Intervention de Serge Dassault

Réunion du 6 mai 2008 à 16h00
Modernisation du marché du travail — Discussion générale

Photo de Serge DassaultSerge Dassault :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi résulte d’un accord interprofessionnel signé le 21 janvier 2008 par trois organisations patronales et quatre syndicats – encore faudrait-il savoir ce que ces organismes représentent réellement, soit auprès des chefs d’entreprise, soit auprès des salariés, ce qui n’est nullement garanti.

Cela semble exceptionnel et est salué comme tel, d’abord parce qu’il s’agit d’un accord patronat-syndicats, mais surtout parce qu’il est très rare qu’un texte destiné à devenir une loi ne soit pas conçu par le Gouvernement, puis présenté aux parlementaires et, enfin, aux syndicats.

Aujourd'hui, c’est l’inverse. On doit voter un projet de loi dont les termes ont été acceptés d’abord par les syndicats. Dès lors, à quoi servent les parlementaires s’ils doivent entériner sans modification des textes acceptés par les syndicats ?

À ma connaissance, ni les parlementaires, ni les commissions, ni les groupes n’ont été consultés sur la tenue de ces accords, ce qui est anormal et aurait facilité bien des choses.

Certes des progrès seront réalisés grâce à la rupture conventionnelle de certains contrats de travail, des contrats pour la réalisation d’un objet défini pourront être proposés, ce qui est appréciable, même si les conditions prévues sont à mon sens trop limitées.

Permettez cependant au chef d’entreprise que je suis d’être déçu que ce texte soit un complément du code du travail en vigueur, et non une véritable modernisation. En effet, il commence par la déclaration suivante : « le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail ». Tout est dit ! La rigidité du travail continuera à gérer nos emplois, ce qui sera une source considérable de pertes d’emplois en France, au profit de l’étranger.

Il s’agit également de savoir si cette loi sera favorable à la réduction du chômage et pas seulement au climat social. Je ne crois pas que la flexisécurité présentée par M. le rapporteur ait sa place dans ce texte, ce que je regrette d’ailleurs.

Je regrette aussi la suppression inattendue des CNE, transformés brutalement, sans explication et sans préavis en CDI, alors que l’on ne pouvait que se féliciter des résultats obtenus par l’embauche de plusieurs centaines de milliers de chômeurs. C’est une profonde erreur, car, on pouvait, le cas échéant, les amender.

En effet, ce sont ces contrats, limités d’ailleurs aux entreprises de moins de vingt salariés, qui ont permis la réduction du chômage dont on se félicite aujourd’hui. Il est donc à craindre que sans ces CNE le chômage n’augmente brutalement, car ils étaient très appréciés des PME.

Si la raison principale de la suppression de ces CNE est, paraît-il, la non-information sur les raisons du licenciement, bien que cela n’ait pas été explicité dans l’article 9, il serait beaucoup plus utile de les réintroduire dans la loi sur les CNE ou de créer un autre CNE plutôt que de supprimer cette disposition fondamentale pour la réduction du chômage. C’est ce que je vous proposerai dans un amendement très attendu par les PME, lesquelles sont les principales bénéficiaires de ces CNE qui leur ont permis d’embaucher des milliers de chômeurs.

Mais puisqu’il s’agit de faire des réformes, quand fera-t-on réellement celles qui concernent notre législation du travail, en nous orientant plus résolument vers la flexibilité de l’emploi associée à la flexsécurité ? La flexibilité ne coûte rien à l’État. Elle est appliquée dans tous les pays du monde où le chômage est le plus bas. C’est la preuve que cela marche !

La rigidité de l’emploi, dont on n’arrive pas à sortir en France, loin d’assurer la pérennité des emplois assure plutôt la pérennité du chômage.

Le maintien des contrats à durée indéterminée comme base normale et générale du travail indique bien la volonté des syndicats et du Gouvernement de ne pas changer de politique et de maintenir la rigidité de l’emploi comme règle absolue, ce qui n’est certes pas la volonté des chefs d’entreprise.

Il faudrait tout de même qu’un jour chacun comprenne que le maintien des contrats à durée indéterminée comme forme normale du travail conduit les entreprises à embaucher de moins en moins en France et à délocaliser de plus en plus à l’étranger, ce qui entraîne un accroissement considérable du chômage dans notre pays. La croissance que chacun recherche risque une fois de plus de ne jamais se réaliser.

Je voudrais maintenant vous faire part de quelques réflexions pratiques relatives au fonctionnement des entreprises.

Il faudra bien qu’un jour on comprenne qu’une entreprise a besoin de souplesse dans la gestion de son personnel. Une activité commerciale ou industrielle, quelle qu’elle soit, est précaire. Elle dépend notamment du marché qui évolue, des clients qui veulent du changement, de la concurrence qui propose des produits de même qualité et moins chers, de l’évolution des technologies, de la variation des monnaies. Pour survivre, elle doit adapter en permanence son personnel à ses charges et aucun chef d’entreprise ne le fait s’il n’y est pas obligé.

D’où le dogme absolu qui est le même pour toutes les entreprises dans le monde entier : un chef d’entreprise qui ne peut pas, si besoin est, licencier son personnel comme il l’entend n’embauchera plus et sous-traitera sa production à l’étranger. Rien n’y changera quoi que ce soit, ni grève, ni loi !

C’est la raison pour laquelle la flexibilité de l’emploi est aussi nécessaire pour les entreprises que l’air pour respirer.

Toutefois, ce système ne fonctionne bien que si le salarié licencié peut retrouver rapidement du travail. C’est pourquoi il doit être accompagné dans sa recherche d’emploi, si possible avant même d’être licencié. C’est ce que l’on appelle la « flexsécurité », appliquée avec succès en particulier au Danemark, que M. le rapporteur a évoquée et dont je ne vois malheureusement aucune application dans ce projet de loi.

Par ailleurs, on oublie trop souvent qu’il ne suffit pas d’empêcher les entreprises de licencier, ni de créer des dispositifs divers comme les aides à l’emploi, les aides au retour à l’emploi et maintenant le RSA, qui aggrave notre déficit budgétaire, pour que les entreprises embauchent si elles ne le veulent pas et si le personnel disponible n’a pas les compétences requises.

On oublie toujours que la réduction du chômage nécessite l’équilibre de deux éléments, l’offre par les entreprises et la demande par les chômeurs. Si l’on privilégie chaque fois les chômeurs sans se préoccuper des entreprises, on n’arrivera à rien et on dépensera beaucoup d’argent en vain.

Je rappellerai enfin qu’une entreprise qui a du travail et un personnel motivé et compétent ne licencie jamais, même s’il n’y a pas de contrat car elle a besoin de son personnel. C’est ce qui se passe en particulier aux États-Unis, où les salariés sont embauchés sans aucune garantie de durée et où le chômage est au minimum, preuve de l’efficacité du dispositif américain, et ce sans une multiplication, comme dans notre pays, des contrats de travail.

Pour conclure, monsieur le ministre, je souhaite que les réformes continuent et, si l’on veut vraiment obtenir le plein emploi en France, que l’on s’oriente plus avant vers la flexibilité de l’emploi associée à la flexsécurité, qui ne coûte rien à l’État. En attendant, il faut appliquer cette loi en ne supprimant pas le CNE et en le modifiant comme je le proposerai par voie d’amendement.

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