La discussion sur ce projet de loi constitutionnelle a pris une tournure quelque peu inhabituelle.
D'ordinaire, notre démarche de législateur consiste d'abord à nous fixer des objectifs ; ensuite, à déterminer les effets juridiques propres à atteindre ces objectifs ; et, enfin seulement, à trouver la rédaction la plus appropriée pour produire ces effets juridiques.
En l'espèce, le Gouvernement nous propose de suivre la démarche inverse. Ayant fortement élagué les propositions de la Convention citoyenne pour le climat qui relevaient de la loi ordinaire ou du règlement, il veut ici se montrer fidèle à la promesse de les transmettre « sans filtre » en vue de leur adoption. C'est pourquoi il nous soumet un projet de révision constitutionnelle dont la rédaction est presque identique à l'une des recommandations de la Convention. Après la troisième phrase du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution, serait insérée une phrase ainsi rédigée : « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. »
Les effets juridiques de cette rédaction sont très incertains, comme l'ont abondamment confirmé nos auditions.
Par voie de conséquence, la discussion s'est focalisée sur le sens des mots choisis par le Gouvernement et l'interprétation que pourraient en donner les juridictions. Au lieu d'être politique, notre débat est sémantique...
Ce débat est, en outre, passablement embrouillé, le Gouvernement lui-même entretenant la confusion sur la portée juridique du texte qu'il propose par des déclarations soit manifestement erronées, soit contradictoires, soit obscures.
Nous sommes tous attachés à la protection de l'environnement, mais nous ne pouvons pas voter un texte à l'aveugle.
Contrairement à ce que prétend le Gouvernement, le projet de révision ne créerait pas de toutes pièces une obligation d'agir pour la protection de l'environnement incombant aux pouvoirs publics. Le droit constitutionnel en vigueur leur assigne déjà de fortes obligations en la matière. Ainsi, le législateur a l'obligation d'assortir de garanties suffisantes le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré à l'article 1er de la Charte de l'environnement. Par ailleurs, les personnes publiques ont, comme toute autre personne, le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement, prévu à l'article 2 de la Charte. Enfin, les pouvoirs publics ont l'obligation de mettre en oeuvre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement en tant que patrimoine commun des êtres humains, dégagé par le Conseil constitutionnel du préambule de la Charte.
À ce propos, je me dois d'indiquer que le Gouvernement a tort d'affirmer qu'un objectif de valeur constitutionnelle n'emporte aucune obligation.
Comme cela a été fermement établi par la doctrine, à la lumière de la jurisprudence constitutionnelle et administrative, les objectifs de valeur constitutionnelle ont pleine valeur normative : ils ont à la fois une fonction d'obligation, d'interdiction et de permission. Les pouvoirs publics ont notamment l'obligation de « mettre en oeuvre », de « réaliser » ou de « contribuer à la réalisation » de ces objectifs, selon les termes du Conseil constitutionnel.
Il me semble également important d'insister sur le fait que la portée juridique d'une obligation dépend non seulement de son contenu, mais aussi de sa justiciabilité.
La Constitution, je l'ai dit, assigne déjà de fortes obligations aux pouvoirs publics en matière de protection de l'environnement. Toutefois, le législateur n'est pas placé à cet égard dans la même position que les autorités administratives nationales ou locales.
Le contrôle juridictionnel du respect, par le législateur, de ses obligations constitutionnelles est limité. Le Conseil constitutionnel n'exerce son contrôle que lorsqu'il est saisi d'une loi, et la seule sanction qu'il est habilité à prononcer - la déclaration d'inconstitutionnalité - consiste à empêcher une loi d'entrer en vigueur ou à imposer sa sortie de vigueur. En revanche, il ne dispose d'aucun pouvoir d'injonction qui lui permettrait de sanctionner une carence du législateur, et il n'est pas non plus habilité à condamner l'État à réparer les dommages causés par son action ou son inaction.
Ce constat doit néanmoins être relativisé. En effet, d'une part, le Conseil constitutionnel parvient à sanctionner indirectement les carences du législateur en contrôlant que celui-ci a épuisé sa compétence et qu'en modifiant l'état du droit il n'a pas privé de garanties légales des exigences constitutionnelles. D'autre part, l'application d'une loi déclarée inconstitutionnelle par le Conseil engage désormais la responsabilité de l'État devant la juridiction administrative.
Par ailleurs, le juge administratif est pleinement en mesure d'assurer le respect des principes constitutionnels par les autorités administratives.
Ces mises au point étant faites, il nous reste à examiner si, oui ou non, l'obligation assignée aux pouvoirs publics par les nouvelles dispositions proposées va au-delà des obligations qui leur incombent d'ores et déjà.
Le Gouvernement prétend d'abord que son texte faciliterait l'engagement de la responsabilité des personnes publiques, notamment l'État et les collectivités territoriales, en mettant à leur charge une « quasi-obligation de résultat ». Cela résulterait en particulier de l'usage du verbe « garantir ».
Le Gouvernement s'abrite ici derrière l'avis du Conseil d'État. Mais si le Conseil d'État a lui-même employé cette expression, ce n'est pas pour fixer l'interprétation des dispositions proposées, mais, au contraire, pour en souligner le caractère incertain. La notion de « quasi-obligation de résultat » n'a jamais été définie en droit.
En droit civil comme en droit administratif, le mot « garantie » est employé pour désigner des dispositifs juridiques très divers, mais qui visent tous à prémunir contre un risque : ces dispositifs visent à assurer à une ou plusieurs personnes, pour le cas où un événement préjudiciable surviendrait, la réparation du préjudice qui en résulterait, en palliant les insuffisances des règles de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun.
