Intervention de Alain Marc

Réunion du 10 mai 2021 à 17h30
Article 1er de la constitution et préservation de l'environnement — Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Alain MarcAlain Marc :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, avec moins de 1 % de la population mondiale, la France ne représente que 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Notre pays est reconnu pour son action climatique à l’échelon européen et international. Le succès de la COP21 comme l’énergie déployée en faveur d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières sont des exemples de notre volonté d’agir concrètement en faveur de la préservation de l’environnement, mais cela ne nous exonère pas d’agir davantage.

À l’échelon national, les normes ont aussi grandement évolué ces dernières décennies. Nos concitoyens sont de plus en plus conscients de l’urgence environnementale, et c’est pour le mieux. Cette prise de conscience trouve écho dans toutes les facettes de la vie de notre pays, et là encore c’est pour le mieux.

La France agit dans le domaine de la protection environnementale. Le législateur, à l’instar des Français, est conscient des menaces que constitue le changement climatique et travaille à trouver les meilleurs équilibres.

Notre Constitution est, pour reprendre une phrase récemment coécrite par l’un de nos derniers Premiers ministres, une « merveille d’équilibre des pouvoirs ». Mais elle a aussi et surtout pour objectif de protéger les citoyens, ainsi que leurs libertés fondamentales. Le changement climatique et le réchauffement de notre planète représentent une menace pour les individus, et singulièrement dans l’exercice de leurs libertés.

Les projections de hausses de température nous font craindre le pire. Nous vivons déjà les conséquences du réchauffement, et nous le voyons chaque jour accélérer. La préservation de l’environnement et de la biodiversité ainsi que notre action pour infléchir le réchauffement climatique ont toute leur place dans notre Constitution.

Le Président Chirac l’avait bien compris. Au-delà de nous expliquer que nous tournions le dos à notre maison commune en flammes et que nous regardions ailleurs, voilà vingt ans presque jour pour jour, le 3 mai 2001, il développait un projet d’écologie humaniste basée sur la création d’une charte de l’environnement adossée à notre Constitution. Je vous rappelle ses termes : « L’écologie, le droit à l’environnement protégé et préservé doivent être considérés à l’égal des libertés publiques. » Plus fort encore, ce fut une promesse de campagne, et nous lui sommes redevables de l’avoir mise en œuvre.

Toute révision de la Constitution ne doit être envisagée qu’avec la plus grande circonspection. Il est impératif d’envisager tous les paramètres et d’évaluer les conséquences avant toute modification. Si Montesquieu disait des lois qu’« il n’y faut toucher que d’une main tremblante », l’examen de ce texte appelle la plus grande prudence.

L’article unique qui nous est présenté a pour objectif d’introduire dans l’article 1er de la Constitution la préservation de l’environnement et de la diversité biologique. Cela s’accompagnerait de la mention de notre combat contre le dérèglement climatique. Ce dernier point ne fait pas partie de la Charte de l’environnement. Ce serait un message fort, faisant de la France un exemple.

D’après la jurisprudence récente du Conseil constitutionnel, cette protection est un objectif de valeur constitutionnelle. Cependant, si un tel principe est au plus haut dans la hiérarchie des normes, le Conseil d’État rappelle qu’il n’a pas de prééminence juridique sur d’autres dispositions constitutionnelles, même s’il devait être intégré dans l’article 1er de la Loi fondamentale.

La place de la protection de l’environnement, grâce à la Charte de l’environnement de 2004, est donc constitutionnelle. C’est essentiel. Sur le terrain, c’est l’une des principales préoccupations. En tant qu’élu, je peux vous assurer que les enjeux sont pris en compte et que nous y sommes très attentifs.

Laissez-moi vous faire part d’une anecdote. Je suis, pour un mois encore, président de la commission des routes d’un conseil départemental. Au sud de mon département, nous avons récemment dû travailler à la remise en état d’une route à flanc de montagne. Longeant l’une de nos rivières – l’une des plus belles de France –, la route en question permet de relier le plateau du Causse noir, ses villages et ses fermes à l’une des principales villes du département. Dans nos territoires, la route est un moyen de vivre en hyper-ruralité et d’accéder à l’éducation, à la santé, à l’emploi. Nous avons rendu la route plus sûre. C’était important pour les habitants. Nous l’avons fait avec le concours de la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). Des études encadrées ont été menées. Nous avons tenu compte de l’environnement et de la spécificité du territoire. Nous avons replanté des arbres et respecté les exigences de la biodiversité.

