Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà trois ans que le CETA est entré en vigueur provisoirement ; voilà pourtant trois ans que le Sénat attend d’avoir à exprimer sa position sur le sujet, lors d’un vote solennel ; et voilà trois ans que le Gouvernement lui refuse ce droit…
Le CETA divise, vous le savez. Ce ne sont ni l’équilibre global de l’accord ni les relations historiques avec nos compatriotes canadiens qui sont en jeu. Ce qui est en jeu, c’est le fait de sanctionner, dans chaque accord de libre-échange, toujours les mêmes acteurs : certaines de nos filières agricoles. Ce qui est en jeu, c’est notre capacité à protéger notre agriculture des importations déloyales, qui risquent de nous faire perdre notre souveraineté alimentaire. Ce qui est en jeu, c’est notre crédibilité politique à tenir des engagements fermes que vous avez pris en matière de respect de nos normes. Or vos réponses peinent à convaincre, car cet accord, on le sait, n’apporte aucune garantie sur la conformité aux normes européennes des produits alimentaires importés.
Vous nous rétorquez chaque fois qu’il n’y a aucun problème, que, grâce aux organismes certificateurs et aux limites maximales de résidus prévues dans la réglementation européenne, il n’y a aucun risque et que tout est garanti : ceinture et bretelles ; aucune faille ! Sauf une : personne ne vous croit…
Pour illustrer mon propos, je voudrais vous raconter une petite histoire.
Il était une fois, au sein de l’Union européenne, un consommateur qui souhaita manger, en quantité, de petites graines de sésame. Pour en retrouver dans son pain, son houmous, ses biscuits, il importa massivement ces graines d’Inde. Mais, tout à coup, en 2020, lors d’un contrôle de routine, des résidus d’une substance strictement interdite en Europe depuis 1991 – l’oxyde d’éthylène – furent retrouvés sur ces graines, à des taux mille fois supérieurs, en agriculture conventionnelle, et cinq mille fois supérieurs, en agriculture biologique, à la norme acceptée.
Inquiètes d’un tel écart, les autorités lancèrent un vaste programme de retrait et de rappel des produits. On se rendit alors compte que le problème était très vaste, car il concernait des produits contenant des graines importées non seulement d’Inde, mais également de nombreux pays dans le monde, et ce depuis 2018 au moins.
Comment toutes ces graines avaient-elles pu entrer, comme par magie, en Europe, sans que le problème soit visible, durant tout ce temps ?
Premièrement, il n’y avait pas suffisamment de tests aléatoires pour identifier les risques ; comment cela serait-il possible, avec un budget dédié aux contrôles ne dépassant pas, en France, 50 centimes pour 1 000 euros de denrées alimentaires introduites ? Difficile, dès lors, de repérer des dépassements de limites maximales de résidus !
Deuxièmement, les contrôles douaniers avaient déjà repéré des anomalies sur les résidus de pesticides en provenance d’Inde, puisque 20 % des denrées indiennes aléatoirement contrôlées en 2018 présentaient des anomalies, mais, même quand nous savons, nous ne faisons rien pour inverser la donne.
Troisièmement, sur les 1 500 substances actives interdites à l’échelon européen, seules 600 sont effectivement contrôlées. Les importations de denrées dans l’Union européenne sont donc indemnes de 900 substances, car, tout simplement, nous ne les recherchons pas !
Comme toute bonne histoire, celle-ci n’a pas de fin, car l’alerte se poursuit aujourd’hui. Alors, prévoir des LMR, oui, mais à condition que celles-ci soient contrôlées !
Si nous ne parvenons pas à contrôler les graines de sésame indiennes, comment pouvez-vous affirmer, monsieur le ministre, que nous serons capables de le faire pour tous les produits canadiens ? Comment pouvez-vous nous assurer, la main sur le cœur, qu’aucune denrée végétale canadienne importée ne méconnaîtra la réglementation européenne, sans même parler des OGM ou des autres substances actives qui sont autorisées au Canada et non en Europe ? Comment pouvez-vous garantir que la viande canadienne respectera nos normes de production, alors que certaines farines animales y sont autorisées et que la traçabilité ne recouvre pas le même champ ? Vous ne le pouvez pas et, pourtant, vous le faites !
Tout le problème est que, en multipliant, d’un côté, les interdictions et les surtranspositions en France, tout en ouvrant largement, de l’autre, nos frontières à des denrées importées sur lesquelles vous n’avez aucun contrôle, vous sacrifiez tout simplement notre agriculture.