Intervention de Guy Fischer

Réunion du 6 mai 2008 à 16h00
Modernisation du marché du travail — Question préalable

Photo de Guy FischerGuy Fischer :

Telle est la ligne directrice de vos gouvernements successifs, et ce projet de loi ne fait pas exception. Comment ne pas le relier au rapport Virville qui avait pour objectif de réduire considérablement l’impératif légal au profit du contrat ou, autrement dit, de sécuriser encore plus les entreprises ?

On a l’impression que votre recherche perpétuelle du modèle social le plus adapté conduit notre pays à la disparition pure et simple de tout modèle. Hier, c’étaient l’Allemagne et la Grande-Bretagne. Aujourd’hui, c’est le Danemark. Pourtant, entre ce pays et le nôtre, il n’y rien de comparable, et Jacques Muller a cité quelques exemples.

Près de 30% des salariés danois changent chaque année d’employeurs, mais il s’agit là d’une mobilité voulue et non subie. La moitié des femmes travaillent à temps partiel. Est-ce cela que vous voulez reproduire en France, en contraignant les femmes à subir des parcours incomplets, à « faire » avec la précarité et la misère, à percevoir des retraites largement amputées ? Jusqu’où irez-vous dans la recherche du modèle le moins protecteur, alors que l’on a vu que l’engagement du Gouvernement et des syndicats danois est d’une tout autre nature ?

En réalité, la fameuse « flexisécurité » n’est cependant pas l’apanage de M. Sarkozy : il s’agit là d’un mouvement européen. Il s’agit même de l’un des objectifs de l’Europe libérale et technocratique que vous construisez. Nous nous souvenons tous du traité constitutionnel européen et de la fameuse concurrence « libre et non faussée », ainsi que de la directive Bolkestein.

Le concept de « flexisécurité » que vous développez est l’un des objectifs de l’Union européenne. La Commission le précisait en 2007 en ces termes : « une stratégie intégrée, visant à améliorer simultanément la flexibilité et la sécurité sur le marché du travail ».

Si nous comprenons de quoi il s’agit lorsque la Commission fait référence à la flexibilité, qu’entend-elle par la sécurité ? Cela « représente bien plus que l’assurance de garder son emploi. Il s’agit de donner aux individus les compétences qui leur permettent de progresser dans leur vie professionnelle et de les aider à trouver un nouvel emploi. »

Pour Henri Houben, docteur en économie et membre d’ATTAC Bruxelles, « la flexibilité se justifie par l’existence de la mondialisation capitaliste actuelle : pour être compétitive, l’entreprise doit pouvoir s’adapter rapidement aux changements du marché. De fait, cela heurte de plein fouet la possibilité pour les salariés de garder leur poste et affecte leur sécurité d’emploi ».

Les salariés ne savent que trop combien ils sont considérés dans les entreprises comme un coût alors que précisément ils participent, par leur force de travail, par leur expérience et par leur volonté, au développement de l’entreprise et de la France !

Les tenants de l’économie libérale les considèrent comme une variable d’ajustement sur laquelle on peut rogner sans cesse, et les salariés à qui l’on vient d’imposer un chantage odieux entre licenciement et recul social ne nous démentiront pas.

En conclusion, ce projet de loi effectue un transfert de sécurité. L’enjeu est donc pour vous non plus de protéger collectivement l’emploi, mais d’instaurer une fausse protection individuelle consistant à accompagner la perte d’emploi.

C’est sur cela que se fonde votre « flexisécurité », et l’on sait que l’employabilité est au cœur de cette conception, qui ne cherche plus à garantir ni le droit au travail, ni les conditions dans lesquelles le salarié effectue celui-ci, tout en niant le rôle des organisations syndicales.

La conférence européenne des syndicats l’a d’ailleurs bien compris, en précisant que « réduire la protection contre le licenciement creusera le fossé des inégalités et entraînera une augmentation du nombre d’exclus, tout en étant néfaste pour la performance économique en termes de productivité du marché ».

Je terminerai en me référant au rapport intitulé Les indicateurs clés du marché du travail rendu par le Bureau international du travail en 2007 : la France, grâce à ses salariés et à ses ouvriers, est placée au troisième rang de la productivité, derrière la Norvège et les États-Unis. C’est à croire que les « déclinologues », qui n’ont de cesse de nous dire que la législation française trop protectrice est un carcan faisant fuir les investisseurs et plombant la productivité, se trompent !

Je regrette sincèrement que vous n’ayez pas profité de l’examen de ce projet de loi pour dire à la représentation nationale, comme à tous les Français, quelle est votre conception du travail et des règles qui doivent lui être associées. Vous en êtes restés aux slogans – d’ailleurs contradictoires – alors que, dans les textes, vous déconstruisez pas à pas tout ce qui fonde la relation employeur-employé telle que nous la connaissons, exception faite du rapport de subordination, qui persiste et qui, du fait de l’individualisation des rapports, se renforce même.

Une seule certitude demeure et, à la veille de la présidence de l’Union européenne par la France, un spectre hante toute l’Europe : le capitalisme financiarisé dont le libéralisme économique est un outil.

En dehors de cette certitude, les Français ignorent tout de vos projets réels. C’est la raison pour laquelle je vous demande, mes chers collègues, de voter la motion tendant à opposer la question préalable, afin d’obliger le Gouvernement à préciser ce qu’il préfère taire !

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