Intervention de Marie Mercier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 mars 2021 à 9h00
Proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Marie MercierMarie Mercier, rapporteur :

Le Sénat a adopté cette proposition de loi à l'unanimité le 21 janvier dernier et l'Assemblée nationale l'a votée, elle aussi à l'unanimité, le lundi 15 mars. Pour tenir compte des nombreux ajouts apportés au texte, l'Assemblée nationale en a modifié l'intitulé, qui est devenu « proposition de loi visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l'inceste ».

Vous vous en souvenez, la proposition de loi avait pour objet principal de créer un nouveau crime sexuel sur mineur de treize ans, de manière à mieux protéger les jeunes adolescents contre les violences sexuelles qui peuvent leur être infligées par des adultes. Tout acte de pénétration sexuelle aurait été qualifié de crime, sans qu'il soit nécessaire d'établir un élément de contrainte, violence, menace ou surprise, eu égard au jeune âge de la victime.

La création d'une infraction autonome, avec ce seuil d'âge à treize ans, nous avait paru solide sur le plan constitutionnel, car elle présentait l'avantage de ne pas criminaliser les relations consenties qui peuvent exister entre un mineur d'un peu moins de quinze ans et un tout jeune majeur. Il en aurait résulté une gradation dans la protection des mineurs, avec le délit d'atteinte sexuelle, puni de sept ans d'emprisonnement, protégeant les mineurs de moins de quinze ans et le nouveau crime sexuel sur mineur protégeant les mineurs de moins de treize ans.

En commission puis en séance publique, le Sénat avait beaucoup enrichi le texte.

Nous avions d'abord ajouté un volet préventif en adoptant des amendements présentés par Michel Savin et Valérie Boyer, qui tendaient, d'une part, à élargir la liste des infractions entraînant une inscription dans le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (Fijaisv) et qui incitaient, d'autre part, les juridictions à prononcer la peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité impliquant un contact habituel avec un mineur.

En séance publique, nous avions ensuite adopté un amendement d'Esther Benbassa et un amendement de Laurence Rossignol pour compléter la définition du crime sexuel sur mineur et celle du viol : en plus de la pénétration sexuelle, l'infraction serait constituée en cas d'actes bucco-génitaux, ces actes pouvant être tout aussi traumatisants pour la victime qu'une pénétration.

Sur la question de la prescription, le Sénat avait adopté, sur mon initiative, un amendement tendant à allonger le délai de prescription du délit de non-dénonciation des infractions sur mineur, prévu à l'article 434-3 du code pénal. Puis nous avions adopté un amendement présenté par Laurence Rossignol prévoyant une interruption du délai de prescription quand l'auteur d'un premier crime sur mineur commet le même crime sur un autre mineur.

Enfin, la question de l'inceste, qui ne figurait pas dans la proposition de loi initiale, mais que nous ne pouvions ignorer, y a été inscrite grâce à l'adoption d'un amendement présenté par Marie-Pierre de La Gontrie, qui crée une circonstance aggravante du délit d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans en cas d'inceste.

Avec l'appui de la Chancellerie, l'Assemblée nationale a fait évoluer le texte, tout en respectant les objectifs que nous lui avions assignés.

Sur la question centrale de la création d'une nouvelle infraction pour protéger les mineurs, le débat portait sur le choix du seuil d'âge : treize ou quinze ans. Il faut reconnaître que le choix d'un seuil à treize ans, même s'il présente de solides justifications, a pu être mal compris et parfois perçu comme un recul par rapport au seuil de quinze ans qui figure dans le délit d'atteinte sexuelle. Je tiens d'ailleurs ici à exprimer mon soutien à Annick Billon qui a fait l'objet, dans les jours qui ont suivi l'adoption du texte, d'attaques excessives et parfois odieuses sur les réseaux sociaux.

L'Assemblée nationale a trouvé une solution créative, mais juridiquement rigoureuse, en faisant le choix d'un seuil à quinze ans, assorti d'un écart d'âge d'au moins cinq ans entre l'auteur et la victime. Cette solution permet d'éviter, comme nous le souhaitions, que les relations consenties entre un mineur de quinze ans et un tout jeune majeur ne soient criminalisées. Elle permet en même temps d'afficher un seuil d'âge qui paraît plus ambitieux et qui répond mieux aux attentes des associations de protection de l'enfance, comme j'ai pu le constater au cours de mes auditions.

Le choix de créer une infraction autonome, distincte du viol, avait également suscité des réserves : le juge Édouard Durand, co-président de la commission indépendante sur l'inceste, avait regretté que le choix d'une infraction autonome évacue la dimension violente du passage à l'acte, qui est en revanche bien prise en compte avec la qualification de viol ou d'agression sexuelle. Sur ce point également, l'Assemblée nationale a fait preuve d'imagination et d'esprit de synthèse en décidant de qualifier de viol la nouvelle infraction sexuelle sur mineur.

Il arrive que certaines infractions prévues par le code pénal renvoient à plusieurs définitions. C'est le cas, par exemple, pour le harcèlement sexuel, qui suppose en principe la commission d'actes répétés, mais qui peut aussi être constitué si un acte unique particulièrement grave a été commis. C'est le cas aussi pour le délit de proxénétisme qui renvoie à une dizaine de définitions différentes dans le code pénal. Tel serait désormais le cas aussi pour le crime de viol : à la définition classique, qui suppose un élément de contrainte, menace, violence ou surprise, s'ajouterait une nouvelle définition, applicable seulement si la victime est un mineur de quinze ans.

