd’hui, le programme immobilier pénitentiaire ayant connu, avant vous, il est vrai, quelques soubresauts par rapport à l’intention initiale affichée. Je rappelle que le Président de la République avait expressément fixé l’objectif de 15 000 places de prison construites durant ce mandat. Entre-temps, cette promesse a connu quelques codicilles : il fallait comprendre places de prison lancées et non construites, sur non pas un, mais deux mandats présidentiels. C’est en tout cas ce qu’avait acrobatiquement tenté de nous faire comprendre votre prédécesseur en sortant les rames.
Pour être juste, je me dois de compléter mon propos pour dire que, sous le mandat précédent, ce n’était pas fameux non plus, puisque, in fine, seules 2 000 places ont été construites.
S’agissant plus précisément du texte qui nous occupe aujourd’hui, je souligne qu’il a été modifié en commission par l’adoption de neuf amendements, qui visent essentiellement à parfaire la procédure. Je me félicite du dispositif proposé. Je remercie le président de la commission d’avoir insisté auprès du Gouvernement pour que ce sujet soit inscrit rapidement à l’ordre du jour de notre assemblée.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’une proposition de loi importante.
Certes, les individus placés en détention ont commis des actes répréhensibles. Ces personnes doivent subir une véritable sanction, mais attenter à leur dignité nous semble inadmissible. Fermer les yeux sur des conditions de détention dégradantes n’honore ni notre pays ni notre justice.
De nombreux rapports dénoncent à juste titre la surpopulation carcérale, l’impossibilité d’utiliser des sanitaires de manière privée ou la prolifération d’espèces nuisibles dans certains établissements. Si les conditions d’un enfermement digne ne sont pas réunies, l’incarcération risque de perdre tout son sens. Le but de la prison est, bien entendu, de punir, mais elle doit aussi réhabiliter des individus qui, lorsqu’ils auront payé leur dette à la société, devront y être réintégrés.
Je tiens à préciser que je ne jette pas la pierre aux personnels de l’administration pénitentiaire, qui essaient de faire au mieux, alors que les conditions ne le permettent pas toujours. Les raisons sont bien connues : personnel en nombre insuffisant, infrastructures vieillissantes et manque de places complexifient inexorablement leur travail. Leurs conditions d’exercice difficiles avaient d’ailleurs été abordées par la commission des lois lors de nos travaux sur l’état des forces de sécurité intérieure. Je pense que nous sommes tous d’accord sur ce constat, dans la mesure où la totalité des groupes politiques s’est montrée favorable à ce texte.
J’aimerais profiter de cette tribune pour vous faire part de problèmes dont j’ai été témoin lorsque j’ai eu l’occasion de visiter des prisons pour femmes. On parle moins souvent de leurs conditions de détention, mais cela ne signifie pas que leur incarcération se passe sans accroc. Elles ne représentent que 3, 6 % de la population carcérale en France et sont mieux loties que les hommes, certes, en ce qui concerne la surpopulation.
Au 1er janvier 2021, on estimait que 2 500 femmes étaient incarcérées pour 2 000 places opérationnelles, mais cette statistique globale cache d’importantes disparités. En effet, certains quartiers pour femmes, comme ceux de Toulouse, Perpignan, Nîmes ou Limoges, sont occupés à plus de 140 %. Ce chiffre peut grimper jusqu’à 170 % à Bordeaux.
Pour assurer leur sécurité et éviter des débordements si elles venaient à croiser des hommes, les femmes sont isolées dans leurs quartiers, mais cette séparation rend souvent impossible leur participation à des formations, des activités sportives, socioculturelles et rend plus compliqué leur accès aux soins, ce qui est inquiétant. Elles sont aussi plus exposées, lors de leur incarcération, aux ruptures de liens familiaux ou conjugaux. Les visites sont plus compliquées pour leurs proches dans la mesure où seuls treize établissements en France accueillent des femmes condamnées à plus de deux ans de prison. Un tel état de fait rend plus difficiles leurs chances de réhabilitation.
Si les conditions de détention des femmes sont aussi à améliorer, j’aimerais aussi profiter de ces quelques minutes pour soulever un problème qui me tient à cœur : les enfants qui naissent et grandissent en prison dans les premiers mois de leur vie.
Environ 60 accouchements auraient lieu chaque année en prison et 95 enfants seraient accueillis chaque année en cellule « mère-enfant ». Si 29 établissements pénitentiaires sur 191 disposent d’une nurserie, 76 places seulement y sont réservées à des mères avec des enfants.
Comme vous le savez peut-être, mes chers collègues, les mères d’enfants de moins de 18 mois peuvent demander à être incarcérées avec leur bébé. J’ai pu le vérifier à la prison de Sequedin, près de Lille, dont je suis ressortie très touchée.
Si les mères ont parfois commis des crimes et méritent amplement leur incarcération, leurs enfants, eux, ne sont pas responsables et ils doivent, comme tout être humain, voir leur dignité respectée. Les établissements, s’ils sont généralement propres et bien tenus, n’apparaissent pas adaptés pour le développement et le bien-être de nouveau-nés. Pourquoi ne pas remédier à cette situation, monsieur le garde des sceaux ?
J’aimerais insister ici sur la nécessité de lancer une réflexion large, ouverte à tous, pour que les conditions de vie des enfants se trouvant en quartiers « mère-enfant » soient améliorées. Ces bébés n’ont pas demandé à naître ou grandir en prison. C’est à nous de faire en sorte que les choses se passent au mieux.
Pourquoi ne pas créer des prisons pour femmes, avec un plus petit nombre de personnes incarcérées, ce qui permettrait de respecter leurs exigences familiales ? En bref, des prisons plus petites, plus nombreuses, mieux réparties géographiquement. Cela permettrait non seulement d’améliorer les conditions de vie des enfants nés en détention, mais aussi, de manière plus pragmatique, de libérer des places pour les détenus masculins.
Ce dernier point me paraît particulièrement intéressant.
En tout cas, cette proposition de loi approuvée par tous, monsieur le président de la commission, permet d’espérer. Nous y sommes donc favorables.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Oui, madame la sénatrice Lherbier, madame la présidente Assassi, on ne peut pas ne pas avoir aujourd’hui une pensée particulière pour les femmes détenues, pour les conditions de détention des enfants de femmes détenues, qui sont de fait, eux aussi, détenus. La Chancellerie est très vigilante sur ces questions. Ces enfants sont pris en charge par des services qui leur permettent de connaître l’extérieur, notamment d’autres enfants. Je ne peux qu’être sensibilisé, vous rejoignant ainsi, sur ces situations si particulières, et je suis tout à fait ouvert à ce que vous me fassiez part de ce qui vous paraît utile pour améliorer la condition de ces femmes détenues.
Monsieur le sénateur Bonhomme, ma réponse à votre intervention sera très rapide, parce que je me félicite de voir que ce texte fait l’objet d’un très large consensus. D’ailleurs, je n’en doutais pas une seconde : comment pourrait-on ne pas être sensible à la surpopulation carcérale et aux conditions indignes de détention ; « indigne » est d’ailleurs le mot le plus faible qu’on puisse utiliser, car il s’agit parfois de conditions inhumaines, ou dégradantes.
J’ai besoin des élus locaux dans les territoires pour procéder à l’implantation des nouvelles prisons : la prison est toujours la bienvenue dans la commune d’à côté, ce n’est pas simple !
Comme je vous l’ai dit, 7 000 places sont aujourd’hui en construction, et j’annoncerai dans les jours qui viennent les sites qui ont été retenus pour la construction des 8 000 places supplémentaires. J’ai choisi les sites d’implantation, et j’aurai bien sûr l’honneur de vous en parler, car je sais que la représentation nationale est particulièrement attentive à ces questions.
Dans mon esprit, d’ailleurs, il ne s’agit pas d’incarcérer plus, mais d’incarcérer mieux. La prison est utile pour punir, je ne le renie pas ; elle est également utile pour protéger la société d’individus dangereux ; elle est enfin destinée à permettre davantage la réinsertion. Nous aurons bien sûr l’occasion de discuter ensemble de ces questions plus précisément au travers du projet de loi qui est en cours de finalisation.
Enfin, je veux répondre rapidement à M. le sénateur Sueur, qui est particulièrement impliqué sur ces questions.
