Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien qu’il reprenne l'article 1er de l’accord national interprofessionnel, l’article 1er de ce projet de loi ne nous convient pas en l’état. Je défendrai d’ailleurs dans un instant avec mon collègue Guy Fischer, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, un certain nombre d’amendements à ce sujet.
Selon un adage très connu, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Or, nous en conviendrons tous, la loi n’est théoriquement pas un recueil de promesses : elle est une règle de conduite à laquelle nous sommes toutes et tous tenus de nous conformer, qui permet de vivre ensemble et dont l’État garantit, par différents outils, le respect et l’application.
Pour autant, l’article 1er du projet de loi fait obstacle à cette définition, dont les principaux éléments sont pourtant précisés dans un très célèbre dictionnaire juridique, le « Cornu ».
En effet, cet article reste malheureusement une simple et pure déclaration de principe : « Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail. » Pourtant, en 2000 déjà, la norme d’emploi correspondant au CDI à temps plein ne concernait que 56 % de la population active.
Comment expliquer alors que près de 50 % de nos concitoyens en activité professionnelle ne soient pas concernés par une norme pourtant générale ? Nous pouvons donc nous interroger sur l’efficacité d’une disposition législative qui est censée viser tout le monde et qui ne concerne en réalité que la moitié de la population active.
La réalité est connue de tous : l’emploi stable, c’est-à-dire le CDI à temps plein, n’a jamais été généralisé. En fait, depuis les années soixante, pour satisfaire aux exigences de plus en plus fortes de l’économie de marché, la relation de travail n’a cessé de perdre de sa stabilité. Cette dernière était pourtant justifiée par l’existence d’une présente et prégnante subordination de l’employé à l’employeur. Parce que le salarié est subordonné à l’employeur, il lui faut impérativement des règles claires, le protégeant de l’arbitraire.
Or, depuis un certain temps, un double mécanisme vient contredire ce principe.
C’est d’abord et avant tout l’exigence d’une grande autonomie. L’entreprise exige des salariés – des stagiaires aussi, d’ailleurs – une autonomie d’action et de gestion toujours plus importante avec, à la clé, un impératif de résultat dont le salarié est seul responsable. Pour autant, le lien de subordination ne s’amenuise pas. Il existe et se renforce dans des formes différentes de celles qui étaient connues hier, principalement axées autour de la culture de la réussite et de la culpabilisation de ce qui apparaît comme un échec pour l’employeur.
Alors que l’on demande au salarié d’être à la fois plus productif et plus autonome, dans le même temps, on renie ses droits, multipliant le recours aux contrats atypiques et au temps partiel.
En outre, les législations théoriquement protectrices, censées – comme le précisait le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale issu du rapport de Virville – « mobiliser l’emploi », se sont en fait révélées des politiques de contournement de la règle générale.
Conséquence logique, une nouvelle forme de précarité s’est installée, très connue dans le domaine de l’aéronautique : la sous-traitance, voire la co-traitance, qui ressemble d’ailleurs au portage salarial, sujet sur lequel nous reviendrons ultérieurement.
Depuis l’adoption de la loi Madelin en 1994 et l’instauration d’une présomption d’indépendance, les entreprises peuvent externaliser virtuellement une entreprise ou une part de son activité. Peu importe alors que cette entreprise ne travaille qu’avec une société, ses salariés sont indépendants de la société cliente. Ils sont aussi les premiers licenciés quand les crises économiques – les mutations, puisque c’est le terme que vous préférez employer, monsieur le ministre – surviennent. Les entreprises sous-traitantes recourent donc, de manière très importante, à l’emploi précaire, qu’il s’agisse du temps partiel ou de l’intérim.
Si nous doutons des résultats de cet article 1er, monsieur le ministre, c’est parce que vous persistez à refuser de donner à cette loi les moyens législatifs d’être incontournable.
Vous avez par exemple refusé, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, comme lors de la discussion du projet de loi pour le pouvoir d’achat, de moduler le taux des cotisations sociales payées par les employeurs en fonction de la précarité des emplois créés. Ce dispositif est pourtant appliqué aux États-Unis en matière d’assurance chômage depuis des années. Vous avez réservé le même sort à nos amendements visant à limiter le recours aux contrats dits « atypiques », afin d’éviter notamment que ces contrats soient plus nombreux que les CDI.
Vous refusez également de renforcer le rôle des délégués et des représentants du personnel en les dotant de réels moyens de contrôle et de décision sur les politiques sociales des entreprises.
Loin des positions dogmatiques des tenants d’une économie libérale qui appelle à toujours plus de souplesse de la part des salariés, nous défendrons sur cet article un certain nombre d’amendements visant à protéger réellement la valeur centrale et générale du contrat à durée indéterminée. Il s’agit pour nous de satisfaire à une double exigence : faire cesser le transfert de prise de risque de l’entrepreneur sur le salarié et permettre l’émergence d’une réelle démocratie sociale d’entreprise.