Intervention de Roland du Luart

Réunion du 4 décembre 2006 à 10h00
Loi de finances pour 2007 — Justice

Photo de Roland du LuartRoland du Luart, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaiterais, tout d'abord, développer quelques considérations générales sur cette mission, dont le périmètre ne comprend pas les juridictions administratives.

Cette remarque préalable est d'importance, car, si le bon fonctionnement de la mission « Justice » n'est, certes, pas entravé par la « sortie » des juridictions administratives de cette mission, la question reste néanmoins posée de la cohérence d'ensemble du traitement budgétaire des juridictions.

La mission « Justice » est dotée, dans le projet de loi de finances pour 2007, de 6.271, 1 millions d'euros de crédits de paiement, soit une progression de 4, 8 %. Cette progression renforce naturellement l'obligation de résultat incombant aux acteurs de la justice, même si les moyens budgétaires ne sont pas, à eux seuls, la clef de tous les problèmes auxquels est aujourd'hui confrontée l'institution.

Deux points particulièrement positifs méritent d'être soulignés. D'une part, il faut se féliciter d'une plus large diffusion de la culture de gestion parmi les acteurs de l'institution judiciaire, en conformité avec l'esprit de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, et avec la responsabilisation des gestionnaires dont elle est porteuse. D'autre part, le pari de la maîtrise des frais de justice est en passe d'être remporté. (M. le garde des sceaux fait un signe d'approbation.) Sur ce second point, le rapporteur spécial que je suis est heureux de saluer les résultats probants obtenus par la Chancellerie, et cela, d'autant plus que je m'étais montré très critique, voire sceptique, ici même il y a un an.

Le programme « Justice judiciaire », qui compte, hors fonds de concours, 2.605, 8 millions d'euros en crédits de paiement, est en progression de 4 % par rapport à 2006.

L'année 2007 doit permettre de consolider les acquis de la LOLF, de poursuivre l'acclimatation à la culture de performance et de pérenniser les bonnes habitudes prises par les gestionnaires.

Dans ce contexte, on peut regretter que les objectifs fixés par la loi d'orientation et de programmation pour la justice, la LOPJ, ne soient pas entièrement satisfaits en termes de créations d'emplois. Si le taux d'exécution de la LOPJ pour les emplois de magistrats se révèle relativement satisfaisant, avec un résultat final de 81, 7 % en 2007, il s'avère beaucoup plus décevant pour les emplois de greffiers, avec un niveau de seulement 57, 9 %.

Je souhaite, à ce propos, souligner que le ratio entre le nombre de magistrats et celui de fonctionnaires connaît une évolution très défavorable aux greffiers, il s'établit aujourd'hui à 2, 69 magistrats pour un greffier. Cette situation n'est pas sans conséquence sur la bonne marche de la justice. Elle induit un recul du soutien logistique susceptible d'être attendu par les magistrats, tant pour le rendu des décisions juridictionnelles que pour la gestion des juridictions.

La pyramide des âges des greffiers, le rythme des départs à la retraite, l'allongement de la scolarité à l'École nationale des greffes, l'ENG, et le délai entre l'autorisation d'un concours de recrutement de greffiers et ses premiers effets sur le terrain, au moins deux ans, constituent autant de circonstances aggravantes au regard de cette dégradation du ratio magistrats-greffiers.

Le tableau d'ensemble de ce programme « Justice judiciaire » présente une autre ombre. Le transfert des charges d'ordonnancement des préfectures vers les cours d'appel ne s'est, en effet, pas accompagné d'un mouvement de personnels équivalent, soit 200 équivalents temps plein travaillé, ETPT, non transférés, selon les estimations de la Chancellerie. Ainsi, l'épineuse question de la surcharge de travail non compensée pour les juridictions reste posée. Je l'avais déjà souligné l'an dernier.

Mais, au-delà de ces réserves, de réels motifs de satisfaction doivent aussi être soulignés. Au premier rang de ces satisfactions figure la maîtrise des frais de justice.

Comme vous le savez, monsieur le garde des sceaux, le Sénat a toujours eu à coeur de contribuer à la sensibilisation et à la concertation autour de cette question, à nos yeux, essentielle, notamment au travers de la mission de contrôle budgétaire que j'ai menée il y a quelques mois, ainsi que d'une enquête conduite par la Cour des comptes à la demande de notre assemblée.

Au vu des premiers éléments d'appréciation sur la gestion 2006, la dotation prévue pour les frais de justice pour 2006 devrait s'avérer suffisante, moyennant l'abondement supplémentaire tiré de la réserve de 50 millions d'euros mise en place à cette fin en loi de finances pour 2006.

La maîtrise en cours tient beaucoup à une prise de conscience et à de réels efforts de la part des magistrats prescripteurs de la dépense, ce qui constitue un motif de satisfaction supplémentaire.

