Nous examinons ce matin en première lecture le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine des transports, de l'environnement, de l'économie et des finances, dit « DDADUE ».
Le Sénat est la première assemblée saisie sur ce texte, qui comporte 42 articles répartis en cinq chapitres. Si le projet de loi a été renvoyé à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, celle-ci nous a délégué l'examen au fond du dernier chapitre, pour un total de dix articles.
Si les dispositifs relevant de notre compétence ont pour caractéristique commune de porter sur le droit économique et financier, il me semble que l'on peut distinguer deux catégories d'articles.
La première catégorie comporte des dispositions techniques visant à corriger des erreurs et omissions ou à remédier à des difficultés survenues après leur entrée en vigueur. Elles font suite à des évolutions du droit de l'Union européenne ou à des aménagements décidés pour préparer la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne. C'est le cas des articles 33, 37, 38, 39, 40 et 42.
Ainsi, l'article 33 complète le régime d'obligation de transmission des données d'identification des actionnaires issu de la loi Pacte, adoptée en 2019. En ce sens, il clarifie les procédures de transmission d'informations entre les intermédiaires financiers et précise certaines modalités d'exercice des droits des actionnaires en présence d'intermédiaires financiers. L'article 37 remédie à des difficultés survenues du fait de la reconnaissance des infrastructures de marché des pays tiers dans le cadre du Brexit. L'article 38 s'efforce de mettre fin aux difficultés d'articulation entre le droit national et le droit européen qui subsistent du fait de l'ouverture à la concurrence de l'activité des dépositaires centraux, en charge du règlement-livraison des titres financiers. L'article 39 définit le régime de sanction applicable en cas d'infraction à certaines dispositions du règlement de 2012 relatif aux virements et prélèvements transfrontaliers, dit SEPA. L'article 40 renforce les moyens de contrôle et prévoit une sanction plus importante en cas de fraude lors de prestation de services de lettre recommandée par des prestataires ne bénéficiant pas de l'agrément de l'agence nationale de la sécurité des systèmes d'information. Enfin, l'article 42 exige des sociétés cotées sur un marché de croissance des petites et moyennes entreprises (PME) l'établissement d'une liste d'initiés standard, en activant une dérogation ouverte en 2019 par le droit européen.
Après un examen approfondi, ces six articles de nature essentiellement technique ne me paraissent pas poser de difficultés et je vous proposerai donc uniquement trois amendements rédactionnels et de coordination.
La seconde catégorie rassemble à l'inverse des dispositions visant à adapter notre droit économique et financier à de nouvelles évolutions du droit de l'Union européenne.
C'est le cas des articles 34, 35, 36 et 41.
Alors que la France s'apprête à prendre la présidence de l'Union européenne au début de l'année prochaine, il y a manifestement une volonté de démontrer l'exemplarité de notre pays en matière de transposition, pour apparaître comme le bon élève de l'Union européenne.
Sur les quatre articles, deux procèdent à des transpositions « en dur », tandis que deux autres sollicitent une habilitation à recourir aux ordonnances.
Ainsi, les articles 34 et 35 transposent deux articles d'une même directive de 2019, qui mettent en oeuvre les conclusions de l'exercice de revue des autorités européennes de supervision mené en 2019.
L'article 34 tire les conséquences en droit national du transfert des compétences d'agrément et de surveillance des prestataires de services de communication de données (PSCD) à l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Ce transfert de compétence a une portée très limitée pour l'Autorité des marchés financiers (AMF) en France, car seul Euronext bénéficie aujourd'hui de ce statut. En revanche, pour ce prestataire, sa contribution pour frais de contrôle devrait significativement augmenter.
L'article 35 transpose en droit interne la création de nouveaux dispositifs visant à améliorer le partage d'information entre les superviseurs nationaux et européen dans le secteur assurantiel.
Premièrement, il transpose dans notre droit national la nouvelle procédure de notification : avant d'agréer un assureur ou un réassureur, le superviseur national notifiera à l'autorité européenne et au superviseur de l'État d'accueil le fait que l'assureur en question prévoit d'exercer une partie de ses activités dans un autre État membre. Ultérieurement, le superviseur de l'État membre d'origine, c'est-à-dire celui qui délivre l'agrément, informera les autorités concernées si les conditions financières de cet assureur se dégradent. Cette procédure devrait renforcer le suivi des assureurs agissant en France sous le régime de la libre prestation de service.
Deuxièmement, l'article 35 transpose également les dispositions du droit de l'Union européenne visant à mettre en place une plateforme collaborative entre les autorités de supervision compétentes, afin que leur dialogue ne repose pas uniquement sur la bonne volonté des parties prenantes.
