Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur pour avis – cher Guillaume Chevrollier –, mes chers collègues, le débat sur ce projet de loi constitutionnelle a pris une tournure quelque peu déconcertante, parfois même irritante.
Chacun d’entre nous, ici, est absolument convaincu de la nécessité de préserver l’environnement, tout particulièrement la biodiversité et les équilibres climatiques, dont dépend la survie de l’espèce humaine. Comme plusieurs d’entre vous, j’ai siégé au Congrès du Parlement qui, le 28 février 2005, a décidé d’adosser à la Constitution de 1958 la Charte de l’environnement, ce texte précurseur, d’une précision remarquable, et dont l’efficacité juridique est aujourd’hui démontrée.
Chacun d’entre nous est également convaincu qu’il est urgent de prendre les mesures nécessaires pour enrayer la baisse brutale de la biodiversité et le réchauffement climatique, dont les effets se font déjà sentir.
Si de nouveaux instruments juridiques sont nécessaires ou utiles, nous les voterons, bien sûr. La loi autorisant la ratification de l’accord de Paris a été adoptée par le Sénat à l’unanimité, faut-il le rappeler ? Mais, aujourd’hui, le Gouvernement nous soumet un projet de révision constitutionnelle, osons le dire, d’une extraordinaire ambiguïté et dont lui-même ne sait pas bien, je le crois, quels en sont les effets juridiques.
Après ne pas avoir donné suite à des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, il veut ici, pardonnez-moi l’expression, « se racheter » en transmettant « sans filtre » l’une des 149 propositions de la Convention. Notons au passage que le Gouvernement a passé sous silence trois autres propositions de la Convention qui, elles aussi, impliquaient une révision de la Constitution.
Le résultat, c’est que nous sommes forcés de prendre les choses à l’envers. Au lieu d’essayer de nous mettre d’accord sur un objectif, de déterminer ce qu’il faut changer à l’état du droit pour atteindre cet objectif, et ensuite seulement rechercher une rédaction adéquate, nous sommes obligés de faire l’exégèse du texte proposé. Tant bien que mal, nous essayons de comprendre ce que cette rédaction peut bien vouloir dire et comment le juge l’appliquerait. Bref, au lieu d’être politique, notre débat est devenu purement sémantique.
Dans une décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a également dégagé du préambule de la Charte un objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement en tant que patrimoine commun des êtres humains.
Monsieur le garde des sceaux, le Gouvernement se fonde paradoxalement sur cette décision pour dire que la Charte de l’environnement ne fixe que des objectifs, et pas des obligations. Pardon de vous le dire, mais nous ne trouvons pas le raisonnement suffisamment rigoureux. Non seulement, ce nouvel objectif s’ajoute aux obligations issues de la Charte et n’y enlève rien, mais, contrairement à ce qui est prétendu, les objectifs de valeur constitutionnelle ont une pleine valeur normative : les pouvoirs publics ont l’obligation de les mettre en œuvre ou de contribuer à leur réalisation.
Vous avez également déclaré qu’il était difficile de faire aboutir une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de la Charte de l’environnement. Cela n’est pas juste !