Commission des affaires sociales

Réunion du 5 mai 2021 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • EHPAD
  • directeur
  • médecin
  • proches
  • père
  • restriction
  • résident
  • visite

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Mes chers collègues, nous entendons ce matin :

- M. Fabrice Gzil, responsable du pôle réseaux et observatoire à l'Espace de réflexion éthique d'Île-de-France, chercheur associé en éthique et épistémologie au CESP, Inserm / Université Paris Saclay, membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) ;

- Professeur Cécile Manaouil, chef du service de médecine légale et sociale du CHU d'Amiens ;

- M. Marc Dupont, directeur d'hôpital, adjoint à la directrice des affaires juridiques de l'AP-HP ;

- M. Laurent Frémont, secrétaire général du collectif « Tenir ta main » ;

- M. Pascal Champvert, président de l'association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA).

En réponse à mon interrogation sur le sujet des Ehpad dans la pandémie, le président du Conseil consultatif national d'éthique, le professeur Delfraissy, avait indiqué qu'il s'agissait d'un des sujets les plus douloureux de la crise sanitaire.

Concentrant les vulnérabilités, les résidents des Ehpad ont représenté un grand nombre de victimes, en particulier au cours de la première vague.

Les directeurs se sont trouvés à la fois mis en cause par les familles du fait du décès d'un proche, mais aussi du fait de l'impossibilité de lui rendre visite ou d'accompagner ses derniers instants.

En temps ordinaire, cette question de la visite des proches ne se pose pas, puisqu'elle découle des droits fondamentaux de la personne.

En période d'état d'urgence sanitaire, elle est mise en balance avec d'autres impératifs. Comment trouver le bon équilibre, qui préserve des liens souvent essentiels au bon état de la santé de la personne ? Est-il nécessaire de légiférer ? Si oui, de quelle manière ? Ce sont à ces questions que nous cherchons à répondre ce matin.

Debut de section - Permalien
Fabrice Gzil, Inserm / Université Paris Saclay, membre du Comité consultatif national d'éthique

responsable du pôle réseaux et observatoire à l'espace de réflexion éthique d'Île-de-France, chercheur associé en éthique et épistémologie au CESP, Inserm / Université Paris Saclay, membre du Comité consultatif national d'éthique. - J'aborderai le sujet d'un point de vue éthique, en restituant la question de la visite des familles en fonction du sens, de la visée de ces pratiques et des valeurs qui les sous-tendent. Je m'appuierai notamment sur une enquête réalisée auprès de 1 800 professionnels d'Ehpad conduite dans le cadre d'une mission qui m'a été confiée par Brigitte Bourguignon, ministre déléguée à l'autonomie.

En préambule, je voudrais souligner la multiplicité des situations que recouvre l'expression de visites des familles, notamment en Ehpad. Ce n'est évidemment pas la même chose, selon qu'on parle de la venue occasionnelle des petits-enfants ou arrières petits-enfants, de la visite régulière d'un frère, d'une soeur ou d'un ami qui viennent faire la conversation ou donner des nouvelles, d'un fils, d'une fille ou d'une belle-fille qui viennent aider à la toilette, au repas ou à la marche, d'un conjoint, d'un compagnon, d'un époux qui souhaitent accompagner les derniers moments.

Je voudrais aussi insister sur le fait que la restriction des visites peut avoir un sens ou des implications très différentes selon qu'elle concerne, à un moment ou un autre, tous les Français ou seulement les résidents des Ehpad, qu'elle est brève ou durable, pour une durée limitée ou indéterminée, au début de la crise, quand on connaît mal les modalités de contamination, ou plus tard.

Dans tous les cas, tous les résidents ne reçoivent pas d'ordinaire des visites régulières journalières ou hebdomadaires de leurs proches, mais la raréfaction de ces visites est très mal vécue par de nombreux résidents. La psychiatre Cécile Hanon a dit que ces isolements sensoriels constituent une bombe à retardement sur le plan psychique : syndromes dépressifs, troubles du sommeil et de l'appétit, résurgence traumatique, accélération des déclins cognitifs.

Outre les restrictions des visites, ce sont les modalités des visites qui sont pesantes pour les résidents : fréquence et durée limitées, dans un lieu dédié, sans pouvoir se toucher, parfois derrière un plexiglas ou en présence d'un tiers.

Les familles, elles aussi, souffrent de cette situation. Je cite un répondant : « On exige de nous des choses qu'on ne demande ni aux professionnels ni aux bénévoles ni aux jeunes en service civique, pourtant plus que nous au contact de nos résidents. Ma mère est prise chaque matin dans les bras par une auxiliaire de vie qui la lève, la met debout, l'emmène dans la salle de bains, et je n'aurai pas le droit de lui prendre la main ? ».

Je voudrais ajouter que cette situation fait également souffrir les équipes. Quand on questionne les directeurs, les médecins, les coordonnateurs, les aides-soignants, les infirmières sur ce qui, pendant la crise sanitaire, a occasionné chez eux un malaise, un inconfort ou une souffrance éthique, la plupart des répondants citent, en tête de liste, le fait que certains résidents n'ont pas eu de contact physique ni d'embrassade de leurs proches pendant des mois. Je cite : « Devoir organiser les visites des familles comme des parloirs de prison est un véritable crève-coeur. Peut-on réduire les visites alors que le résident peut partir à tout moment ? Qui sommes-nous pour dire qu'on n'approchera pas sa mère à moins d'un mètre ? ». Ces situations sont évidemment amplifiées lorsqu'on se situe dans un contexte de fin de vie.

Je voudrais dire deux choses sur ce sujet. En premier lieu - c'est un point fondamental, même si cela semble annexe dans cette crise sanitaire -, je partage ce qu'a dit le président Delfraissy, car il existe un droit fondamental de tout individu à avoir une vie intime et affective. Le fait de vivre en établissement ou de connaître un contexte de crise sanitaire ne devrait pas constituer un obstacle à l'exercice de ce droit. Le CCNE l'a rappelé le 30 mars et le 20 mai : le respect de la dignité humaine inclut le droit au maintien du lien social, y compris en contexte de crise sanitaire.

Je pense donc qu'il faut poser en principe que l'isolement et la solitude sont des sources de souffrance de très haut niveau, que nous ne pouvons être durablement privés de la présence des personnes qui comptent pour nous et que se toucher entre personnes qui s'aiment est un besoin fondamental. J'ajoute qu'il existe un problème d'équité dont un répondant nous a parlé de la façon suivante : « Déjà retirés du monde par leur situation de vie, comme invisibles aux yeux d'une société qui se refuse à admettre la vieillesse et la vulnérabilité, les résidents se sont vus condamnés à plus de solitude encore ».

La visite des familles dans les établissements constitue aussi un point nodal qui s'ouvre sur la question plus générale de privation de liberté des résidents. La défenseure des droits a publié un rapport évoquant nombre de restrictions abusives de liberté. C'est dans ce contexte plus général qu'il faut resituer ce problème.

Par ailleurs, dans un contexte d'accompagnement de la fin de vie et de deuil, les situations de mort non entourée se sont succédé, ce qui a occasionné des sentiments de transgression morale très forts chez tout le monde. Ceci interroge fondamentalement sur un point qui nous semble essentiel, qui est le rôle et la place des familles en établissement. Les proches ont accompagné les résidents souvent pendant de nombreuses années avant leur entrée en Ehpad. Ce rôle change, évolue, mais on demeure un aidant lorsqu'une personne est en Ehpad, et il est absolument primordial de conserver celui-ci.

Par ailleurs, on a vu, dans certains endroits, les familles être accusées de porter la mort. La sorte de défiance qui s'est installée peut s'expliquer par tout un tas de raisons, et notamment par les angoisses très puissantes que fait ressortir une pandémie de cette nature, mais je pense que la restriction ou la suspension des visites des proches dans ces établissements devrait être considérée comme une restriction d'une liberté fondamentale.

L'enjeu n'est pas tant de préciser à quelles conditions on devrait la mettre en oeuvre, il est de la limiter au maximum. Le projet de loi que vous nous avez transmis le dit très bien : ces restrictions de visite devraient être nécessaires, subsidiaires, proportionnées, individualisées, limitées dans le temps, décidées de manière collégiale, idéalement en associant les personnes concernées et faire l'objet d'un contrôle, d'une réévaluation périodique.

Il s'agit surtout de promouvoir l'effectivité du droit à voir ses proches : accompagner dignement une personne, respecter son intégrité, c'est aussi prendre en compte ses liens, ce à quoi elle tient, ce par quoi elle tient. Aucun d'entre nous n'est une île. Nous sommes fondamentalement des êtres relationnels, interdépendants. C'est ce que nous avons découvert pendant la crise. C'est un de nos biens les plus précieux, sur lequel s'appuient vos recommandations.

En conclusion, il ne faut pas oublier les aspects pratiques dans la façon dont les recommandations sont édictées. Il y a parfois des services d'hygiène qui émettent des préconisations légitimes dans leur ordre, mais qui devraient être balancées par d'autres considérations. Il ne faut pas non plus oblitérer les questions de moyens : comment adapter les horaires de visite lorsque les effectifs sont insuffisants ? Un directeur nous a dit : « On nous dit de recruter du personnel pour accompagner les visites, mais paiera-t-on la facture quand on la présentera ? ».

