Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable

Réunion du 4 mai 2021 à 16h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

C'est un moment solennel, puisque c'est la première fois que notre commission émet un avis sur un projet de révision constitutionnelle.

La phrase dont le Gouvernement souhaite l'insertion à l'article 1er est inspirée de l'une des 149 propositions de la Convention citoyenne pour le climat, adoptée avec 81 % de votes favorables : « Elle [la France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. »

Si l'examen au fond des textes constitutionnels relève de la compétence de la commission des lois, la matière abordée par cette révision ressortit à notre commission, ce qui justifie pleinement notre saisine pour avis.

Ce texte a été déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 20 janvier dernier et adopté, sans modification, en séance publique le 16 mars, par 391 voix pour et 47 contre. La commission des lois examinera demain le rapport de son président François-Noël Buffet. Le texte sera enfin examiné en séance publique les 10 et 11 mai prochains.

Pour approfondir notre analyse, nous avons croisé les approches et multiplié les points de vue. Après avoir entendu le garde des sceaux en audition conjointe avec la commission des lois, nous avons confronté les avis de constitutionnalistes et spécialistes du droit de l'environnement, et entendu d'éminents scientifiques nous présenter le dernier état des connaissances en matière environnementale et climatique.

Je tiens à remercier le rapporteur pour avis, notre collègue Guillaume Chevrollier, pour l'important travail qu'il a mené dans le but de parvenir à une rédaction équilibrée, en étroite collaboration avec la commission des lois.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

Outre les personnalités citées par le président, nous avons entendu des scientifiques comme Bruno David, président du Muséum national d'histoire naturelle, le professeur Chris Bowler, titulaire de la chaire Biodiversité et écosystèmes au Collège de France et la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte. J'ai également consulté des associations représentant les collectivités territoriales - l'Association des maires de France (AMF), l'Assemblée des départements de France (ADF), l'Assemblée des communautés de France (AdCF) et Régions de France - des représentants du Medef, de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), des ONG et associations comme la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme, Notre Affaire à tous et enfin des membres de la Convention citoyenne pour le climat.

Le président l'a rappelé, c'est la première fois que notre commission émet un avis sur un projet de révision constitutionnelle. Ce pourrait fort bien ne pas être la dernière, tant la constitutionnalisation environnementale est devenue un enjeu politique dans un grand nombre de pays dont la France : il s'agit du troisième texte proposé par le Gouvernement en moins de trois ans dont l'objectif - ou l'un des objectifs - est de renforcer la protection constitutionnelle de l'environnement et du climat. Ce projet reprend, légèrement modifiée, l'une des propositions formulées par la Convention citoyenne pour le climat, que le Président de la République s'est engagé à soumettre au référendum à l'issue de son adoption par les deux assemblées.

Le projet que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans la droite ligne de la révision constitutionnelle de mars 2005, qui avait conféré rang constitutionnel à la protection de l'environnement par l'insertion, dans le préambule de la Constitution, d'une référence à la Charte de l'environnement. Ce choix audacieux du constituant a élevé le droit de l'environnement au plus haut niveau de la hiérarchie des normes.

Pourquoi cet engouement ? Chacun le sait, plus personne n'en doute : l'urgence climatique s'accroît et la biodiversité décroît dans des proportions inquiétantes. Pour filer une célèbre métaphore, notre maison continue de brûler et le constituant a décidé de ne plus regarder ailleurs. Les scientifiques que nous avons entendus sont unanimes : l'espèce humaine est devenue une « force biogéochimique capable d'influer sur le fonctionnement du système terrestre, équivalente à des centaines de volcans massifs ». Les rapports successifs du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) soulignent l'irréversibilité de certains processus climatiques, faisant peser de sérieuses menaces planétaires, notamment économiques et sanitaires.

Cette prise de conscience est désormais internationale. Plus d'une centaine de pays font aujourd'hui référence à l'environnement et à la nécessité de le préserver dans leur texte constitutionnel. La protection de l'environnement imprègne le droit international et la dimension environnementale du droit européen est de plus en plus marquée. La France a fait le choix, en 2005, de se doter d'une Charte de l'environnement, véritable constitution environnementale, à laquelle se réfèrent les pouvoirs publics, le législateur, les juges et, de plus en plus souvent, les citoyens.