Nous sommes donc déjà énormément contraints par le droit à intégrer la lutte pour l’environnement dans toutes nos décisions, et c’est heureux !

Je n’évoque même pas les règles d’urbanisme régies désormais par les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et, conséquemment, les plans locaux d’urbanisme intercommunaux (PLUi). Mais les élus locaux, eux, savent combien il est éminemment tenu compte de l’environnement dans les décisions qu’ils prennent au quotidien.

L’inscription dans l’article 1er de la Constitution qui nous est proposée aujourd’hui a le même objectif. La révision d’un texte renvoie à la complexité de le rédiger. Comme le soulignait Flaubert : « Tout le talent d’écrire ne consiste après tout que dans le choix des mots. » En matière de droit – ce n’est pas vous qui me contredirez, monsieur le garde des sceaux –, chaque mot doit être pesé, car il peut donner lieu à interprétation. C’est d’autant plus vrai pour la norme constitutionnelle.

Les termes qui ont été sélectionnés laissent une place très importante à l’interprétation et aux incertitudes qui en découlent. Il y a danger quand nous ne sommes pas capables d’entrevoir les conséquences juridiques réelles des modifications que nous apportons. Notre rapporteur, François-Noël Buffet, l’a très justement illustré en évoquant le fait de « constitutionnaliser le doute ».

De son côté, le Conseil d’État relève les difficultés dans l’anticipation des effets que produirait l’utilisation des mots « garantit » et « lutte ». Selon lui, cela imposerait une quasi-obligation de résultat et pourrait être entendu comme « s’imposant aux pouvoirs publics nationaux et locaux dans leur action nationale et internationale ».

Que se passerait-il lors de la ratification d’un texte européen qui ne serait pas conforme à notre Constitution, mais qui marquerait des avancées environnementales majeures ? Le mois dernier, l’Allemagne a été contrainte de suspendre la ratification du plan de relance européen de 750 milliards d’euros en raison d’une saisine de la Cour constitutionnelle visant à s’assurer que le plan était bien conforme à la Loi fondamentale allemande. Un tel recours paralyse ainsi l’adoption du plan de relance pour l’ensemble des États européens, l’unanimité étant requise pour son adoption.

La rédaction qui nous est proposée fait encourir le risque de décisions pouvant in fine contrevenir au bien-être social et économique de nos concitoyens, ce qui irait à l’encontre de l’article 6 de la Charte de l’environnement, et donc de beaucoup de nos libertés. Le Conseil d’État redoute d’ailleurs les effets juridiques du projet sur « la conciliation entre la préoccupation environnementale et les autres intérêts publics ». Notre collègue Philippe Bonnecarrère a très bien développé ce point tout à l’heure.

Restons vigilants afin de pouvoir défendre ensemble notre objectif de protection de l’environnement. À être trop contraignants, nous risquons des effets pervers inacceptables.

Notre groupe croit à une écologie libérale et réaliste, en phase avec les réalités sociales et économiques. Nous croyons que l’innovation et le progrès vont de pair avec la protection de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique. Les normes sont nécessaires. Mais il serait fâcheux que, faute de souplesse, elles ne permettent ni à la recherche de se développer ni aux investissements d’être bien orientés pour faire émerger des pratiques et une consommation différentes, plus sobres et moins utilisatrices de nos ressources naturelles.

Un dernier risque doit être pris en compte : celui du gouvernement des juges. Nous en avons eu le meilleur exemple la semaine dernière en Allemagne. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe, saisie par des associations environnementales, a jugé les objectifs de la loi allemande sur la protection du climat « insuffisants », forçant le gouvernement à retravailler le texte. Certains plaignants, après le jugement, ont même regretté que la Cour n’ait pas fixé elle-même la trajectoire de réduction des émissions. Nous trouvons dangereux que des arbitrages éminemment politiques soient confiés aux juges plutôt qu’aux élus.

Nous ne pouvons donc pas voter ce texte dans la rédaction proposée par le Gouvernement. Au terme « garantit », nous préférons « préserve », et nous trouvons le verbe « agir » plus adapté que celui de « lutter ». La précision des mots dans notre Constitution est fondamentale.

La rédaction proposée dans les amendements identiques présentés par les deux commissions saisies pour l’examen du texte – il s’agit de reprendre les recommandations du Conseil d’État – nous paraît équilibrée.

Le groupe Les Indépendants votera par conséquent dans sa très grande majorité en faveur du texte ainsi amendé.

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