Pour autant, je retiens de tout le travail que nous avons mené ce que nous a dit une famille : « Tout se passe comme si la famille n'était plus importante ». Cela m'a marqué parce que cela donne le sentiment d'une forme d'inversion des valeurs, de mise à bas de la hiérarchie des normes, de désordre moral qui s'ajoute au désordre au désordre sanitaire.

Je pense qu'il est vraiment important, en situation de crise, de réaffirmer ces valeurs, cette importance des liens. Il y aura toujours des contextes et des situations très précises où des restrictions seront nécessaires, mais comment gérer humainement et éthiquement ces situations ? On a besoin de collégialité, de discernement. Le soin est toujours global, il ne peut porter que sur le corps. Le psychisme et les liens sociaux sont fondamentaux pour ne pas abandonner ses principes et les valeurs d'humanité que nous devons aux personnes.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je précise que nous avons transmis aux personnes que nous auditionnons ce matin à la fois une proposition de loi de l'Assemblée nationale portant sur les droits de visite, déposée par Julien Aubert, et celle que le président Retailleau a déposée la semaine dernière.

Debut de section - Permalien
Cécile Manaouil, chef du service de médecine légale et sociale du CHU d'Amiens

Mon point de vue est celui d'un médecin légiste souvent sollicité à propos de questions portant sur le droit des patients, le consentement, mais aussi la responsabilité médicale, qui permettent de se rendre compte de tout ce qui a été mal vécu par les familles et les patients.

Vous nous avez communiqué une proposition de loi de circonstance, qui n'aurait pas vu le jour sans la crise sanitaire.

Nous sommes tous d'accord sur le fait que les visites constituent un bénéfice pour les patients. Les soignants ont souffert, au début de la crise, de ne pouvoir discuter avec les familles, sauf par téléphone ou visioconférence. Il faut cependant rappeler que si l'on a interdit les visites dans les établissements de santé, c'est avant tout pour protéger les patients, éviter le brassage de la population alors qu'on possédait peu de connaissances sur le virus.

On n'est pas non plus à l'abri de recours de visiteurs qui pourraient venir solliciter les établissements parce qu'ils ont été contaminés à l'occasion d'une visite. La plupart des établissements de santé réclament aujourd'hui un test qui doit être négatif avant toute opération. Les contaminations par le virus durant l'hospitalisation sont considérées comme des infections nosocomiales.

Certains visiteurs contaminés à l'hôpital ne manqueront certainement pas d'engager des procédures. Il faut donc peser le pour et le contre et trouver le bon équilibre. Je pense qu'il faudrait différencier les Ehpad et les établissements pour personnes handicapées, comme le prévoit l'une des propositions de loi. Les lieux de vie pour personnes handicapées constituent leur domicile. Sans doute y a-t-il eu des abus et des restrictions des droits, comme l'a soulevé hier la défenseure des droits dans son rapport, puisqu'on a interdit à des personnes de voir leur famille. Une loi pourrait donc être utile pour instaurer un droit de visite dans ces établissements.

Les propositions de loi proposent de l'étendre aux établissements de santé. Je pense que cela suscitera beaucoup de difficultés. Si on instaure un droit de visite pour les familles dans les établissements de santé, sans aucun garde-fou, il n'y aura aucune raison d'interdire à un enfant de cinq ans de voir son grand-père ou son père en réanimation. En effet, les propositions de loi ne précisent pas si les personnes doivent être majeures ou non.

Instaurer un droit de visite va donc générer du contentieux. Les revendications pourront parfois être difficiles à gérer pour les équipes, alors qu'on sait que les durées moyennes de séjour sont maintenant très courtes. Un droit de visite journalier à l'hôpital ou en clinique pour tous les patients, y compris mineurs, m'interpelle. Certains mineurs sont hospitalisés dans le cas d'anorexie mentale. Dans d'autres cas, un contrat est établi entre les psychiatres et les parents, avec des échéances pour les appels téléphoniques et les visites. Cela peut compliquer la prise en charge pour ces mineurs et pour les établissements publics de santé mentale et ceux où l'on prend en charge des patients pour des soins psychiatriques, pour qui cela entraînerait de grandes difficultés.

D'un point de vue pratique, cela signifie mettre en place des procédures de contention très compliquées. Les familles qui vont vouloir voir un patient vont solliciter les soignants pour savoir si les choses sont justifiées. Cela signifie des pressions sur les médecins. Dans l'une des propositions de loi, c'est le chef de service qui décidera. Le chef de service n'est pas tous les jours dans son service. Il ne faut donc pas que tout repose sur lui. Cela représente également des pressions importantes pour l'ouverture des visites.

L'article 1 de la proposition de loi la plus longue dit qu'« aucune visite ne peut être subordonnée à une information préalable de l'établissement ». Heureusement les gens ne sont pas obligés de formuler une demande, même si cela a été instauré pour la Covid-19. On ne va pas imposer de demander à pouvoir venir visiter une personne hospitalisée. Toutefois, il est dit à l'article 3 que « lorsque le visiteur informe l'établissement d'une visite au moins 24 heures avant l'heure prévue, le directeur dispose de 24 heures pour s'y opposer ».

Un tel délai me paraît très complexe. Sur quel critère le directeur va-t-il s'opposer à une visite ? On va devoir mettre en place tout un tas procédures complexes et sources de réclamations ou de contentieux, ce qui va rendre les choses difficiles.

La plupart du temps, les choses se passent bien. Les visiteurs peuvent venir voir leur famille. Dans certains cas, on aimerait que ce soit davantage le cas, et les soignants sollicitent parfois les visites. Il est donc compliqué de légiférer et de fixer un cadre plus rigide et plus contraignant, alors que le bon sens suffit en règle générale.

Avec ce virus inconnu, on a restreint le droit de visite. Il faut maintenant améliorer les choses, notamment dans les Ehpad et les établissements pour personnes handicapées, mais l'instaurer dans tous les établissements de santé rendrait les choses encore plus compliquées. On est en effet là face à une pathologie particulière.

Debut de section - Permalien
Marc Dupont, directeur d'hôpital, adjoint à la directrice des affaires juridiques de l'AP-HP

Ma fonction, au siège de l'Assistance publique, est de traiter des affaires juridiques et des droits des patients. Toutefois, durant cette période si particulière, chacun est sorti de ses habitudes, et il se trouve que je me suis assez rapidement chargé de la question des visites pour les 39 hôpitaux de l'Assistance publique. La question qui s'est posée brutalement, à laquelle on n'avait jamais vraiment réfléchi, a été celle des visites à l'hôpital.

Tout d'abord, je rejoins ce qui vient d'être dit sur beaucoup de points, notamment par Mme Manaouil.

On parle du droit de visite en général, qui recouvre des situations assez différentes. L'Ehpad n'est pas comparable au service de réanimation. Le service de médecine ordinaire n'est pas un service de pédiatrie. Les situations sont donc un peu différentes, même s'il faut naturellement se préoccuper de la notion de droit de visite qui, aujourd'hui, n'apparaît pas expressément dans les textes.

Il y a là aussi une question de durée : priver de visite durant quelques jours une personne adulte en réanimation est une chose. Priver des personnes de toute visite pendant des semaines et des mois, c'est autre chose. Il est vrai qu'on est dans une situation différente en situation de crise.

Jusqu'à présent, les textes portaient plutôt sur le droit d'être visité. C'est le patient qui décide ce qu'il veut ou ne veut pas. Durant la période récente, on a plus parlé de droit de visite pour les aidants, les familles, qui ont dénoncé le fait de ne pas avoir vu leurs proches, a fortiori en cas de décès.

La question que l'on se pose sur le droit de visite est corrélée au problème des chambres mortuaires et de la présentation du corps des personnes décédées durant cette période.

J'ai commencé à m'occuper de ce sujet après qu'une famille est venue nous dire qu'elle n'avait pu assister à la présentation du corps. On l'a peut-être un peu oublié mais, en mars-avril 2020, Paris était vide, sans circulation, et personne n'osait aller à l'hôpital. À cette époque, la demande de protection des malades était particulièrement importante.

Il faut donc distinguer le sujet qui est le vôtre aujourd'hui, celui du droit de visite en période de crise, de la visite en temps normal.

Le droit de visite n'est pas problématique en temps ordinaire. Il ne nécessite même plus de réglementation. Dans les années 1970, au moment de la période d'humanisation des hôpitaux, un décret avait prévu le droit de visite quotidien.

Les hôpitaux étaient tenus d'avoir deux plages horaires par jour réservées à l'accès des visiteurs. C'est devenu tellement normal que cette réglementation a finalement disparu au début des années 2000. Aujourd'hui, il n'existe plus que des textes qui empêchent la visite de la famille lorsque celle-ci peut perturber le repos des malades ou lorsqu'il existe des problèmes de comportements.

Il fut un temps où les visites ne se faisaient jamais le matin ni tard le soir. Actuellement, en dehors de la présente période, les familles viennent souvent le matin, à midi, durant les repas, pendant les soins, ou tard le soir après le travail, même si les choses peuvent être différentes d'un service à un autre.

C'est peut-être ce qui a rendu les choses plus compliquées lorsque la crise est arrivée, car on n'avait pas tellement réfléchi à tous ces sujets. Dans les premières semaines, on n'y pensait d'ailleurs pas tellement. Il fallait avant tout protéger les malades et les personnels, ce qui a entraîné la suspension immédiate de toutes les visites pour éviter tout cluster dans les services.

