Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par le président Claude Malhuret vise à mettre en œuvre, à titre expérimental, un dispositif d’incitation au retour à l’emploi ciblé sur les bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), afin de favoriser leur insertion sur le marché du travail.
Inspirée d’une initiative du département de l’Allier, ce texte part du constat que, d’un côté, les entreprises peinent à recruter quand, de l’autre, de nombreux chômeurs ne trouvent pas d’emploi, en particulier les bénéficiaires de minima sociaux, qui ne parviennent pas à reprendre une activité en raison d’un ensemble de freins monétaires et non monétaires. Pour ces personnes, qui ont parfois été sans activité pendant de nombreuses années, la reprise d’un emploi à temps plein peut se révéler très problématique.
Depuis une quinzaine d’années, des efforts importants ont pourtant été réalisés pour « activer » le système français des prestations sociales, de manière à éliminer les « désincitations » à l’emploi. Je pense à la création du RSA au 1er juin 2009, à celle de la prime d’activité en 2016 et à sa revalorisation en 2019.
Toutefois, l’objectif incitatif de ces réformes n’a pas été totalement atteint. Les bénéficiaires du RSA sont très majoritairement sans emploi. De plus, 76 % d’entre eux ont plus d’un an d’ancienneté en tant qu’allocataires, et une grande majorité le restent d’une année sur l’autre. Plus leur ancienneté comme bénéficiaires de minima sociaux est importante, moins ils ont de chances d’en sortir. Les passages du RSA à la prime d’activité restent de fait très minoritaires.
Dans la période de crise qui s’est ouverte, cette population d’allocataires de longue durée risque de s’accroître, et son éloignement de l’emploi de s’aggraver.
Dans ce contexte, le dispositif expérimental proposé vise à mieux soutenir la transition des allocataires du RSA vers l’emploi, afin de leur donner les moyens de franchir la distance qui les sépare de l’emploi durable.
L’article 1er prévoit la mise en place pour une durée de quatre ans, dans des départements volontaires, d’une expérimentation permettant à des allocataires du RSA d’être embauchés par des entreprises, tout en conservant le bénéfice de leur allocation pendant une durée d’un an, dans la limite d’un plafond fixé par décret. Le texte déposé prévoyait que le maintien en tout ou partie du RSA pourrait se cumuler avec la prime d’activité.
Le coût du dispositif pour le département ferait l’objet d’une compensation financière par l’État dans les conditions applicables au financement du RSA. En effet, la loi permet déjà à un département de décider de conditions et de montants plus favorables que le droit commun ; il doit alors en assumer les conséquences financières.
En réponse aux observations exprimées la semaine dernière en commission, l’un des principaux apports de la proposition de loi est bien d’étendre à cette expérimentation le principe de la compensation financière versée par l’État via la dotation globale de fonctionnement (DGF).
L’expérimentation ferait l’objet d’une évaluation, au plus tard un an avant son terme, sur le fondement de bilans établis par les départements expérimentateurs.
Comme la commission l’a relevé, cette nouvelle expérimentation s’inscrirait dans un paysage de dispositifs déjà dense, incluant les structures d’insertion par l’activité économique (SIAE), les parcours emploi compétences (PEC), ou encore l’expérimentation « territoires zéro chômeur de longue durée ».
Il s’agit d’un dispositif complémentaire à la palette des outils existants, qui ne s’adresse du reste pas à tous les publics, mais à des personnes capables d’occuper un emploi dans une entreprise, tout en faisant face à des freins périphériques.
Cette expérimentation s’inscrit dans l’esprit des solutions du type « travail pour tous », fondées sur une activité liée au travail, un accompagnement personnalisé et un complément de revenu transitoire, que soutient l’Assemblée des départements de France (ADF).
Elle présente l’intérêt de permettre à des allocataires souhaitant s’engager dans une démarche de retour à l’activité de bénéficier, au-delà d’un soutien monétaire, de l’accompagnement dû aux allocataires du RSA. Le département de l’Allier prévoit ainsi un accompagnement spécifique de trois mois au démarrage, renouvelable une fois, qui permettra de sécuriser à la fois le salarié et l’employeur et d’éviter les abandons.
L’expérimentation vise tout autant à responsabiliser les entreprises en les incitant, sans leur imposer de contraintes excessives, à être les acteurs de cette démarche d’insertion. De nombreux employeurs du département de l’Allier ont témoigné de leur soutien à ce projet.
La commission des affaires sociales a donc adopté la proposition de loi. Elle l’a cependant modifiée, afin d’en renforcer le dispositif et de lui permettre d’atteindre sa cible et ses objectifs.
