Intervention de Philippe Bas

Réunion du 18 mai 2021 à 14h30
Gestion de la sortie de crise sanitaire — Discussion générale

Photo de Philippe BasPhilippe Bas :

Non, monsieur le ministre, demain matin, ce ne sera pas le retour progressif à une vie normale ! Ce sera une diminution des contraintes qui s’exercent sur les libertés individuelles et collectives, et que vous nous demandez, pour l’essentiel, de reconduire jusqu’au 30 septembre prochain, voire au-delà, si le Parlement, à votre demande, devait vous y autoriser.

Les Françaises et les Français ne s’y trompent pas, qui se souviennent de la précédente sortie de l’état d’urgence sanitaire – c’était en mai 2020 – et qui se souviennent aussi des deux reconfinements et des couvre-feux qui ont suivi. Il faut tout de même reconnaître, et vous l’avez fait loyalement, que la situation épidémique, même si elle s’améliore rapidement, comme les chiffres l’attestent, est toutefois plus grave qu’elle ne l’était au moment du premier déconfinement, en mai 2020.

À l’époque – c’était il y a un an –, la dynamique de l’épidémie apparaissait cassée après un confinement plus long et plus sévère que celui dont nous sommes en train de sortir. On pouvait donc espérer que ce premier confinement n’aurait été qu’une parenthèse, enfin refermée, dans la vie nationale.

Par conséquent, à la lumière de cette expérience, nous nous devons d’être vigilants et de ne pas fanfaronner au moment où nous sortons de cette période si lourde du troisième confinement de notre pays.

Il est vrai, monsieur le ministre, que la situation du pays est difficile. Les Françaises et les Français sont épuisés par un an de discipline individuelle et collective et par trois confinements successifs. L’économie est sous perfusion, les finances publiques sont exsangues et l’horizon est plus qu’incertain pour les entreprises et pour l’emploi.

Pourtant, cet horizon pourrait encore être obscurci, si nous prenions le risque, à cause de cet épuisement bien réel des Français, de trop relâcher nos efforts.

On se rassure certes, en constatant les progrès manifestes de la vaccination, car plus de 20 millions de personnes ont reçu la première injection de vaccin. Cependant, l’on s’inquiète aussi, en constatant que plus des deux tiers des Français n’ont pas encore été vaccinés une première fois, alors que le chiffre actuel des contaminations reste élevé, même s’il décroît, et que les variants du virus sont à la fois plus nombreux, plus contaminants et plus dangereux que le virus initial.

La situation de l’épidémie, mes chers collègues, justifie donc d’autoriser le Gouvernement et les autorités sanitaires à continuer à mobiliser des moyens d’action exceptionnels face à la crise sanitaire. Quels moyens ? C’est toute la question dont nous avons à débattre aujourd’hui, car sur le principe je ne pense pas que notre position et celle du Gouvernement doivent profondément diverger.

Sans une nouvelle loi, monsieur le ministre, le 1er juin prochain marquerait un retour complet à la normale. Alors oui, ce que vous avez dit tout à l’heure serait justifié ! Ce ne serait pourtant pas raisonnable.

Il faut donc une nouvelle loi. Elle devra permettre des restrictions aux libertés de réunion et de manifestation, pour éviter les contaminations, à la liberté de déplacement ainsi qu’à celle du commerce. Des restrictions, cela signifie un encadrement, mais pas des interdictions.

Toutes ces mesures sont contenues dans l’état d’urgence sanitaire, qui, comme vous le savez, est activable jusqu’au 31 décembre de l’année en cours, date à laquelle le régime temporaire de pouvoirs exceptionnels doit disparaître. Pour l’instant, ce régime existe bel et bien, et vous pouvez y avoir recours, si vous y êtes autorisé par le Parlement.

L’état d’urgence sanitaire permet de prendre toute mesure utile pour sortir de l’état d’urgence sanitaire. La formule la plus simple et la plus naturelle est donc d’autoriser le Gouvernement à prolonger de quelques mois l’état d’urgence sanitaire, puisque celui-ci nous dit, à juste titre, qu’il a besoin de continuer d’exercer des contraintes sur les libertés des Français, pour pouvoir sortir par paliers de cette période d’exception. Tel serait le langage de la vérité et la formule de la simplicité.

Cependant, le Gouvernement préfère afficher un autre discours, comme nous l’avons entendu à l’ouverture de cette séance. Monsieur le ministre, vous pensez que c’est le discours de l’espoir, mais il pourrait être celui de l’illusion et donner le signal du relâchement.

Pour tenir ce discours, le Gouvernement invente le régime, inutile sur le plan juridique, de sortie de l’état d’urgence sanitaire. Celui-ci ne comporte, en effet, que des mesures déjà prévues par l’état d’urgence sanitaire, à l’exclusion toutefois du couvre-feu et du confinement.

Or, curieusement, sans doute intimidé par sa propre audace, aussitôt le Gouvernement se ravise et reconnaît qu’il faut quand même qu’il puisse prévoir le couvre-feu jusqu’au 30 juin prochain ainsi que la possibilité de confinements territorialisés pendant l’été.

S’il doit y avoir un confinement territorialisé, il nous demande par avance un crédit de deux mois pour le mettre en œuvre, sans autorisation du législateur, alors qu’en la matière l’état d’urgence exige que la mesure soit confirmée par le Parlement au bout d’un mois seulement.

S’agissant du couvre-feu, le Gouvernement s’est avisé, mais seulement en cours de débat, qu’il avait besoin de déposer un amendement pour le prévoir jusqu’au 30 juin prochain. Effectivement, si le régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire ne permet pas le couvre-feu, mais qu’on veut tout de même faire le couvre-feu, alors il n’y a pas d’autre choix que de démentir le texte que l’on a proposé à l’Assemblée nationale ! Tout cela est non seulement d’une parfaite logique, mais aussi d’une grande improvisation.

Voilà comment, le dos au mur, le Gouvernement remet des mesures relevant de l’état d’urgence sanitaire dans un texte prévoyant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, brouillant ainsi la distinction péniblement élaborée entre les deux régimes.

Il en profite aussi, toujours en cours de débat, pour innover en instituant un pass sanitaire permettant l’accès aux grands rassemblements, sans même avoir pris l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), et sans avoir consulté non plus le Conseil d’État, ajoutant ainsi l’improvisation à la confusion.

La commission des lois, qui est bonne fille, proposera de remettre un peu d’ordre dans ce texte, …

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