Intervention de Daniel Gremillet

Réunion du 13 avril 2021 à 14h30
Hydroélectricité transition énergétique et relance économique — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Daniel GremilletDaniel Gremillet :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’hydroélectricité est une source d’énergie de premier ordre pour garantir notre souveraineté et notre transition énergétique. Or elle constitue un impensé complet de la politique énergétique du Gouvernement.

Qu’on en juge : sur les 110 milliards d’euros du plan de relance, seuls 35 millions d’euros, soit 0, 32 %, concernent l’hydroélectricité. C’est regrettable, car cette source d’énergie représente un dixième de la production d’électricité et la moitié de la production d’énergie renouvelable.

Dès l’examen du projet de loi Énergie-climat, dont j’étais le rapporteur au nom de la commission des affaires économiques, je déplorais que le périmètre retenu par le Gouvernement n’ait pas permis, en application de l’article 45 de la Constitution, d’aborder pleinement le thème de l’hydroélectricité.

Face aux insuffisances du Gouvernement, j’avais alors pris l’engagement d’élaborer une proposition de loi. À quelques semaines de l’examen par le Sénat du projet de loi Climat et résilience, marqué du sceau des mêmes insuffisances gouvernementales, je me réjouis que cet engagement soit en passe d’aboutir.

L’hydroélectricité mérite une législation plus ambitieuse et plus adaptée, car elle occupe une place singulière dans notre mix énergétique.

C’est une source d’énergie ancrée dans l’histoire, puisque nos moulins à eau ont été utilisés dès le XIIIe siècle pour la production industrielle et dès le XIXe siècle pour la production d’électricité. De leur côté, nos barrages ont permis notre redressement économique au sortir des guerres mondiales, avec la loi de 1919 relative à l’utilisation de l’énergie hydraulique et celle de 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz.

C’est une source d’énergie tournée vers l’avenir : nos 2 500 installations hydrauliques, dont 500 moulins et 400 barrages, représentent en effet 11 600 emplois et 3, 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Face à l’urgence climatique, qui nous oblige à relancer notre économie en accélérant sa décarbonation, l’hydroélectricité n’a jamais été aussi nécessaire, compte tenu de ses nombreuses externalités positives.

C’est une source d’énergie peu émissive, stockable et modulable. Nos barrages sont de véritables leviers du développement économique pour nos territoires ruraux, en particulier en zone de montagne.

Dans le cadre de mes travaux préparatoires, j’ai rencontré trente personnalités au cours de quinze auditions : professionnels de l’hydroélectricité, associations de protection de l’environnement et de la pêche, représentants d’élus locaux, administrations centrales et déconcentrées.

J’ai été très heureux de l’intérêt porté par les acteurs de terrain à mes travaux. Ils m’ont semblé, à la fois, convaincus de l’intérêt de l’apport de l’hydroélectricité à notre mix énergétique et excédés par les retards ou, pire, les situations de blocage. En effet, le plein essor de l’hydroélectricité demeure entravé par des freins persistants : un cadre stratégique insuffisant et incomplet, une complexité normative et administrative, une forte pression fiscale.

Pour ce qui concerne le cadre stratégique, le Sénat a inscrit pour la première fois la petite hydroélectricité parmi les objectifs de notre politique énergétique dans le cadre de la loi Énergie-climat. C’est un bon début, mais beaucoup reste à faire : l’hydroélectricité doit trouver sa place dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), la loi quinquennale prévue à compter de 2023, ainsi que le rapport annuel sur l’impact environnemental du budget.

Aucun objectif chiffré n’est prévu par le code de l’énergie. Le nombre précis d’installations hydrauliques n’est même pas connu. C’est la seule énergie renouvelable traitée ainsi, ce que nous déplorons.

S’agissant des normes, les activités hydroélectriques doivent nécessairement s’articuler avec les règles de continuité écologique issues de la loi du 30 décembre 2006 sur l’eau et les milieux aquatiques, dite loi LEMA, prise en application de la directive-cadre sur l’eau de 2000. C’est un exemple de surtransposition trop bien connu.

Certes, depuis la loi du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dite loi ASAP, dont j’étais le rapporteur pour la commission spéciale du Sénat, les porteurs de projets hydroélectriques peuvent plus aisément faire valoir leurs demandes de dérogation devant l’administration. Pour autant, ils sont confrontés à des services nombreux et des pratiques hétérogènes. Au sein même du ministère de la transition écologique, le suivi des installations hydrauliques est partagé entre deux directions.

Nous attendons un État territorial, un État stratège dans ce domaine.

