Dans quelques jours, les présidents des sept commissions permanentes de notre assemblée procéderont à l'audition de la Secrétaire générale du Gouvernement dans le cadre du bilan annuel de l'application des lois. Comme il est d'usage, je souhaite auparavant évoquer avec vous les principales caractéristiques de l'application des lois que nous avons été amenés à examiner au fond cette année. Cet exercice traditionnel vise à opérer une vérification approfondie de l'adéquation entre les mesures législatives que nous votons et les mesures d'application que le Gouvernement a l'obligation de prendre.
Ainsi, 23 lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2019-2020 ont été examinées au fond par la commission des lois, ce qui représente 55 % de l'ensemble des lois promulguées, hors traités et conventions internationales, soit le niveau le plus élevé, cette année encore, de l'ensemble des commissions permanentes et une proportion équivalente aux années parlementaires précédentes.
Il faudrait ajouter à ce total, pour bien prendre la mesure de notre charge de travail, les textes examinés qui n'ont pas été promulgués au cours de la période, c'est-à-dire un projet de loi qui a donné lieu à une loi promulguée après le 30 septembre 2020, une proposition de loi qui a été rejetée en séance publique et 8 propositions de loi en instance d'examen à l'Assemblée nationale soit, au total, 33 textes législatifs au cours de l'année parlementaire 2019-2020.
Au-delà des statistiques, le bilan de l'application des lois est l'occasion de nous pencher, au moins une fois par an, sur les conditions d'examen des textes qui, n'étant pas toujours dictées par une situation d'urgence avérée, impliquent une grande réactivité du Parlement. Dans ces conditions, le moins que l'on puisse attendre est donc que le Gouvernement mette la même urgence à prendre les mesures d'application réglementaires qui s'imposent. C'est particulièrement vrai pour la période 2019-2020 : 7 des 23 textes que nous avons examinés étaient des projets de loi directement ou indirectement liés à l'état d'urgence sanitaire, et ils ont été examinés dans des délais restreints et des conditions particulièrement dégradées.
De ces 23 lois, 17 ont été adoptées après engagement de la procédure accélérée. La navette parlementaire des 12 projets de loi examinés au fond par la commission des lois en 2019-2020 s'est achevée en moyenne en 56 jours. Les 7 projets de loi consécutifs à la situation sanitaire examinés en 2019-2020 l'ont été en 18 jours en moyenne, et il s'agit bien de la totalité de la navette, qui a laissé parfois au Sénat des délais beaucoup plus contraints encore.
Ce raccourcissement des délais de la procédure parlementaire ne saurait se généraliser, la qualité de la loi nécessitant un délai d'examen suffisant pour mener à bien les travaux préparatoires destinés, autant que faire se peut, à mieux nous éclairer sur les effets induits par les réformes engagées.
Cette donnée doit être croisée avec la tendance de plus en plus forte des gouvernements successifs à recourir aux ordonnances plutôt qu'à une navette législative ordinaire : le recul partiel du Gouvernement dans la détermination de l'ordre du jour législatif des assemblées du fait de la réforme constitutionnelle de 2008 ne doit pas masquer l'augmentation du nombre de mesures adoptées par voie d'ordonnances, et ne traduit donc pas nécessairement un renforcement global des pouvoirs législatifs du Parlement. De 2012 à 2018, si l'on fait exception des lois mentionnées à l'article 53 de la Constitution qui visent à la ratification d'un traité, ont été adoptées davantage d'ordonnances que de lois par la procédure ordinaire. Marc Fesneau, ministre des relations avec le Parlement, l'avait d'ailleurs confirmé, en juin 2019, lors du débat annuel sur l'application des lois au Sénat : « De 2012 à 2018, pour 346 lois votées, 350 ordonnances ont été publiées ».