La commission a d’abord introduit, en lieu et place de la condition de privation d’emploi, une condition d’ancienneté minimale d’un an en tant qu’allocataire du RSA. Les bénéficiaires devraient en outre être inscrits sur la liste des demandeurs d’emploi, afin de garantir leur suivi par le service public de l’emploi.
Sur mon initiative, la commission a également prévu la possibilité de déroger à la durée hebdomadaire minimale de travail de droit commun pour un contrat à temps partiel. Cette durée minimale est fixée à vingt-quatre heures par la loi en l’absence de dispositions conventionnelles prévoyant une durée différente.
Conformément au projet initial des promoteurs de l’expérimentation, les bénéficiaires pourraient ainsi être embauchés pendant la première année du contrat pour une durée de quinze heures hebdomadaires au minimum, ce qui peut permettre à des personnes durablement éloignées de l’emploi de se réadapter au monde de l’entreprise.
Cette durée dérogatoire a fait l’objet d’un débat au sein de la commission. Pourtant, une durée de vingt-quatre heures hebdomadaires peut être, dans un premier temps, une marche trop difficile à franchir pour une personne qui n’a pas travaillé depuis plusieurs années. Il est d’ailleurs déjà possible, dans le cadre des contrats d’insertion, de déroger à cette durée.
De plus, afin de limiter les éventuelles distorsions introduites par le dispositif, la commission a prévu que ses bénéficiaires ne pourraient pas percevoir la prime d’activité pendant la période où le RSA continuerait de leur être versé. Ainsi, ils percevraient toujours des ressources plus élevées que s’ils se voyaient appliquer les règles de droit commun, mais l’écart resterait assez important par rapport aux revenus de personnes travaillant à temps plein et percevant la prime d’activité.
Bien entendu, il ne s’agit pas là de permettre à l’État de faire des économies au détriment des départements, puisque le coût du dispositif serait compensé. La commission a également prévu que le maintien du RSA serait garanti par le biais de la non-prise en compte des revenus professionnels perçus dans le cadre d’un CDD d’un an ou d’un CDI, jusqu’à un seuil fixé par décret.
À titre indicatif, ce seuil pourrait être fixé à 800 euros par mois, ce qui correspond approximativement à vingt-trois heures par semaine rémunérées au SMIC. Au-delà, le montant du RSA diminuerait à concurrence de la part de la rémunération dépassant le plafond.
Par ailleurs, la commission a veillé à encadrer le contenu des rapports d’évaluation qui devront être établis, d’une part, par les départements expérimentateurs et, d’autre part, par le Gouvernement, en vue de dresser un bilan de l’expérimentation au regard de ses objectifs initiaux et d’envisager les conditions d’une éventuelle généralisation. La démarche expérimentale n’est en effet pertinente qu’à condition de s’accompagner d’évaluations rigoureuses.
Enfin, la commission a précisé les conditions d’application du dispositif. Elle a fait débuter la période prévue pour l’expérimentation à la date de parution du décret d’application. Elle a par ailleurs confié au ministre chargé de l’action sociale la responsabilité d’établir la liste des départements retenus pour la mener à bien. Plusieurs départements ayant manifesté leur intérêt, il serait d’ailleurs souhaitable que cette liste découle de critères concertés avec les territoires qui en ont pris l’initiative.
Les éléments clés du dispositif, tel qu’il a été amendé par la commission, sont donc la possibilité pour les bénéficiaires de travailler quinze heures par semaine, la non-prise en compte pour le calcul du RSA des revenus perçus dans ce cadre, qui permet le maintien de l’allocation, et la suspension concomitante de la prime d’activité.
Chacun de ces éléments combinés pendant une durée d’un an contribue autant à inciter les bénéficiaires et les employeurs qu’à limiter les distorsions.
Il paraît toutefois possible, comme un amendement de notre collègue Pascale Gruny tend à le prévoir, de limiter à neuf mois la durée du dispositif, car on peut espérer qu’au bout de cette durée les bénéficiaires seront en mesure de travailler au moins vingt-quatre heures par semaine, et de percevoir un revenu plus élevé grâce à la prime d’activité.
Il en va de même d’un amendement de notre collègue René-Paul Savary, adopté par notre commission, qui vise à ce que les allocataires du RSA, sans condition d’ancienneté, puissent profiter de cette expérimentation.
Ce dispositif s’inscrirait ainsi dans la logique du paysage actuel des minima sociaux. Dans le droit actuel, un allocataire reprenant une activité professionnelle cumule intégralement le montant du RSA et une rémunération professionnelle pendant les trois premiers mois, mais ne perçoit pas encore la prime d’activité. Les trois mois suivants, le montant du RSA est réduit à concurrence du niveau de la rémunération de son bénéficiaire.