Intervention de Raymonde Le Texier

Réunion du 6 mai 2008 à 16h00
Modernisation du marché du travail — Demande de renvoi à la commission

Photo de Raymonde Le TexierRaymonde Le Texier :

En outre, la rupture conventionnelle pourrait relever du droit international du licenciement. La convention 158 de l’OIT énonce : « le terme de licenciement signifie la cessation de relation de travail à l’initiative de l’employeur ». Or, en toute logique, comme l’a expliqué Emmanuel Dockès, dans le numéro de mars 2008 de la revue Droit social, la rupture conventionnelle sur l’initiative de l’employeur s’apparentera sans équivoque à un licenciement.

Dès lors, doit-on s’attendre à ce que ce texte soit, comme le CNE, condamné par l’OIT ? Cela est tout à fait envisageable, même si nous avons bien noté que celui qui est à l’origine de la rupture n’a pas à apparaître en tant que tel dans l’accord.

Confrontée à la réalité, la « séparation à l’amiable » se révélera profondément inégalitaire. En effet, comment un employé souhaitant initier une rupture conventionnelle pourra-t-il convaincre l’entreprise de l’accepter, alors même que cela engendrera pour celle-ci un coût financier, à savoir l’indemnité de rupture ?

À l’inverse, une entreprise voulant se séparer d’un ou plusieurs employés, tout en se libérant de ses obligations de reclassement ou d’information-consultation, et surtout sans avoir à fournir de motif « réel et sérieux », aura tout loisir de faire comprendre au salarié où est son intérêt.

L’absence de motif pour justifier cette rupture de la relation de travail – licenciement qui ne dit pas son nom – constitue une dérive préoccupante. Cela revient ni plus ni moins à offrir aux entreprises la capacité de contourner la loi sur le licenciement, une nouvelle fois par le biais d’une disposition d’ordre contractuel.

Nous sortons ainsi peu à peu le droit du travail du champ de la loi pour le livrer aux aléas et déséquilibres du droit civil.

Si, depuis des générations, nous avons institué et développé un code du travail volontairement dissocié du droit civil, ce n’est pas pour rien. De ce point de vue, les « garanties » prévues par ce texte ne suffisent pas pour rééquilibrer le rapport de force qui fausse le principe même de cette rupture. Ainsi, le délai excessivement restreint de quinze jours pour le traitement du dossier et l’absence d’un représentant de la direction départementale du travail, la DDT, lors de la signature de la convention de rupture rendent uniquement formelle et tout à fait insuffisante l’homologation de la DDT, et vous le savez parfaitement, madame la secrétaire d’État !

On a bien compris que, pour les entreprises, l’intérêt essentiel de cette rupture conventionnelle était de limiter la judiciarisation des ruptures de contrats. Toutefois, s’agissant de l’intérêt des salariés, ceux-ci seront une fois de plus les dindons de la farce !

Mes chers collègues, j’en viens à l’article 2 du projet de loi et à la question des périodes d’essai.

Au regard de l’allongement substantiel, à travers ce texte, des durées de périodes d’essai, qui pourront atteindre, renouvellement compris, quatre, six ou huit mois, on est obligé de s’interroger sur ce qui peut justifier des périodes d’essai aussi longues.

À cet égard, on ne peut s’empêcher de noter la concomitance entre la disparition du CNE, condamné par l’OIT, notamment en raison de sa période d’essai de deux ans, et la volonté d’instaurer ces nouvelles périodes d’essai. S’agit-il d’une compensation, d’une solution de secours pour permettre aux employeurs de disposer encore d’une longue période pendant laquelle il leur est possible de licencier un salarié sans avoir à motiver ce licenciement ? Cela y ressemble.

Car enfin, tous ceux parmi nous qui ont travaillé dans le milieu de l’entreprise le savent bien, un bon recruteur voit en quelques jours, en quelques semaines dans certains cas, si sa nouvelle recrue est à la hauteur. Par conséquent, si ces longues périodes de précarité tolérée se révèlent disproportionnées par rapport à leur objectif d’évaluation du salarié, elles n’ont pas lieu d’être.

Je rappelle que, jusqu’à présent, les périodes d’essai dépendaient uniquement des conventions collectives de branche. Pourquoi ce passage en force ?

De même, il est prévu que les accords de branche antérieurs instituant des périodes d’essai plus courtes que celles qui sont définies à l’article 2 devront se conformer à la loi d’ici au 30 juin 2009, tandis que les accords prévoyant des périodes d’essai plus longues pourront rester en l’état ad vitam æternam.

Il s'agit véritablement d’un flagrant délit de manipulation. Quand on est dans une période d’essai de huit mois, c’est d’autre chose qu’il s’agit.

Je terminerai en pointant une seconde fois l’incohérence constitutive qui grève ce texte.

L’article 4 relatif à l’encadrement des licenciements consacre que tout licenciement, pour motif personnel ou économique, doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse, et que celle-ci est portée à la connaissance du salarié, alignant ainsi le droit national sur les impératifs de la convention 158 de l’OIT.

Il s’agit là de réaffirmer que le licenciement ne se fait pas à la légère. Pourtant, les principales dispositions de ce texte disent le contraire et facilitent les licenciements.

Les CDD à objet défini offrent pour la première fois à l’employeur, à la date anniversaire, la possibilité de licencier le salarié même s’il n’y a pas faute grave ou cas de force majeure. Les licenciements déguisés de la rupture conventionnelle se feront sans motif. Les périodes d’essai, pouvant aller jusqu’à huit mois, changent de nature et se transforment en ersatz des CNE défunts.

On constate clairement que l’axe directeur de ce projet de loi est, au mieux, le contournement, au pire, la déconstruction des barrières législatives encadrant le licenciement.

Cette majorité, dans une négociation du pire, a concocté un texte démantelant le cadre législatif du licenciement. Les salariés se trouvent pris en otage en raison de votre incapacité manifeste à sortir d’une pensée unique : la sacro-sainte flexibilité comme panacée au problème de l’emploi.

On comprend bien que les partenaires sociaux aient considéré cette négociation comme une occasion de mieux contrôler les abus et les dysfonctionnements dont ils sont témoins. On comprend aussi qu’ils aient surtout été sensibles à vos pressions. Ils vous connaissent bien, ils savent que vous pouvez faire pire. §

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