La question est de savoir si les verbes utilisés, entre « garantir » et « favoriser » par exemple, ont une intensité normative différente : je ne le crois pas, parce qu'en réalité, ce qui compte, c'est la conciliation entre les droits. La Charte de l'environnement utilise des verbes apparemment plus contraignants encore que « garantir » ou « favoriser », par exemple le devoir de prendre part à « l'amélioration » de l'environnement, mais cela n'a rien changé au fait que le Conseil constitutionnel contrôle la conciliation opérée entre les divers droits.
Le Conseil constitutionnel a conféré une valeur constitutionnelle à la Charte de l'environnement dès 2006. On débattait jusque-là pour savoir si elle n'était qu'un guide pour l'action publique, sans valeur contraignante. Le Conseil a répondu qu'elle avait valeur de norme contraignante, qui oblige les pouvoirs publics. Le nombre de décisions tient à celui des saisines ; ce n'est qu'à partir de 2010 qu'est venue la question préalable de constitutionnalité, qui a conduit à un recours plus fréquent à la Charte.
Les verbes utilisés dans la Charte ont une intensité plus forte que « garantir » et « favoriser », mais cela n'a pas empêché le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 décembre 2020, d'accepter qu'on réintroduise les pesticides, car le législateur assortissait cette faculté de garanties : le juge a concilié plusieurs droits. Sa décision aurait-elle été différente si la Charte avait disposé que les politiques publiques « garantissaient » un développement durable ? Je ne le crois pas et je pense également que le Conseil aurait pu s'appuyer sur les verbes « promouvoir » et « améliorer » pour censurer cette réintroduction des pesticides même dérogatoire, puisqu'elle ne saurait « améliorer » la préservation de l'environnement et de la biodiversité.
Je comprends le débat politique sur les verbes, mais je pense qu'ils n'ont pas en eux-mêmes une force qui les fasse échapper au contexte dans lequel le juge les interprète. Aujourd'hui, ce qui importe au Conseil constitutionnel, c'est que les politiques publiques protègent la biodiversité et l'environnement en conciliant cette protection avec les autres droits. Je ne pense donc pas que, sur le plan juridique, il y ait une différence importante entre les verbes « favoriser » et « garantir ».
Des verbes différents sont d'ailleurs utilisés dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789, mais le Conseil constitutionnel les met sur le même plan, comme autant de droits à concilier les uns avec les autres. Voyez par exemple la conciliation entre le droit de grève et la continuité des services publics. Le droit de grève est-il garanti, ou bien promu ? Il est reconnu par la Constitution, et le Conseil constitutionnel le protège en le conciliant avec les autres droits. Certains de mes collègues considèrent que l'article 1er de la Constitution ne regroupe que des « neutrons législatifs », selon la formule de Pierre Mazeaud ; je considère pour ma part que tous les droits énoncés dans la Constitution ont une portée normative, qui s'imposent de ce fait et doivent être conciliés.
Je n'accorde donc pas l'importance juridique que vous accordez à la différence entre les verbes que vous citez. Cette révision me paraît inutile ; ne modifions pas la Constitution pour faire plaisir. Pense-t-on que le Conseil constitutionnel recherchera l'effet utile et qu'il en sera plus attentif au climat, à l'environnement, à la biodiversité ? Il l'est déjà, il vient de nous le rappeler en jugeant que les chartes d'engagement devaient être rédigées non pas seulement avec les représentants des habitants, mais avec toute personne qui le demanderait - je ne suis pas certain qu'en rédigeant l'article 7 de la Charte de l'environnement le Constituant ait eu à l'esprit d'instituer une nouvelle forme de démocratie directe...
Enfin, peut-être le Conseil constitutionnel fait-il un recours plus marqué à la Charte de l'environnement pour montrer que la révision constitutionnelle n'est pas nécessaire ; c'est une hypothèse qui porte sur ses intentions, je préfère me régler sur ses décisions et je ne vois pas ce que cette révision apporterait au droit positif. Mais je suis persuadé ne pas avoir convaincu le président Philippe Bas...