Intervention de Cécile Manaouil

Commission des affaires sociales — Réunion du 5 mai 2021 à 9h00
Gestion de la crise sanitaire — Accès des proches aux établissements pendant la crise sanitaire

Cécile Manaouil, chef du service de médecine légale et sociale du CHU d'Amiens :

Mon point de vue est celui d'un médecin légiste souvent sollicité à propos de questions portant sur le droit des patients, le consentement, mais aussi la responsabilité médicale, qui permettent de se rendre compte de tout ce qui a été mal vécu par les familles et les patients.

Vous nous avez communiqué une proposition de loi de circonstance, qui n'aurait pas vu le jour sans la crise sanitaire.

Nous sommes tous d'accord sur le fait que les visites constituent un bénéfice pour les patients. Les soignants ont souffert, au début de la crise, de ne pouvoir discuter avec les familles, sauf par téléphone ou visioconférence. Il faut cependant rappeler que si l'on a interdit les visites dans les établissements de santé, c'est avant tout pour protéger les patients, éviter le brassage de la population alors qu'on possédait peu de connaissances sur le virus.

On n'est pas non plus à l'abri de recours de visiteurs qui pourraient venir solliciter les établissements parce qu'ils ont été contaminés à l'occasion d'une visite. La plupart des établissements de santé réclament aujourd'hui un test qui doit être négatif avant toute opération. Les contaminations par le virus durant l'hospitalisation sont considérées comme des infections nosocomiales.

Certains visiteurs contaminés à l'hôpital ne manqueront certainement pas d'engager des procédures. Il faut donc peser le pour et le contre et trouver le bon équilibre. Je pense qu'il faudrait différencier les Ehpad et les établissements pour personnes handicapées, comme le prévoit l'une des propositions de loi. Les lieux de vie pour personnes handicapées constituent leur domicile. Sans doute y a-t-il eu des abus et des restrictions des droits, comme l'a soulevé hier la défenseure des droits dans son rapport, puisqu'on a interdit à des personnes de voir leur famille. Une loi pourrait donc être utile pour instaurer un droit de visite dans ces établissements.

Les propositions de loi proposent de l'étendre aux établissements de santé. Je pense que cela suscitera beaucoup de difficultés. Si on instaure un droit de visite pour les familles dans les établissements de santé, sans aucun garde-fou, il n'y aura aucune raison d'interdire à un enfant de cinq ans de voir son grand-père ou son père en réanimation. En effet, les propositions de loi ne précisent pas si les personnes doivent être majeures ou non.

Instaurer un droit de visite va donc générer du contentieux. Les revendications pourront parfois être difficiles à gérer pour les équipes, alors qu'on sait que les durées moyennes de séjour sont maintenant très courtes. Un droit de visite journalier à l'hôpital ou en clinique pour tous les patients, y compris mineurs, m'interpelle. Certains mineurs sont hospitalisés dans le cas d'anorexie mentale. Dans d'autres cas, un contrat est établi entre les psychiatres et les parents, avec des échéances pour les appels téléphoniques et les visites. Cela peut compliquer la prise en charge pour ces mineurs et pour les établissements publics de santé mentale et ceux où l'on prend en charge des patients pour des soins psychiatriques, pour qui cela entraînerait de grandes difficultés.

D'un point de vue pratique, cela signifie mettre en place des procédures de contention très compliquées. Les familles qui vont vouloir voir un patient vont solliciter les soignants pour savoir si les choses sont justifiées. Cela signifie des pressions sur les médecins. Dans l'une des propositions de loi, c'est le chef de service qui décidera. Le chef de service n'est pas tous les jours dans son service. Il ne faut donc pas que tout repose sur lui. Cela représente également des pressions importantes pour l'ouverture des visites.

L'article 1 de la proposition de loi la plus longue dit qu'« aucune visite ne peut être subordonnée à une information préalable de l'établissement ». Heureusement les gens ne sont pas obligés de formuler une demande, même si cela a été instauré pour la Covid-19. On ne va pas imposer de demander à pouvoir venir visiter une personne hospitalisée. Toutefois, il est dit à l'article 3 que « lorsque le visiteur informe l'établissement d'une visite au moins 24 heures avant l'heure prévue, le directeur dispose de 24 heures pour s'y opposer ».

Un tel délai me paraît très complexe. Sur quel critère le directeur va-t-il s'opposer à une visite ? On va devoir mettre en place tout un tas procédures complexes et sources de réclamations ou de contentieux, ce qui va rendre les choses difficiles.

La plupart du temps, les choses se passent bien. Les visiteurs peuvent venir voir leur famille. Dans certains cas, on aimerait que ce soit davantage le cas, et les soignants sollicitent parfois les visites. Il est donc compliqué de légiférer et de fixer un cadre plus rigide et plus contraignant, alors que le bon sens suffit en règle générale.

Avec ce virus inconnu, on a restreint le droit de visite. Il faut maintenant améliorer les choses, notamment dans les Ehpad et les établissements pour personnes handicapées, mais l'instaurer dans tous les établissements de santé rendrait les choses encore plus compliquées. On est en effet là face à une pathologie particulière.

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