J'ai souvenir d'un visiteur qui, dans un grand CHU parisien, a infecté sans le savoir onze personnes dans le service. Cela avait tétanisé toute l'équipe.

Je dois également dire que certaines familles ont été terrorisées par le fait qu'on maintenait le droit de visite dans les hôpitaux. Le père d'un jeune adulte, qui était médecin, nous avait adressé une lettre scandalisée pour se plaindre du fait qu'on acceptait des visites dans l'hôpital où son fils était hospitalisé. On les limitait pourtant beaucoup, à raison d'un visiteur par patient et par jour.

En tant que juriste - je suis praticien du droit à l'hôpital - je suis frappé par le fait que tout le droit de la santé est aujourd'hui fondé sur le patient - droit des malades, droit de la personne - et que le droit des aidants et des accompagnants soit quasiment indigent dans le code de la santé publique.

On a régulièrement des litiges avec les familles au sujet de patients inconscients ou dans le coma. Les proches, le conjoint, les enfants veulent avoir accès au dossier médical. Or tant que le patient est vivant, lui seul peut donner le droit d'y accéder. Même le droit des proches, dans le domaine de la santé, est très peu consistant.

Debut de section - Permalien
Laurent Frémont, secrétaire général du collectif « Tenir ta main »

Permettez-moi de revenir sur les raisons de ma présence ici ce matin, qui permettront, je l'espère, de mieux saisir les réalités de ce que nous connaissons depuis plus d'un an maintenant.

Mon père, Dominique Frémont, avait 70 ans. Il était médecin, en pleine santé, encore en activité. En octobre dernier, il a contracté la Covid-19. Il a été hospitalisé à la clinique Axium d'Aix-en-Provence. D'emblée, l'équipe médicale nous a interdit toute visite dans le service de réanimation, comme dans tout établissement. Les visites étaient interdites pour tout le monde.

Après une semaine, mon père a été désintubé. Il est sorti du coma artificiel, mais il passera les dix jours suivants dans la solitude la plus totale, malgré ses demandes insistantes pour nous voir et notre présence aux portes mêmes du service.

Nous n'aurons été en contact avec le médecin réanimateur que deux fois, une première fois, à notre demande, pour qu'il nous explique de ne pas l'appeler afin de ne pas le déranger, la seconde fois lorsqu'il nous a informés du décès de mon père, le 9 novembre.

Mon père aura passé les dernières semaines de sa vie dans l'isolement le plus total, sans personne pour l'accompagner dans cette solitude contrainte. Le médecin cochera négligemment la case « mise en bière immédiate », nous privant de tout adieu à sa dépouille. Mon père est parti dans une housse en plastique, sans plus de considération.

Ce n'est qu'après d'importantes pressions extérieures que la direction de la clinique Axium finira par concéder à ma mère le droit de pouvoir entrevoir quelques minutes, le visage de mon père dans une pièce réfrigérée, surveillée par deux personnes, mon frère ayant été contraint de rester à la porte.

Ce n'est qu'après avoir obtenu avec difficulté le dossier médical de mon père que nous apprendrons la vérité : mon père n'est pas mort de la Covid-19. Il avait subi trois tests négatifs durant la semaine précédant son décès. Il est mort d'une septicémie, contractée dans le service qui devait le soigner. L'interdiction de visite qui nous a été opposée était donc non seulement illégale mais, de plus, dénuée de fondement sanitaire.

Après plusieurs semaines de sidération et de révolte, j'ai compris que notre cas n'était malheureusement pas isolé et que ce recul inédit de civilisation - je pèse mes mots - était partagé par des milliers de personnes en France.

Voilà pourquoi, après avoir étudié les fondements juridiques de ces interdictions arbitraires de visite, j'ai proposé, dans une tribune publiée par Marianne le 10 février dernier, l'instauration d'un droit opposable aux visites des proches pour les patients hospitalisés.

Avec Stéphanie Bataille, nous avons cofondé le collectif « Tenir ta main », qui a pour but d'alerter sur les dérives éthiques que nous connaissons depuis maintenant plus d'un an. À ce jour, nous avons reçu plus de 8 000 témoignages et nous en recevons tous les jours. Ils sont poignants. Je pourrai vous les communiquer.

Plus de 45 000 personnes ont signé notre pétition demandant un droit de visite. C'est donc désormais un sujet de société, et c'est au nom de ces 8 000 personnes qui ont été victimes de cette situation que je m'exprime aujourd'hui.

Pour en revenir aux considérations juridiques, le droit de visite est un droit du patient, comme cela a été rappelé, patient qui peut d'ailleurs les refuser. Cependant, la police des visites qui est laissée au pouvoir du directeur - c'est l'article R 1112-47 du code de la santé publique - laisse la place à des interdictions, des restrictions qui sont souvent arbitraires et disproportionnées.

Elles sont inégalitaires, puisque le respect de ce droit est très variable selon les établissements et que les inégalités de traitement se multiplient. Elles sont disproportionnées, puisque la balance bénéfice-risque est pour beaucoup défavorable.

Elles sont arbitraires, puisqu'elles sont souvent liées uniquement à la peur de poursuites médico-légales de la part des directions.

Ces limitations sont surtout difficilement attaquables sur le plan juridique en l'absence de possibilités de recours. Ceci laisse les proches dans une situation de désarroi et de détresse. Je ne reviendrai pas sur l'impact considérable pour la société qu'entraînent ces restrictions de visite, non seulement pour les patients eux-mêmes - beaucoup de personnes se laissent dépérir par solitude et par perte de lien -, mais aussi pour les proches, qui sont laissés dans des traumatismes indicibles, avec un sentiment de culpabilité de ne pas avoir fait plus pour chercher à atteindre leurs proches, ainsi que pour la société tout entière. Beaucoup de personnes refusent aujourd'hui de se faire soigner par peur de finir seul.

Cela devient un sujet de santé publique, et j'ajoute que les conséquences sont aussi terribles pour les soignants, notamment ceux qui subissent ces protocoles inhumains et qui sont contraints de les faire appliquer. Beaucoup nous indiquent vouloir quitter cette profession pour ne plus les subir.

Voilà pourquoi il nous paraît indispensable de légiférer, et de légiférer rapidement. Pourquoi légiférer ? Tout d'abord, un texte de loi sur le sujet aurait évidemment une portée symbolique. Inscrire le droit de visite dans le code de la santé publique, alors qu'il n'est aujourd'hui que reconnu dans la charte de la personne hospitalisée, serait une manière de le consacrer comme un droit fondamental. Cela permettrait aussi une norme lisible et intelligible, à l'opposé du flou législatif et réglementaire qui prévaut aujourd'hui.

Évidemment, une loi déclencherait aussi une mécanique réglementaire qui permettrait que ce droit soit bien assuré dans les établissements de santé, sachant que, contrairement aux Ehpad, il n'y a eu aucun texte réglementaire pour les établissements de santé depuis le début de cette pandémie. On nage en plein flou juridique, ce qui permet malheureusement à certaines directions d'établissement d'exercer une forme d'arbitraire.

La loi est surtout l'instrument de recours ultime. Elle donnerait un solide socle juridique aux victimes. J'ai entendu quelqu'un, dans une intervention précédente, exprimer ses craintes concernant de possibles contentieux. Je pense au contraire que la loi est le dernier recours des plus faibles face à l'arbitraire médical. Il faut que les équipes assument leurs responsabilités. Je pense que la loi leur donnerait un socle juridique solide.

Enfin, la norme a des vertus de garde-fous. Elle nécessite évidemment un travail de pédagogie et d'appropriation par les équipes et les usagers, mais ce serait une manière de faire respecter ce droit fondamental qu'est le droit de visite, surtout à l'approche de la mort.

Les témoignages que nous recevons, au-delà de mon cas personnel, montrent bien qu'il s'agit désormais d'un sujet de société. Nous n'avons qu'une seule crainte, c'est que cette situation perdure au-delà de la pandémie. Voilà pourquoi il est important d'agir. Ce n'est pas une loi de circonstance, mais une loi pour faire assurer les principes élémentaires de notre civilisation. Il est aujourd'hui vital d'assurer un lien entre le patient et ses proches, surtout à l'approche de la mort.

Debut de section - Permalien
Pascal Champvert, président de l'association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA)

L'AD-PA compte 2 000 directeurs d'établissements de services à domicile dans toute la France. Dès le début de la crise, nous avons craint un délire hypersécuritaire, raison pour laquelle nous avons saisi le CCNE, qui a d'ailleurs très rapidement rendu un premier avis, au mois d'avril. Nous pensions en effet qu'il fallait trouver le bon équilibre entre sécurité et liberté et sécurité psychique et physique.

En fait - je l'avais dit devant votre commission quand nous étions intervenus au sujet de l'épidémie de Covid-19 -, l'AD-PA estime que la crise est le moment où le passé présente sa note.

Nous évoluons au sein d'une société âgiste. Qu'est-ce que l'âgisme ? C'est une discrimination comme le racisme, le sexisme, l'antisémitisme ou autres. Il est ainsi courant, dans notre société, de dire qu'il ne faudrait pas vieillir. Imagine-t-on quelqu'un dire qu'il ne faudrait pas être noir, qu'il ne faudrait pas être une femme, qu'il ne faudrait pas être homosexuel ? On compare parfois le Sénat à une maison de retraite : c'est tout sauf un compliment ! Vous voyez donc combien cette discrimination par l'âge est marquante.