Cette charte, précédée d'un préambule énumérant des constats scientifiques et des principes à vocation universelle, décline en dix articles un ensemble de droits et, de manière plus originale, de devoirs. Y sont consacrés des concepts reconnus sur le plan international, tels le développement durable et le principe de précaution. Parmi les droits essentiels, celui de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. Au nombre des devoirs à la charge de chacun, celui de prendre part à la préservation et l'amélioration de l'environnement, de prévenir les atteintes portées à l'environnement ou, à défaut, d'en limiter les conséquences, ainsi que de réparer les dommages causés à l'environnement.

Plus de quinze ans après son adoption, cette charte a fait la preuve de son caractère évolutif : la plasticité de ses principes et la généralité des droits et devoirs qu'elle consacre ont permis à la jurisprudence de s'appuyer sur des principes constitutionnels enrichis au fil du temps. Cependant, eu égard à la forte progression des connaissances scientifiques depuis une quinzaine d'années, il est regrettable qu'elle n'aborde pas la question climatique : cette absence est d'autant plus préoccupante que la France a activement promu la lutte contre le changement climatique à l'échelle internationale, ainsi qu'en témoigne l'accord de Paris.

La révision proposée comble cette lacune dans notre texte constitutionnel : l'insertion à l'article 1er de la Constitution d'une phrase selon laquelle la France « garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique » aurait sur ce registre une valeur symbolique forte.

Rappelons cependant que la protection de l'environnement figure d'ores et déjà, au travers de la charte, au sommet de la hiérarchie des normes et fait l'objet d'un contrôle juridictionnel de plus en plus poussé de la part des juges ayant à connaître des contentieux environnementaux.

Cette phrase ne constitue en aucune façon une révolution juridique : à la suite de l'accord de Paris, elle ne fait que traduire la volonté du Gouvernement de marquer sa conviction de l'urgence climatique et sa détermination à agir. Plusieurs constitutionnalistes entendus tant par la commission des lois que par la nôtre ont souligné l'absence de valeur ajoutée juridique de l'article 1er ainsi complété. Ces principes ont déjà pleine valeur constitutionnelle, supérieure à la loi, qui oblige le législateur, le Gouvernement et les autorités publiques à les respecter.

Il serait malvenu de s'opposer à des évolutions constitutionnelles qui, même symboliques, reposent sur une prise de conscience environnementale et climatique que nous partageons, sur la base de l'évidence scientifique. Mais cette phrase soulève des difficultés juridiques, que certains juristes, à la suite de l'avis assez sévère du Conseil d'État, n'ont pas manqué de relever. N'oublions pas que nous examinons ici une formulation devant figurer au sommet de la hiérarchie des normes : soucieux de la cohérence et de la solidité de notre édifice juridique, nous devons veiller à la cohérence du bloc constitutionnel.

Le droit constitutionnel repose sur la conciliation des principes à valeur constitutionnelle et l'absence de hiérarchisation entre ceux-ci. La Constitution forme un ensemble de principes et d'objectifs indissociables, que le juge constitutionnel interprète au regard de leur cohérence interne et de leur articulation, en s'efforçant, le cas échéant, de concilier les normes constitutionnelles en cas de conflit. C'est sur ce point que m'apparaît un risque juridique, qu'il serait sage de ne pas courir : la phrase proposée par le Gouvernement pourrait conduire le juge constitutionnel à changer de mode opératoire, passant d'une conciliation à une hiérarchisation.

Les choix sémantiques de l'exécutif, avec l'usage du verbe « garantir », portent en germe des contraintes juridiques dont il est difficile de mesurer la portée. Dans son avis, le Conseil d'État a indiqué à cet égard que le terme « imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences sur leur action et leur responsabilité risquent d'être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ».

La phrase proposée par l'exécutif, si nous l'adoptons sans la modifier, présente le risque de déséquilibrer notre système normatif, au regard de sa conciliation avec d'autres dispositions constitutionnelles comme de l'emploi du terme « garantit », dont le sens et la portée seraient laissés à l'entière appréciation des juges.

