Ses apports sont limités. Depuis que la commission Coppens a réfléchi à la Charte de l'environnement, la crise climatique s'est accentuée, les contentieux climatiques se sont multipliés, les enjeux liés à diversité biologique ont pris plus de place.
Cette révision aurait donc au moins un effet symbolique : celui de réitérer l'exigence de protection de l'environnement à l'article premier, à côté des autres valeurs fondamentales de la République. Je dis bien réitérer, puisque cette exigence déjà présente ailleurs : si le changement climatique ne figure pas nommément dans la Charte, la biodiversité et la protection de l'environnement y sont. Il est vrai qu'en mentionnant le dérèglement climatique, la France serait une sorte de modèle, car très peu de Constitutions dans le monde y font référence.
Une modification de l'article 1er est préférable à celle de l'article 34, auquel il n'est pas nécessaire de toucher pour donner au législateur la compétence d'agir pour la protection de l'environnement : il l'a déjà, et l'exerce.
Vous me demandez ensuite si « garantir » peut avoir un sens différent de l'utilisation du présent de l'indicatif dans la proposition : « la France lutte contre le dérèglement climatique ». Tout le monde n'est pas d'accord dans la communauté des juristes universitaires.
Pour moi, « garantir » n'institue pas une obligation de résultat - comme le redoute le Conseil d'État, même si ce dernier est bien conscient que cela ne va pas jusque-là, puisqu'il parle de « quasi-obligation de résultat ».
J'ai recherché l'effet que le terme « garantir » pouvait avoir dans le préambule de 1946. Les deux incidences illustrent bien qu'il n'entraîne pas d'obligation de résultat : « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme », « [la Nation] garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. »
Ce verbe a certes un sens juridiquement plus fort que « favoriser » - qui ne veut rien dire. « Agir » a, quant à lui, un sens beaucoup plus fort. « Garantir » implique de tout mettre en oeuvre, et donc une obligation de moyens, sans que le résultat soit forcément atteint. Ce qui est très important, c'est l'objet de la garantie. Or il est en l'espèce suffisamment vague, large, pour ne pas entraîner une obligation de résultat.
L'article 2 de la Charte de l'environnement comporte une formulation tout aussi forte - comme l'interprétation qu'en a faite le juge constitutionnel : « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. » Il n'y a aucune différence de portée juridique entre l'indicatif présent « lutte contre le changement climatique » et « garantit ».
J'ai des réserves en revanche sur l'objet de la lutte : lutter contre le dérèglement climatique, c'est lutter contre une conséquence, alors qu'il faudrait lutter contre ses causes, soit les émissions de gaz à effet de serre.
Vous me demandez s'il y aurait un sens à distinguer la préservation de l'environnement de celle de la diversité biologique et de la lutte contre le dérèglement climatique. Pour moi, théoriquement, l'environnement inclut tout. Juridiquement, la biodiversité est déjà citée dans le préambule de la Charte. Il n'y a donc pas d'intérêt autre que symbolique à la citer. La définition législative de l'environnement à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui donne une définition de ses composantes, cite expressément la « diversité biologique ».
La lutte contre le dérèglement climatique, elle, n'est pas citée dans la Charte. On pourrait donc voir son inscription dans l'article 1er comme un apport. Mais si la protection de l'environnement comprend le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et le devoir pour « toute personne de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement », cela inclut la lutte contre le changement climatique. Dans les composantes de l'environnement citées par le code de l'environnement, figure la « qualité de l'air ».
Si l'on interprète pleinement la charte, il est évident que la qualité de l'air et le climat font partie de l'environnement.
Vous me posez une question plus difficile : quels seraient les effets de cette révision constitutionnelle sur le contrôle de constitutionnalité des lois ? D'autres universitaires sont peut-être plus affirmatifs que moi : je pense, pour ma part, qu'il est difficile de se prononcer. Le juge a une grande marge d'interprétation. Le Conseil constitutionnel l'a montré en n'interprétant pas la Charte comme la doctrine s'y attendait.
Cette modification pourrait entraîner certains effets à l'occasion de questions prioritaires de constitutionnalité, mais tout dépend de la façon dont le Conseil constitutionnel articulerait la Charte avec cet éventuel nouvel article premier. À l'occasion d'un contrôle a priori, c'est peu probable : aujourd'hui, très peu de lois sont ainsi censurées sur le seul fondement de la Charte. Je ne vois donc pas de raison que cela bouleverse la jurisprudence.
Il en va de même concernant le contrôle de constitutionnalité des conventions internationales, car il faudrait imaginer que la France signe un accord contraire à ses propres engagements internationaux - hypothèse peu crédible.
Vous m'interrogez sur la responsabilité des pouvoirs publics. En la matière, il n'y a rien à craindre de ce texte, qui me semble beaucoup moins exigeant que le droit européen, tel qu'interprété par le juge administratif - les directives européennes fixant, elles, des obligations de résultat en matière de protection de l'environnement. Il est rare, au demeurant, que la responsabilité de l'État soit retenue sur le fondement de principes constitutionnels.
Vous me demandez si certaines dispositions de la charte gagneraient à être précisées quant à leur contenu et leur justiciabilité. J'imagine que vous me demandez cela d'un point de vue textuel, et ne visez pas une précision par le juge...