Premièrement, Mme Simonnot, à qui j’ai adressé un courrier le 19 novembre 2020 dans lequel j’exposais la teneur de l’amendement que le Gouvernement allait déposer sur ce sujet, ne m’a jamais répondu. Je tiens quand même à vous le dire, monsieur le sénateur, parce que je vous ai entendu à de nombreuses reprises évoquer le nom de la Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté. Son travail est bien sûr infiniment respectable, mais, alors que nous l’avions alertée, alors que nous lui avions donné le texte que nous préparions, nous n’avons pas reçu de réponse. L’absence de réponse ne vaut certes pas consentement, mais elle ne nous a pas adressé de propositions de modifications.
Deuxièmement, mon administration pratique déjà le transfèrement des détenus. Quand un directeur interrégional des services pénitentiaires m’alerte au sujet d’une surpopulation pénale dans une zone, ce qui conduit notamment aux matelas par terre, je demande bien sûr à ce qu’il y ait un transfèrement. On n’attend pas que la loi soit votée pour intervenir en la matière, et c’est bien le moins que l’on puisse faire. Récemment, des transfèrements ont ainsi été effectués de la région toulousaine vers Marseille ; c’était indispensable. Si vous me pardonnez cette simplification, je dirai qu’on essaie de désemplir les prisons les plus pleines au profit des prisons un peu moins pleines.
Troisièmement, monsieur Sueur, on a libéré non pas 13 000 personnes, mais 6 000. Je veux apporter des précisions indispensables sur le sujet, parce qu’on a beaucoup glosé sur ces libérations. En réalité, ce sont 6 000 personnes libérées et 6 000 personnes qui ne sont pas entrées en prison. Cette première précision chiffrée est importante.
Aujourd’hui, il y a 8 000 détenus de moins qu’en janvier de l’année dernière. Pour autant, la situation reste évidemment préoccupante. Il faut aussi reconnaître que les incarcérations reprennent, à la suite de l’activité délinquantielle. Ainsi, pendant le confinement, il y avait peu de cambriolages – les chiffres en la matière font rêver ! –, mais cette activité a naturellement repris.
Je tiens quand même à le rappeler – vous le savez bien sûr, mais, parmi les gens qui nous écoutent, il y en a qui sont légitimement préoccupés par ces questions –, les 6 000 personnes qui ont été libérées ne sont pas des criminels, comme on a pu le dire – ce discours a notamment été tenu à Fréjus –, mais des gens qui auraient de toute façon été libérés à la fin du confinement ; il ne leur restait à purger qu’un ou deux mois de détention, et ce pour des infractions qui n’étaient bien sûr pas des crimes de sang, des viols ou des faits de terrorisme.
Enfin, vous affirmez que le dispositif qu’avait présenté le Gouvernement sous forme d’amendement, que l’on retrouve aujourd’hui enrichi par le Sénat, serait au fond contraire à l’arrêt du 8 juillet 2020 de la Cour de cassation. Si tel était le cas, il n’en resterait pas moins que le législateur peut ne pas être d’accord avec la jurisprudence, …
… mais tel n’est pas le cas. Je veux faire arbitrer cette divergence entre nous par le Conseil d’État, selon qui l’amendement que le Gouvernement avait préparé s’inspirait de la solution retenue par l’arrêt du 8 juillet 2020 de la Cour de cassation, en y apportant des précisions utiles. Je pense que votre analyse n’est pas la bonne ; en tout cas, ce n’est ni la mienne ni celle du Conseil d’État.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les précisions que je souhaitais apporter, trop longuement sans doute, ce dont je vous prie de bien vouloir m’excuser.
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’article 144-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Sans préjudice des dispositions de l’article 803-8 garantissant le droit de la personne d’être détenue dans des conditions respectant sa dignité, le juge d’instruction ou, s’il est saisi, le juge des libertés et de la détention doit ordonner la mise en liberté immédiate de la personne placée en détention provisoire, selon les modalités prévues à l’article 147, dès que les conditions prévues à l’article 144 et au présent article ne sont plus remplies. » ;
2° Le III de l’article 707 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le droit de cette personne d’être incarcérée dans des conditions respectant sa dignité est garanti par les dispositions de l’article 803-8. » ;
3° Après l’article 803-7, il est inséré un article 803-8 ainsi rédigé :
« Art. 803 -8. – I. – Sans préjudice de sa possibilité de saisir le juge administratif en application des articles L. 521-1, L. 521-2 ou L. 521-3 du code de la justice administrative, toute personne détenue dans un établissement pénitentiaire en application des dispositions du présent code qui considère que ses conditions de détention sont contraires à la dignité de la personne humaine, peut saisir le juge des libertés et de la détention, si elle est en détention provisoire, ou le juge de l’application des peines, si elle est en exécution de peine, afin qu’il soit mis fin à ces conditions de détention indignes.
« Si les allégations figurant dans la requête sont circonstanciées, personnelles et actuelles, de sorte qu’elles constituent un commencement de preuve que les conditions de détention de la personne ne respectent pas la dignité de la personne, le juge déclare la requête recevable, fait procéder aux vérifications nécessaires et recueille les observations de l’administration pénitentiaire dans un délai compris entre trois jours ouvrables et dix jours. Le cas échéant, il informe par tout moyen le magistrat saisi du dossier de la procédure du dépôt de la requête.
« Si le juge estime la requête fondée, il fait connaître à l’administration pénitentiaire les conditions de détention qu’il estime contraires à la dignité de la personne humaine et il fixe un délai compris entre dix jours et un mois pour permettre de mettre fin, par tout moyen, à ces conditions de détention. Le juge ne peut enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures déterminées et celle-ci est seule compétente pour apprécier les moyens devant être mis en œuvre. Elle peut à cette fin transférer la personne dans un autre établissement pénitentiaire, sous réserve, s’il s’agit d’une personne prévenue, de l’accord du magistrat saisi du dossier de la procédure.
« II. – Si, à l’issue du délai fixé, le juge constate qu’il n’a pas été mis fin aux conditions indignes de détention, il prend l’une des décisions suivantes :
« 1° Soit il ordonne le transfèrement de la personne dans un autre établissement pénitentiaire ;
« 2° Soit, si la personne est en détention provisoire, il ordonne sa mise en liberté immédiate, le cas échéant sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique ;
« 3° Soit, si la personne est définitivement condamnée et qu’elle est éligible à une telle mesure, il ordonne un aménagement de peine.
« Le juge peut toutefois refuser de rendre l’une des décisions prévues aux 1° à 3° du présent II au motif que la personne s’est opposée à un transfèrement qui lui a été proposé par l’administration pénitentiaire en application du dernier alinéa du I, sauf s’il s’agit d’un condamné et que ce transfèrement aurait causé, eu égard au lieu de résidence de sa famille, une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et de sa vie familiale.
« III. – Les décisions prévues au présent article sont motivées. Elles sont prises au vu de la requête et des observations de la personne détenue ou, s’il y a lieu, de son avocat, des observations écrites de l’administration pénitentiaire et de l’avis écrit du procureur de la République, ainsi que, le cas échéant, si le juge l’estime nécessaire, de l’avis du juge d’instruction. Le requérant peut demander à être entendu par le juge, assisté s’il y a lieu de son avocat. Dans ce cas, le juge doit également entendre le ministère public et le représentant de l’administration pénitentiaire si ceux-ci en font la demande. Ces auditions peuvent être réalisées selon un moyen de télécommunication audiovisuelle conformément à l’article 706-71.
« Les décisions prévues aux deuxième et dernier alinéas du I et au II du présent article peuvent faire l’objet d’un appel devant le président de la chambre de l’instruction ou devant le président de la chambre de l’application des peines de la cour d’appel. Lorsqu’il est formé dans le délai de vingt-quatre heures, l’appel du ministère public est suspensif ; l’affaire doit alors être examinée au plus tard dans un délai de quinze jours, faute de quoi l’appel est non avenu.
« La décision prévue au deuxième alinéa du I doit intervenir dans un délai de dix jours au plus à compter de la réception de la demande. Celle prévue au dernier alinéa du même I doit intervenir dans un délai de dix jours au plus à compter de la précédente décision. Celles prévues au II doivent intervenir dans un délai de dix jours à compter de l’expiration du délai fixé par le juge. À défaut de respect de ces délais, la personne peut saisir directement le président de la chambre de l’instruction ou le président de la chambre de l’application des peines.
« IV. – Les modalités d’application du présent article sont précisées par décret en Conseil d’État.
