Il s’agit là d’une rupture fondamentale avec la philosophie juridique du droit du travail, laquelle tient pour essentielle la dimension inégale des liens contractuels entre salarié et employeur et a octroyé des droits supplémentaires à la partie la plus faible afin d’assurer un équilibre.
Une rupture de gré à gré induit nécessairement égalité entre les parties. Or, dans un contexte de précarisation galopante, de fragilisation du salariat et de chômage important, l’égalité ou, pour reprendre les termes de M. le rapporteur, la « liberté de consentement » sera-t-elle réellement garantie ?
Le salarié ne va-t-il pas se voir contraint d’accepter cette rupture conventionnelle qui lui garantit des indemnités immédiatement versées, ainsi que le droit à l’assurance chômage, plutôt que de risquer un futur licenciement pour faute qui le privera de toute indemnité et qui, même infondé, le contraindra à engager une longue procédure ?
En outre, ne peut-on s’interroger sur le choix qu’effectueront les employeurs dès lors qu’avec cette nouvelle possibilité ils échapperont, par exemple, à l’obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi ?
Autre interrogation : cette forme de rupture ne risque-t-elle pas de priver le salarié de la possibilité de négocier en position plus avantageuse grâce à l’assistance du comité d’entreprise ou des syndicats ? Or telle est bien la situation en cas de licenciement, voire de plan social.
Dans le même ordre d’idée, il nous semble nécessaire de préciser la date de mise en application de cette disposition ainsi que la nature de l’assistance dont pourront bénéficier les deux parties. Nous présenterons d’ailleurs des amendements en ce sens.
Certes, de nouvelles garanties procédurales sont instaurées. Il en est ainsi de l’assistance du salarié, du droit de rétractation durant quinze jours et de l’homologation par les directions départementales du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, lesquelles disposeront de dix jours effectifs pour vérifier qu’il n’y a pas de vice dans ce consentement mutuel, en raison notamment de motifs discriminatoires non prévus pour autant.
Au regard des dispositions existantes en cas de licenciement – entretien préalable, convocation du salarié, qui peut se faire assister, envoi d’une lettre recommandée détaillant les motifs « réels et sérieux », obligation de reclasser le salarié, respect du délai de réflexion –, peut-on considérer qu’il ne s’agit pas pour le salarié d’un recul ? Il me semble que la question vaut d’être posée.
L’article 6 du projet de loi, qui met en œuvre le b) de l’article 12 de l’accord national interprofessionnel, crée un nouveau CDD dit « contrat à objet défini ». Il est exigé par le patronat depuis de nombreuses années.
En effet, le MEDEF a, le premier, avancé l’idée d’un « CDI à objet précis », qui s’inspirait directement du rapport Virville. À l’époque, les organisations salariales avaient catégoriquement rejeté cette proposition.
Comme nous pouvons l’observer, l’appellation retenue permet de ne pas remettre en question, au moins dans la terminologie, le contrat à durée indéterminée. Ainsi, ce nouveau CDD réservé aux ingénieurs et aux cadres, soit plus d’un actif sur dix, est conclu comme un contrat commercial pour un objet défini, en l’occurrence une mission définie par l’employeur. Une fois cette dernière terminée, le contrat à objet défini prend fin. Le recours à ce type de contrat est subordonné à un accord de branche étendu ou à un accord d’entreprise, ce qui a pour effet d’étendre le champ d’application potentiel à l’ensemble de notre économie.
En outre, nous constatons que, si le code du travail, dans ses articles L. 1241-1 et suivants, définit précisément les possibilités qui s’offrent aux employeurs pour avoir recours aux divers CDD existants, ce nouveau contrat échappe à cette logique limitative. La rédaction proposée ne reprend pas celle de l’accord, qui stipulait que ces contrats devaient permettre de « faire face à un accroissement temporaire d’activité ».
En faisant appel à ce nouveau contrat, il n’en sera plus question. Rien ne garantit donc que les employeurs n’en feront pas un usage abusif. Cette crainte est renforcée par le fait que, si la durée du CDD classique était au maximum de dix-huit mois, elle est pour ce contrat au minimum de dix-huit mois et au maximum de trente-six mois.
S’ajoute à cela que, si le CDD ne pouvait être rompu que pour faute grave, le contrat de mission peut être résilié au bout de douze mois sans raison de nature fautive. De là à penser que ce nouveau contrat combine la précarité du CDD et celle du CDI dans la possibilité qu’il offre à l’employeur de mettre fin au contrat à tout moment pour un « motif réel et sérieux », il n’y a qu’un pas que nombre d’observateurs n’ont pas hésité à franchir.
Enfin, nous pouvons nous interroger sur la portée économique de cette disposition dès lors qu’elle offre à toute entreprise la possibilité de sous-traiter à l’interne, en lieu et place d’une société prestataire de services, et qu’en parallèle elle permet, via la précarisation de ce salariat qui n’aura donc plus aucun attachement pour son entreprise, la possibilité de devenir du jour au lendemain un acteur essentiel de sa propre concurrence.