Toutes les discriminations ont des points communs et je vous invite à penser aux plus discriminés par l'âge que sont les personnes très âgées vivant à domicile ou en établissement.

Le principe des discriminations, c'est tout d'abord d'établir une séparation entre les dominants et les dominés. Les dominants - globalement, les jeunes - sont totalement différents des autres. Les jeunes, ce sont au fond tous ceux qui ne sont pas en maison de retraite, qui sont donc totalement séparés de ces derniers, qui sont perçus comme radicalement différents. Le vocabulaire est d'ailleurs significatif : on dit qu'ils sont « dépendants », dans une société où tout le monde se définit comme indépendant et autonome.

Les dominés sont assignés à un groupe homogène, et leur appartenance au groupe est plus forte que leur individualité. Les dominés sont considérés - c'est essentiel s'agissant des personnes âgées vulnérables - comme ayant des besoins inférieurs aux autres. Les dominés sont dévalorisés par les préjugés des autres.

Dernier élément : derrière toute discrimination, il y a une peur - ou des peurs. Il est clair que, s'agissant de la discrimination par l'âge, il s'agit de la peur de vieillir et de la peur de la mort.

On dit parfois que les établissements abritent des invisibles. Pas du tout ! Je l'ai cru longtemps moi-même et je ne comprenais pas, quand je disais que j'étais directeur d'établissement et de services à domicile, pourquoi tous mes interlocuteurs ne me parlaient que des établissements.

Au fil du temps, j'ai donc dit que j'étais directeur de services à domicile et d'établissement, mais on ne me parlait toujours que des établissements, pour une raison simple : les établissements sont visibles. Ce sont les personnes à domicile qui ne le sont pas.

Au fond, dans une société qui ne veut pas voir le vieux, le vieux valide peut être mythifié. Pensez à Edgar Morin ou à Line Renaud à propos desquels, dans chaque interview, on explique que ce sont des « jeunes », alors que Line Renaud a plus de 80 ans et Edgar Morin 100 ans. Les autres, c'est-à-dire les vieux qui ne vont pas bien, sont assignés à rester à leur domicile, là où on ne les verra pas. Ce sont donc les vieux vivant en établissement que l'on voit, non ceux qui vivent à domicile.

Troisième élément : les établissements - mais aussi les services à domicile - sont des lieux de fortes contradictions. Ce sont des lieux d'hyper-sécurité, mais qui ne disposent pas des moyens qui devraient aller avec. Je ne développerai pas ce sujet, sur lequel je reviendrai en conclusion.

S'agissant de l'hyper-sécurité, nous sommes tous épris de liberté pour ce qui nous concerne et très attachés à la sécurité de gens que nous aimons. Voyez ces gens qui font du ski hors-piste : ils le font pour eux, pour le plaisir de la liberté qu'ils en retirent. La plupart disent qu'ils ne veulent pas que leurs enfants en fassent, car c'est beaucoup trop dangereux. Certains déconseillent même à leur conjoint d'en faire. Liberté pour nous, sécurité pour ceux qu'on aime !

C'est bien toute la logique des structures pour personnes âgées. On dit que les personnes âgées sont abandonnées par les familles : c'est faux. Il y a toujours 5 à 10 % de familles très dysfonctionnelles et parfois de personnes âgées qui ont été dysfonctionnelles quand elles étaient jeunes mais, dans l'immense majorité des cas, les enfants aiment leurs parents. La France n'aime pas ses vieux, la société n'aime pas ses vieux mais chaque Français, globalement, aime ses vieux.

Ce n'est donc pas par manque d'amour que l'on veut la sécurité pour nos parents ou nos grands-parents : c'est précisément par amour. Le problème fondamental vient du fait que cet amour est un amour qui enferme. On est donc dans une sécurité pour l'autre et ce qui est assigné aux établissements pour personnes âgées par la législation, le droit, les lois, les décrets et, encore plus, par les arrêtés et les circulaires, c'est une injonction de sécurité dans des établissements où les gens sont précisément âgés et susceptibles de mourir.

Durant cette crise, certains établissements ont été clairement totalement hors-jeu. Certains, ainsi que des responsables de la profession, disaient au début de la crise : « Nous ferons des établissements des citadelles dans lequel le virus n'entrera pas ! ». C'est ce qui nous a fait réagir. Quand on bâtit une citadelle dans une société, c'est qu'on sort de la démocratie. Cela montre à quel point, dans ce milieu déjà très sécuritaire, la crise a été une occasion d'hyper-sécuriser davantage encore ce qui l'est déjà trop.

En dehors de ces établissements qui se sont clairement placés en dehors de la démocratie, une minorité réelle a été engluée dans la peur. N'oublions pas que cette peur avait aussi un support. Au début de la crise, il n'y avait pas de tests, pas de masques, et Marc Dupont a raconté comment, à l'hôpital, quelqu'un a pu arriver, à son corps défendant, à transmettre le virus à une dizaine de personnes. Cette logique sécuritaire a été décuplée parce qu'elle se développait sur un terreau sécuritaire.

Pour conclure, faut-il légiférer ? Oui, incontestablement, mais nous pensons qu'il ne faut pas légiférer que pour la prochaine crise. Il faut légiférer pour tous les jours. Nous pensons que l'anomalie des établissements pour personnes âgées vient précisément du fait que ce sont des établissements. Songez que, lors de la première crise, les seuls Français à avoir été poursuivis sont des ministres et des directeurs d'établissements pour personnes âgées !

Pendant la crise de la canicule - 15 000 morts ! -, le seul Français qui a été poursuivi par la justice a été un directeur d'établissement pour personnes âgées. Les directeurs sont poursuivis parce que, dans la structure qu'ils dirigent, des gens sont décédés, mais aucun maire, aucun président de département, ni aucun président de région n'est fort heureusement poursuivi parce qu'il y a eu des morts sur le territoire qu'il administre.

En fait, cette logique d'établissements qui rend un directeur, le médecin et ses équipes responsables est un système qui, dès lors qu'il existe un risque juridique très fortement vécu par l'ensemble de la profession, voit se développer, par peur, une volonté de protéger, de faire qu'il n'y ait pas de morts dans un secteur où c'est, au sens philosophique, une aporie, une impasse de l'esprit. Nous ne sommes pas dans des écoles maternelles où les jeunes enfants ont des probabilités très faibles de mourir, mais dans des établissements qui accueillent des personnes très âgées qui ont donc une forte probabilité de mourir prochainement !

Transformons donc les établissements en domiciles regroupés ! C'est ce qu'ont fait les Danois. C'est certainement le pays le plus avancé en matière de protection des personnes âgées. Faisons en sorte qu'en devenant des domiciles, ces établissements, comme l'ont dit certains de mes prédécesseurs, soient de vrais habitats, de vrais lieux de vie, dans le droit commun. Vous verrez que nous ne rencontrerons plus du tout les difficultés que nous avons connues avec les établissements lors de la crise.

Les résidences de services aux seniors et les résidences autonomie représentent environ 5 000 établissements pour personnes âgées. Ce n'est pas rien ! Nous n'en avons absolument pas entendu parler pendant cette crise, parce qu'ils ont un statut d'établissements.

On peut quasiment reprendre la totalité des propositions de la défenseure des droits, dont celle qui dit qu'il faut instaurer un ratio minimum de professionnels dans les établissements, ainsi - mais c'est un autre débat - que dans les services à domicile.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Cela me rappelle le rapport que nous avons réalisé avec Bernard Bonne, dans lequel nous avons cité l'exemple danois qui permet une prise en charge bien différente des personnes âgées dans notre société - mais là n'est pas le sujet. Merci, monsieur Champvert, pour la ferveur de vos propos.

Je voulais également revenir sur ce qu'a dit M. Gzil au sujet de l'éthique. Votre collègue Denis Deniau, de l'espace éthique des Pays de la Loire, parle d'exacerbation de la situation qu'ont connue les Ehpad - et sûrement aussi le secteur hospitalier - lors de la crise du fait du manque de personnel. Nombre de rapports, comme le rapport El Khomri, ont déjà pointé ces manques.

La crise a mis en évidence ce terrain où peut se développer la maltraitance de personnes qui requièrent un accompagnement individuel, des soins de nursing, etc.

Tout ceci est paradoxal. On se souvient tous de l'image de Mauricette, la première Française à avoir été vaccinée en décembre, et de celles et ceux qui ont suivi dans les Ehpad. Pourquoi, face à des protocoles de visite parfois toxiques pour les relations entre la famille et le résident, avoir mené - et bien mener - cette campagne de vaccination - si c'était pour maintenir les restrictions ?

Ma question est un peu caricaturale, mais faut-il une loi pour maintenir le droit de visite ou faut-il donner aux établissements les moyens d'intégrer les visites qui font partie de la vie des hôpitaux et de la charte des Ehpad ?