« Ce décret précise notamment :
« 1° Les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention ou du juge de l’application des peines ;
« 2° La nature des vérifications que le juge peut ordonner en application du deuxième alinéa du I, sans préjudice de sa possibilité d’ordonner une expertise ou de se transporter sur les lieux de détention ;
« 3° Dans quelle mesure, à compter de la décision prévue au dernier alinéa du même I, le juge administratif, s’il a été saisi par la personne condamnée, n’est plus compétent pour ordonner son transfèrement dans un autre établissement pénitentiaire. » ;
4°
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 2, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7, première phrase
Remplacer les mots :
figurant dans la requête sont circonstanciées, personnelles et actuelles
par les mots :
énoncées constituent des indices de conditions de détention indignes
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Il est fait mention dans le texte de la commission d’une requête, ce qui semble exiger un mémoire ou l’intervention d’un avocat, procédure complexe, notamment pour les condamnés, qui n’ont souvent plus d’avocat. Il serait donc souhaitable que la demande puisse résulter d’une simple audition ou d’un débat. Ce formalisme ne nous apparaît pas nécessaire et peut même constituer un frein important dans certaines situations.
Monsieur le garde des sceaux, permettez-moi de vous répondre en citant l’arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2020, que j’ai évoqué brièvement précédemment : « Lorsque la description faite par le demandeur de ses conditions personnelles de détention est suffisamment crédible, précise et actuelle, de sorte qu’elle constitue un commencement de preuve de leur caractère indigne, il appartient à la chambre de l’instruction, dans le cas où le ministère public n’aurait pas préalablement fait vérifier ces allégations, de faire procéder à des vérifications complémentaires afin d’établir la réalité.
« Encourt en conséquence la censure » – j’insiste sur ce point – « l’arrêt qui, en présence d’une description circonstanciée s’arrête au fait qu’elle ne renverrait qu’aux conditions générales de détention dans l’établissement pénitentiaire en cause et qui exige de l’intéressé qu’il démontre le caractère indigne de ses conditions personnelles de détention. » Or c’est bien ce qu’exige votre texte, monsieur Buffet !
Vous voyez bien que, si un détenu fait état de conditions générales indignes, il n’a pas besoin, selon la Cour de cassation, d’entrer dans les détails de sa situation particulière. Cela justifie pleinement notre amendement n° 2.
L’amendement n° 1, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7, première phrase
Après le mot :
actuelles
insérer les mots :
ou si les allégations énoncées constituent des indices de conditions de détention indignes
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Pour défendre cet amendement, permettez-moi de citer le même arrêt du 25 novembre 2020 de la Cour de cassation ; j’espère qu’il saura vous convaincre. Voici ce que dit la Cour : « Saisie d’une description du demandeur, qui évoquait une cellule infestée de punaises et de cafards, l’absence de chaise, la saleté repoussante des douches et le sous-dimensionnement de la cour de promenade, la chambre de l’instruction devait en apprécier le caractère précis, crédible et actuel, sans s’arrêter au fait que cette description ne renverrait qu’aux conditions générales de détention à la maison d’arrêt de Fresnes, ni exiger du demandeur qu’il démontre le caractère indigne de ses conditions personnelles de détention. »
J’en conclus que les amendements n° 2 et 1, dont vous voyez bien que le second est l’amendement de repli du premier, sont strictement conformes à cet arrêt, en tendant à donner toute latitude aux personnes concernées de saisir le juge judiciaire, d’une manière qui ne saurait être exhaustive ou trop complexe, afin de faire valoir leurs droits.
Franchement, monsieur le garde des sceaux, vous avez indiqué que plus de 800 personnes dormaient aujourd’hui sur des matelas à même le sol ; tout le monde sait cela. Eh bien, il faut que ceux qui sont dans cette situation puissent tout simplement en saisir le juge ! C’est après seulement que commencera notre débat et qu’apparaîtra la question de savoir ce que l’on fait dans un tel cas. En effet, s’il s’agit seulement de mettre le détenu ailleurs et d’en installer un autre sur le même matelas, notre proposition de loi n’aura servi à rien.
Nous entrons donc, avec l’examen des amendements, dans le dur de notre discussion.
Vos deux amendements, monsieur Sueur, ont un objet similaire : vous voulez que la requête soit recevable dès lors qu’il y a de simples indices, en vous fondant sur l’arrêt du 25 novembre 2020 de la Cour de cassation.
Permettez-moi de vous dire, puisque vous l’invoquez régulièrement et que vous allez le faire encore, notamment dans votre amendement n° 7 sur les injonctions, que l’arrêt de la Cour de cassation n’est justement pas une injonction faite au législateur.
Le législateur, et on en compte quelques-uns dans notre hémicycle cet après-midi, a bien pris note de cet arrêt, il l’a bien lu – la première présidente de la Cour de cassation ne va pas me démentir sur ce point –, et il va légiférer en toute indépendance et faire ce qu’il pense être le mieux.
Il en tient compte, de même qu’il a tenu compte de l’arrêt de la CEDH et de la décision du Conseil constitutionnel.
Ces deux amendements visent à assouplir les critères de recevabilité des requêtes en prévoyant que le détenu pourrait présenter de simples indices de conditions de détention indignes. Pour ma part, je suis attaché à l’équilibre de la proposition de loi telle qu’elle a été dessinée, à l’origine, par son auteur et ses cosignataires, ainsi que par les amendements que nous avons adoptés au cours des travaux de notre commission.
Nous voulons éviter que les JLD et les JAP soient submergés par des demandes, …
… en décourageant celles d’entre elles qui seraient abusives et encouragées par des avocats qui chercheraient à tout prix, selon des critères assez simples et ne reposant que sur des indices, à faire libérer leurs clients. Il me paraît donc important que les demandes soient un minimum étayées.
Notre avis sur ces deux amendements est défavorable, parce qu’ils sont contraires à la position de la commission : nous souhaitons que les demandes soient un minimum étayées.
Tout de même, monsieur le sénateur Sueur, on demande dans ce texte que les allégations figurant dans la requête soient circonstanciées, personnelles et actuelles. Cela me semble le minimum !
Voudriez-vous qu’une requête qui ne serait pas circonstanciée, personnelle, ou actuelle puisse prospérer ? Pardonnez-moi, mais il y a aussi une réalité : les juges de l’application des peines et les juges des libertés et de la détention ont beaucoup de travail. J’entends ce que vous souhaitez porter dans ces amendements, mais, d’un point de vue pragmatique, ce n’est pas réaliste. Voulez-vous qu’on embolise le travail de ces deux magistrats ? Ce serait aller dans un sens contraire à ce que vous souhaitez.
Je suis donc à l’évidence totalement défavorable à ces deux amendements : en inscrivant que la demande doit être circonstanciée, personnelle et actuelle, on ne demande pas des choses extraordinaires !
Par ailleurs, pardonnez-moi, mais j’ai entendu vos propos relatifs à l’administration pénitentiaire, et je me dois de la défendre. Pensez-vous franchement qu’elle va simplement installer un autre détenu sur le même matelas par terre ? C’est ce que vous semblez affirmer à la représentation nationale, alors même que je vous explique que des réunions se tiennent toutes les semaines pour déterminer comment, dans la mesure du possible – je concède que beaucoup reste à faire –, améliorer la situation. Pensez-vous que, dès qu’un détenu verra prospérer la requête qu’il a présentée et sera transféré, on en installera un autre dans des conditions dont il aura été judiciairement établi qu’elles sont indignes ? On imagine bien que les membres de l’administration pénitentiaire ne vont pas prendre en considération une telle solution, alors qu’un juge aura jugé que ces conditions sont indignes. Évidemment, on ne peut jurer de rien…
Nous maintenons nos amendements. On n’est certes pas obligé de suivre la Cour de cassation, mais on a au moins le droit de prendre en considération son arrêt, qui vise à faciliter la requête par les intéressés.
À cet égard, je dois quand même revenir sur les propos de M. le rapporteur. Je vois bien ce qu’il dit : « Ce texte nous fait peur, parce qu’il va y avoir beaucoup de recours et que les avocats, naturellement, vont les multiplier et utiliser le malheur des gens pour leur propre bonheur et pour emboliser le système. » Est-ce bien cela, monsieur le rapporteur ?… Mais ce genre d’arguties ne tient pas la route face à l’indignité de la situation de ceux qui sont dans ces cellules.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 3, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7, première phrase
Remplacer les mots :
entre trois jours ouvrables et dix jours
par les mots :
inférieur à dix jours
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Comme nous avons un grand respect pour l’administration pénitentiaire – moins grand que le vôtre, monsieur le garde des sceaux, mais je connais quand même beaucoup de fonctionnaires de cette administration, je reçois chaque année les représentants de ses syndicats dans mon département et je vais visiter les établissements –, il ne nous apparaît pas réaliste de lui demander de statuer dans les trois jours et, dans ce délai, de trouver la bonne solution pour une personne qui se trouve dans des conditions indignes de détention.