Le mineur de quinze ans pourra ainsi se dire victime de viol, avec toute la dimension symbolique qui s'attache à cette qualification, sans qu'il soit besoin de démontrer son absence de consentement. J'ajoute que l'Assemblée nationale a conservé l'apport du Sénat tendant à élargir la définition du viol aux actes bucco-génitaux. En l'absence de pénétration ou d'acte bucco-génital, la qualification d'agression sexuelle pourra être retenue si la victime est un mineur de quinze ans, sans qu'il soit nécessaire d'établir un élément de contrainte, menace, violence ou surprise.

Enfin, si l'écart d'âge entre le majeur et le mineur est inférieur à cinq ans, le délit d'atteinte sexuelle serait maintenu. L'Assemblée nationale a cru utile de préciser que ce délit ne serait pas constitué si l'écart d'âge est inférieur à cinq ans en l'absence de pression sur le mineur, ce qui me paraît donner lieu à plus de questions que de clarifications ; c'est pourquoi je vous proposerai d'y revenir par voie d'amendement.

La protection des mineurs serait renforcée en cas de relation incestueuse, l'Assemblée nationale ayant décidé la création de deux nouvelles infractions de viol incestueux et d'agression sexuelle incestueuse.

Ces infractions seraient constituées sans qu'il soit nécessaire d'établir un élément de contrainte, menace, violence ou surprise, si la victime est mineure, donc jusqu'à dix-huit ans, et que l'auteur des faits est un ascendant ou un autre membre de la famille ayant une autorité de droit ou de fait sur la victime. Le périmètre familial retenu prend en compte les frères et soeurs, oncles et tantes, neveux et nièces, ainsi que leurs conjoints, concubins ou partenaires d'un pacte civil de solidarité (Pacs). L'Assemblée nationale a souhaité ajouter à cette liste les grands-oncles et les grands-tantes.

Compte tenu de la création de ces deux nouvelles infractions, l'Assemblée nationale a supprimé l'aggravation de peine que nous avions prévue en cas d'atteinte sexuelle incestueuse.

J'en arrive à la question de la prescription.

L'Assemblée nationale a conservé l'allongement du délai de prescription pour le délit de non-dénonciation, en le recentrant toutefois sur les crimes et délits sexuels, ce qui est cohérent avec l'objet du texte.

En ce qui concerne la prescription des crimes et délits sexuels eux-mêmes, l'Assemblée nationale a adopté, sur proposition du Gouvernement, un double mécanisme.

Le premier est proche de celui qui a été introduit par le Sénat : il a pour effet de prolonger le délai de prescription d'un crime ou délit sexuel sur mineur si l'auteur commet un autre crime ou délit sexuel sur un autre mineur. Le délai de prescription de la première infraction se trouverait, le cas échéant, prolongé jusqu'à la date de prescription de la nouvelle infraction.

Le second mécanisme s'inspire de la notion de connexité, bien connue en droit pénal : un acte interruptif de prescription, une audition par exemple ou un acte d'instruction, interromprait la prescription non seulement dans l'affaire considérée, mais également dans les autres procédures dans lesquelles serait reprochée au même auteur la commission d'un autre crime ou délit sexuel sur mineur. Si, par exemple, un individu est suspecté d'avoir commis trois viols sur mineur, un acte interruptif de prescription dans l'affaire la plus récente interromprait aussi la prescription dans les deux affaires plus anciennes. Je précise qu'un acte interruptif de prescription a pour effet de faire repartir de zéro le délai de prescription.

Avec ces deux dispositifs, toutes les victimes pourront comparaître comme telles devant la cour d'assises, alors que, aujourd'hui, les victimes les plus anciennes, dont les faits sont prescrits, sont seulement entendues en tant que témoins.

Je termine en indiquant que l'Assemblée nationale a adopté deux articles additionnels qui visent à lutter plus efficacement contre les faits de « sextorsion », par lesquels un adulte exige d'un mineur qu'il effectue devant la caméra de son ordinateur des actes obscènes ou qu'il se filme pour envoyer ensuite les vidéos à l'auteur du chantage. Ces faits sont aujourd'hui réprimés sur le fondement de la corruption de mineur, mais la définition ancienne de cette infraction ne permet pas de décrire avec suffisamment de précision ces nouveaux phénomènes.

L'Assemblée nationale a également souhaité moderniser la définition de l'exhibition sexuelle pour mieux réprimer certains gestes obscènes qui sont réalisés sans que le corps soit dénudé, par exemple si un individu dans le métro se masturbe sous ses vêtements.

Au total, le texte qui nous est soumis renforce considérablement la protection des mineurs, au prix, il est vrai d'une plus grande complexité des règles de droit applicables. Il peut constituer la base d'un accord politique entre nos deux assemblées et je vous proposerai donc d'en préserver les grands équilibres.

Je vous présenterai tout à l'heure quelques amendements destinés à parfaire le texte sans remettre en cause les compromis qu'il opère. Je suis convaincue que ce dernier marquera une étape importante dans nos politiques de protection de l'enfance, même s'il faudra bien sûr l'accompagner de mesures de prévention et d'éducation auxquelles je suis depuis toujours très attachée. La loi ne suffira pas si l'on ne change pas les mentalités.

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