Intervention de Jessica Makowiak

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 24 mars 2021 à 10h15
Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement — Audition de Mme Jessica Makowiak professeur à l'université de limoges

Jessica Makowiak, professeur à l'Université de Limoges :

Il me semble totalement inopportun de modifier la Charte de l'environnement. On n'a jamais modifié le préambule de 1946, par exemple.

Cela ne me semble pas utile non plus : ses articles sont clairs, beaucoup plus précis que bien des dispositions du préambule de 1946, telles que le droit au repos ou aux loisirs... Quant à leur justiciabilité, c'est au Conseil constitutionnel de la préciser. C'est ce qu'il a fait, depuis son adoption, au travers des questions prioritaires de constitutionnalité. Les articles 1 à 4 sont invocables, comme l'article 7. Seule question non réglée, celle du principe de précaution édicté à l'article 5. Concernant son préambule, tout le monde doutait de son invocabilité, mais le Conseil constitutionnel n'a pas hésité à s'appuyer sur ses considérants dans sa décision du 31 janvier 2020.

Le principe de précaution me semble être le principe le plus précisément défini dans la Charte : le plus longuement - mais cela n'est pas forcément gage de précision - mais aussi le plus clairement. Le Constituant a défini à qui incombait cette responsabilité, à savoir les autorités publiques dans leurs domaines d'attribution, ce qui permet concrètement au juge de faire respecter la répartition des compétences entre ce qui relève de l'État et du pouvoir de police administrative générale du maire. Les conditions de mise en oeuvre du principe sont aussi clairement définies : un « risque de dommage grave et irréversible » - soit deux conditions cumulatives. Les mesures à mettre en oeuvre aussi : l'autorité doit prendre des mesures « provisoires et proportionnées ».

Autre point, peut-être le plus difficile : faut-il consacrer au niveau constitutionnel un principe de non-régression ? Cela dépend de l'analyse que l'on fait de la dernière décision du Conseil constitutionnel de fin 2020 à laquelle j'ai fait allusion.

Le Conseil d'État affirme dans son avis - un peu rapidement, à mon sens - que le Conseil constitutionnel refuse, dans cette décision, de consacrer un principe de non-régression. Certes, il ne consacre pas ce principe, mais cette décision constitue pourtant une avancée dans le domaine de la non-régression, en ouvrant des potentialités. Le juge rappelle en effet la liberté du législateur de modifier ou d'abroger des textes antérieurs - liberté à laquelle il est très attaché - tout en affirmant qu'il ne saurait « priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel », parmi lesquelles figure le droit de l'homme à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Ce qui est nouveau, c'est l'application de cette jurisprudence au domaine de l'environnement. Le Conseil constitutionnel affirme qu'on peut toujours modifier un régime juridique, même constitutionnellement protégé, selon la théorie de « l'effet artichaut » : on peut enlever des éléments de ce régime, mais non en toucher le coeur. Il effectue un contrôle assez classique de la proportionnalité de la mesure, en vérifiant que la décision est justifiée par un objectif d'intérêt général et proportionnée à celui-ci. Ce qui est nouveau, c'est la référence à l'article 2 de la Charte, qui dessine une application implicite du principe de non-régression, puisque l'article 2 implique une obligation que l'état de la protection de l'environnement ne subisse pas d'amoindrissement.

De mon point de vue, c'est au regard de cet article 2 que le juge peut déjà implicitement censurer d'éventuelles régressions. Il ne me semble donc pas nécessaire de consacrer aujourd'hui un principe de non-régression au niveau constitutionnel.

Il y a d'autres raisons à cela : ce principe ne me semble pas suffisamment mûr ni suffisamment compris. Le juge l'applique déjà au pouvoir réglementaire, puisqu'il est inscrit dans la loi. Le Gouvernement est hostile à une telle consécration. Je ne pense pas que ce principe ait atteint la maturité nécessaire pour être intégré au sommet de la hiérarchie des normes. Mais certains universitaires vous diront le contraire.

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