Je suis plutôt favorable, vous le savez, à une loi sur l'autonomie et le grand âge qui donne les moyens aux structures, à l'hébergement à domicile et aux services qui s'occupent des personnes âgées d'exercer la démocratie sanitaire, qui fait considérablement défaut en France.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Le début de mon intervention va choquer le dernier intervenant. Malgré mon âge, et bien que je sois au Sénat, j'aurai un discours de dominant. Je rejoins ici Mme Meunier : tout ce qui a été fait pendant cette crise a été bien fait, mais cela s'est révélé insuffisant faute de moyens et de personnels, parce que le Parlement et les gouvernements successifs ont voté des Ondam qui n'étaient pas à la hauteur, quels que soient les majorités et les gouvernements en place. Nous sommes donc tous un peu fautifs.

Je rejoins complètement ce qu'a dit le professeur Cécile Manaouil, et je voudrais citer une phrase de Montesquieu que j'aime beaucoup : « Il est quelquefois nécessaire de changer certaines lois, mais le cas est rare et, lorsqu'il arrive, il n'y faut toucher que d'une main tremblante ». Ne changeons pas systématiquement les lois en fonction des circonstances. Vérifions bien que, si on touche à la loi, on y met à côté les moyens nécessaires pour qu'elle puisse être appliquée.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Cohen

Tout comme Michèle Meunier et Alain Milon, je suis très dubitative quant au fait de devoir légiférer ou non. J'attends que cette audition dissipe mes doutes. Notre système de santé connaît un manque de moyens criant, que mon groupe dénonce régulièrement, mais je pense que c'est aussi une question de conception de prise en charge des personnes âgées.

J'ai été très choquée que les personnes vivant en Ehpad aient tout à coup été privées de leurs droits, un peu comme si on les considérait comme des mineurs. Il s'agit de réfléchir à la manière de les protéger en préservant leur liberté. On leur a retiré toute liberté de choix en matière de visites, et on les a totalement isolées.

M. Frémont l'a dit, nous avons tous constaté des syndromes de glissement sur nos territoires, où des personnes se sont laissées mourir. Elles ne sont pas mortes de la Covid-19, mais de tristesse, de solitude, etc. Cela a touché les patients, mais aussi les personnels, qui ont assisté impuissants face à cette situation.

Comment légifère-t-on dans un tel contexte, en préservant une certaine marge de manoeuvre des établissements ? Comment faire régner l'égalité sur l'ensemble du territoire, alors que ce n'est pas le cas aujourd'hui ? Suivant l'établissement et le territoire, les règles et les protocoles sont différents et extrêmement pesants. Comment parvenir à concilier les choses ?

Je me pose également des questions concernant la situation des établissements de santé, où il s'agit d'une autre problématique. Il me semble qu'on a aujourd'hui le droit, en dehors des situations de crise, de signer une décharge pour quitter un établissement hospitalier. Quid cependant des périodes d'épidémie ? Certaines familles, malgré leurs demandes, n'ont pu visiter les malades hospitalisés au titre de la Covid-19, même lorsque ceux-ci étaient capables de signer des décharges.

Je pense que cette audition peut apporter des réponses. Il s'agit surtout toutefois de maintenir la liberté des patients. Comme l'a dit la défenseure des droits, cette situation a donné lieu à des abus terrifiants.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Il faut trouver une solution à la situation qu'ont connue nombre de familles qui n'ont pu adresser un dernier adieu à leur proche décédé. C'est totalement inhumain, alors que cela aurait été possible sans prendre de risques démesurés.

Ce sont des situations assez larges que l'on évoque ce matin, qui vont de la restriction des visites jusqu'au cas de personnes qui ont été verbalisées parce qu'elles étaient à la fenêtre de l'Ehpad pour parler à leur conjoint. Le point des derniers instants demeure cependant très particulier, et il faut à mon sens trouver une solution. Passera-t-elle par la loi ou par autre chose ? Nos débats le diront.

Debut de section - PermalienPhoto de Jocelyne Guidez

Madame Manaouil, vous avez évoqué les établissements accueillant des personnes handicapées. Je pense que ces centres ont également connu des abus, certainement par manque de personnels. J'ai eu vent de protocoles trop pesants, aussi bien pour les aidants que pour les personnes qui y étaient accueillies.

Ne croyez-vous pas qu'un directeur pour trois établissements soit insuffisant ?

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Jomier

Je remercie M. Frémont pour son témoignage très émouvant et de sa description d'une situation révoltante. Comme Catherine Deroche, je pense que cela revient à abolir le principe d'humanité. Je ne sais si une loi peut l'empêcher, mais il existe des institutions pour réguler les professions de santé et établir des limites. Je ne sais si vous avez saisi l'ordre des médecins. On aimerait que celui-ci fasse respecter ce principe d'humanité, notamment inscrit dans le code de déontologie médical.

Par ailleurs, je ferai une différence entre les hôpitaux, lieux de soins, et les Ehpad, qui sont des lieux de vie. Dans les hôpitaux, le problème se pose-t-il avec la même acuité, au-delà des dérives que M. Frémont nous a rapportées ? Celles-ci demeurent-elles limitées ou y a-t-il un sujet d'ordre général qu'il convient de régler par la loi ?

C'est une question à laquelle je n'ai pas de réponse. J'ai constaté par moi-même que beaucoup de soignants n'appliquaient pas ces protocoles pour des raisons d'humanité et ont permis aux gens de venir voir leurs proches. C'est un comportement qu'on a heureusement retrouvé dans les établissements de soins.

Par ailleurs, les dispositifs limitatifs des libertés étaient compréhensibles en début de crise. Il s'agissait alors de sauver des vies - même si ce n'est plus aujourd'hui la mode dans la gestion de l'épidémie. À quel moment a-t-on basculé ? Il n'existe plus vraiment de légitimité à cette restriction des libertés qui, néanmoins, continue. Pourquoi s'y habitue-t-on ? Cela fait écho aux propos de M. Champvert sur l'arbitrage que l'on connaît bien entre la sécurité et la liberté. Peut-être finit-on par s'habituer, à force de rechercher le risque zéro, à une telle restriction.

Enfin, le modèle de prise en charge de nos personnes âgées que l'on concentre dans certains lieux n'est-il pas contre-productif ? On a tous assisté, au cours des dix dernières années, à un accroissement des concentrations. Tous les élus locaux connaissent cela. On augmente le nombre de places pour des questions de rentabilité, et on donne dans le même temps un tour de vis aux frais de personnel. On sait que 11 % seulement des Ehpad ont une infirmière de nuit. Parler de soins palliatifs devient donc une plaisanterie.

Quel est votre avis ? Ne doit-on pas revisiter ce modèle ? Ceci va pour le coup tous nous interroger...

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Jacquemet

Je remercie les intervenants qui ont mis des paroles sur des situations et confirmé ce que nous entendons tous sur le terrain. Nous les avons écoutés avec une certaine émotion.

Merci également pour vos analyses et vos propositions. Même si nous doutons tous de ce qu'il faut faire, nous avons envie de trouver des solutions.

Par ailleurs, pourquoi pénalise-t-on l'accès des proches aux malades en période de crise sanitaire, notamment lorsqu'ils sont vaccinés, alors qu'on n'oblige toujours pas les soignants à se faire vacciner ? Il y a là quelque chose d'illogique.

Par ailleurs, une résidente d'un Ehpad, âgée de 94 ans et qui était vaccinée, devant rejoindre ses enfants, vaccinés eux aussi, pour le week-end de Pâques, s'est vue imposer à son retour un isolement complet de huit jours. Cela me semble tout aussi illogique. Ce sont des situations qu'il conviendrait de prendre en compte si l'on propose une modification des règlements. À quoi bon vacciner si cela ne permet pas un peu plus de liberté ?

Debut de section - Permalien
Cécile Manaouil, chef du service de médecine légale et sociale du CHU d'Amiens

Bien que ce ne soit pas l'objet des propositions de loi, plus il y aura de personnels et mieux ce sera. Faut-il une loi ou non ? On sait que le fait d'instaurer des droits dans la loi ne suffit pas sans moyens ni sanctions.

On peut faire un parallèle avec l'accès au dossier du patient. Depuis la loi du 4 mars 2002, tous les patients ont accès à leur dossier médical. Il n'empêche que ce n'est pas si simple. Presque vingt ans après la loi Kouchner, il existe encore des difficultés dans certains établissements. Si on instaure demain un droit de visite hebdomadaire dans la loi, ce ne sera pas toujours facile. Il faut aussi de la souplesse.

L'inscrire dans la loi pour les établissements de santé fait aussi courir le risque de procédures pesantes. Heureusement, certains médecins ont accepté des visites. Aujourd'hui, il y a un peu plus de souplesse dans les services. Les visites sont encore très restreintes, mais elles sont notamment autorisées en cancérologie, en soins palliatifs et dans les derniers jours de vie - et c'est tant mieux !

On a évoqué l'ordre des médecins. Je vois passer beaucoup de procédures contre les médecins. Je ne suis pas sûre que des recours devant le Conseil de l'ordre, si l'on instaure le droit de visite dans la loi et dans la déontologie médicale, résoudront grand-chose. Le médecin hospitalier qui aura refusé la visite se retranchera derrière le protocole établi par le directeur d'établissement. Ce dernier se réfugiera derrière des consignes de sécurité. Comme toujours, c'est un équilibre entre sécurité et liberté.

