Intervention de Jean-Pierre Corbisez

Réunion du 5 mai 2021 à 21h30
Impact de la réduction de loyer de solidarité rls sur l'activité et l'avenir du logement social — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Jean-Pierre CorbisezJean-Pierre Corbisez :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat porte sur la réduction de loyer de solidarité, une dénomination pour le moins paradoxale, dès lors que ce dispositif consiste à faire supporter aux bailleurs sociaux une partie du budget des APL. En fait de solidarité, il s’agit donc, ni plus ni moins, d’un mécanisme de transfert de charges de l’État vers le secteur du logement social.

Vouloir porter atteinte à une aide en faveur des personnes en difficulté, quand bien même l’atteinte serait modique et compensée, pose question dans son principe même : cela fait peser un regard culpabilisant sur les personnes qui en bénéficient et plus généralement sur notre système de solidarité, trop souvent pointé du doigt comme excessivement coûteux.

C’est là un parti pris regrettable et une perte d’énergie. Or cette énergie serait sans doute mieux employée à trouver des solutions efficaces et adaptées pour remédier à la précarité qui s’est durablement installée dans notre pays. Ce parti pris est d’autant plus regrettable que le mécanisme imaginé par le Gouvernement a, au bout de trois années de mise en œuvre, montré ses limites.

Même si M. le ministre des finances se félicite que la réforme ait permis à l’État d’atteindre son objectif et de faire des économies substantielles, le procédé n’en est pas moins insidieux, puisqu’il salue la réalisation d’un second objectif : inciter les organismes HLM à une gestion plus efficace de leur parc. En clair, le ministre semble nous dire que les bailleurs n’étaient ni efficaces ni économes.

On touche là un second paradoxe, puisque la Cour des comptes souligne dans le bilan effectué dans son référé rendu public le 4 mars les risques induits par cette réforme. Amputé de près d’un milliard d’euros, le secteur du logement social a nécessairement vu ses marges de manœuvre contraintes, ce qui a eu un effet immédiat sur les dépenses d’entretien et de rénovation. Surtout, cette amputation présente un risque à moyen terme pour la politique d’investissement du secteur, sa capacité d’autofinancement étant réduite d’autant.

Dans mon département, le Pas-de-Calais, un office public HLM connu a perdu 7, 5 millions d’euros, lesquels auraient permis des investissements de l’ordre de 50 à 70 millions d’euros en faveur de la réhabilitation, en particulier thermique, ou de la construction neuve.

Pour se projeter, les bailleurs doivent pouvoir s’appuyer sur une politique de loyers stable et prévisible. Or, avec l’introduction de la réduction de loyer de solidarité, le Gouvernement a instillé l’aléa réglementaire et la crainte d’une baisse arbitraire et unilatérale des loyers dans un contexte où le secteur avait déjà dû absorber des mesures d’ordre budgétaire, comme sa contribution à la Caisse de garantie du logement locatif social, le gel des loyers ou encore la hausse de la TVA sur les opérations immobilières.

Le Sénat, grâce à la plume – alerte, naturellement ! – de Philippe Dallier, rapporteur spécial du projet de loi de finances pour 2020, avait lui-même identifié les risques qui pesaient sur les sources de financement du logement social.

Alors, oui, l’État a fait des économies, mais c’est au détriment du parc HLM et de nos concitoyens, qu’ils soient locataires ou inscrits sur la – longue – liste d’attente pour l’attribution d’un logement social.

Le jeu en valait-il la chandelle ? Dès 2018, la Caisse des dépôts et consignations avait pointé du doigt le risque réel attaché à cette réduction imposée aux bailleurs et évoqué un ratio d’autofinancement nul à l’horizon 2040.

L’État a d’ailleurs concédé son erreur, puisque, dans le cadre des concertations menées avec les représentants des bailleurs, il a accepté de renforcer les mesures de correction et de compensation, alors que, dans le même temps, Action Logement proposait un plan d’investissement volontaire pour accompagner le secteur.

Alors, n’a-t-on pas là, finalement, l’illustration de la fausse bonne idée : contestable dans ses fondements, complexe dans sa mise en œuvre, limitée dans ses effets ?

Mon propos n’est pas de défendre l’inaction ni de nier la nécessité de réaliser des économies, ici comme dans d’autres secteurs. C’est la méthode que l’on peut critiquer : pointer du doigt ; opposer les catégories entre elles ; consulter sans réellement concerter ni entendre ; précipiter la décision sans attendre les conclusions de l’étude d’impact préalable ; concéder des ajustements plutôt que remettre en cause.

La Cour des comptes sollicite une évaluation de cette réforme. Celle-ci doit être rapide, en particulier pour appréhender les effets du nouveau mode de calcul des APL, entré en vigueur le 1er janvier de cette année et consistant à prendre en compte en temps réel l’évolution des ressources des allocataires, ce qui conduira à procéder plus fréquemment à des ajustements de la RLS.

Surtout, la construction de cette évaluation doit se faire avec la bonne méthode : il faut associer à la définition des outils et des critères les principaux intéressés – les bailleurs – et renoncer au postulat que cette réforme était forcément la bonne. C’est à ce prix que celle-ci pourra être comprise et acceptée et qu’elle pourra concilier deux objectifs fondamentaux, qu’il est trop facile d’opposer : la maîtrise de nos dépenses publiques et la préservation de notre filet social.

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