Autant dire que nous récusons votre conception de la « flexicurité à la française », dont les salariés n’auront à connaître que la flexibilité. Ce sera la flexibilité imposée par l’employeur aux salariés, contraints d’accepter un contrat à durée déterminé dont l’échéance est la réalisation d’une mission. Il s’agit de la transposition dans notre droit de l’un des désirs anciens du MEDEF : le recours au « salarié Kleenex », que l’on peut utiliser, exploiter, pressurer et jeter dès lors qu’il a rempli sa mission !
Monsieur le ministre, quelle sécurité sera offerte à ces salariés recrutés sous contrat de mission, alors qu’ils pourront être licenciés à l’issue de la mission – c’est l’objet même du contrat –, mais aussi pendant la période d’essai ainsi qu’à l’occasion des douzième ou vingt-quatrième mois correspondant à la date anniversaire de la conclusion du contrat, voire au dix-huitième mois si l’amendement déposé par le rapporteur est adopté ?
Drôle de conception de la sécurité de l’emploi qui se traduit par la multiplication des occasions légales de rupture sur l’initiative de l’employeur ! Parlons plutôt d’insécurité, cadeau en direction des employeurs, MEDEF et CGPME.
Je n’oublierai pas non plus l’allongement des périodes d’essai, obtenu sous la pression permanente du patronat et insidieuse du Gouvernement. De l’aveu même du représentant du MEDEF devant notre commission – j’ai d’ailleurs trouvé très honnête de sa part qu’il le formule clairement ! –, à partir du moment où le CNE disparaissait, il fallait influer sur la période d’essai.
Cela marque un recul pour les salariés, car aujourd’hui les conventions collectives prévoient des durées de période d’essai d’une semaine à trois mois, suivant la qualification demandée, ce qui correspond à ce qu’il est convenu d’appeler la « durée raisonnable ». On se situe avec l’article 2 du projet de loi bien au-delà du raisonnable, au regard de la finalité de la période d’essai affirmée par l’accord national interprofessionnel, l’ANI !
Alors, de quelle sécurité pour les salariés s’agit-il ?
De celle de percevoir une indemnité de chômage plus importante et plus longue ? Nous savons que non, et je ne reviendrai pas sur l’« offre valable d’emploi » qui va devenir une « offre acceptable d’emploi », nous en avons discuté suffisamment lors de l’examen du texte portant sur la fusion de l’UNEDIC et de l’ANPE. Ce sera d’ailleurs l’objet de prochaines négociations avec les partenaires sociaux, prévues à l’article 18 de l’ANI, l’enjeu étant pour le Gouvernement d’imposer à un salarié licencié d’accepter un emploi moins qualifié, donc moins rémunéré, sous peine de perdre les allocations chômage.
Sans doute s’agit-il plutôt de la sécurité du patronat : celui-ci, une fois encore, dispose d’outils adaptés à sa politique managériale, traduction du libéralisme économique qui transforme les hommes et les femmes composant l’entreprise et faisant sa richesse en simple variable d’ajustement.
Ainsi, grâce à la rupture conventionnelle, qui met à bas quarante ans de construction des protections contre le licenciement arbitraire, les employeurs pourront obtenir légalement qu’un salarié accepte cette rupture plutôt qu’il n’exige un licenciement. Cette disposition n’est nullement créatrice de droits nouveaux pour le salarié : elle existe déjà, comme vous l’avez d’ailleurs rappelé vous-même, monsieur le ministre, ainsi que le rapporteur, devant la commission. Le seul droit nouveau qui aurait pu être créé aurait consisté à donner au salarié un moyen juridique de faire reconnaître ce droit par son employeur. Mais de cela il n’est nullement question, si ce n’est à travers la précision : « d’un commun accord », formule dont toutes et tous ici connaissons la valeur ! L’employeur, au contraire, en raison de l’existence du lien de subordination, dispose de tous les moyens pour imposer cette décision.
Le projet de loi, tout comme l’accord national interprofessionnel lui-même, s’est, de mon point de vue, construit en défaveur des salariés. Il ne s’agit donc pas, contrairement à ce que vous voudriez nous faire croire, monsieur le ministre, d’un texte équilibré. Les organisations syndicales signataires de l’accord le reconnaissent elles-mêmes et nous invitent à être vigilants lorsque viendront en examen devant le Parlement, notamment, les textes portant sur la formation professionnelle et sur l’indemnisation des salariés privés d’emploi – c’est en cours –, ou encore lors de l’élaboration des nombreux décrets à venir.
Pour mieux comprendre cet accord, il nous faut nous intéresser au contexte dans lequel se sont inscrites les négociations. Il faut nous souvenir – et je comprends que cela vous déplaise, monsieur le ministre, en cette période où le Président de la République dénonce le chantage exercé par certaines entreprises –…