Intervention de Pascal Champvert

Commission des affaires sociales — Réunion du 5 mai 2021 à 9h00
Gestion de la crise sanitaire — Accès des proches aux établissements pendant la crise sanitaire

Pascal Champvert, président de l'association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA) :

L'AD-PA compte 2 000 directeurs d'établissements de services à domicile dans toute la France. Dès le début de la crise, nous avons craint un délire hypersécuritaire, raison pour laquelle nous avons saisi le CCNE, qui a d'ailleurs très rapidement rendu un premier avis, au mois d'avril. Nous pensions en effet qu'il fallait trouver le bon équilibre entre sécurité et liberté et sécurité psychique et physique.

En fait - je l'avais dit devant votre commission quand nous étions intervenus au sujet de l'épidémie de Covid-19 -, l'AD-PA estime que la crise est le moment où le passé présente sa note.

Nous évoluons au sein d'une société âgiste. Qu'est-ce que l'âgisme ? C'est une discrimination comme le racisme, le sexisme, l'antisémitisme ou autres. Il est ainsi courant, dans notre société, de dire qu'il ne faudrait pas vieillir. Imagine-t-on quelqu'un dire qu'il ne faudrait pas être noir, qu'il ne faudrait pas être une femme, qu'il ne faudrait pas être homosexuel ? On compare parfois le Sénat à une maison de retraite : c'est tout sauf un compliment ! Vous voyez donc combien cette discrimination par l'âge est marquante.

Toutes les discriminations ont des points communs et je vous invite à penser aux plus discriminés par l'âge que sont les personnes très âgées vivant à domicile ou en établissement.

Le principe des discriminations, c'est tout d'abord d'établir une séparation entre les dominants et les dominés. Les dominants - globalement, les jeunes - sont totalement différents des autres. Les jeunes, ce sont au fond tous ceux qui ne sont pas en maison de retraite, qui sont donc totalement séparés de ces derniers, qui sont perçus comme radicalement différents. Le vocabulaire est d'ailleurs significatif : on dit qu'ils sont « dépendants », dans une société où tout le monde se définit comme indépendant et autonome.

Les dominés sont assignés à un groupe homogène, et leur appartenance au groupe est plus forte que leur individualité. Les dominés sont considérés - c'est essentiel s'agissant des personnes âgées vulnérables - comme ayant des besoins inférieurs aux autres. Les dominés sont dévalorisés par les préjugés des autres.

Dernier élément : derrière toute discrimination, il y a une peur - ou des peurs. Il est clair que, s'agissant de la discrimination par l'âge, il s'agit de la peur de vieillir et de la peur de la mort.

On dit parfois que les établissements abritent des invisibles. Pas du tout ! Je l'ai cru longtemps moi-même et je ne comprenais pas, quand je disais que j'étais directeur d'établissement et de services à domicile, pourquoi tous mes interlocuteurs ne me parlaient que des établissements.

Au fil du temps, j'ai donc dit que j'étais directeur de services à domicile et d'établissement, mais on ne me parlait toujours que des établissements, pour une raison simple : les établissements sont visibles. Ce sont les personnes à domicile qui ne le sont pas.

Au fond, dans une société qui ne veut pas voir le vieux, le vieux valide peut être mythifié. Pensez à Edgar Morin ou à Line Renaud à propos desquels, dans chaque interview, on explique que ce sont des « jeunes », alors que Line Renaud a plus de 80 ans et Edgar Morin 100 ans. Les autres, c'est-à-dire les vieux qui ne vont pas bien, sont assignés à rester à leur domicile, là où on ne les verra pas. Ce sont donc les vieux vivant en établissement que l'on voit, non ceux qui vivent à domicile.

Troisième élément : les établissements - mais aussi les services à domicile - sont des lieux de fortes contradictions. Ce sont des lieux d'hyper-sécurité, mais qui ne disposent pas des moyens qui devraient aller avec. Je ne développerai pas ce sujet, sur lequel je reviendrai en conclusion.

S'agissant de l'hyper-sécurité, nous sommes tous épris de liberté pour ce qui nous concerne et très attachés à la sécurité de gens que nous aimons. Voyez ces gens qui font du ski hors-piste : ils le font pour eux, pour le plaisir de la liberté qu'ils en retirent. La plupart disent qu'ils ne veulent pas que leurs enfants en fassent, car c'est beaucoup trop dangereux. Certains déconseillent même à leur conjoint d'en faire. Liberté pour nous, sécurité pour ceux qu'on aime !