La commission est attentive à ne pas fragiliser les pouvoirs publics, les collectivités territoriales et les entreprises avec des contraintes juridiques trop fortes, susceptibles d'alimenter des contentieux inutiles, tout particulièrement dans ce contexte de crise sanitaire.

Une fois ce constat établi, que convient-il de faire ? Rejeter le texte ? L'accepter tel quel, au risque de voir se développer des contentieux environnementaux et climatiques qui fragiliseraient les pouvoirs publics ? Je vous propose une autre voie, faisant appel à l'esprit de responsabilité et au pragmatisme dont doit faire preuve le législateur. La solution que je vous propose a été mûrement réfléchie, en concertation étroite avec la commission des lois : elle consiste à saisir l'occasion de compléter notre corpus constitutionnel par une référence à la lutte contre le dérèglement climatique, tout en réaffirmant la prééminence de la Charte de l'environnement, qui a fait la preuve de sa capacité à répondre aux nécessités de notre temps et confirmé sa vocation à servir de socle aux politiques environnementales et climatiques de la France.

L'article 6 de la Charte de l'environnement pose le principe de la promotion du développement durable par les pouvoirs publics, selon lequel est opérée une conciliation entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. Plutôt que de modifier la charte, la commission pourrait réaffirmer son rôle central et moteur ainsi que la dynamique conciliatrice qu'elle insuffle aux politiques environnementales.

Cette solution présente l'avantage d'éviter une possible et dangereuse contradiction entre la charte et la nouvelle rédaction de l'article 1er de la Constitution : nous évacuons ainsi tout risque d'insécurité juridique. De plus, le dérèglement climatique ne serait plus le grand absent de notre édifice normatif suprême.

Ainsi consolidée, cette réforme constitutionnelle constitue une invitation politique et symbolique forte à mener des politiques environnementales plus ambitieuses, reposant sur la nécessaire conciliation avec le développement économique et le progrès social.

En retenant cette formule, le Sénat assure en outre au législateur le respect de la plénitude de sa compétence et de son domaine. L'article 34 de la Constitution confie à la loi le soin de déterminer les principes fondamentaux de « la préservation de l'environnement » : dans son avis, le Conseil d'État considère que le maintien sans changement de cette disposition introduirait un doute sur la compétence du législateur en matière de préservation de la diversité biologique et d'action contre le dérèglement climatique. En faisant référence à la Charte de l'environnement, qui confie à la loi le soin de déterminer les conditions d'application de certains droits et devoirs, tous les doutes sur la compétence du législateur sont levés.

En cas de contentieux, la volonté du constituant sera donc clairement affirmée, sans ouvrir un champ d'interprétation plus large : l'obligation juridique d'agir pour l'environnement et le climat, inscrits dans notre texte fondamental, garantira l'effectivité du droit de l'homme à un environnement sain, sans affecter ni le développement économique ni le progrès social.

Avec cette formule, qui tient compte des défis climatiques de plus en plus impérieux, notre pays porterait enfin un message symbolique fort en ajoutant un objectif de valeur constitutionnelle ne figurant pas expressément dans la Charte de l'environnement. La France ferait figure de modèle pour l'engagement climatique des États du Nord, en devenant le premier pays de cette zone à y faire référence dans sa Constitution.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

Mon amendement n° 3, qui est identique à celui du rapporteur de la commission des lois qui sera présenté demain, neutralise le risque pointé par le Conseil d'État et plusieurs juristes entendus par la commission concernant le maintien du verbe « garantir » et les incertitudes concernant l'élargissement de l'engagement de la responsabilité environnementale des pouvoirs publics.

Il réaffirme avec force le rôle central de la Charte de l'environnement avec une double référence constitutionnelle, dans le préambule et à l'article 1er. Sa dynamique conciliatrice entre la préservation de l'environnement, le développement économique et le progrès social permettra aux actions environnementales et climatiques de la France de se déployer dans un cadre cohérent, lisible et sécurisant pour les pouvoirs publics, les collectivités et les entreprises, sans créer de hiérarchie entre les principes constitutionnels.