Quant à la pression fiscale, le Sénat a adopté un allégement facultatif de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les passes à poissons dans le cadre de la loi de finances pour 2019. J’ai soutenu cette mesure en tant que rapporteur pour avis de la mission « Énergie ». Mais le poids de la fiscalité représente toujours jusqu’à 50 euros par kilowatt selon la Commission de régulation de l’énergie (CRE).

Le cadre stratégique, normatif ou fiscal dans lequel s’inscrivent les activités hydroélectriques est loin d’être optimal. Je vous propose de lever les freins existants en rénovant ce cadre législatif.

Pour ce faire, nous proposons de restaurer le rôle des parlementaires et des élus locaux dans le domaine de l’hydroélectricité. Le législateur fixera les objectifs et en évaluera l’application. Les maires et les présidents d’établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) seront mieux associés à la vie des installations hydrauliques, à commencer par celle de nos barrages.

Le texte vise également à offrir aux professionnels de l’hydroélectricité un cadre plus adapté. Ils disposeront de procédures simplifiées, de relations facilitées et d’une information confortée. Ils bénéficieront d’allégements fiscaux, pour mieux articuler les activités hydroélectriques avec la préservation de la biodiversité.

Je veux rappeler ici la méthode qui a présidé à l’élaboration de ce texte.

Le premier principe est celui de la non-régression environnementale.

Madame la secrétaire d’État, je vais être très clair sur ce point : la proposition de loi que j’ai déposée n’entend supprimer aucune norme environnementale substantielle. Ce n’est ni le souhait des parlementaires ni la demande des acteurs. En revanche, nous proposons tout à la fois de simplifier l’application de ce principe sur le plan pratique et de le compenser sur le plan fiscal. C’est une position équilibrée et de bon sens.

Le deuxième principe est celui de la libre administration des collectivités territoriales.

Je veux aussi faire preuve de clarté sur ce point : le texte ne supprime aucune recette locale. Si les exonérations fiscales sur les impôts nationaux sont obligatoires, celles sur les impôts locaux sont facultatives. Les maires et les présidents d’EPCI auront donc la possibilité, et non l’obligation, de conduire une politique fiscale incitative. Il s’agit là d’une liberté supplémentaire et non d’une contrainte !

Le troisième principe est celui de l’adaptation des normes aux réalités.

Je suggère de rompre avec la technostructure. C’est pourquoi la proposition de loi conforte les décisions prises par les parlementaires et les élus locaux, et renforce les informations qui leur sont transmises. Le texte prévoit la coconstruction de certaines normes avec les professionnels pour en garantir l’acceptation, ainsi que l’expérimentation d’autres normes pour en garantir l’adaptation.

Parce que bon nombre des difficultés rencontrées localement sont de nature réglementaire et non législative, j’ai également déposé une proposition de résolution : au-delà de cette proposition de loi, nous attendons du Gouvernement qu’il réponde aux difficultés réglementaires et administratives soulevées.

À cet égard, je veux dire solennellement ici que le Gouvernement doit défendre notre modèle concessif, dont la compatibilité avec la politique européenne de concurrence est en suspens. Nos barrages doivent être défendus devant la Commission européenne.

La proposition de loi que nous examinons est à l’image de la transition énergétique en laquelle croit la commission des affaires économiques : une transition énergétique ambitieuse mais concrète, ancrée dans nos territoires, qui fait confiance aux initiatives de nos entreprises, de nos collectivités ou de nos associations.

En effet, la transition énergétique ne peut pas avancer à reculons. Il faut tout au contraire préférer la confiance à la contrainte, l’incitation économique à l’alourdissement fiscal, le droit souple à l’étouffement normatif.

Voilà notre vision d’une « écologie positive », je dirai même d’une « écologie des territoires ». S’il y a une production vraiment issue des territoires, c’est bien celle-là ! Je sais que nous sommes nombreux ici, sur toutes les travées de cet hémicycle, à partager cette volonté. Aussi, j’invite celles et ceux qui le souhaitent à s’associer à ma démarche en adoptant ce texte.

Je tiens à remercier sincèrement la présidente Sophie Primas et le président Bruno Retailleau d’avoir permis l’inscription de ce texte à l’ordre du jour. Je remercie également les trois rapporteurs, Patrick Chauvet, Christine Lavarde et Laurence Muller-Bronn, de m’avoir largement associé à leurs travaux.

Je précise que je suis totalement en phase avec les derniers ajustements, nécessaires et équilibrés, qui vous seront proposés tout à l’heure par les rapporteurs, et vous invite en tant qu’auteur de ce texte à les soutenir, car ils apportent une richesse complémentaire à ce projet ambitieux. N’oublions pas que le matériel nécessaire pour produire cette énergie non délocalisable provient de nos territoires : on ne peut donc pas faire mieux en termes de bilan carbone !

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