Nous proposons pour notre part un délai de dix jours : il n’est pas exorbitant, je crois même que c’est une mesure de bon sens. Je ne vois donc pas pourquoi vous n’accepteriez pas cet amendement.
La proposition de loi prévoit que l’administration dispose d’un délai compris entre trois et dix jours pour faire parvenir ses observations au juge. Nous conviendrons tous que ce délai est assez court.
Votre amendement tend à supprimer le délai plancher de trois jours ; or il ne me paraît pas déraisonnable de laisser au moins trois jours à l’administration pénitentiaire pour rassembler des éléments et préparer sa réponse. Si l’on adoptait cet amendement, le magistrat aurait la possibilité d’exiger une réponse dans un délai de quelques heures ou d’une journée, ce qui placerait l’administration pénitentiaire dans une position qui serait intenable. En matière de délai, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.
L’avis de la commission sur cet amendement est donc forcément défavorable.
Il est défavorable, pour les raisons qui viennent d’être parfaitement explicitées par M. le rapporteur : ce serait intenable.
Nous maintenons notre amendement, pour une raison très simple : les juges sont capables de lire la loi. S’il est écrit dans la loi que l’administration pénitentiaire a dix jours pour statuer, le juge ne va pas en conclure, comme le fait M. Frassa en vertu d’une logique qui lui est propre, qu’il est possible d’exiger qu’elle réagisse dans les heures qui suivent. Ce n’est pas écrit dans la loi ! Comme les juges sont tout à fait capables de lire la loi, je pense que les réponses qui m’ont été faites n’ont pas d’objet.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 5, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Le détenu peut, à cet égard, agir seul à sa propre initiative et être auditionné seul sans que la présence d’un avocat soit nécessaire.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Cet amendement vise à préciser – on m’a affirmé que c’était implicite, mais écrivons-le explicitement – que le détenu peut agir seul, sur sa propre initiative, et être auditionné seul sans que la présence d’un avocat soit nécessaire.
Chacun comprendra ce que cela veut dire, c’est d’une clarté limpide, et je ne vois pas pourquoi il y aurait des oppositions à cet amendement.
Là, monsieur Sueur, j’avoue que c’est un amendement pour faire un amendement ! À aucun moment il n’est indiqué dans le texte que le ministère d’avocat est obligatoire dans le cadre de cette procédure.
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je reconnais en vous un Talleyrand des temps modernes
Sourires.
Je ne vois donc pas l’intérêt de cet amendement. Franchement, vous semblez ne l’avoir déposé que pour le plaisir d’amender. L’avis de la commission est donc défavorable.
Pourquoi faire simple quand on peut faire très compliqué ? Pardonnez-moi, monsieur le sénateur, mais le texte ne prévoit pas que l’avocat sera obligatoire. Cela signifie donc que le requérant peut déposer sa requête tout seul.
Vous affirmiez précédemment que nous entendions compliquer la façon de présenter la requête, ce à quoi je vous ai répondu que le texte ne demandait pas la lune, si vous me permettez cette familiarité ; or voilà que maintenant il faudrait préciser que le détenu peut agir seul, alors que l’avocat n’a pas été prévu !
Je suis obstinément défavorable à cet amendement.
La mention d’une requête, telle qu’elle figure dans le texte, semble exiger, par sa complexité, un mémoire ou l’intervention d’un avocat. ( M. le garde des sceaux et M. le rapporteur le contestent.) On peut me rétorquer que tel n’est pas le cas ; pour ma part, je vais vous répondre que plus ce sera simple, mieux ce sera. Par conséquent, ce que je propose n’est absolument pas nuisible à qui que ce soit.
J’ai apprécié la dialectique de M. Frassa, qui a d’abord affirmé que cela poserait un problème d’interprétation a contrario – je n’en suis pas persuadé – et qui a ensuite évoqué « le plaisir » que je prendrais à rédiger des amendements. Je dois vous avouer que ce plaisir est relativement limité.
Sourires sur les travées du groupe SER.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 4, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Tous les documents, pièces et informations obtenus à l’occasion de ce contrôle doivent être versés au dossier, adressés aux parties et débattus contradictoirement.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Cet amendement est véritablement de bon sens – M. le garde des sceaux comme M. le rapporteur l’auront remarqué. Nous y demandons que tous les documents, pièces et informations obtenus à l’occasion de ce contrôle soient versés au dossier, adressés aux parties et débattus contradictoirement. Le contradictoire est un principe fondamental du droit ; monsieur le garde des sceaux, vous l’avez déjà tellement dit et tellement montré que vous ne le nierez pas.
Cet amendement vise donc à renforcer l’information des parties et leur présence dans la procédure afin d’assurer un strict respect des droits de la défense. Toutes les vérifications et observations recueillies par le juge auprès de l’administration pénitentiaire devront être versées au dossier. Cela est très simple, et je suis presque persuadé d’avoir persuadé, pour une fois, M. Frassa.
Je ne voudrais pas jouer sur les mots, mais cet amendement est particulièrement contradictoire avec le précédent. Ce dernier visait à accélérer la procédure, alors que celui-ci tend à l’alourdir tout à coup : il y est proposé que tous les documents et informations obtenus par le juge soient transmis aux parties et débattus contradictoirement.
Nous ne sommes pas ici dans le cadre d’une information judiciaire. Les exigences procédurales doivent être compatibles avec le prononcé d’une décision que l’on veut rapide. C’est bien l’esprit même de cette proposition de loi, qui prévoit déjà que toutes les parties pourront faire connaître leurs observations et que le détenu lui-même pourra demander à être entendu par le juge avant qu’il ne rende sa décision, ce qui garantit à mon sens le respect du principe du contradictoire. Il ne me paraît cependant pas raisonnable d’aller au-delà ; l’avis de la commission sur cet amendement est donc défavorable.
Le Gouvernement est d’avis que cet amendement est audacieux… Tout dans le texte permet de disposer des garanties nécessaires quant au respect du contradictoire. C’est une évidence ! On recueillera l’avis de l’administration pénitentiaire, le détenu pourra lui-même s’expliquer, le contradictoire est donc assuré.
Je suis donc évidemment défavorable à cet amendement, dont à vrai dire je ne comprends pas l’objet.
Je remercie M. le garde des sceaux pour ses déclarations. En effet, faute d’obtenir l’adoption d’un amendement de temps en temps, ce qui ne serait pas exorbitant, au moins suis-je assuré que les débats parlementaires auront servi à éclairer la loi. M. le garde des sceaux a donné crédit au contenu de cet amendement, auquel il s’oppose, ce qui permettra aux personnes intéressées de bien interpréter la loi.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Je suis très flatté, monsieur le sénateur Sueur : si je vous comprends bien, votre amendement est devenu totalement inutile après mon intervention.
Sourires.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 6, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 8, première phrase
Remplacer les mots :
compris entre dix jours et un mois
par les mots :
inférieur à dix jours
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Les conditions indignes de détention sont un sujet dont nous parlons à vrai dire très courtoisement ; nous avons raison de le faire ainsi. Néanmoins, c’est une réalité humaine insoutenable et, lorsque se produisent des faits de cet ordre, il n’est pas exorbitant de demander que les délais soient raccourcis. L’objet de cet amendement est justement de réduire le délai laissé par le juge à l’administration pénitentiaire pour mettre fin, par tout moyen, à ces conditions de détention.
Dans la proposition de loi, le délai entre le moment où le juge reçoit la requête et interroge l’administration pénitentiaire, d’une part, et celui où il rend sa décision, d’autre part, est compris entre dix jours et un mois, ce qui est trop long. Il faut s’assurer que toute action de l’administration n’ait pas d’impact sur la requête. Nous proposons donc de réduire ce délai à moins de dix jours.
On touche ici au véritable point d’achoppement entre la position de la commission et la vôtre, monsieur Sueur. Vous défendez à travers votre proposition de loi et les amendements que vous avez déposés une logique selon laquelle le transfèrement n’est plus une option. Dans ce cas, je peux concevoir que l’on définisse un délai inférieur à dix jours.