Ces dispositions constituent une première amélioration bienvenue, portée par la France et l'Italie au niveau européen, afin de répondre aux difficultés engendrées par les faillites récentes d'assureurs exerçant en libre prestation de services. Néanmoins, elles ne règlent pas l'intégralité des difficultés. D'une part, la supervision prudentielle continue de reposer sur l'autorité du pays d'origine : des assureurs peu scrupuleux peuvent profiter d'une moindre vigilance de certains superviseurs pour choisir leur lieu d'implantation et obtenir un agrément. D'autre part, elles n'épuisent pas la question de l'indemnisation des assurés dont les assureurs étrangers ont fait faillite. Le Gouvernement travaille à l'élaboration d'un dispositif sur ce point, pour compléter celui en vigueur depuis 2018, et qui figurera sans doute dans le projet de loi de finances pour 2022.
À ce stade, je vous proposerai donc uniquement d'adopter deux amendements rédactionnels sur ces articles.
J'en viens maintenant aux deux articles sollicitant une habilitation à légiférer par ordonnances.
Comme vous le savez, le recours aux ordonnances s'est fortement intensifié ces dernières années. Le Sénat, qui n'a qu'un goût modéré pour ce recours, a donc renforcé son contrôle en la matière - et ce d'autant plus qu'il a été démontré que légiférer par ordonnance, contrairement à ce que dit le Gouvernement, se révèle souvent plus long que de passer par la voie traditionnelle.
Aussi, je me suis attaché à vérifier que les deux habilitations sollicitées se justifiaient par l'absence de marge de manoeuvre du législateur et l'impossibilité d'intégrer directement dans la loi les mesures de transposition.
Il me semble que ces deux conditions sont remplies pour l'article 36, qui vise uniquement à transposer la série de mesures de relance par les marchés des capitaux portée par la directive 2021/338 du 16 février 2021.
Une transposition directe aurait difficilement pu être réalisée, le texte définitif de la directive ayant été publié quelques jours avant la transmission au Conseil d'État du présent projet de loi. En outre, l'habilitation paraît justifiée par l'absence de marge de manoeuvre substantielle laissée au législateur national.
À l'inverse, l'article 41 me semble emporter un risque majeur de dessaisissement du Parlement.
Il propose d'habiliter le Gouvernement non seulement à mettre notre droit national en conformité avec le nouveau règlement européen sur le financement participatif adopté en octobre 2020 mais également à « adapter et moderniser » les dispositions encadrant les activités de financement participatif ne relevant pas du droit européen, ce qui est très large.
En effet, le règlement européen n'encadre qu'une partie des activités de financement participatif aujourd'hui admises en droit interne. En particulier, son champ exclut les dons et les prêts sans intérêt, les minibons, les projets non lucratifs des collectivités et des associations ou encore les projets lucratifs d'un montant supérieur à 5 millions d'euros.
Or, il ressort des auditions que le Gouvernement pourrait profiter de cette habilitation très large pour durcir les conditions d'exercice de certaines activités de financement participatif n'entrant pas dans le cadre européen, voire pour les supprimer.
De tels choix, lourds de conséquences pour les acteurs concernés, et nullement imposés par le législateur européen, doivent faire l'objet d'un débat public et me semblent relever par essence d'un vote du Parlement.
Aussi, je vous proposerai un premier amendement visant à restreindre le champ de l'habilitation à la mise en conformité avec le règlement européen et à des évolutions ciblées des activités nationales attendues de longue date par les acteurs. Concrètement, une telle restriction aurait pour conséquence de contraindre le Gouvernement à préserver les activités non régulées par le droit européen. Si un besoin de simplification survient à l'usage, il sera toujours temps de revenir devant le Parlement pour procéder aux aménagements nécessaires.
En complément, un second amendement propose de modifier directement les conditions d'accès au financement participatif des collectivités territoriales, afin d'apporter des clarifications et des assouplissements attendus par l'Association des maires de France et les plateformes de financement participatif.
Au total, ce sont donc sept amendements que je vous proposerai d'adopter, dont deux de fond.
Enfin, en application du Vade Mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, je suggère que nous propositions à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable d'inclure dans le périmètre des articles qui nous sont délégués les dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de l'économie et des finances, concernant plus précisément :
- l'identification des actionnaires ;
- l'adaptation de notre droit pour assurer le contrôle du respect des dispositions des actes législatifs de l'Union européenne en matière de marché européen des paiements unifié ;
- l'adaptation de notre droit aux actes législatifs de l'Union européenne en matière de lutte contre les abus de marché ;
- les règles applicables en matière de prestations de services de lettres recommandées électroniques ;
- l'adaptation de notre droit aux actes législatifs de l'Union européenne modifiant les compétences des autorités européennes de surveillance et les obligations des autorités nationales de contrôle envers celles-ci ;
- l'adaptation de notre droit aux actes législatifs de l'Union européenne visant à promouvoir l'accès aux marchés de capitaux ;
- les règles applicables aux systèmes de règlement et de livraison d'instruments financiers ;- les règles applicables aux dépositaires centraux de titres ;
- les règles relatives au financement participatif.