Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 10 mai 2021 à 17h30
Article 1er de la constitution et préservation de l'environnement — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet :

Comme tous les droits et libertés garantis par la Constitution, le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé peut être invoqué dans le cadre d’une QPC, de même que les droits d’information et de participation prévus à l’article 7 de la Charte. D’autres principes énoncés par celle-ci peuvent également être invoqués dans le cadre d’une QPC, en tant qu’ils constituent le corollaire du droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé. Il y va ainsi du devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement – c’est l’article 2 -, du principe de prévention – c’est l’article 3 - et du principe de réparation - c’est l’article 4. Le Conseil constitutionnel ne s’est pas encore prononcé sur l’invocabilité dans le cadre d’une QPC du principe de précaution, mais la solution serait sans doute la même.

Le Gouvernement propose aujourd’hui d’insérer, à l’article 1er de la Constitution, une disposition selon laquelle la France « garantit la préservation de l’environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ». Ce texte, avez-vous dit, faciliterait l’engagement de la responsabilité des personnes publiques en leur assignant une « quasi-obligation de résultat ».

Monsieur le garde des sceaux, vous savez bien que la notion de « quasi-obligation de résultat » n’a aucun contenu défini en droit. Il faudrait nous dire précisément, si tel était le cas, quel contenu est donné à la nouvelle obligation que votre texte instaurerait, quelles juridictions seraient chargées de la faire respecter, quelle serait la charge de la preuve… Bref, il faudrait nous dire à quel régime de responsabilité le Gouvernement pense.

Vous vous abritez derrière l’avis du Conseil d’État. Toutefois, si le Conseil d’État a lui-même évoqué une « quasi-obligation de résultat », ce n’est pas pour fixer l’interprétation du texte ; c’est au contraire pour souligner combien sa signification et ses effets juridiques ont un caractère incertain. Se prévaloir de l’avis du Conseil d’État pour défendre cette rédaction relève du sophisme.

Enfin, vous avez dit que l’un des objectifs de votre texte était de « rehausser la place de la préservation de l’environnement dans notre Constitution ». Vous aviez aussitôt précisé, à l’occasion de votre audition : « Rehaussement ne signifie pas hiérarchie. Le Gouvernement n’entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels, qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. L’objectif est de donner plus de poids à la protection de l’environnement dans sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle. » Par ces interprétations, le Gouvernement crée lui-même un doute plus que sérieux sur les conséquences juridiques de sa proposition.

En réalité, l’usage du verbe « garantir » laisse entendre non seulement que la protection de l’environnement se verrait accorder « plus de poids » qu’aujourd’hui dans la conciliation que les pouvoirs publics doivent opérer entre les principes constitutionnels, mais qu’il s’agirait désormais d’une obligation prioritaire, devant être honorée avant toute autre.

La commission des lois a considéré, pour sa part, qu’il serait tout à fait déraisonnable d’accorder une priorité à un principe constitutionnel, quel qu’il soit. Les pouvoirs publics doivent être en mesure de procéder aux arbitrages nécessaires, en fonction des circonstances. Faut-il rappeler le principe de conciliation entre les différentes valeurs constitutionnelles ?

La commission des lois aurait pu recommander au Sénat de rejeter purement et simplement ce texte dont les effets juridiques, je l’ai indiqué, sont mal maîtrisés. Ce n’est pas ce qu’elle a fait, car nous abordons cette discussion, monsieur le garde des sceaux, dans un esprit constructif. La commission défendra donc un amendement visant à substituer au texte proposé par le Gouvernement une rédaction qui lui semble plus sûre juridiquement, inspirée des recommandations du Conseil d’État.

Quelle est notre inquiétude ? Rappelons que l’avis du Conseil d’État est d’une extrême prudence. L’obligation de moyens ou de résultat qui s’applique habituellement dans le domaine civil n’est absolument pas de même nature en droit constitutionnel. La Charte de l’environnement, dont la valeur est reconnue et établie, fait partie du bloc constitutionnel. Le Conseil constitutionnel s’est prononcé à de nombreuses reprises, sur le fondement de cette Charte, afin de préserver et de protéger l’environnement.

De surcroît, et ce n’est pas sans importance, la Charte établit, en son article 6, la définition du développement durable suivant les trois piliers que sont le développement économique, le progrès social, mais aussi la protection de l’environnement. Cet équilibre participe d’une conciliation générale, dans le respect des valeurs constitutionnelles.

C’est la raison pour laquelle la commission des lois, considérant que l’interprétation du verbe « garantir » était incertaine, et les auditions qu’elle a menées n’ayant pas dissipé le doute, a préféré le verbe « préserver ». Nous avons également souhaité ajouter la mention du climat, en renvoyant à la Charte de 2004, que nous connaissons parfaitement, qui est précise et dont la jurisprudence est parfaitement établie.

Nous n’avons pas voulu, monsieur le garde des sceaux, à ce stade, constitutionnaliser le doute que porte en lui le verbe « garantir ».

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