Je vous remercie de m'avoir convié à cette audition. C'est toujours un honneur pour un universitaire de partager ses réflexions avec les élus de la Nation.
Pour ne pas faire durer le suspense, d'un point de vue juridique, cette révision constitutionnelle est inutile. Quelle que soit la formulation choisie, l'inscription à l'article 1er de la Constitution de la protection de l'environnement, du respect de la biodiversité et de la lutte contre le réchauffement climatique est juridiquement inutile. Ces principes, en effet, ont déjà une valeur constitutionnelle, supérieure à la loi, qui oblige le législateur, le Gouvernement et les autorités publiques à les respecter. Ces principes sont inscrits dans la Charte de l'environnement, qui elle-même se trouve adossée à la Constitution, de la même manière que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et que le préambule de 1946. Les principes inscrits dans la Charte ont donc la même valeur que les articles de la Constitution.
Faut-il y ajouter expressément la lutte contre le réchauffement climatique ? Cette charte a été pensée et rédigée après la fameuse déclaration du président Chirac : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Elle a donc été précisément élaborée dans le but de lutter contre le réchauffement climatique.
Tout est déjà là sur le plan juridique. La révision de 2008, engagée par le président Sarkozy, ajoute à l'article 34 de la Constitution un alinéa en vertu duquel il appartient au législateur de déterminer les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement, dans le cadre constitutionnel défini par la Charte de l'environnement. Il ne servirait à rien d'inscrire ces principes dans le corps même de la Constitution, les juges se fondant déjà sur la Charte pour apprécier le contenu des politiques publiques ou des lois adoptées par le législateur. Trois décisions rendues récemment par le Conseil constitutionnel le prouvent : celles du 31 janvier 2020, du 10 décembre 2020 et du 19 mars 2021.
La décision du 31 janvier 2020 fait suite à un vote du Parlement interdisant la production, l'importation et la commercialisation de produits phytopharmaceutiques. Les entreprises concernées ayant introduit un recours devant le Conseil constitutionnel au motif que cette loi portait atteinte à la liberté d'entreprendre, celui-ci a répondu que la loi, en effet, portait atteinte à la liberté d'entreprendre, mais que cette atteinte se justifiait par un objectif de de valeur constitutionnelle inscrit dans la Charte de l'environnement, à savoir la protection de l'environnement et la préservation de la biodiversité.
Ce travail d'arbitrage entre différents droits inscrits dans la Constitution est celui du juge. Son rôle est de vérifier que la conciliation est bien raisonnable, proportionnée, adéquate.
La décision du 10 décembre 2020 portait sur le point de savoir si l'autorisation dérogatoire de pesticides était contraire au principe de la protection de l'environnement. Le Conseil constitutionnel a indiqué que l'usage de pesticides portait atteinte à la biodiversité et qu'il y avait bien un risque pour les insectes et la qualité de l'eau. Mais, au regard des garanties figurant dans la loi, il a jugé cette atteinte limitée et non contraire à la Constitution. Sans ces garanties, le Conseil constitutionnel aurait peut-être censuré la disposition. Cela montre que le législateur a intégré en amont l'exigence constitutionnelle.
La décision du 19 mars 2021 est très intéressante. Elle concerne des chartes élaborées au niveau départemental afin de fixer une limite à l'épandage de pesticides ; approuvées par le préfet, celles-ci constituent des décisions publiques. Le Conseil constitutionnel a donc considéré que ces chartes devaient être élaborées non par les seuls représentants des habitants de la zone concernée, mais, conformément à la Charte de l'environnement, par toute personne désirant participer à leur élaboration.
La Charte de l'environnement constitue déjà un cadre, au niveau national comme départemental, pour la détermination de toutes les politiques publiques.
Le texte même de la Constitution et la jurisprudence me conduisent à considérer que la modification envisagée de l'article 1er ne changerait rien à l'état du droit. Cela ne gênerait pas davantage le législateur et ne donnerait pas au Conseil constitutionnel un instrument supplémentaire pour contrôler les pouvoirs publics.
Le Conseil constitutionnel ne contrôle pas les lois au regard des conventions internationales, mais la justice civile et administrative le fait, on l'a encore vu récemment avec « l'affaire du siècle », où le juge administratif a condamné l'État au motif qu'il n'avait pas pris les mesures propres à ce que la France respecte la trajectoire de l'accord de Paris. Les conventions internationales sont donc déjà utilisées, à leur place dans la hiérarchie des normes, ici pour juger l'inaction publique de l'État.
Vous m'avez aussi interrogé sur le vocabulaire, c'est-à-dire sur la différence de portée d'une obligation selon qu'on écrit que l'État « favorise », « garantit », « agit », ou encore « lutte » pour la préservation de l'environnement et de la biodiversité. Je suis réservé sur l'importance normative que l'on prête à chacun de ces verbes. Le dictionnaire en fait des synonymes, chacun faisant écho et renvoyant à l'autre ; en droit, favoriser, c'est protéger, de même que garantir, sans qu'on puisse en déduire une différence d'impact normatif.
Ce débat avait déjà eu lieu lors de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999, relative à l'égalité entre les femmes et les hommes ; un accord avait été trouvé pour employer le verbe « favoriser », avec cet ajout à l'article 1er de la Constitution : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. » Cependant, le préambule de la Constitution de 1946 dispose déjà que « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ». Le rapprochement des deux textes montre que le Conseil constitutionnel n'établit pas de différence normative entre les verbes « favoriser » et « garantir » : il ne considère pas que le premier soit moins contraignant que le second.
Avec la Charte de l'environnement, on pourrait penser que la contrainte est encore plus forte puisque le texte pose l'objectif « l'amélioration » de l'environnement : améliorer, cela peut sembler encore plus contraignant qu'agir ou que garantir, mais dans ses décisions, le Conseil constitutionnel considère cette notion comme synonyme de celle de protection. C'est pourquoi je crois qu'il ne faut pas accorder une valeur juridique plus contraignante à l'un ou à l'autre de ces termes - sans ignorer que ce n'est pas la même chose sur le plan politique.
Vous m'avez interrogé sur le principe de non-régression, que certains appellent « effet cliquet », selon lequel le législateur ne pourrait pas revenir en arrière sur l'état du droit.
Dans sa décision du 10 décembre 2020, saisi de ce motif, le Conseil constitutionnel rappelle que, « s'il est loisible au législateur [...] de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, il [...] ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l'article 1er de la Charte de l'environnement ». Plusieurs politiques publiques sont possibles, au législateur de choisir, mais sans que la voie choisie ne prive le droit énoncé de garanties légales, en l'occurrence le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Le terme « non-régression » ne figure pas dans la Charte, mais la chose y est - et s'il est loisible au législateur de modifier les politiques publiques, c'est dans le respect des garanties apportées au principe énoncé par la Charte.
Je crois donc que, juridiquement, cette révision constitutionnelle est inutile. La proposition n'en vient du reste pas de la Convention pour le climat, mais du Président de la République, qui l'avait inscrite dans son projet de révision constitutionnelle en 2018. J'avais dit à l'époque que je trouvais cette révision inutile, je n'ai pas changé d'avis.