Par exemple, en droit des contrats, « l'obligation de garantie » va au-delà de « l'obligation de résultat », puisque le débiteur ne peut même pas s'exonérer en cas de force majeure.
Du point de vue de la responsabilité des personnes publiques, les dispositions proposées par le Gouvernement se prêtent ainsi à trois interprétations principales.
Selon une première interprétation, l'État et les autres personnes publiques s'obligeraient à réparer tout dommage causé à l'environnement ou à la diversité biologique, quelle qu'en soit la cause. L'institution d'une telle garantie, au sens propre du terme, serait aberrante, les personnes publiques françaises n'ayant tout simplement pas les moyens de l'assumer.
Selon une deuxième interprétation, l'État et les autres personnes publiques s'obligeraient à réparer tout dommage de leur fait ou qu'ils auraient pu empêcher. Cet objectif n'est que partiellement satisfait par le droit en vigueur, puisque les obligations issues de la Charte de l'environnement doivent aujourd'hui être conciliées - j'insiste sur cette notion de conciliation - dans l'action des pouvoirs publics avec les autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général.
Selon une troisième interprétation, l'État et les autres personnes publiques s'obligeraient à réparer tout dommage causé par un manquement à l'obligation de ne rien faire qui porte atteinte à l'environnement et de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher qu'il lui soit porté atteinte, sous réserve des autres exigences constitutionnelles et d'intérêt général. Un tel objectif est, cette fois, pleinement satisfait par le droit en vigueur, sous la seule réserve des limites fixées au contrôle juridictionnel d'éventuelles carences du législateur.
La même incertitude peut être observée en ce qui concerne les effets de la rédaction proposée sur la validité des actes des pouvoirs publics, c'est-à-dire sur le contrôle de constitutionnalité des lois et le contrôle de légalité des actes administratifs.
Les principes constitutionnels relatifs à la protection de l'environnement sont susceptibles d'entrer en conflit avec d'autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général, auquel cas il appartient au législateur et, dans leur domaine de compétence, aux autorités administratives de les concilier, sous le contrôle du juge. L'article 6 de la Charte de l'environnement pose, en outre, un principe spécial de conciliation entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social, conformément à une définition englobante du développement durable.
Quelle serait, à cet égard, l'incidence du projet de loi constitutionnelle ?
Le Gouvernement déclare que l'un des objectifs du texte est de « rehausser la place de la préservation de l'environnement dans notre Constitution », mais il précise par ailleurs que « rehaussement ne signifie pas hiérarchie ». « Le Gouvernement n'entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. » Il ne nous aide pas à y voir clair...
En réalité, il convient de distinguer deux formes de hiérarchie matérielle entre des normes : la priorité d'une norme sur l'autre, au sens où la seconde ne peut recevoir un commencement d'application qu'à condition que la première soit intégralement satisfaite ; la prépondérance d'une norme sur l'autre, au sens où il est donné plus de poids à la première qu'à la seconde dans leur conciliation.
En l'état du droit, il n'existe effectivement aucun ordre de priorité entre les principes de fond posés par la Constitution. En revanche, il serait aventureux d'affirmer qu'aucun de ces principes n'a plus de poids que les autres. La doctrine s'est souvent essayée à dégager une liste de droits, libertés ou autres principes de premier rang, bénéficiant d'une protection renforcée du juge constitutionnel. L'intensité du contrôle de proportionnalité opéré par le Conseil constitutionnel varie, par exemple, selon le principe auquel il est porté atteinte.
Si l'on en croit les déclarations entendues, le projet de révision aurait seulement pour objectif de « donner plus de poids » au principe de préservation de l'environnement par rapport aux autres normes constitutionnelles. Cela résulterait de son inscription à l'article 1er de la Constitution, de l'emploi de « verbes d'action forts » et de l'adoption éventuelle de cette révision constitutionnelle par référendum. Ces différentes considérations sont tout à fait hasardeuses.
En revanche, l'usage du verbe « garantir » peut laisser à penser que les pouvoirs publics se verraient imposer non pas seulement une obligation constitutionnelle plus forte, mais une obligation prioritaire. Lors de son audition, le professeur Bertrand Mathieu s'est plus particulièrement interrogé sur l'articulation des nouvelles dispositions avec l'article 6 de la Charte de l'environnement. Selon lui, le fait que la « conciliation des objectifs environnementaux, sociaux et économiques » ne soit pas mentionnée pourrait éventuellement « conduire le juge constitutionnel à glisser d'une conciliation à une hiérarchisation ».
Nous ne pouvons pas accepter de voter un texte dont les effets juridiques sont aussi incertains. Cela reviendrait, pour le Parlement agissant en tant que Constituant, à se défausser entièrement sur le juge du soin de déterminer la portée des nouvelles dispositions.
C'est pourquoi je propose de retenir la rédaction suggérée par le Conseil d'État, qui supprime toute référence à la notion de garantie, dont le sens est ici beaucoup trop flou, et qui remplace le verbe « lutter » par le verbe « agir ». Cela ne change rien au fond, mais c'est plus sobre d'un point de vue rhétorique. La préservation des équilibres climatiques mérite mieux que des effets de manche.
Il faudrait également préciser que le principe ainsi énoncé à l'article 1er de la Constitution s'applique dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement, afin d'éviter tout problème d'articulation entre les deux textes.
Mon amendement vise donc à rédiger ainsi l'article unique : « Elle préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004. »