Le terme de décharge a été employé. Il s'agit de sorties contre avis médical, qui sont toujours possibles. On peut sortir de l'hôpital à tout moment, sauf lorsqu'on est hospitalisé sous contrainte en psychiatrie - article L. 3131-1 du code de la santé publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Quel est votre avis concernant l'obligation vaccinale des soignants ?

Debut de section - Permalien
Cécile Manaouil, chef du service de médecine légale et sociale du CHU d'Amiens

J'y suis favorable. Cela me choque énormément que, dans les Ehpad, le taux de vaccination soit plus élevé chez les résidents que chez les soignants. Les aides-soignantes sont moins vaccinées que les infirmières, et les infirmières le sont moins que les médecins. C'est toujours compliqué : pour la grippe saisonnière, cela avait été introduit dans la loi, puis suspendu. Pourquoi ?

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Monsieur Frémont, de quel type de témoignages disposez-vous ? En quoi la loi vous apparaît-elle importante par rapport à ce que vous avez pu vivre ?

Debut de section - Permalien
Laurent Frémont, secrétaire général du collectif « Tenir ta main »

J'ai reçu hier soir le témoignage suivant : « Mon père est hospitalisé au CHU de Poitiers pour un cancer de l'oesophage. À ce jour, seule ma mère va voir mon père un jour sur deux. Nous, les enfants, n'avons aucun droit de visite. Je ne sais pas quoi faire pour avoir ce droit de visite. Mon souhait le plus cher était d'accompagner mon père dans les derniers moments de sa vie. Je suis en colère et scandalisé ». On reçoit des dizaines de témoignages identiques tous les jours.

Ce cas n'est peut-être pas représentatif, mais on a vraiment l'impression que les personnes sont totalement désemparées. Le droit reste vague et il n'y a jamais eu de recommandations sur le sujet. C'est pourquoi il me semble utile de rappeler le principe et de sortir de ce flou juridique.

On a parlé des vaccins pour les Ehpad, mais il existe des tests dans les établissements de santé. Dans mon cas, on était en novembre. Nous-mêmes avions été testés négatifs. Mon père aussi. Qu'est ce qui justifiait l'interdiction de visites ?

Les témoignages que nous recevons sont très divers. Ils recouvrent des situations variées, mais ce qui ressort avant tout, c'est le fait que les gens sont dévastés. Plus d'un an après, une dame qui n'a pas pu voir son père avant sa mort écrit : « Je cherche papa dans toutes les silhouettes d'homme que je croise. On ne sait jamais : s'il n'était pas mort, s'ils s'étaient trompés. Comment être sûre ? On ne l'a pas vu. Il aurait été mis dans une housse sans être habillé. Personne de l'hôpital ne nous a jamais appelés. Il est mort, et voilà, c'est tout. Notre boulot s'arrête là. Où est l'humanité ? ».

Le traumatisme pour la société est considérable. J'entends tout à fait vos débats. Madame parlait des contentieux contre les soignants : non ! Le pouvoir de police reste aux mains des directeurs d'établissements. Ce serait donc des contentieux à l'encontre des directions. Ce pouvoir est aujourd'hui arbitraire. Je comprends tout à fait que, pour des motifs d'ordre public ou des motifs sanitaires, on puisse restreindre les visites dans des contextes particuliers, mais il faut encadrer ce pouvoir de restriction et le clarifier pour sortir de l'arbitraire de ces situations disproportionnées et inégalitaires.

Pour ce qui est du dialogue avec l'ordre des médecins, nous sommes en contact avec les fédérations. C'est évidemment avant tout une question de moyens humains et matériels et de protocoles. Nous en proposons d'ailleurs et nous travaillons avec des soignants. Avant tout, je pense qu'il faut réaffirmer le principe et l'inscrire comme un droit fondamental pour les patients.

Debut de section - Permalien
Fabrice Gzil, Inserm / Université Paris Saclay, membre du Comité consultatif national d'éthique

Comme le disait Mme Meunier, la crise a accentué des difficultés déjà présentes. Beaucoup de répondants nous l'ont dit : on peut difficilement accompagner dignement et humainement sans un nombre suffisant de personnels formés, compétents, etc. Si on occulte la question des moyens, on culpabilise les professionnels, et c'est doublement injuste.

Je suis d'accord pour reconnaître que des situations abusives perdurent, alors que beaucoup de personnes sont vaccinées. En même temps, ce qui nous frappe, ce sont des différences extrêmement importantes. Je ne voudrais pas que l'on ressorte de cette audition avec le sentiment que les Ehpad connaissent une situation qui n'est pas la même que celle des hôpitaux.

Je suis actuellement en immersion dans un service de réanimation où les visites des familles ont été maintenues alors que, dans la quasi-totalité de l'hôpital, elles ne sont pas possibles parce qu'il faut du personnel pour les accueillir et que l'équipe considère que c'est extrêmement important. Comment arriver à mettre en rapport des gens qui font différemment pour montrer à ceux qui pensent que c'est impossible qu'ils pourraient le faire ?

Les résidents des Ehpad sont en effet parfois considérés comme des mineurs, voire pire. Je partage votre sentiment, mais ce n'est pas le cas partout. Je pense qu'il existe des endroits - nous en avons beaucoup d'exemples - où les résidents et les familles sont informés en amont, consultés, associés aux décisions, y compris pendant la crise, et aux modalités de la vaccination et du déconfinement.

Cela relève-t-il ou non de la loi ? Trois points me tiennent à coeur : la reconnaissance des droits des proches au sens très large, y compris dans les relations avec les équipes. C'est quelque chose que le Parlement a déjà accentué mais on peut progresser.

Le deuxième point concerne les possibilités de recours. Beaucoup de gens comme Laurent Frémont se tournent vers nous lorsqu'ils sont confrontés à une situation ubuesque ou kafkaïenne. Il existe théoriquement des recours mais, dans la pratique, ils sont très difficiles à mettre en oeuvre de manière rapide et efficace pour faire évoluer les situations. Vers quel tiers se tourner pour débloquer les situations, sans aller nécessairement jusqu'au conflit et à la mise en cause juridique ?

Enfin, je pense qu'il faut des repères - et votre assemblée en donne. C'est probablement sa mission, et je suis gêné par le fait qu'on continue d'opposer sécurité et liberté. Nous sommes dans un pays où la sécurité est au service de la liberté. Plutôt que de se demander en permanence où placer le curseur, ce qui est une manière d'opposer les deux, il faut déterminer la philosophie dans laquelle on se place. Beaucoup de directeurs d'Ehpad ou de résidences de services et de résidences autonomie nous l'ont demandé.

Si on met toutes les valeurs sur le même plan, ils doivent arbitrer en permanence et n'y parviennent pas. Réaffirmer fortement que la protection de la sécurité et la protection des personnes sont au service des libertés constituerait un message très fort qui remettrait de la clarté dans les normes et les valeurs.

Debut de section - Permalien
Marc Dupont, directeur d'hôpital, adjoint à la directrice des affaires juridiques de l'AP-HP

J'insiste sur le fait qu'une loi sur le droit de visite répondrait essentiellement à la question en période de crise, car je pense que les choses se passent de façon satisfaisante en temps normal.

Mme Manaouil a parlé de l'équilibre entre sécurité et liberté. Je pense que cette notion est effectivement importante.

Ma mère est très âgée et vit dans un établissement. Pendant toute la période de la crise, j'étais partagé entre l'envie de la voir, qu'elle éprouvait elle aussi, et la grande crainte d'être coupable le reste de ma vie si je l'avais contaminée.

Ce n'est pas simple, dans cette période, de trouver cet équilibre et chacun, dans sa propre expérience, peut être en difficulté au-delà de ce que peut rencontrer l'établissement pour gérer ce type de situation.

Le droit de visite se rapporte selon moi à un droit plus général qui relève de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui traite du droit à avoir des relations sociales. La question que l'Assistance publique a dû traiter portait sur la visite des proches, mais aussi des bénévoles pour les gens n'ayant plus de famille.

Enfin, s'il existe un droit fondamental, c'est bien celui de voir une personne dans ses derniers instants. C'est un point qui s'est révélé important dès le début, que le CCNE a eu aussi à traiter. Certes, il y a eu des protocoles, des textes, mais le droit de visite est surtout géré par les équipes médicales, les responsables médicaux, les cadres. Beaucoup de situations individuelles ont été prises en compte au cas par cas pour trouver des solutions.

Debut de section - Permalien
Pascal Champvert, président de l'association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA)

Certainement pas pour nous ! Nous nous retrouvons dans beaucoup des propositions de Mme Meunier et de M. Bonne, notamment au sujet du manque de moyens, ce qui rejoint les questions de M. Milon et de Mmes Cohen et Guidez. La diminution du nombre de directeurs et le regroupement d'établissements a constitué un des éléments de réponse à ce manque de moyens.

Concernant le fait de légiférer, la question n'est pas tellement d'intégrer des lois nouvelles dans l'établissement, mais d'intégrer les établissements dans les lois communes. De ce point de vue, ce n'est pas très loin de la philosophie qu'évoquait M. Milon. Il ne s'agit pas de légiférer pour légiférer, mais de dire simplement que les établissements pour personnes âgées sont des exceptions au droit commun. Peut-être pourrait-on dire la même chose des établissements pour personnes handicapées, mais ce n'est absolument pas un sujet que je connais et je ne me permettrai donc pas d'en parler.