En matière d'analyses génétiques, par exemple, la passation de marchés publics s'est, d'ores et déjà, traduite par une baisse très significative des tarifs proposés par les laboratoires.

Il faut, par ailleurs, se féliciter que cette politique de maîtrise des frais de justice n'entame en rien la liberté de prescription des magistrats, principe essentiel au bon fonctionnement de notre justice.

Dans ce contexte, l'enveloppe allouée pour l'année 2007 au titre des frais de justice est de 397, 9 millions d'euros en crédits de paiement, soit une hausse de 7, 5 % par rapport à la dotation prévue en loi de finances pour 2006, mais une baisse de 5, 3 % par rapport au cumul de cette dotation et de la réserve de 50 millions d'euros. Il faut le souligner, dans le passé, la dérive sur ce point était de l'ordre de 20 % par an.

Le programme « Administration pénitentiaire » comporte 2.246 millions d'euros de crédits de paiement, soit une progression de 5, 4 % par rapport à 2006.

Cette hausse répond à un impératif. Faut-il, en effet, rappeler les conditions de détention en France, la vétusté de la plupart des prisons et le taux de surpopulation carcérale, qui atteignait, au 1er octobre dernier, 111 % ?

Dans cette perspective, la LOPJ a prévu un objectif de création de 13 200 places supplémentaires de détention. Toutefois, étant donné la spécificité des programmes immobiliers pénitentiaires et les délais incompressibles qu'ils imposent, les efforts consentis au titre de la LOPJ ne feront sentir leurs premiers effets positifs qu'à partir de 2007. Et ce n'est que courant 2009 que le nombre de places égalera le nombre de personnes détenues.

J'en viens, maintenant, au programme « Protection judiciaire de la jeunesse », PJJ, dont les faits divers et les violences urbaines récurrentes viennent rappeler, si besoin était, l'importance cruciale.

Ce programme comporte, hors fonds de concours, 799, 7 millions d'euros en crédits de paiement, soit une progression de 8 %.

Les dépenses de fonctionnement augmentent de 42, 8 millions d'euros, soit de 12, 7 %, pour répondre, notamment, aux besoins de fonctionnement des centres éducatifs fermés, les CEF, auxquels vous croyez tout particulièrement.

Le présent projet de loi de finances prévoit une augmentation de 43 millions d'euros de l'enveloppe budgétaire consacrée au secteur associatif habilité, le SAH, de manière à faire face à l'activité croissante de ce secteur tout en engageant un indispensable travail de résorption des reports de charges des années précédentes.

L'analyse de la performance de la PJJ suscite deux remarques principales.

D'une part, les taux d'occupation des établissements laissent apparaître d'incontestables marges de manoeuvre. Ainsi, en 2005, ce taux était de seulement 67, 8 % pour les CEF gérés par le secteur public. Une meilleure optimisation des capacités d'accueil doit être recherchée.

D'autre part, le coût des mesures judiciaires paraît relativement élevé. Par exemple, une mesure d'enquête sociale coûte 1.725 euros, et une journée en CEF dans le secteur public revient à 731 euros.

Le programme « Accès au droit et à la justice » revêt une importance toute singulière, car il correspond à l'aspiration croissante de la population à mieux connaître ses droits et à agir en justice.

Ses moyens reculent en crédits de paiement de 1, 8 %, en passant à 338, 4 millions d'euros.

En 2007, la principale innovation budgétaire de ce programme résidera dans la suppression des dépenses de personnel, ces charges étant désormais transférées au programme « Justice judiciaire ».

Le présent projet de loi de finances prévoit une revalorisation de l'aide juridictionnelle à hauteur de 6 %.

Étant donné la croissance du nombre de demandes d'admission à l'aide juridictionnelle et l'année de la dernière revalorisation de cette aide, soit 2004, il est à mon avis douteux que cette revalorisation soit suffisante. J'aurai l'occasion de revenir en détail sur ce point très important et au coeur de l'actualité la plus récente, lors de la discussion des amendements sur les crédits de la mission.

Le programme « Conduite et pilotage de la politique de la justice et organismes rattachés » est doté de 281, 8 millions d'euros de crédits de paiement, soit une progression de 6, 8 %.

Parmi ces organismes rattachés figure la CNIL, la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

En droit, le principe de la fongibilité asymétrique autorise le directeur de l'administration générale et de l'équipement, responsable du programme, à « prélever » des crédits sur la CNIL au bénéfice des services de la Chancellerie. Je souhaite donc rappeler, sur ce point, la suggestion avancée en 2004 par la commission des finances du Sénat de créer un programme regroupant l'ensemble des autorités administratives indépendantes, les AAI, au sein de la mission « Transparence et régulation de l'action publique ». L'indépendance de la CNIL, comme des autres AAI, n'en serait que mieux assurée.

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