C'est bien toute la logique des structures pour personnes âgées. On dit que les personnes âgées sont abandonnées par les familles : c'est faux. Il y a toujours 5 à 10 % de familles très dysfonctionnelles et parfois de personnes âgées qui ont été dysfonctionnelles quand elles étaient jeunes mais, dans l'immense majorité des cas, les enfants aiment leurs parents. La France n'aime pas ses vieux, la société n'aime pas ses vieux mais chaque Français, globalement, aime ses vieux.

Ce n'est donc pas par manque d'amour que l'on veut la sécurité pour nos parents ou nos grands-parents : c'est précisément par amour. Le problème fondamental vient du fait que cet amour est un amour qui enferme. On est donc dans une sécurité pour l'autre et ce qui est assigné aux établissements pour personnes âgées par la législation, le droit, les lois, les décrets et, encore plus, par les arrêtés et les circulaires, c'est une injonction de sécurité dans des établissements où les gens sont précisément âgés et susceptibles de mourir.

Durant cette crise, certains établissements ont été clairement totalement hors-jeu. Certains, ainsi que des responsables de la profession, disaient au début de la crise : « Nous ferons des établissements des citadelles dans lequel le virus n'entrera pas ! ». C'est ce qui nous a fait réagir. Quand on bâtit une citadelle dans une société, c'est qu'on sort de la démocratie. Cela montre à quel point, dans ce milieu déjà très sécuritaire, la crise a été une occasion d'hyper-sécuriser davantage encore ce qui l'est déjà trop.

En dehors de ces établissements qui se sont clairement placés en dehors de la démocratie, une minorité réelle a été engluée dans la peur. N'oublions pas que cette peur avait aussi un support. Au début de la crise, il n'y avait pas de tests, pas de masques, et Marc Dupont a raconté comment, à l'hôpital, quelqu'un a pu arriver, à son corps défendant, à transmettre le virus à une dizaine de personnes. Cette logique sécuritaire a été décuplée parce qu'elle se développait sur un terreau sécuritaire.

Pour conclure, faut-il légiférer ? Oui, incontestablement, mais nous pensons qu'il ne faut pas légiférer que pour la prochaine crise. Il faut légiférer pour tous les jours. Nous pensons que l'anomalie des établissements pour personnes âgées vient précisément du fait que ce sont des établissements. Songez que, lors de la première crise, les seuls Français à avoir été poursuivis sont des ministres et des directeurs d'établissements pour personnes âgées !

Pendant la crise de la canicule - 15 000 morts ! -, le seul Français qui a été poursuivi par la justice a été un directeur d'établissement pour personnes âgées. Les directeurs sont poursuivis parce que, dans la structure qu'ils dirigent, des gens sont décédés, mais aucun maire, aucun président de département, ni aucun président de région n'est fort heureusement poursuivi parce qu'il y a eu des morts sur le territoire qu'il administre.

En fait, cette logique d'établissements qui rend un directeur, le médecin et ses équipes responsables est un système qui, dès lors qu'il existe un risque juridique très fortement vécu par l'ensemble de la profession, voit se développer, par peur, une volonté de protéger, de faire qu'il n'y ait pas de morts dans un secteur où c'est, au sens philosophique, une aporie, une impasse de l'esprit. Nous ne sommes pas dans des écoles maternelles où les jeunes enfants ont des probabilités très faibles de mourir, mais dans des établissements qui accueillent des personnes très âgées qui ont donc une forte probabilité de mourir prochainement !

Transformons donc les établissements en domiciles regroupés ! C'est ce qu'ont fait les Danois. C'est certainement le pays le plus avancé en matière de protection des personnes âgées. Faisons en sorte qu'en devenant des domiciles, ces établissements, comme l'ont dit certains de mes prédécesseurs, soient de vrais habitats, de vrais lieux de vie, dans le droit commun. Vous verrez que nous ne rencontrerons plus du tout les difficultés que nous avons connues avec les établissements lors de la crise.

Les résidences de services aux seniors et les résidences autonomie représentent environ 5 000 établissements pour personnes âgées. Ce n'est pas rien ! Nous n'en avons absolument pas entendu parler pendant cette crise, parce qu'ils ont un statut d'établissements.

On peut quasiment reprendre la totalité des propositions de la défenseure des droits, dont celle qui dit qu'il faut instaurer un ratio minimum de professionnels dans les établissements, ainsi - mais c'est un autre débat - que dans les services à domicile.

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