Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 8 mars 2021 à 16h00
Droit au respect de la dignité en détention — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner la proposition de loi déposée par notre collègue François-Noël Buffet, qui vise à faire cesser une situation insupportable pour le pays des droits de l’homme. Prenant acte des divers arrêts et sanctions visant notre République, cette proposition a deux objets principaux. Le premier, c’est de garantir à tous les détenus des conditions de détention compatibles avec le principe de dignité de la personne humaine. Le second, c’est de créer une voie de recours effective lorsque sa dignité est bafouée.

Mes chers collègues, nous partageons le même constat sur toutes les travées depuis de nombreuses années : la situation carcérale, notamment au sein des maisons d’arrêt, n’est plus supportable dans un pays comme le nôtre.

Depuis le début des années 2000, le nombre de détenus en France a augmenté chaque année, alors que, pendant cette période, le nombre de places supplémentaires a crû moins vite, voire a diminué dans certains établissements.

Quand, en Allemagne ou au Royaume-Uni, la population carcérale des établissements pénitentiaires demeure légèrement en deçà du taux d’occupation maximal, aux alentours de 96 % du nombre de places opérationnelles, nous sommes à 116 % en France. La situation est encore plus critique au sein des maisons d’arrêt.

Déjà, en 2000, un rapport du Sénat, rédigé par nos anciens collègues Guy-Pierre Cabanel et Jean-Jacques Hyest évoquait « des prisons républicaines aux oubliettes de la société », ce qui représentait « une honte et une humiliation pour la République ».

En 2019, un rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté établissait que la densité moyenne des maisons d’arrêt en France était de 138 personnes pour 100 places opérationnelles, 44 de ces établissements ayant une densité supérieure à 150 %. Pour certains, le taux d’occupation peut aller jusqu’à 200 %, voire 213 %. Je pense ici au quartier de la maison d’arrêt du centre pénitentiaire de Ducos en Martinique.

Cette situation est bien connue des pouvoirs publics depuis une dizaine d’années. Elle fait peser au-dessus de nos têtes une permanente épée de Damoclès. La France avait déjà été condamnée pour la première fois à ce sujet en 2013. Il s’agissait alors de la maison d’arrêt Charles-III de Nancy. Pour autant, nos établissements pénitentiaires sont toujours surpeuplés et, bien souvent, les conditions de détention au sein des maisons d’arrêt sont considérées comme indignes. Il est question de vétusté, d’insalubrité, de trop grande promiscuité. C’est malheureusement souvent une réalité.

En effet, alors que tout propriétaire privé doit légalement garantir à ses locataires une surface habitable d’au moins neuf mètres carrés, il n’est pas rare que l’État français fasse cohabiter plusieurs codétenus dans une cellule de huit mètres carrés, avec un ou plusieurs matelas au sol. Cette situation est indigne.

Alors qu’en pleine crise sanitaire, pour assurer la protection de la santé de l’ensemble de nos concitoyens, des mesures drastiques de distanciation physique s’imposent à tous, depuis maintenant presque un an, l’opinion publique a découvert qu’il n’était pas rare que trois codétenus partagent la même cellule. C’est cette situation que vivaient bon nombre des trente-deux requérants qui ont intenté une action contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme. C’est donc tout logiquement que, le 30 janvier 2020, cette instance nous a, encore une fois, rappelés à l’ordre au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui dispose que « nul ne peut être soumis […] à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Pour le moment, nous échappons à la mise en œuvre de la procédure dite de « l’arrêt pilote », une procédure qui permet d’identifier des problèmes structurels et, surtout, d’imposer des mesures d’amélioration à l’État concerné. Nous ne pourrons pas éternellement y échapper, ce qui serait humiliant, vous en conviendrez, pour le pays des Lumières et des droits de l’homme.

Il s’agit donc de mettre fin à l’existence d’un problème structurel qui ternit l’image de la France en Europe. En matière de surpopulation carcérale, et je m’adresse ici au Gouvernement, la situation exige, comme le précise la Cour de Strasbourg, « l’adoption de mesures générales et structurelles visant à supprimer le surpeuplement et à améliorer les conditions matérielles de détention ».

À la problématique des conditions de détention indignes, conséquence d’une surpopulation carcérale, s’ajoute la question du droit de recours effectif. Lorsque l’on a le sentiment que son droit à la dignité est bafoué, il n’y a rien de plus dramatique que le sentiment d’être abandonné par la Nation.

En se mettant au diapason de la juridiction européenne, le Conseil constitutionnel, dans une décision qui brille par sa clarté et sa fermeté, est venu sanctionner le silence de la loi, le 2 octobre dernier. En résonance avec la Cour de Strasbourg, qui a constaté, à raison, que le pouvoir d’injonction du juge des référés n’était que de portée limitée, notre juge constitutionnel a également sanctionné notre incompétence en considérant que, trop souvent, les recours dont disposent les détenus sont inefficaces et inopérants en pratique.

Nous devons en tirer l’enseignement qu’un effort et une action collectifs sont nécessaires sur cette problématique. En premier lieu, c’est à nous, législateurs, qu’il incombe de modifier la loi pour faire cesser cette anomalie. Ce sera, ensuite au Gouvernement, ou plus précisément à l’administration pénitentiaire, de prévenir au maximum toute atteinte à la dignité des personnes détenues. Enfin, il reviendra au juge judiciaire, garant de la liberté individuelle, de mettre en œuvre toute mesure de nature à faire cesser une atteinte à la dignité lorsqu’il sera saisi d’une situation individuelle.

Nous saluons encore une fois l’initiative prise par le président Buffet devant l’inaction du Gouvernement, alors que la date butoir fixée par le Conseil constitutionnel se rapprochait. Nous saluons également la qualité du travail réalisé par notre rapporteur, Christophe-André Frassa, qui a su, dans le temps très limité dont il disposait, proposer à notre commission des améliorations bienvenues.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, en attendant que soit mise en œuvre une réorganisation structurelle et profonde de notre service public pénitentiaire, le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de loi sans réserve.

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