Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Réunion du 10 mai 2021 à 17h30
Article 1er de la constitution et préservation de l'environnement — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le projet de loi constitutionnelle dont nous débattons aujourd’hui, qui prévoit d’inscrire à l’article 1er de la Constitution que la République « garantit la préservation de l’environnement et de la biodiversité et lutte contre le dérèglement climatique », est issu d’une proposition de la Convention citoyenne pour le climat, à laquelle le Président de la République avait donné un avis favorable le 29 juin 2020. Le chef de l’État a également fait le choix de soumettre ce projet de révision à référendum, sur le fondement de l’article 89 de la Constitution. La protection de l’environnement et du climat ne pourra être effective sans l’implication pleine et entière des citoyens dans cet enjeu.

Vous l’avez rappelé, messieurs les rapporteurs, réformer la Constitution n’est jamais un acte anodin. Lorsque le législateur s’y essaye, il doit le faire avec rigueur, sérieux et sens critique. Il me semble que le texte initial présente, à ce titre, des garanties et un intérêt manifestes.

Il comporte tout d’abord une dimension symbolique forte, attendue par les citoyens de notre pays, qui ont su marquer, ces dernières années, leur attachement à la prise en considération des problématiques environnementales – nous l’avons encore vu hier. Par ailleurs, l’obligation à laquelle le texte soumet les pouvoirs publics accompagne le mouvement jurisprudentiel sur la responsabilité, observé récemment.

En outre, cette proposition de réforme offre au Conseil constitutionnel un levier supplémentaire dans son appréciation de la constitutionnalité des textes de loi qui lui seront soumis. Aujourd’hui, seule la moitié des articles de la Charte de l’environnement peut être invoquée au fondement d’une question prioritaire de constitutionnalité. Tel n’est pas le cas de son préambule, qui comporte pourtant des principes intéressants.

De plus, et à la différence de la protection de l’environnement, le Conseil constitutionnel n’avait jusqu’alors conféré à la lutte contre le réchauffement climatique qu’un « caractère d’intérêt général » et non la qualification d’un « objectif d’intérêt général ». Son inscription ferait de la France le premier pays européen à procéder à cette mention dans sa loi fondamentale.

Malgré ces apports indéniables, je regrette que nos débats se soient presque exclusivement focalisés sur le choix des verbes de la réforme. Les éminents constitutionnalistes et juristes en droit de l’environnement entendus par la commission des lois et celle de l’aménagement du territoire et du développement durable ont manifesté des divergences de point de vue notables sur cette question. Certains ont considéré que la modification envisagée de l’article 1er ne changera rien à l’état actuel du droit, qu’elle ne gênera pas davantage le législateur et ne donnera pas au Conseil constitutionnel un instrument supplémentaire pour contrôler les pouvoirs publics. D’autres, au contraire, ont estimé qu’elle serait dangereuse. Comment un texte peut-il tout à la fois être dénué de portée juridique et dangereux ?

Les verbes « garantir » et « lutter » obligent le Gouvernement à agir conformément à son engagement et impliquent une détermination totale pour répondre à l’urgence climatique. Ils n’instaurent pas de hiérarchisation des normes constitutionnelles et ne confèrent à l’environnement ni prééminence ni priorité. En premier lieu, parce que le verbe « garantir » figure à huit reprises dans le bloc de constitutionnalité. Il ne fait aucun doute que le repos ou les loisirs, pourtant « garantis » à tous dans le préambule de notre Constitution, ne viendront pas concurrencer le progrès social et économique. En second lieu, parce qu’il appartient au juge d’apprécier le contexte et de rechercher un nécessaire équilibre entre les droits et libertés constitutionnellement garantis, en se fondant notamment sur l’intention du législateur.

L’insertion dans le préambule de la Constitution d’une telle prééminence de l’environnement sur les autres principes constitutionnels, souhaitée par la Convention citoyenne, ou encore l’introduction du principe de non-régression en matière environnementale n’ont pas été retenues.

Convaincus de la dangerosité du projet de révision, les rapporteurs nous ont présenté une proposition de réécriture, se cristallisant sur les verbes employés et enserrant la révision proposée dans les conditions de la Charte de l’environnement. Nous n’y sommes pas favorables. L’objet des amendements et le rapport affirment que cette rédaction ne produira pas d’effet juridique nouveau. Devons-nous comprendre que soutenir le « oui » au référendum consisterait à convaincre les citoyens de se rendre aux urnes pour approuver une révision constitutionnelle, dont vous revendiquez vous-mêmes qu’elle n’aura pas de portée ?

Par ailleurs, vous souhaitez circonscrire la préservation de l’environnement, la diversité biologique et l’action contre le dérèglement climatique aux conditions prévues par la Charte de l’environnement. Ce texte, dont on ne peut dénier l’importance, est désormais vieux d’une quinzaine d’années. Les atteintes à l’environnement se sont développées depuis, et l’on ne peut décemment pas contester l’impérieuse nécessité de rechercher de nouveaux instruments juridiques pour tenter d’y mettre un terme.

Pour toutes ces raisons, bien qu’il soit profondément attaché à la préservation de notre environnement et à son inscription au sein de notre Constitution, validée par référendum, le groupe RDPI ne pourra se résoudre à voter favorablement la révision constitutionnelle telle qu’issue des travaux du Sénat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion