Intervention de Laurent Frémont

Commission des affaires sociales — Réunion du 5 mai 2021 à 9h00
Gestion de la crise sanitaire — Accès des proches aux établissements pendant la crise sanitaire

Laurent Frémont, secrétaire général du collectif « Tenir ta main » :

Permettez-moi de revenir sur les raisons de ma présence ici ce matin, qui permettront, je l'espère, de mieux saisir les réalités de ce que nous connaissons depuis plus d'un an maintenant.

Mon père, Dominique Frémont, avait 70 ans. Il était médecin, en pleine santé, encore en activité. En octobre dernier, il a contracté la Covid-19. Il a été hospitalisé à la clinique Axium d'Aix-en-Provence. D'emblée, l'équipe médicale nous a interdit toute visite dans le service de réanimation, comme dans tout établissement. Les visites étaient interdites pour tout le monde.

Après une semaine, mon père a été désintubé. Il est sorti du coma artificiel, mais il passera les dix jours suivants dans la solitude la plus totale, malgré ses demandes insistantes pour nous voir et notre présence aux portes mêmes du service.

Nous n'aurons été en contact avec le médecin réanimateur que deux fois, une première fois, à notre demande, pour qu'il nous explique de ne pas l'appeler afin de ne pas le déranger, la seconde fois lorsqu'il nous a informés du décès de mon père, le 9 novembre.

Mon père aura passé les dernières semaines de sa vie dans l'isolement le plus total, sans personne pour l'accompagner dans cette solitude contrainte. Le médecin cochera négligemment la case « mise en bière immédiate », nous privant de tout adieu à sa dépouille. Mon père est parti dans une housse en plastique, sans plus de considération.

Ce n'est qu'après d'importantes pressions extérieures que la direction de la clinique Axium finira par concéder à ma mère le droit de pouvoir entrevoir quelques minutes, le visage de mon père dans une pièce réfrigérée, surveillée par deux personnes, mon frère ayant été contraint de rester à la porte.

Ce n'est qu'après avoir obtenu avec difficulté le dossier médical de mon père que nous apprendrons la vérité : mon père n'est pas mort de la Covid-19. Il avait subi trois tests négatifs durant la semaine précédant son décès. Il est mort d'une septicémie, contractée dans le service qui devait le soigner. L'interdiction de visite qui nous a été opposée était donc non seulement illégale mais, de plus, dénuée de fondement sanitaire.

Après plusieurs semaines de sidération et de révolte, j'ai compris que notre cas n'était malheureusement pas isolé et que ce recul inédit de civilisation - je pèse mes mots - était partagé par des milliers de personnes en France.

Voilà pourquoi, après avoir étudié les fondements juridiques de ces interdictions arbitraires de visite, j'ai proposé, dans une tribune publiée par Marianne le 10 février dernier, l'instauration d'un droit opposable aux visites des proches pour les patients hospitalisés.

Avec Stéphanie Bataille, nous avons cofondé le collectif « Tenir ta main », qui a pour but d'alerter sur les dérives éthiques que nous connaissons depuis maintenant plus d'un an. À ce jour, nous avons reçu plus de 8 000 témoignages et nous en recevons tous les jours. Ils sont poignants. Je pourrai vous les communiquer.

Plus de 45 000 personnes ont signé notre pétition demandant un droit de visite. C'est donc désormais un sujet de société, et c'est au nom de ces 8 000 personnes qui ont été victimes de cette situation que je m'exprime aujourd'hui.

Pour en revenir aux considérations juridiques, le droit de visite est un droit du patient, comme cela a été rappelé, patient qui peut d'ailleurs les refuser. Cependant, la police des visites qui est laissée au pouvoir du directeur - c'est l'article R 1112-47 du code de la santé publique - laisse la place à des interdictions, des restrictions qui sont souvent arbitraires et disproportionnées.

Elles sont inégalitaires, puisque le respect de ce droit est très variable selon les établissements et que les inégalités de traitement se multiplient. Elles sont disproportionnées, puisque la balance bénéfice-risque est pour beaucoup défavorable.

Elles sont arbitraires, puisqu'elles sont souvent liées uniquement à la peur de poursuites médico-légales de la part des directions.

Ces limitations sont surtout difficilement attaquables sur le plan juridique en l'absence de possibilités de recours. Ceci laisse les proches dans une situation de désarroi et de détresse. Je ne reviendrai pas sur l'impact considérable pour la société qu'entraînent ces restrictions de visite, non seulement pour les patients eux-mêmes - beaucoup de personnes se laissent dépérir par solitude et par perte de lien -, mais aussi pour les proches, qui sont laissés dans des traumatismes indicibles, avec un sentiment de culpabilité de ne pas avoir fait plus pour chercher à atteindre leurs proches, ainsi que pour la société tout entière. Beaucoup de personnes refusent aujourd'hui de se faire soigner par peur de finir seul.

Cela devient un sujet de santé publique, et j'ajoute que les conséquences sont aussi terribles pour les soignants, notamment ceux qui subissent ces protocoles inhumains et qui sont contraints de les faire appliquer. Beaucoup nous indiquent vouloir quitter cette profession pour ne plus les subir.

Voilà pourquoi il nous paraît indispensable de légiférer, et de légiférer rapidement. Pourquoi légiférer ? Tout d'abord, un texte de loi sur le sujet aurait évidemment une portée symbolique. Inscrire le droit de visite dans le code de la santé publique, alors qu'il n'est aujourd'hui que reconnu dans la charte de la personne hospitalisée, serait une manière de le consacrer comme un droit fondamental. Cela permettrait aussi une norme lisible et intelligible, à l'opposé du flou législatif et réglementaire qui prévaut aujourd'hui.

Évidemment, une loi déclencherait aussi une mécanique réglementaire qui permettrait que ce droit soit bien assuré dans les établissements de santé, sachant que, contrairement aux Ehpad, il n'y a eu aucun texte réglementaire pour les établissements de santé depuis le début de cette pandémie. On nage en plein flou juridique, ce qui permet malheureusement à certaines directions d'établissement d'exercer une forme d'arbitraire.

La loi est surtout l'instrument de recours ultime. Elle donnerait un solide socle juridique aux victimes. J'ai entendu quelqu'un, dans une intervention précédente, exprimer ses craintes concernant de possibles contentieux. Je pense au contraire que la loi est le dernier recours des plus faibles face à l'arbitraire médical. Il faut que les équipes assument leurs responsabilités. Je pense que la loi leur donnerait un socle juridique solide.

Enfin, la norme a des vertus de garde-fous. Elle nécessite évidemment un travail de pédagogie et d'appropriation par les équipes et les usagers, mais ce serait une manière de faire respecter ce droit fondamental qu'est le droit de visite, surtout à l'approche de la mort.

Les témoignages que nous recevons, au-delà de mon cas personnel, montrent bien qu'il s'agit désormais d'un sujet de société. Nous n'avons qu'une seule crainte, c'est que cette situation perdure au-delà de la pandémie. Voilà pourquoi il est important d'agir. Ce n'est pas une loi de circonstance, mais une loi pour faire assurer les principes élémentaires de notre civilisation. Il est aujourd'hui vital d'assurer un lien entre le patient et ses proches, surtout à l'approche de la mort.

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