Intervention de Annie David

Réunion du 6 mai 2008 à 16h00
Modernisation du marché du travail — Discussion générale

Photo de Annie DavidAnnie David :

Au moins les choses sont dites, monsieur le ministre !

En outre, il ne répond en rien aux attentes actuelles du monde du travail s’agissant du fort taux de chômage, du développement de la précarité, du temps partiel subi, des difficultés d’emploi des seniors et des jeunes, de la formation professionnelle, de l’augmentation des salaires !

Cependant, quelques dispositions, positives en apparence, côtoient des mesures inacceptables, mais cela dans le but de faire taire les éventuelles contestations et de vous donner l’occasion, monsieur le ministre, d’affirmer qu’il s’agit d’un texte équilibré, répondant aux revendications des partenaires sociaux et à une philosophie dont le Parlement ne saurait défaire la trame.

Tel est le cas de l’abrogation du CNE. Pourtant, chacun dans cette enceinte sait bien que cette abrogation résulte non pas de la négociation, mais de différentes jurisprudences et de la condamnation de la France par l’Organisation internationale du travail !

Tel est aussi le cas d’une partie de l’article 4 du projet, qui abaisse la durée d’ancienneté nécessaire dans l’entreprise pour pouvoir prétendre aux indemnités de licenciements. L’absence d’études sur les conséquences de cette mesure sur notre système d’indemnisation du chômage nous fait craindre l’adoption future de mesures de rétorsion, la diminution de la durée d’indemnisation, par exemple. Les négociations qui s’engagent sont, de ce point de vue, des plus importantes. Nous serons vigilants quant à leur déroulement.

En outre, cette disposition, qui permet également de doubler le montant de l’indemnité, doit être considérée avec la plus grande prudence. Ce doublement ne touche en réalité que certains salariés dans la mesure où ceux qui sont licenciés pour motif économique ou pour inaptitude consécutive à un accident du travail ou à une maladie professionnelle bénéficient déjà de ce niveau.

De surcroît, la création d’une indemnité unique entraîne la suppression de la majoration accordée aux salariés licenciés après dix ans d’ancienneté. L’indemnité des uns est donc financée par la baisse des indemnités des autres : l’accord rend moins cher le licenciement des salariés ayant une grande ancienneté !

Monsieur le ministre, nous attendons, comme vous nous l’avez promis en commission, que vous nous indiquiez les grandes lignes du futur décret et que vous confirmiez que cette « anomalie » n’aura existé que le temps du débat parlementaire.

L’article 3 du projet de loi prévoit d’abaisser de trois années à une seule l’ancienneté requise pour bénéficier de l’indemnité complémentaire en cas de maladie.

Cependant, nous nous souvenons des récentes déclarations de Mme Bachelot ou du Président de la République sur une mise à contribution accrue des mutuelles. Nous nous souvenons aussi et surtout des franchises médicales, cet impôt injuste sur la maladie.

Comment dès lors ne pas s’interroger sur la portée réelle de cette mesure ? Entendez-vous ouvrir droit à une protection sociale rabougrie ? Ou bien, et cela n’est pas contradictoire, souhaitez-vous orienter les salariés vers un système d’assurance complémentaire dont le champ de compétences sera, on le devine, considérablement étendu, quitte à accroître les coûts qui pèsent sur les cotisants ?

Les mesures prétendument bénéfiques de ce projet de loi nous inspirent donc de grandes interrogations. Mais ce texte comprend également des dispositions largement insatisfaisantes.

Ainsi en est-il la disposition de l’article 2 qui prévoit que seule une partie de la durée des stages réalisés dans l’entreprise au cours de la dernière année d’études est déduite de la période d’essai. Pourquoi limiter la portée de cette mesure et ne pas prévoir que la durée des stages est intégralement déduite de la période d’essai ? Rien, sur le fond, ne l’interdit. Cela répondrait en outre à une demande réitérée des associations et des organisations représentatives des stagiaires.

Quant à l’article 1er, que dire si ce n’est qu’il se limite à une déclaration de bonnes intentions, tout en légitimant l’existence des emplois précaires, au nom des « impératifs économiques de la mondialisation ». Le fait qu’il retranscrive dans la loi l’article 1er de l’accord national interprofessionnel ne change rien. On peut d’ailleurs se demander pourquoi des organisations syndicales de salariés reprennent les ritournelles patronales : en quoi est-il nécessaire de créer des contrats précaires pour faire face à des besoins certes ponctuels, mais néanmoins prévisibles ? Pourquoi faut-il multiplier le nombre des statuts précaires qui remplissent la même fonction ? Tout cela, bien sûr, en vertu de la mondialisation !

De plus, comment comprendre que vous donniez toute sa valeur à cette pétition de principe alors que, dans le même temps, non seulement vous conservez les trente-sept contrats dérogatoires existants, mais vous en ajoutez même un nouveau, avec l’article 6 du projet de loi ?

Monsieur le ministre, les sénatrices et sénateurs communistes attachent une grande importance au contrat à durée indéterminée. Nous considérons qu’il est utile aux salariés, à l’économie et aux employeurs.

Le CDI est utile aux salariés et à l’économie, car il est un gage d’équilibre et de sécurité. Il est également utile à l’employeur, car la contrepartie de cette sécurité juridique est, toutes les études le prouvent, une productivité supérieure à la moyenne.

C’est pourquoi nous avons déposé sur ce sujet un certain nombre d’amendements. Je regrette que vous n’ayez pas saisi l’occasion de cet article pour reprendre à votre compte les amendements déposés par mon groupe lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, visant à instaurer une sorte de « bonus-malus » applicable aux entreprises en fonction de leurs politiques sociales et salariales.

Voilà un instant, M. le président de la commission des affaires sociales me disait que je n’avais sans doute pas trouvé le bon véhicule pour faire « passer » ces amendements. Peut-être aurai-je plus de chance aujourd’hui ?

À l'instar des organisations représentatives des salariés privés d’emplois, de la CGT et de bon nombre de juristes, nous considérons que cet article ne sera d’aucune efficacité contre la précarisation du salariat, car il n’est nullement contraignant. Autant dire qu’il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau !

Au-delà de la doctrine générale qui l’inspire, ce texte a pour réel objet de précariser le monde du travail ou, pour utiliser un terme faisant un meilleur écho à ce projet, de le « flexibiliser » davantage. Il s’agit d’un objectif que nous ne pouvons approuver.

M. Emmanuel Dockès, professeur à l’université de Lyon 2 et directeur de l’Institut d’études du travail de Lyon, considère que ce texte « comprend un certain nombre de régressions qui devraient le faire entrer dans l’histoire comme l’un des plus importants reculs qu’ait eu à connaître le droit du travail français depuis 1945 ».

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