Pour le président Buffet, auteur de la présente proposition de loi, le délai pour mettre fin aux conditions de détention indignes est forcément compris entre dix jours et un mois, car l’administration pénitentiaire peut avoir besoin d’un temps plus long afin d’étudier différentes solutions et trouver un établissement pour le transfèrement.
Nous ne pourrons pas tomber d’accord sur ce point, car vous renforcez les critères pour obtenir le transfèrement, ce qui le rend quasiment impossible – pardonnez-moi ce mot un peu brutal. L’avis est donc forcément défavorable.
Je ne peux être que défavorable à votre amendement, car il s’agit là d’une forme de posture. Ce que vous proposez n’est pas réaliste !
Les sénateurs qui ont pris la parole dans la discussion générale ont égrené les difficultés qu’ils ont constatées lors de leurs visites dans les établissements pénitentiaires. Que faites-vous des travaux pour la réalisation desquels quinze jours sont requis ? La réparation des climatisations ou des canalisations prend parfois du temps…
Si nous vous suivions, nous serions dans la posture. Il y va parfois de l’intérêt du détenu lui-même que soit respecté le délai tel que prévu par le texte de M. le président Buffet.
Vous parlez des travaux dans les établissements pénitentiaires comme d’une justification au maintien du délai d’un mois, monsieur le garde des sceaux. Observez donc plutôt la façon dont ils sont réalisés ! Je connais très bien la prison de Saran, qui, étant construite sur un terrain inondable, a été confrontée à un gros problème de canalisations. Quatre ans après en avoir fait le constat, rien n’est encore résolu !
Lorsqu’il y a lieu de reconstruire, de modifier très fortement une cellule, une promenade ou une coursive, il faut lancer des appels d’offres et soumettre les entreprises à concurrence. Un mois ne suffira donc pas à régler ces problèmes. Il y a chez vous une manière d’argumenter « pour le plaisir », et non réaliste.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 7, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 8, deuxième phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Le juge peut enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures déterminées afin de mettre fin aux conditions indignes de détention.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Je vois que M. Frassa s’en souvient très bien.
Il est écrit dans le texte que le juge ne peut pas enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures déterminées pour mettre fin aux conditions indignes de détention. J’ai été un peu surpris de lire cela…
Je me suis vu aussitôt rétorquer que, s’agissant de l’administration pénitentiaire, le juge judiciaire ne peut faire aucune injonction, prérogative du seul juge administratif. J’ai bien entendu cet argument. Vous pouvez me le répéter si cela vous fait plaisir, pour reprendre ce mot, il ne me convaincra pas.
Le présent amendement tend à ouvrir la possibilité au juge d’enjoindre à l’administration pénitentiaire de prendre des mesures déterminées. En effet, la réserve formulée dans la proposition de loi est problématique, puisqu’elle prive le magistrat de pouvoir intervenir réellement sur les conditions de détention et laisse l’administration – pour laquelle j’ai le plus grand respect – seul maître, alors même que, consciente de la situation, elle n’a pas agi ou, le plus souvent, n’a pas eu la possibilité ni les moyens d’agir.
L’intervention rapide du juge judiciaire, ainsi que de véritables pouvoirs d’instruction sont essentiels pour l’effectivité de ce nouveau recours.
L’amendement vise un objectif d’intérêt général – la sauvegarde de la dignité humaine –, qui permet parfaitement de déroger au principe selon lequel seules les juridictions administratives peuvent agir par rapport aux réalités de l’administration – vous le savez très bien, monsieur le garde des sceaux.
De plus – je ne vais pas vous l’apprendre, monsieur Frassa, car vous le savez très bien vous aussi –, il est déjà prévu dans notre droit que le juge judiciaire adresse des injonctions à l’administration en cas de voies de fait. Je pourrais m’étendre bien plus longuement sur ce sujet, si vous le souhaitez…
Il ne vous a pas non plus échappé que l’alinéa 3 de l’article 803-8 de la proposition de loi comprend déjà une injonction à l’administration de faire connaître, dans un délai déterminé, les mesures qu’elle entend prendre pour mettre fin aux conditions de détention qu’elle estime indignes.
Nous avons effectivement eu ce débat en commission et l’avons de nouveau esquissé lors de l’examen des amendements de séance. Bis repetita placent…
Le principe de séparation des pouvoirs vous évoque forcément quelque chose… Dans une décision du 23 janvier 1987, le Conseil constitutionnel a souligné que le pouvoir d’injonction relève en principe de la seule compétence de la juridiction administrative. Il est certes loisible au législateur, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, de constituer des blocs de compétences pour éviter que la dualité de juridiction soit source de désordres procéduraux dans un domaine déterminé.
Telle n’est pas l’option retenue par le texte, lequel mise sur la complémentarité entre l’intervention du juge administratif et celle du juge judiciaire. Dans ce cadre, seul le juge administratif, saisi en référé, dispose de la possibilité d’adresser des injonctions à l’administration.
De la même façon que le juge administratif ne peut pas libérer un détenu, le juge judiciaire n’a pas le pouvoir d’adresser une injonction aux directeurs d’administration pénitentiaire.
La commission reste défavorable à votre amendement.
La question est tellement importante qu’elle a été posée au Conseil d’État, qui y a répondu de façon très claire dans son point 12. L’avis est donc défavorable.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 8, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 8, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Cet amendement vise à supprimer la possibilité laissée à l’administration de transfèrement du détenu avant toute décision du juge judiciaire – il ne s’agit pas d’exclure le transfèrement, comme on me l’a gracieusement opposé en commission. Nous ne sommes pas favorables à ce que l’on empêche le transfèrement, qui peut être une solution dans des conditions que nous préciserons dans un prochain amendement.
Avec le dispositif actuel, c’est en premier lieu à l’administration pénitentiaire d’agir. Il lui suffit donc de proposer un transfert pour neutraliser la perspective d’une libération, choix qui reste possible dès lors que le juge en décide, en vertu même de la présente proposition de loi.
Or cette solution n’est pas satisfaisante et risque de dissuader la personne détenue d’effectuer un recours.
Les personnes se parlent beaucoup dans les prisons. Dire à un détenu qu’il risque d’être transféré à 500 kilomètres de son lieu de détention initial est extrêmement dissuasif pour l’exercice du recours, comme l’écrit remarquablement Mme Simonnot et le disent avec force les représentants de l’Observatoire international des prisons.
Une fois le requérant transféré, il est probable qu’un autre prendra sa place – sauf à faire tous les travaux de construction, de reconstruction, de canalisation, chers à M. le garde des sceaux !
L’amendement n° 18 rectifié, présenté par Mme Benbassa, MM. Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique, Gontard et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« L’administration pénitentiaire s’assure que le transfèrement du détenu et son éloignement géographique ne causent pas une atteinte excessive au maintien de ses relations familiales.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
En supprimant la dernière phrase de l’alinéa 8, monsieur Sueur, vous retirez à l’administration pénitentiaire la possibilité de transférer le détenu.
Vous pouvez me dire « si » autant que vous voulez, j’ai démontré que le transfèrement reste possible après décision du juge !
Monsieur Sueur, laissez la commission donner son avis : vous pourrez reprendre la parole ensuite !
Le transfèrement du détenu permet tout de même de remédier au problème de surpopulation carcérale, je n’y vois pas quelque chose d’horrible !
Si une maison d’arrêt est particulièrement surpeuplée tandis qu’un autre établissement, dans la même région, présente un taux d’occupation plus satisfaisant, il est parfaitement légitime que l’administration pénitentiaire procède à un transfèrement afin d’améliorer les conditions de détention. La commission considère qu’il serait bien dommage de se priver de cette possibilité, qui vise simplement à répartir de manière plus optimale les détenus en fonction des places disponibles.
Je le répète, la suppression visée par l’amendement retire tout simplement la possibilité à l’administration pénitentiaire de transférer un détenu ; en conséquence de quoi la commission a émis un avis défavorable.
Madame Benbassa, le maintien des liens familiaux est une préoccupation constante de l’administration pénitentiaire. La proposition de loi y apporte une garantie importante, puisqu’elle précise qu’un condamné peut légitimement refuser un transfèrement au motif qu’il aurait porté atteinte excessive à sa vie familiale.
La situation des personnes placées en détention provisoire est, quant à elle, différente, car il faut, dans ce cas, tenir compte des nécessités de l’enquête : le détenu est incarcéré dans un établissement proche du cabinet du juge d’instruction, ce qui peut parfois, hélas, avoir pour effet de l’éloigner de sa famille.