Le processus législatif ordinaire n'est donc paradoxalement plus le principal mécanisme d'adoption des textes, et la période d'urgence sanitaire a malheureusement accentué cette tendance : sur l'année parlementaire 2019-2020, parmi les 23 lois promulguées examinées au fond par notre commission, 3 habilitaient le Gouvernement à légiférer par voie d'ordonnance, conférant au Gouvernement un total de 66 habilitations, dont 59 ont été utilisées, donnant lieu à la publication de 74 ordonnances.
À cet égard, la commission des lois s'est toujours efforcée, soit de substituer aux habilitations demandées par le Gouvernement des modifications directes des dispositions législatives, soit à tout le moins de les encadrer strictement, afin que la faculté accordée au pouvoir réglementaire d'intervenir dans le domaine de la loi ne constitue pas un blanc-seing. Notre position n'a malheureusement pas toujours été suivie par l'Assemblée nationale, lorsque celle-ci adoptait les textes après lecture définitive.
Au 31 mars 2021, sur ces 23 lois, 17 étaient entièrement applicables : 11 d'application directe et 6 devenues pleinement applicables. Six d'entre elles appellent donc encore des mesures d'application. Certains constats se renouvellent d'année en année.
En premier lieu, le niveau d'activité de notre commission ne faiblit pas. Notre commission a examiné au fond, au total, 33 textes législatifs au cours de l'année parlementaire 2019-2020. Ajouter à cette activité législative l'ensemble de nos travaux de contrôle, qui portent sur des sujets particulièrement variés, donne la mesure de notre charge de travail...
Au 31 mars 2021, 25 des 97 mesures d'application prévues par les 23 lois promulguées entre le 1er octobre 2019 et le 30 septembre 2020 et envoyées au fond à la commission des lois n'avaient pas été prises, soit un quart.
Le taux de mise en application des textes sur la période de référence, c'est-à-dire le ratio entre le nombre de mesures d'application attendues et le nombre de mesures prises, s'établit donc cette année à 74 %. Incontestablement, il est supérieur au taux particulièrement insatisfaisant de 49 % constaté l'an dernier, même si son appréciation doit être fortement nuancée : d'une part, il ne traduit pas l'aspect qualitatif des mesures prises ; de l'autre, a contrario, une loi peut être applicable pour l'essentiel même si des mesures d'application secondaires n'ont pas été prises. C'est particulièrement vrai cette année, où 31 mesures prévues par des lois promulguées en 2019-2020 examinées au fond par notre commission n'ont pas été directement comptabilisées dans les mesures attendues - soit en raison de leur caractère éventuel, soit parce que leur parution n'était pas jugée nécessaire pour permettre l'application de la disposition législative afférente.
Enfin, l'inflation législative, mal bien connu que nous dénonçons régulièrement, est restée forte. Le coefficient multiplicateur des textes, c'est-à-dire le rapport entre le nombre d'articles en fin et en début de navette, est particulièrement révélateur de cette tendance : en 2019-2020, les 23 lois promulguées comportaient au total 369 articles contre 134 en début de navette, soit une multiplication par 2,75. La loi Engagement et proximité du 27 décembre 2019 compte par exemple 118 articles dans sa version définitive, contre 28 dans le projet de loi initial.
Au-delà des données chiffrées, je souhaite attirer votre attention sur deux textes, parmi les 23 qui relevaient de la compétence de notre commission, demeurés entièrement inapplicables au 31 mars : la loi du 3 juillet 2020 visant à créer le statut de citoyen sauveteur, lutter contre l'arrêt cardiaque et sensibiliser aux gestes qui sauvent et la loi du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux. Après plus de huit mois, aucun des décrets prévus dans ces deux textes, pourtant issus de propositions de loi déposées par des députés membres de groupes soutenant le Gouvernement, n'avait été pris à l'issue des délais impartis.
Je regrette également que la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales ne soit toujours pas pleinement applicable. C'est très ennuyeux, compte tenu de l'importance du sujet.
Peut-être certains des rapporteurs des lois concernés - qui sont aussi rapporteurs de leur application - ont-ils des précisions à apporter ?