En contrepartie, puisque telle est la règle qu’impose la recherche d’un équilibre, nous notons avec satisfaction que le contrat à durée indéterminée est reconnu comme « la forme normale et générale de la relation de travail ».
Dans le même temps, l’employeur devra informer le comité d’entreprise ou les représentants du personnel des éléments qui l’ont conduit à faire appel à des formes dérogatoires au CDI. Les périodes de stages effectués au sein de l’entreprise lors de la dernière année d’étude seront intégrées à la période d’essai.
Notons que la période d’ancienneté nécessaire à la conservation de son salaire en cas de maladie passe de trois à deux ans, alors que celle qui permet l’obtention d’une indemnité de licenciement ne sera plus que d’une année, contre deux précédemment.
Le CNE, de triste mémoire, qui ne concerne pas moins de 100 000 de nos concitoyens, condamné par notre jurisprudence et contraire à la convention n° 158 de l’OIT, est enfin requalifié en CDI de droit commun. Pour nous, socialistes, qui nous sommes tant mobilisés contre cette généralisation de la précarité, pour tous nos concitoyens qui ont refusé cette disposition inique, il s’agit là d’un aboutissement et nous le saluons.
Ces dispositions sont d’incontestables avancées. Cependant, elles ne permettent pas de donner corps à la sécurisation professionnelle qui se situe au centre de toute volonté de moderniser le marché du travail.
En effet, l’accord du 11 janvier prévoit d’augmenter l’indemnisation chômage des jeunes, lesquels, rappelons-le, connaissent un taux de chômage qui s’établit à près de 20 % et qui, dans certains quartiers, monsieur le ministre, vous le savez bien, avoisine les 40 %.
Cet accord prévoit également le développement de la validation des acquis de l’expérience et de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences telle que l’instaure la loi de programmation pour la cohésion sociale du 18 janvier 2005. À ce titre, notre collègue Gérard Larcher notait qu’il s’agissait « d’un facteur déterminant pour éviter les restructurations brutales ». Il suffit de penser aux salariés du site de Gandrange ou bien à ceux de l’usine Duralex pour percevoir la pertinence de cette disposition. Il en va de même pour la création d’un bilan d’étape professionnel, l’amélioration et la transférabilité des droits, notamment du droit individuel à la formation.
Ces dispositions, nous en convenons tous, participent activement de l’établissement d’une véritable sécurisation professionnelle pour les salariés. Cependant, certaines relèvent de la réglementation alors que d’autres renvoient directement aux futures négociations sur la formation professionnelle ou sur la convention d’assurance chômage, par exemple.
Les résultats des prochaines négociations, alliés à la volonté du Gouvernement de respecter cet équilibre entre déréglementation et sécurisation, conditionneront donc la nature exacte de cette modernisation du marché du travail.
Comment ne pas s’inquiéter lorsque la transformation des CNE en CDI est attaquée par une partie du patronat, quand la ministre de l’économie annonce depuis l’étranger – cela apparaît désormais comme une tradition ! – que les séniors « doivent pouvoir chercher du travail » et que, le 28 mars dernier, le secrétaire d’État chargé de l’emploi annonçait : « La négociation de la nouvelle convention d’assurance chômage doit être l’occasion de préciser ce qu’on entend vraiment par offre valable d’emploi. Si les partenaires sociaux ne parviennent pas à un accord, il reviendra effectivement au Gouvernement de traiter cette question » ?
Comment passer sous silence l’énergie déployée par le Président de la République pour attaquer la formation professionnelle alors que l’accord du 11 janvier est à ce sujet satisfaisant ? Comment ne pas y voir une tentative de s’emparer des fonds paritaires de l’assurance chômage et de la formation professionnelle afin de renflouer des comptes sociaux que la droite a fait plonger dans le rouge ?
Moderniser le marché du travail nécessite une approche globale. Avec ce texte, vous n’offrez, monsieur le ministre, une approche parcellisée, qui ne répond pas ou qui répond très insuffisamment aux difficultés qui caractérisent ce marché : faible taux d’activité des seniors, chômage de masse pour une partie de notre jeunesse, précarisation galopante du salariat, notamment des personnes les plus fragiles comme les femmes, manque de main-d’œuvre dans certains secteurs. Nous regrettons vivement cette méthode.
Parce qu’il est impératif que cette modernisation du marché du travail s’inscrive dans le respect total des partenaires sociaux, parce que l’alignement sur le modèle anglo-saxon, en lieu et place de la recherche d’une plus grande justice et d’une meilleure répartition des efforts et des richesses, constituerait une remise en cause intégrale de notre cohésion sociale, soyez assuré, monsieur le ministre, que nous demeurerons extrêmement vigilants lors des négociations à venir et très attentifs au contenu des décrets qui seront pris.