J'avais également en tête l'exemple danois cité par Mme Meunier et M. Bonne. Mme Cohen a raison : les résidents des Ehpad sont souvent considérés comme des mineurs, mais c'est le fait de la société et des textes. Fabrice Gzil a lui aussi parfaitement raison de dire que ce n'est pas le cas partout. À l'AD-PA, nous militons pour que nos adhérents et les autres directeurs agissent pour que la parole des personnes soit complètement reconnue. Il faut parfois agir contre la société. Quand on est jeune directeur, qu'on a des difficultés dans son établissement, que l'équipe est fragile et que certains médecins ou certaines équipes sont très portés sur la sécurité, on ne peut rien y faire.

M. Jomier et Mme Jacquemet l'ont dit : il n'existe aujourd'hui plus aucune raison pour qu'on continue à connaître des restrictions aux visites dans les établissements pour personnes âgées, puisque ces structures sont, pour une fois, plus en avance que le reste de la société et que c'est là où se trouvent presque tous les gens vaccinés.

Bien entendu, nous demandons à la ministre de réformer en profondeur le protocole du mois de mars qui a été improprement appelé « protocole de déconfinement », car il comporte encore beaucoup d'éléments qui vont dans le sens des restrictions. Mis à part dans les établissements où il existe des foyers épidémiques, il faut le supprimer.

Enfin, nous sommes totalement opposés à l'obligation vaccinale. Nous pensons qu'il faut faire de la pédagogie. Moins on est formé, moins on est vacciné et plus il y a de réticences au vaccin - tous les sociologues le disent. Cela traduit souvent une méfiance par rapport aux pouvoirs publics et à l'autorité en général.

Si on oblige les gens à se faire vacciner, on va raviver tous les discours complotistes, qui sont évidemment moins prégnants chez les directeurs, les médecins et les infirmières que chez les professionnels peu formés. Nous croyons qu'il faut essayer de convaincre.

Le taux de vaccination dans les établissements pour personnes âgées, par exemple, a considérablement augmenté. Au début de la campagne, il était d'à peine 20 %. Aujourd'hui, on est à plus de 50 % voire, dans certains établissements, à près de 70 %. Rendre la vaccination obligatoire irait à l'encontre de l'objectif recherché.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre Richer

Notre commission, tout au long de la crise, notamment aux mois de mars et d'avril, a auditionné beaucoup de médecins, d'experts, notamment les fédérations d'aide à domicile ou autres. Cette notion de glissement au niveau des Ehpad était déjà pointée du doigt en mai. On nous expliquait qu'il valait mieux avoir des relations sociales, ce qui paraît évident. Souvent, les personnes se laissaient aller. On restait cantonné à la nutrition et au matériel, en oubliant l'humain.

Il est atterrant de constater, un an après, qu'on est encore en train de se poser des questions sur ce risque. Beaucoup de familles s'interrogent sur le fait qu'on a classé le décès de certains patients comme résultant de la Covid-19 alors que, pour beaucoup, il s'agissait d'un glissement. Il faut également s'interroger sur les décès dans les Ehpad : ceux qui ont été enregistrés relèvent-ils ou non de la Covid-19 ? La question, me semble-t-il, doit être posée.

Par ailleurs, parmi tous les acteurs qui interviennent aujourd'hui dans le domaine de la perte d'autonomie, il ne faut pas oublier les résidences autonomie. Les associations sont aujourd'hui en plein désarroi parce que les familles ne veulent plus y mettre leurs parents. Les portes entre l'Ehpad et l'aide à domicile risquent donc de se fermer.

Il faut cependant faire ressortir le positif. Certains directeurs d'Ehpad et présidents de conseil d'administration ont pris des distances avec les protocoles pour le plus grand bien des familles, mais aussi des intervenants et des associations.

On a vu des familles qui se substituaient au personnel défaillant à qui on a interdit d'entrer. Cela a aussi été très difficile. Il faut donc s'interroger sur ces protocoles très restrictifs et faire appel au bon sens. Nous sommes tous à la fois parents et enfants. Remettre un peu de bon sens dans tout cela ne serait pas complètement absurde.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Chasseing

M. Frémont a perdu son père dans des conditions très douloureuses. Je suis d'accord avec ce qu'ont dit à ce sujet Bernard Jomier et Mme la présidente : ce n'est peut-être pas en changeant la loi qu'on modifiera les choses. C'est un problème d'humanité.

Par ailleurs, les Ehpad ne comptent pas assez de personnels. C'est vrai depuis très longtemps. Je me souviens des attentes déçues à l'égard de la loi sur l'adaptation de la société au vieillissement de 2016, sur les besoins en personnel.

En ce qui me concerne, je justifie les restrictions en Ehpad. Dans beaucoup d'endroits que je connais, les familles ont été associées à la prise de décision par les directeurs. Beaucoup de résidents sont aujourd'hui vaccinés, mais il y a un an, c'était une véritable angoisse lorsqu'une personne âgée ou un personnel contractait la Covid-19. Il faut s'en rappeler.

Je donnerai un simple exemple : une dame est revenue de l'hôpital dans un Ehpad de mon secteur dans un lieu où l'on compte des démences séniles. Tout le monde a été contaminé ! Notre angoisse était que le personnel ne transmette le virus dans les étages et que toute la maison de retraite soit contaminée.

Bien sûr, la liberté du patient existe, mais il faut aussi tenir compte du fait que certains ne souhaitent pas contracter la Covid-19. Dans la très grande majorité des cas, cela a été fait non pour préserver le directeur, mais pour préserver les pensionnaires. Ceci a été rendu possible grâce au travail du personnel pour empêcher le glissement.

Je justifie donc l'isolement qui a eu lieu l'année dernière afin de ne pas contaminer la totalité des pensionnaires.

Enfin, je rappelle que la vaccination ne supprime pas totalement la contagion, même s'il y a moins de charge virale au niveau du nez. Les personnes vaccinées qui vont à l'extérieur doivent donc, selon moi, rester quelques jours isolées.

Debut de section - PermalienPhoto de Cathy Apourceau-Poly

Je ne reviens pas sur le fait - Laurence Cohen l'a fort bien dit avec d'autres collègues - qu'il existe un manque criant de personnel dans les Ehpad et dans les hôpitaux, ce qui explique que les choses se soient mal déroulées.

Je pense aussi que l'action de l'État a été peu visible, ce qui a brouillé les pistes. Je l'ai vécu dans le Pas-de-Calais, qui a été durement frappé : on a connu des situations totalement opposées d'une ville à l'autre voire, dans la même ville, d'un Ehpad à un autre ou d'un hôpital à un autre.

Chacun faisait comme il pouvait et cela a créé beaucoup de confusion. C'est le cas lorsqu'il n'existe pas de directives nationales. Je rappelle que les personnels ont parfois été agressés par les familles qui voulaient voir leurs proches. Il est légitime de vouloir voir les siens, mais le personnel a beaucoup souffert cette situation.

J'ai été interpellée, comme plusieurs de mes collègues, par des familles qui étaient dans une détresse totale face à des personnes qui sont mortes seules et, en particulier, par des familles musulmanes au sujet de la toilette des personnes décédées, parfois le père et la mère en même temps. Les enfants n'ont pu procéder à cette toilette, qui est très importante.

D'autres familles ont perdu des enfants en situation de handicap à l'hôpital, sans avoir pu les assister dans leurs derniers moments. Le manque de visibilité gouvernementale ne nous a pas facilité la tâche.

Faut-il légiférer ou non ? J'ai étudié la proposition du président Retailleau sur le droit de visite à l'hôpital et dans les établissements pour personnes âgées et handicapées. En cet instant, la décision de mon groupe n'est toujours pas prise. Nous aimerions dire qu'il faut légiférer, mais est-ce la solution ? Ce n'est pas pour autant qu'on manque d'humanité. Les restrictions au droit à la vie privée sont contraires à la loi. Faut-il les encadrer avec un droit de visite ou les interdire ? C'est une de mes questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Mouiller

On se pose beaucoup de questions sur le fait de savoir si l'on doit ou non légiférer sur le droit de visite. Nos intervenants ont des points de vue qui diffèrent, même s'ils sont d'accord sur le constat.

Je souhaiterais insister à nouveau sur cette question fondamentale : en cas de texte encadrant le droit de visite, notamment dans les Ehpad, quid de la responsabilité du directeur d'établissement vis-à-vis de la vie des résidents ?

Inversement, dans l'hypothèse où il n'existe pas de texte de loi, comment mieux contrôler l'opportunité et la proportionnalité des décisions d'encadrement qui sont prises par les directeurs d'établissements ? Cela peut soulever un questionnement sur la notion de certification des établissements.

À plus long terme, cette crise a entraîné des changements de comportement dans la façon de prendre en charge les patients ou les résidents et la façon d'accueillir les familles. À l'avenir, ne faut-il pas repenser les aménagements, les plans des établissements pour permettre de mieux gérer ce type de difficultés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Imbert

Je remercie le professeur Manaouil d'avoir fait la distinction entre les Ehpad, les établissements accueillant les personnes âgées et les établissements de santé.

Je partage les propos du président Milon concernant les moyens et vos propos, madame la présidente, concernant ce grave défaut d'humanité, notamment lorsque les patients sont décédés, qui a conduit nos collègues à réfléchir à une proposition de loi.