Votre amendement est satisfait s’agissant des personnes condamnées, mais se trouve inadapté à la situation particulière des prévenus. La commission y est donc défavorable, car, si vous me passez l’expression, il est bancal compte tenu de ces deux situations différentes.
Sans aucune surprise, je suis totalement défavorable à l’amendement n° 8. Le transfèrement est un des axes majeurs du texte. Je ne comprends pas cet amendement, qui paraît contre-productif. Sans le transfèrement, monsieur le sénateur, vous videz la réforme de son sens, qui est justement d’améliorer la condition des détenus. J’ai du mal à vous suivre…
Je me range à tout ce qui a été dit très clairement par M. le rapporteur.
Je maintiens fermement notre amendement, pour deux raisons.
Premièrement, je regrette que vous repreniez le discours de M. le rapporteur, monsieur le garde des sceaux, qui consiste à dire que nous serions contre le transfèrement. Or c’est le contraire que j’ai expliqué. Je vais donc le réexpliquer.
Nous sommes contre la décision de transfèrement par l’administration pénitentiaire avant la décision du juge. Est-ce clair ?
Quand je dis cela, est-ce que cela signifie que nous sommes contre le transfèrement ? Nous ne sommes pas du tout contre le transfèrement : nous sommes pour que le transfèrement ait lieu, le cas échéant, après saisine et décision du juge.
Vous entendre ainsi dire que je suis contre le transfèrement a priori est un procès d’intention que je n’accepte pas ! Il est raisonnable et pertinent de défendre le fait que le transfèrement doive intervenir après la décision du juge et sur proposition de celui-ci. Voilà pour le premier argument, monsieur le garde des sceaux !
Eh oui, nous sommes là pour débattre !
Deuxièmement, je tiens à souligner votre aporie, monsieur le rapporteur. Vous nous dites que le transfèrement est la meilleure façon de résoudre le problème de surpopulation. Bien entendu, on peut distribuer autrement le malheur, mais celui-ci persistera toujours !
Croyez-vous que, dans les seules maisons d’arrêt, où le taux de surpopulation est de plus de 120 %, les transfèrements suffiront à faire baisser le nombre de détenus ? Bien sûr que non ! Quand vous ferez votre statistique, monsieur le garde des sceaux, le nombre de détenus sera toujours supérieur à 120 %. C’est une aporie, car cela ne change rien sur le fond.
M. Roger Karoutchi s ’ impatiente.
Bien sûr, monsieur Frassa, conjoncturellement, vous avez raison, cela peut avoir quelques effets, mais pas en masse.
Mesurez-vous bien la portée de votre amendement, monsieur le sénateur ? Préférez-vous qu’un détenu particulièrement dangereux fasse l’objet d’une décision de libération plutôt que d’un transfèrement ? Qu’en est-il d’un détenu qui serait malade ?
Je veux bien que nous discutions pour le plaisir d’échanger, mais votre solution non seulement n’est pas pragmatique mais s’avère extrêmement inquiétante dans ses conséquences – si, par impossible, elle était retenue…
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 18 rectifié est retiré.
L’amendement n° 9, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Il peut assortir l’injonction de mesures d’une astreinte par jour de retard à l’exécution de ces mesures.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Je garde tout le calme requis, monsieur le garde des sceaux. Vous savez très bien que la libération d’un détenu est décidée par le juge et ne peut l’être que par lui, heureusement. Pour revenir à votre hypothèse, cela m’étonnerait donc qu’il décide la libération d’un détenu dangereux. Étant de droit commun, le transfèrement est toujours possible. Nous ne parlons que des décisions subséquentes au fait qu’un détenu engage une procédure pour conditions de détention indignes.
J’en viens maintenant à l’amendement n° 9, qui vise à instaurer des mesures d’astreinte.
Étant en désaccord avec un certain nombre d’aspects du présent texte – pas tous –, nous avons déposé une proposition de loi alternative dont le titre est le même mais comporte en plus l’adverbe « effectivement ». La mesure que nous proposons figure justement parmi celles qui peuvent rendre les choses effectives. Naturellement, vous me direz que c’est très compliqué…
Par cohérence avec l’avis émis par la commission sur l’amendement n° 7, qui visait à prévoir une injonction et qui a été rejeté, l’avis est défavorable sur celui-ci.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 10, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
II. – Après l’alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« … Soit il ordonne le transfèrement de la personne dans un autre établissement pénitentiaire avec un examen préalable approfondi de la sauvegarde de la vie privée et familiale, du respect de ses droits à la réinsertion, à la santé et à la défense.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Cet amendement est relatif au transfèrement, preuve que nous ne sommes pas contre.
Je veux vous rappeler ce que dit la Cour européenne des droits de l’homme dans son arrêt du 30 janvier 2020, qui se place dans une perspective tout autre : « La surpopulation des prisons et leur vétusté, a fortiori sur des territoires où n’existent que peu de prisons et où les transferts s’avèrent illusoires, font obstacle à ce que l’utilisation du référé-liberté offre aux personnes détenues la possibilité en pratique de faire cesser pleinement et immédiatement les atteintes graves portées à l’article 3 de la Convention ou d’y apporter une amélioration substantielle. »
La Cour européenne des droits de l’homme ne considère donc pas le transfèrement comme une mesure efficace.
De surcroît, Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, qui aura été entendu par ma modeste voix dans ce débat, et l’Observatoire international des prisons estiment que, si transfèrement il y a, il est normal que l’on puisse préalablement en apprécier les conséquences – vous avez défendu assez de personnes pour le savoir, monsieur le garde des sceaux. Parmi ces conséquences se trouve la vie familiale du détenu : à la suite de l’amendement déposé par Mme Benbassa, nous sommes d’accord que ce point figure déjà dans le texte. J’y ajouterais la vie sociale du détenu ; le respect de ses droits à la réinsertion dans la société, le but de la détention n’étant pas d’y rester mais d’en sortir, et pas par une sortie « sèche » ; ses droits à la santé, si toutefois un traitement est suivi – quel hôpital, par exemple – ; et les droits de la défense.
Tout cela est déjà demandé par beaucoup d’instances. Nous demandons simplement, j’y insiste…
Monsieur Sueur, il faut conclure, à moins que vous ne soyez en train de présenter votre second amendement ?
Je suis effectivement en train de présenter l’amendement n° 11, comme vous l’avez deviné, monsieur le président. Je n’ai donc pas dépassé mon temps de parole de trente-neuf secondes, maintenant que la loi du chronomètre s’impose d’une manière absolue dans cet hémicycle.
J’ai vécu ici une époque où Robert Badinter multipliait par deux son temps de parole, et personne ne l’interrompait.
Le chronomètre me démontre que j’ai encore une minute et cinquante-huit secondes pour présenter le second amendement.
L’amendement n° 11, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
II. – Après l’alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« … Soit il ordonne le transfèrement de la personne dans un autre établissement pénitentiaire après un examen approfondi de la situation sociale et familiale.
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
Je vais vous faire grâce de la présentation de cet amendement, parce que j’ai pitié de vous, d’autant que vous avez bien compris qu’il s’agit d’un amendement de repli. Il tend à prendre en considération, de façon préalable au transfèrement, les différentes questions que j’ai évoquées. C’est simplement du bon sens ! Il convient en effet, avant de décider du transfert d’un détenu, de prendre en compte ces réalités matérielles.
Vos amendements visent tout simplement à rendre plus difficile le transfèrement, le soumettant à différentes conditions.
Suivant l’amendement n° 10, il faudrait que le magistrat fasse lui-même la démonstration que le transfèrement sauvegarde la vie privée et familiale du détenu et respecte son droit à la réinsertion, à la santé et à la défense. Le texte élaboré par la commission prend déjà en compte la dimension des liens familiaux, et la procédure proposée est respectueuse des droits de la défense. Concernant les aspects sanitaires et sociaux, il serait surprenant que le détenu qui souffre de conditions de détention indignes trouve de plus mauvaises conditions dans l’établissement où il serait transféré. L’avis est donc défavorable.
Quant à l’amendement n° 11, il tend à proposer une notion d’« examen approfondi de la situation familiale et sociale » du détenu, qui est très vague. Quels seraient alors les critères appliqués par le juge ? Un détenu dont la situation sociale est très difficile ne pourrait-il bénéficier d’un transfèrement, ou serait-il au contraire prioritaire ?
Il nous revient de fixer des règles suffisamment claires pour que les juges puissent les appliquer sans difficulté. L’avis est également défavorable.
Tout a été dit et extrêmement bien dit : avis défavorable, deux fois !