Il fait figurer l'action en faveur de la préservation de l'environnement et contre le dérèglement climatique dès l'article 1er de notre Constitution, lui conférant une valeur symbolique forte. La France serait ainsi le premier État du nord à faire référence au climat dans son texte fondamental, confirmant son rôle moteur à l'international depuis l'accord de Paris et l'ambition portée par notre pays dans la lutte contre le dérèglement climatique.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Demilly

Il convient de rappeler que la Convention citoyenne pour le climat fait suite au grand débat national, réponse politique au mouvement social des « gilets jaunes ». Ce processus de démocratie directe que l'on pare de toutes les vertus est à double tranchant : il peut engendrer des frustrations parmi les citoyens tirés au sort, si les dispositions finalement retenues ne sont pas en adéquation avec leurs propositions. En des termes plus politiquement incorrects, le sentiment d'avoir servi d'alibi et de s'être fait « rouler dans la farine » est terriblement contre-productif pour notre démocratie et la confiance dans nos institutions.

L'avenir dira si cette innovation démocratique était heureuse ou malheureuse, populaire ou populiste. L'enjeu du réchauffement climatique et de la biodiversité est capital, et l'inscription de l'urgence climatique et environnementale dans la Constitution est donc fondée, du moins sur le papier.

Des critiques rédactionnelles ont été formulées sur ce projet de révision constitutionnelle, notamment l'usage du verbe « garantir » de préférence à « favoriser », proposé par le Conseil d'État. Cela crée une obligation de moyens renforcée pour les pouvoirs publics, ouvrant probablement la porte à des mises en jeu de la responsabilité du Gouvernement en matière environnementale.

La Charte de l'environnement faisant déjà partie du bloc de constitutionnalité, quel est l'intérêt d'ajouter une phrase à l'article 1er de la Constitution ? Au-delà de sa portée symbolique et marketing, cette proposition ne risque-t-elle pas de se retourner contre ses auteurs ? Face à ces insécurités juridiques, la rédaction proposée par le rapporteur me convient parfaitement.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Mandelli

Merci au rapporteur pour avis de son travail avec la commission des lois - un travail délicat, car ce texte se présentait comme une case à cocher. J'ai déjà évoqué, devant le garde des sceaux, la discordance entre la volonté affichée dans ce projet de révision constitutionnelle et le projet de loi Climat, qui est en fort décalage avec les propositions de la Convention citoyenne pour le climat. La ligne de crête était difficile à trouver.

Je ne suis pas persuadé que le Président de la République souhaite passer par la voie du référendum. Quoi qu'il en soit, l'amendement de nos deux commissions me convient parfaitement. Il traduit bien l'état d'esprit des sénateurs, très sensibles à ces questions depuis des années, y compris dans leur action locale. Sans balayer ce projet de loi d'un revers de main, il convenait que nous y apportions cette sensibilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Longeot

Avant de mettre aux voix l'amendement, je voulais simplement vous dire que cet amendement avait été élaboré en étroite concertation avec la commission des lois et la majorité sénatoriale. C'est donc un amendement identique à celui du rapporteur président de la commission des lois que je vous propose d'adopter.

Je mets aux voix l'amendement du rapport à l'article unique. Il n'y a pas d'opposition ?

L'amendement n° 3 est adopté.

Je vais maintenant demander à la commission de se prononcer sur le rapport de Guillaume Chevrollier, qui propose d'émettre un avis favorable à l'adoption du projet de loi constitutionnelle sous le bénéfice de l'adoption de l'amendement adopté par la commission.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Corbisez

Permettez-moi d'attirer l'attention sur un point. L'article 1er de la Charte de l'environnement dispose : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. » Il est complété par l'article 7, qui garantit à toute personne le droit d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques. J'ai présidé pendant de nombreuses années une association de surveillance de la qualité de l'air. Dans des affaires de divorce, d'aucuns sollicitent des données relatives à l'environnement du domicile de la partie adverse pour obtenir la garde des enfants. La valeur foncière de certains territoires évolue en fonction de leur exposition au vent par rapport à une pollution potentielle ou future. Sans doute faudra-t-il revoir un jour la rédaction de cet article 1er pour éviter l'apparition de procédures judiciaires n'ayant pas lieu d'être.

La réunion est close à 17 heures.