Intervention de Guillaume Chevrollier

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 4 mai 2021 à 16h30
Projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1er de la constitution et relatif à la préservation de l'environnement — Examen du rapport pour avis

Photo de Guillaume ChevrollierGuillaume Chevrollier, rapporteur pour avis :

Outre les personnalités citées par le président, nous avons entendu des scientifiques comme Bruno David, président du Muséum national d'histoire naturelle, le professeur Chris Bowler, titulaire de la chaire Biodiversité et écosystèmes au Collège de France et la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte. J'ai également consulté des associations représentant les collectivités territoriales - l'Association des maires de France (AMF), l'Assemblée des départements de France (ADF), l'Assemblée des communautés de France (AdCF) et Régions de France - des représentants du Medef, de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), des ONG et associations comme la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme, Notre Affaire à tous et enfin des membres de la Convention citoyenne pour le climat.

Le président l'a rappelé, c'est la première fois que notre commission émet un avis sur un projet de révision constitutionnelle. Ce pourrait fort bien ne pas être la dernière, tant la constitutionnalisation environnementale est devenue un enjeu politique dans un grand nombre de pays dont la France : il s'agit du troisième texte proposé par le Gouvernement en moins de trois ans dont l'objectif - ou l'un des objectifs - est de renforcer la protection constitutionnelle de l'environnement et du climat. Ce projet reprend, légèrement modifiée, l'une des propositions formulées par la Convention citoyenne pour le climat, que le Président de la République s'est engagé à soumettre au référendum à l'issue de son adoption par les deux assemblées.

Le projet que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans la droite ligne de la révision constitutionnelle de mars 2005, qui avait conféré rang constitutionnel à la protection de l'environnement par l'insertion, dans le préambule de la Constitution, d'une référence à la Charte de l'environnement. Ce choix audacieux du constituant a élevé le droit de l'environnement au plus haut niveau de la hiérarchie des normes.

Pourquoi cet engouement ? Chacun le sait, plus personne n'en doute : l'urgence climatique s'accroît et la biodiversité décroît dans des proportions inquiétantes. Pour filer une célèbre métaphore, notre maison continue de brûler et le constituant a décidé de ne plus regarder ailleurs. Les scientifiques que nous avons entendus sont unanimes : l'espèce humaine est devenue une « force biogéochimique capable d'influer sur le fonctionnement du système terrestre, équivalente à des centaines de volcans massifs ». Les rapports successifs du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) soulignent l'irréversibilité de certains processus climatiques, faisant peser de sérieuses menaces planétaires, notamment économiques et sanitaires.

Cette prise de conscience est désormais internationale. Plus d'une centaine de pays font aujourd'hui référence à l'environnement et à la nécessité de le préserver dans leur texte constitutionnel. La protection de l'environnement imprègne le droit international et la dimension environnementale du droit européen est de plus en plus marquée. La France a fait le choix, en 2005, de se doter d'une Charte de l'environnement, véritable constitution environnementale, à laquelle se réfèrent les pouvoirs publics, le législateur, les juges et, de plus en plus souvent, les citoyens.

Cette charte, précédée d'un préambule énumérant des constats scientifiques et des principes à vocation universelle, décline en dix articles un ensemble de droits et, de manière plus originale, de devoirs. Y sont consacrés des concepts reconnus sur le plan international, tels le développement durable et le principe de précaution. Parmi les droits essentiels, celui de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. Au nombre des devoirs à la charge de chacun, celui de prendre part à la préservation et l'amélioration de l'environnement, de prévenir les atteintes portées à l'environnement ou, à défaut, d'en limiter les conséquences, ainsi que de réparer les dommages causés à l'environnement.

Plus de quinze ans après son adoption, cette charte a fait la preuve de son caractère évolutif : la plasticité de ses principes et la généralité des droits et devoirs qu'elle consacre ont permis à la jurisprudence de s'appuyer sur des principes constitutionnels enrichis au fil du temps. Cependant, eu égard à la forte progression des connaissances scientifiques depuis une quinzaine d'années, il est regrettable qu'elle n'aborde pas la question climatique : cette absence est d'autant plus préoccupante que la France a activement promu la lutte contre le changement climatique à l'échelle internationale, ainsi qu'en témoigne l'accord de Paris.

La révision proposée comble cette lacune dans notre texte constitutionnel : l'insertion à l'article 1er de la Constitution d'une phrase selon laquelle la France « garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique » aurait sur ce registre une valeur symbolique forte.

Rappelons cependant que la protection de l'environnement figure d'ores et déjà, au travers de la charte, au sommet de la hiérarchie des normes et fait l'objet d'un contrôle juridictionnel de plus en plus poussé de la part des juges ayant à connaître des contentieux environnementaux.

Cette phrase ne constitue en aucune façon une révolution juridique : à la suite de l'accord de Paris, elle ne fait que traduire la volonté du Gouvernement de marquer sa conviction de l'urgence climatique et sa détermination à agir. Plusieurs constitutionnalistes entendus tant par la commission des lois que par la nôtre ont souligné l'absence de valeur ajoutée juridique de l'article 1er ainsi complété. Ces principes ont déjà pleine valeur constitutionnelle, supérieure à la loi, qui oblige le législateur, le Gouvernement et les autorités publiques à les respecter.

Il serait malvenu de s'opposer à des évolutions constitutionnelles qui, même symboliques, reposent sur une prise de conscience environnementale et climatique que nous partageons, sur la base de l'évidence scientifique. Mais cette phrase soulève des difficultés juridiques, que certains juristes, à la suite de l'avis assez sévère du Conseil d'État, n'ont pas manqué de relever. N'oublions pas que nous examinons ici une formulation devant figurer au sommet de la hiérarchie des normes : soucieux de la cohérence et de la solidité de notre édifice juridique, nous devons veiller à la cohérence du bloc constitutionnel.

Le droit constitutionnel repose sur la conciliation des principes à valeur constitutionnelle et l'absence de hiérarchisation entre ceux-ci. La Constitution forme un ensemble de principes et d'objectifs indissociables, que le juge constitutionnel interprète au regard de leur cohérence interne et de leur articulation, en s'efforçant, le cas échéant, de concilier les normes constitutionnelles en cas de conflit. C'est sur ce point que m'apparaît un risque juridique, qu'il serait sage de ne pas courir : la phrase proposée par le Gouvernement pourrait conduire le juge constitutionnel à changer de mode opératoire, passant d'une conciliation à une hiérarchisation.

Les choix sémantiques de l'exécutif, avec l'usage du verbe « garantir », portent en germe des contraintes juridiques dont il est difficile de mesurer la portée. Dans son avis, le Conseil d'État a indiqué à cet égard que le terme « imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d'être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ».

La phrase proposée par l'exécutif, si nous l'adoptons sans la modifier, présente le risque de déséquilibrer notre système normatif, au regard de sa conciliation avec d'autres dispositions constitutionnelles comme de l'emploi du terme « garantit », dont le sens et la portée seraient laissés à l'entière appréciation des juges.

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