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 12, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
La question du transfèrement a déjà été beaucoup abordée. Ce sera certainement le terme le plus employé de ce débat…
Je crains que le droit pour les personnes faisant l’objet de conditions de détention indignes de saisir le juge judiciaire pour un transfèrement ne se traduise par une espèce de mouvement perpétuel par lequel on ferait passer les détenus d’un établissement à l’autre.
Vous avez dit que 800 à 900 détenus se retrouvaient à dormir sur des matelas posés par terre et humides, dans des conditions lamentables. Il y aura toujours ces 800 matelas en dépit des transfèrements.
Des détenus seront certes transportés, et on dira alors que cette loi est respectée, qu’elle est bonne, qu’elle a beaucoup d’effets, qu’elle permet de donner de l’humanité aux choses ; bref, nous sommes vraiment très contents de nous. Moi, je ne suis pas content, d’autant que je sais déjà que les amendements n° 15 et 16 ne seront pas adoptés, alors qu’ils posent la vraie question : tant que l’on ne se décidera pas à ce qu’il y ait moins de détenus, grâce à des aménagements de peine justifiés et à des alternatives à la détention, les transfèrements ne régleront pas le problème, même si, je le répète, nous ne sommes pas a priori contre.
Il est évident que l’on ne va pas revenir sur une disposition de bon sens : si un détenu refuse son transfèrement, il doit en assumer les conséquences, et il restera donc incarcéré là où il est. Chacun prend ses responsabilités.
Cet amendement vise à revenir sur cette règle. C’est la raison pour laquelle la commission y est défavorable.
On ne peut pas tout mélanger.
J’essaie de mettre en place des alternatives aux poursuites : les TIG, les aménagements de peine ab initio, dont j’ai expliqué dans quelles conditions ils avaient augmenté à l’occasion de la loi « bloc peine », passant de 3 % à 11 %. Je vous ai fait part du nombre invraisemblable de peines illégales qui ont été prononcées, peut-être pour des raisons culturelles. Chaque fois que j’organise une réunion avec les chefs de cour et de juridiction, j’essaie de sensibiliser sur le bloc peine, la loi, son application – le juge est la bouche de la loi. Tout ce travail, monsieur Sueur, nous le faisons.
Vous le savez, personne n’a le monopole du cœur, pour reprendre une expression maintes fois utilisée.
On ne peut pas permettre que le recours créé par la proposition de loi soit instrumentalisé par les personnes détenues : elles pourraient alors systématiquement refuser un transfèrement pour obtenir une libération immédiate. Ce n’est pas le sens de la loi, non plus que de notre travail ici. Je ne comprends pas que vous ne le compreniez pas : avis défavorable.
Monsieur le garde des sceaux, je n’ai jamais dit que quiconque avait le monopole du cœur. Je sais que vous avez du cœur, et ce dans tous les sens du terme, y compris dans le sens du XVIIe siècle : « Rodrigue, as-tu du cœur ? »
M. Jean-Pierre Sueur. Je constate que M. Karoutchi s’anime dès que l’on parle de Corneille, ce qui est une bonne chose.
Sourires.
À vous entendre, il suffirait de refuser le transfèrement pour obtenir la libération.
Le détenu qui aurait cette idée serait d’une naïveté totale ! La libération ne peut être ordonnée que par le juge. Il ne lui suffira pas de refuser le transfèrement pour être de facto libéré, ce n’est pas vrai. Je n’ai pas besoin de vous dire que cela dépend du juge, puisque vous le savez très bien.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 13, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 14, dernière phrase
Compléter cet alinéa par les mots :
uniquement en cas de force majeure
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
L’objet de cet amendement est très simple : dans ces conditions de détention indignes, la visioconférence n’est pas forcément l’outil le plus adapté. Par conséquent, nous proposons de restreindre la visioconférence aux cas de force majeure.
Pour que s’applique la force majeure, il faut que soient réunies des conditions extrêmement restrictives : cela suppose un événement imprévisible, irrésistible et extérieur aux personnes concernées. Autant dire, monsieur Sueur, que la visioconférence sera toujours exclue.
Les amendements que vous avez déjà défendus visaient à accélérer les procédures. Or, s’il est adopté, cet amendement rendra impossible la visioconférence, procédure qui est déjà prévue par le code de procédure pénale et qui est utilisée dans des conditions respectueuses des droits de la défense. Nous souhaitons au contraire l’étendre pour faciliter la procédure : avis défavorable.
La visioconférence est permise devant le JLD en matière de prolongation de détention provisoire et pour les audiences devant le JAP. C’est le droit positif ! L’extension permise par ce texte s’inscrit en totale cohérence avec ce qui existe.
Là encore, monsieur Sueur, j’ai un peu de mal à vous suivre, mais je crois qu’il en est ainsi ce soir… Je suis donc défavorable à votre amendement.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 14, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 15, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Monsieur le garde des sceaux, la vie est ainsi faite : il y a des jours avec et des jours sans. Il faut être patient…
Vous comprendrez aisément l’intérêt de cet amendement : on ne voit pas pourquoi un détenu qui est dans une situation indigne devrait être victime de l’inaction des juridictions et de leurs carences.
Le texte prévoit que le jugement doit intervenir dans les quinze jours en cas d’appel du ministère public. Sur ce point, la commission a adopté un amendement de clarification, afin de préciser que ce délai s’applique seulement en cas d’appel du ministère public.
L’appel du ministère public a un effet suspensif. Aussi, le détenu ne bénéficiera pas de la mesure de libération décidée par le juge en attendant que l’appel soit jugé. Il est donc dans l’intérêt du détenu que le jugement intervienne rapidement. C’est pourquoi il serait malvenu de supprimer le délai de quinze jours : avis défavorable.
Vous avez raison, monsieur Sueur, il faut être patient. Pour ne rien vous cacher, j’ai le sentiment ce soir de l’être particulièrement.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. C’est dans ma nature. En outre, j’ai pour vous beaucoup d’empathie, vous le savez.
Sourires.
En revanche, sur la question des délais, j’ai du mal à vous suivre, car, là encore, ce que vous proposez est extraordinairement dangereux. Je ne vous étonnerai donc pas en vous disant que je suis totalement défavorable à votre amendement.
Rires.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 19, présenté par M. Frassa, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 22
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
4° Le premier alinéa de l’article 804 est ainsi rédigé :
« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».
La parole est à M. le rapporteur.
Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Afin de permettre une coordination outre-mer, il est préférable d’adopter une rédaction globale pour le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale, car plusieurs textes actuellement en cours de navette modifient ce même alinéa.
L ’ amendement est adopté.
Je constate que l’amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
Je mets aux voix l’article unique, modifié.
L ’ article unique est adopté.
L’amendement n° 15, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois après l’adoption de la présente loi, le Gouvernement présente un rapport sur les mesures qu’il compte prendre afin de lutter contre la surpopulation carcérale.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Cet amendement vise à demander au Gouvernement un rapport.
Pour avoir moi-même présidé cette noble instance qu’est la commission des lois, je sais qu’elle n’aime pas les rapports. Toutefois, je persiste, car c’est l’occasion de rappeler que cette proposition de loi ne peut être une réponse structurelle à la situation : à elle seule, quand bien même elle aurait été améliorée comme nous l’avions proposé, elle ne répond pas aux différentes condamnations de la Cour européenne des droits de l’homme.
Dans son arrêt du 30 janvier 2020, que j’ai déjà cité, la Cour européenne des droits de l’homme pointait un problème structurel en matière de surpopulation carcérale en France et exigeait l’adoption de mesures générales visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention.
Au 1er février dernier, les prisons françaises comptaient 63 802 détenus. Chaque mois, ce sont 1 000 détenus de plus qui viennent remplir ces prisons. L’inflation carcérale que connaît la France depuis plusieurs décennies est avant tout le fruit des politiques pénales antérieures. Je connais la diversité des gouvernements qui se sont succédé, et je ne ferai aucun simplisme à cet égard.
Précédemment, j’ai cité l’action décisive de Jean-René Lecerf, celle de Dominique Raimbourg – malheureusement, il n’a pas été assez écouté – et la ténacité avec laquelle Christiane Taubira a voulu mettre en place de nouvelles formes de peines, qui n’ont pas eu de succès. De nombreuses tentatives ont eu lieu, mais il n’y a rien à faire.
Monsieur le garde des sceaux, je souhaite que vous réussissiez dans ce combat pour les peines alternatives, car nous savons ce qui se passera si l’on construit de nouvelles prisons – on en a construit depuis cinquante ans – : on aboutira au surpeuplement. C’est pourquoi nous souhaitons vivement que des alternatives soient possibles.