Dans les établissements de santé, les visites sont aujourd'hui encore très restreintes, mais est-il normal que, dans un même service, les autorisations de visite, sans parler des patients atteints de la Covid-19, soient dépendantes de la décision du médecin présent ? Un même service, quatre médecins et quatre décisions différentes pour un même patient qui est stable, pour les familles, c'est incompréhensible. Leur droit de visite est lié à la décision du médecin présent le jour même. J'aurais voulu avoir votre avis sur ce sujet.

Par ailleurs, une loi qui instaurait un droit de visite résisterait-elle, dans le cas d'une pandémie majeure telle qu'on la connaît, à une autre loi d'urgence sanitaire et à des protocoles venant de la direction générale de la santé ?

Enfin, faudrait-il, dans une telle loi, redéfinir la compétence du directeur d'établissement en matière d'organisation des visites ?

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Burgoa

J'aimerais revenir quelques instants sur la réflexion à propos de l'obligation de vaccination du personnel médical. Le citoyen que je suis est bien sûr favorable à la vaccination, mais le législateur est défavorable au fait d'imposer à nos concitoyens l'obligation de se faire vacciner. Chacun est libre de faire ce qu'il veut et, si l'on imposait au personnel médical de se faire vacciner, cette décision, qu'elle soit législative ou qu'il s'agisse d'un décret, ne tiendrait pas une seconde en cas de recours devant le Conseil constitutionnel ou le tribunal administratif au nom du principe de d'égalité.

Je souhaiterais revenir enfin sur les propos de M. Frémont. J'ai trouvé son témoignage émouvant, et je veux saluer son courage. En principe, le législateur n'aime pas trop légiférer sous le coup de l'émotion, mais - et je crois que je serai rejoint par beaucoup - la proposition du président Retailleau consiste à envoyer un message politique aux familles qui ont été touchées. Ce sera l'honneur du Sénat d'aller dans ce sens.

Debut de section - Permalien
Pascal Champvert, président de l'association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA)

Faut-il légiférer ou non ? Je l'ai dit, selon nous, d'une façon globale, il faut légiférer pour casser le statut des Ehpad.

Je ne me prononcerai pas s'agissant de la question précise des visites mais, en tout état de cause, si vous décidiez de suivre la proposition du président Retailleau, il faudrait s'appuyer sur l'avis des personnes âgées et des familles, du Conseil de la vie sociale et prendre du temps pour écouter l'avis des résidents. Cela me paraît fondamental.

Debut de section - Permalien
Cécile Manaouil, chef du service de médecine légale et sociale du CHU d'Amiens

L'obligation vaccinale des soignants existe déjà. Elle figure dans le code de la santé publique.

Pour ce qui est de la toilette rituelle, c'est une question de pouvoir réglementaire. La toilette mortuaire, en cas de mort due à la Covid-19, est réalisée par les professionnels de santé et les thanatologues, mais la toilette rituelle est aujourd'hui interdite par décret.

Au début, tout le monde était paralysé par la peur. Dans certains cas, on ne fermait pas les yeux des morts - ce qui est très choquant - au prétexte qu'on ne pouvait plus toucher le corps une fois le patient décédé.

Cette épidémie a entraîné des situations particulièrement difficiles. On s'est demandé pourquoi on pouvait faire la toilette de quelqu'un qui était hospitalisé et pourquoi on ne le pouvait plus lorsqu'il était mort.

Les différents avis des médecins, qui peuvent diverger, sont effectivement problématiques - et cela ne l'est pas uniquement en matière de droit de visite. Parfois, le médecin à qui vous demandez des informations vous dit que le pronostic vital est engagé à très court terme. Le lendemain, un autre médecin vous dit que tout va bien se passer. Je le vois très régulièrement en expertise : certaines familles disent qu'on leur a donné des informations très contradictoires d'un jour sur l'autre.

Il faut que les médecins se parlent davantage, communiquent entre eux pour savoir quelles informations dispenser aux familles. C'est vrai pour le droit de visite comme pour tout le reste. Il est très gênant de venir à l'hôpital et de se voir refuser un droit de visite un jour, puis autoriser le lendemain par un autre médecin. Je suis d'accord avec vous. La difficulté, c'est que tout cela ne se règle pas selon moi par la loi mais par l'appréciation au cas par cas, et l'humanité.

Debut de section - Permalien
Marc Dupont, directeur d'hôpital, adjoint à la directrice des affaires juridiques de l'AP-HP

S'agissant de l'interdiction de la toilette mortuaire rituelle, non seulement le décret la prévoit, mais un courrier de la mosquée de Paris du mois de mars 2020 dit que les autorités religieuses n'effectueront plus de toilettes rituelles.

Par ailleurs, c'est en effet le directeur qui prend les décisions concernant le droit de visite ou, du moins, qui fixe la politique de l'établissement. Les décisions sont ensuite prises sur avis médical. En fait, le directeur intervient très peu, sauf en cas de litige ou de conflit. Il est donc important que l'équipe soit soudée et qu'elle prenne des décisions cohérentes. Le fait que ce soit le directeur qui tranche me semble un bon principe, toutefois sur la base d'un avis médical très bien documenté. Les choses étant différentes suivant que l'on est dans une maternité ou dans une unité de soins palliatifs, il est normal que les choses se passent au niveau de l'unité.

Le double niveau permet aussi un recours. On a dit que certains avaient parfois contesté de ne pouvoir former un recours. Le fait que le directeur intervienne en second niveau permet, lorsque l'équipe médicale a pris une décision, de pouvoir reconsidérer la situation.

Debut de section - Permalien
Fabrice Gzil, Inserm / Université Paris Saclay, membre du Comité consultatif national d'éthique

Je voudrais revenir sur la notion de glissement. Il est important qu'on ne considère pas qu'il existe, d'un côté, des personnes porteuses d'une forme de sérieux sanitaire, qui auraient conscience des dangers, qui protégeraient et, de l'autre côté, de dangereux idéalistes libertaires et humanistes. Beaucoup de gériatres nous dont dit durant la crise que le danger de contracter ou de transmettre le virus existait, mais qu'il fallait également tenir compte de tous les risques gériatriques habituels liés à l'interruption des activités, des visites et d'un certain nombre de thérapeutiques - dénutrition, troubles cognitifs, dépression, perte d'autonomie fonctionnelle, sarcopénie. Ceci nécessite des arbitrages entre des préjudices différents. Il est très difficile de le faire lorsqu'on est tétanisé par la peur. Il s'agit de récupérer très vite la capacité de réaliser ces arbitrages.

Je souscris à l'idée que la question de l'accompagnement des mourants et des hommages rendus aux défunts est un sujet spécifique. Le décret sur la mise en bière immédiate a fait couler beaucoup d'encre. On a mis huit mois avant qu'une décision du Conseil d'État ne vienne la critiquer. En début de crise, quand on ne maîtrisait pas les modalités de contamination et qu'on se demandait si le virus était comparable à celui d'Ebola, on a réagi avec vigueur, mais un délai de huit mois pour réagir pose problème, alors qu'on a eu assez vite des éléments montrant qu'il existait des différences majeures selon les pays, y compris pour les différentes toilettes.

La question est de savoir comment éviter l'arbitraire, que ce soit en matière de visite ou pour mettre en place ce type de règle, et comment rester prudent dans l'édiction d'une norme. La mise en bière immédiate a été souvent appliquée de manière très différente, parfois avec une extrême rigueur, alors qu'on a pu constater ailleurs un peu plus de souplesse. La question est pour moi de savoir comment retrouver une capacité de discernement, même en situation très anxiogène.

Debut de section - Permalien
Laurent Frémont, secrétaire général du collectif « Tenir ta main »

Je vous remercie pour votre écoute et vos apports.

On a parlé du droit au respect et à la dignité du patient, qui est bafoué depuis plus d'un an, mais il y a aussi la question du droit à la liberté de conscience et de religion et, avant même les protocoles funéraires, celle de l'accès aux derniers sacrements pour toutes les religions. Certains aumôniers sont restés bloqués aux portes des services et le sont toujours, avec des situations très variables d'un établissement à l'autre. Il existe des malades qui partent sans les derniers sacrements, alors qu'ils les réclament.

Je voudrais vous faire part de mon ressenti et des nombreux témoignages que nous recevons face à l'arbitraire médical. On se retrouve devant une porte fermée, et on n'a aucun texte sur lequel se fonder, aucune recommandation officielle, ni même une circulaire du ministre, qui n'a pas l'air de se décider à agir. Inscrire ce droit dans la loi constituerait une grande aide pour toutes les victimes de ces situations.

On a beaucoup parlé du contexte spécifique à la pandémie, mais on a peur que ce genre de comportements ne s'inscrive à présent dans les habitudes de certaines équipes, sans généraliser. Se débarrasser des familles est parfois très pratique.

Je souligne qu'on connaît de très graves dérives éthiques et anthropologiques depuis maintenant plus d'un an. Le ministre de la santé, le 16 février dernier, a affirmé devant l'Assemblée nationale que les visites devaient être autorisées pour tous et à tout moment de l'hospitalisation, mais rien n'est fait concrètement pour que ce droit de visite soit appliqué.

Ce serait tout à l'honneur du Sénat de reconnaître ce droit fondamental des patients.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Merci.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.