Je finirai en mentionnant le rapport parlementaire d’information sur les moyens de lutte contre la surpopulation carcérale, présenté par Dominique Raimbourg et Sébastien Huyghe, en 2013. Ce serait une bonne lecture, car ses auteurs ont pris le risque de formuler des propositions qui n’allaient pas de soi, mais qu’il serait peut-être bon de prendre en compte.
Monsieur Sueur, je ne reviens pas sur la position de la commission des lois, que vous connaissez pour en avoir été le président.
Pour autant, la surpopulation carcérale est un sujet majeur, que j’ai d’ailleurs largement évoqué lors de la discussion générale. En tant que parlementaires, il nous appartient de suivre avec beaucoup de vigilance l’évolution du taux d’occupation carcérale. Chaque année, lors de l’examen du projet de loi de finances, Alain Marc, en tant que rapporteur pour avis de la commission des lois, suit cet indicateur et nous en rend compte.
Le Gouvernement pourrait nous donner des indications sur la manière dont il envisage l’évolution du taux d’occupation carcérale dans les prochains mois et dans les prochaines années. L’ouverture de nouvelles places de prison devrait contribuer à le faire baisser, de même que la mise en œuvre de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui vise à réduire le nombre de courtes peines.
Cependant, monsieur le garde des sceaux, si l’on en croit vos récentes déclarations, le Gouvernement serait tenté de proposer une réforme des règles relatives aux crédits de réduction de peine, ce qui pourrait avoir l’effet inverse en augmentant le temps passé en détention. Le Gouvernement, par votre voix, pourrait donc utilement nous éclairer sur la stratégie qu’il compte suivre en matière de gestion de la population carcérale.
Sourires.
Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cette demande de rapport.
Monsieur le sénateur Karoutchi, je vous ai entendu, et je veux vous rassurer. Vous ne souhaitez pas que je développe plus avant ce projet de loi que j’aurai l’honneur de discuter ici dès que possible.
Un mot, toutefois.
Il y a la loi « bloc peine », il y a le développement de l’ARSE, il y a les alternatives aux poursuites, il y a la plateforme TIG 360°, il y a le projet de loi que je prépare et sur lequel je travaille beaucoup. À quoi servirait un rapport supplémentaire, alors que vous contrôlez déjà avec beaucoup de vigilance le travail du Gouvernement ? Je vous ai déjà communiqué les chiffres. Si vous souhaitez en avoir le détail, ma porte vous est ouverte ; je pense que vous le savez, monsieur Sueur.
Un rapport supplémentaire ne servirait pas à grand-chose, je le dis sans ambages, et je sais les sénateurs suffisamment vigilants quant à l’action gouvernementale pour éviter cette nouvelle lourdeur. Les chiffres et les choses sont clairs.
Pardonnez-moi de me répéter, mais je pense que le contrôle et la vigilance que vous avez évoqués vous permettent d’avoir une vision tout à fait précise de ce que le Gouvernement met en œuvre pour lutter contre la surpopulation carcérale.
Je m’associe à la question posée par le rapporteur, que je trouve très pertinente.
Je comprends tout à fait la réaction de M. Karoutchi, qui souhaite que vous ne répondiez pas sur-le-champ, monsieur le garde des sceaux. Reste que ce qui a été dit récemment sur les aménagements de peine que prévoirait votre projet de loi a suscité quelques incompréhensions. Certains ont pensé qu’il s’agissait d’avancer vers les aménagements de peine et d’autres d’être plus restrictif. Il est évident qu’être plus restrictif ne permettra pas de lutter contre la surpopulation carcérale.
Comme cela n’a pas toujours été très bien compris, je pense qu’à la faveur de l’examen de votre projet de loi vous aurez l’occasion de clarifier ce point.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 16, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois après l’adoption de la présente proposition de loi, le Gouvernement présente un rapport sur les mesures qu’il compte prendre afin de développer les aménagements de peine.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Dans la même logique, sur laquelle je ne reviens pas, cet amendement vise à demander au Gouvernement un rapport sur le développement des aménagements de peine dans le but de lutter contre la surpopulation carcérale.
La juridiction de l’application des peines peut aménager les peines d’emprisonnement ferme en prononçant l’une des mesures suivantes : libération conditionnelle, suspension de peine pour raisons médicales, semi-liberté, placement à l’extérieur ou placement sous surveillance électronique. Des permissions de sortie peuvent également être accordées sous certaines conditions. Le tribunal correctionnel peut aussi décider, dès la condamnation, que la peine d’emprisonnement fera l’objet d’un aménagement.
Ce rapport, qui n’existera pas et sur lequel nous appelons l’attention du Gouvernement, permettrait d’y voir clair et d’évaluer l’effet de ces aménagements de peine sur la nécessaire lutte contre la surpopulation pénitentiaire.
Même avis défavorable que pour l’amendement précédent.
Il me semble que le futur projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire pourrait faire évoluer les dispositions relatives à la libération sous contrainte déjà modifiées par la loi de programmation du 23 mars 2019. À cette occasion, nous aurons sans doute le plaisir d’entendre le garde des sceaux sur ce sujet ô combien important. Ce soir n’est certainement pas le moment d’en parler.
J’ai la certitude que le Sénat enrichira ce texte le moment venu et proposera des amendements auxquels, j’en suis déjà convaincu, je serai favorable.
L’aménagement de peine est l’une des possibilités pour réguler la surpopulation carcérale.
Je n’étais pas favorable à un rapport général ; je ne suis pas plus favorable à un rapport sur une mesure qui doit être incluse dans un panel de mesures.
Je préfère peaufiner mon projet de loi que de préparer un rapport, …
… d’autant que, je le répète, tous les chiffres sont publiés régulièrement, vous en prenez connaissance et, comme vous connaissez bien la matière, vous savez parfaitement quelle est l’action du Gouvernement.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L’amendement n° 17, présenté par MM. Sueur et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi tendant à assurer l’effectivité du droit au respect de la dignité en détention
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
Sourires.
Cet amendement, qui est le dix-septième que j’ai déposé, a été rédigé dans l’espoir qu’auraient pu être adoptés nos seize amendements précédents ou, du moins, les deux tiers, voire la moitié d’entre eux ou quelques-uns seulement. Ainsi, nous aurions pu dire que la proposition de loi tend « à assurer l’effectivité du droit au respect de la dignité en détention ».
Comme il n’en est rien, hélas, nous retirons cet amendement.
Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
Nous avons suffisamment plaidé pour qu’au moins six améliorations soient apportées à ce texte. Nous avons cité nos sources : Mme la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, l’Observatoire international des prisons, l’interprétation qui nous paraît claire de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, les décisions qui nous paraissent également très claires de la Cour de cassation, les auditions de représentants des avocats du barreau et de représentants des magistrats auxquelles nous avons procédé.
À l’issue de l’ensemble de ces auditions et de ces contacts, il est apparu que ce texte devait être précisé et amélioré afin que le droit à saisir le juge judiciaire pour les détenus en situation d’indignité soit effectif. Nous avons même déposé une proposition de loi qui rassemblait ces différentes modifications.
Je dois dire, pour être tout à fait juste, que l’une de nos propositions a été retenue en commission. Alors que le texte prévoyait initialement que le juge pouvait auditionner la personne, avec l’accord du rapporteur et de la commission, cette disposition a été changée. Désormais, il est prévu que la personne qui estime être détenue dans des conditions indignes pouvait demander à être auditionnée et que, dans ce cas, elle le serait.
Pour autant, le compte n’y est pas. C’est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, comme nous considérons qu’il est bien sûr mieux que ce texte existe plutôt qu’il n’existe pas, nous ne nous y opposerons pas. Nous nous abstiendrons au motif que nos différentes propositions – elles ne sont pas seulement les nôtres – n’ont malheureusement pas pu être prises en compte. Toutefois, nous gardons l’espérance – il faut toujours avoir une lueur d’espoir
Sourires.
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
La proposition de loi est adoptée.
Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mardi 9 mars 2021 :
À neuf heures trente :
Trente-quatre questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
Explications de vote puis vote sur la proposition de loi relative au monde combattant, présentée par Mme Jocelyne Guidez et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 421, 2019-2020) ;
Proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, portant diverses mesures de justice sociale (texte de la commission n° 401, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
La séance est levée à dix-huit heures cinquante-cinq.