Intervention de Jean-Yves Le Drian

Réunion du 11 mai 2021 à 14h30
Développement solidaire et lutte contre les inégalités mondiales — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Jean-Yves Le Drian :

Depuis un an, j’y insiste.

Nous avons constamment été à l’initiative avec nos partenaires européens et avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Plus de 50 millions de doses de vaccins ont ainsi déjà été distribuées via Covax dans 121 pays, dont 72 pays en développement.

La France joue un rôle capital au sein d’ACT-A pour, d’une part, promouvoir les transferts de technologie et les partenariats industriels, et, d’autre part, distribuer des dons de doses de vaccins, comme elle a commencé à le faire à titre national en Mauritanie.

Il s’agit aussi pour la France de traiter de façon concrète et opérationnelle tous les goulots d’étranglement, singulièrement ceux de production, pour garantir la disponibilité des vaccins. Cela intègre, évidemment, les restrictions aux exportations ainsi que la levée des brevets.

La France n’a pas de tabou à ce sujet, mais il ne s’agit pas d’en faire « la recette miracle », comme cela a été trop rapidement et de façon parfois un peu simpliste mis en avant. L’urgence est bien la production.

Les évolutions portées par ce projet de loi nous sont aussi nécessaires pour bâtir une vraie diplomatie du XXIe siècle, ce siècle de défis communs.

Face au covid, face à l’urgence climatique, face aux migrations, tous les pays, toutes les sociétés civiles ont un rôle à jouer.

C’est dire que les solutions se trouvent aussi au Sud et que notre responsabilité est de veiller à ce qu’elles puissent y voir le jour.

Oui, il y va de notre responsabilité, car ces défis engagent l’avenir : l’avenir de notre pays, l’avenir des nouvelles générations, l’avenir de la planète que nous avons en partage.

Le développement solidaire, c’est enfin un instrument privilégié de la diplomatie des valeurs que nous voulons et devons mener aujourd’hui.

Car certains, vous le savez, sous couvert de solidarité, cherchent en réalité à imposer à nos partenaires les plus vulnérables des conditions et des contreparties qui ne sont pas compatibles avec les exigences de souveraineté et de respect des droits fondamentaux que nous portons pour nous-mêmes, mais aussi sur la scène internationale.

Notre intérêt – je le dis très clairement – n’est pas de voir ces exigences perdre du terrain dans la compétition des modèles lancée par les puissances autoritaires. Au contraire, notre intérêt est que ces exigences soient partagées par d’autres, à commencer par ceux des pays qui sont prioritaires dans notre aide publique au développement (APD). C’est aussi le sens de ce texte.

À la différence de la précédente loi sur le développement, celle de 2014, le présent texte fixe une trajectoire budgétaire.

Cette trajectoire nous permettra de concrétiser l’engagement du Président de la République de consacrer 0, 55 % de la richesse nationale à notre aide publique au développement d’ici à 2022.

Pour toutes les raisons que je viens de rappeler, nous avons fait le choix de garder le cap que nous nous étions fixé, en dépit des perturbations, notamment économiques, que nous traversons aujourd’hui, et ce contrairement à certains de nos voisins qui ont pris le chemin inverse.

Je suis fier de ce choix, qui montre que nous continuons à nous projeter dans le temps long, qui est le temps du développement et des changements en profondeur dont nos partenaires ont besoin. Paradoxalement, les urgences de la crise actuelle sont d’ailleurs venues, à leur façon, nous rappeler la nécessité d’une transformation inscrite dans la durée.

Il s’agit également d’un projet de loi d’ambition puisque son examen en première lecture à l’Assemblée nationale a permis de compléter l’article 1er, en prévoyant que la France s’efforcera, en 2025, de consacrer à l’aide publique au développement 0, 7 % de son revenu national brut, soit la cible fixée par les Nations unies. Cette formulation, qui recueillait l’accord du Gouvernement, a cependant été atténuée en commission, monsieur le président Cambon, et il conviendra donc, si vous le voulez bien, d’en discuter de nouveau.

Je sais, par ailleurs, qu’en commission vous avez demandé que nous soyons plus précis concernant la trajectoire budgétaire d’ici à 2025. Nous aurons bien sûr l’occasion d’y revenir au cours du débat. Mais je vous demande d’ores et déjà de prendre la mesure de ce que signifie ce premier pas. Après le vote de l’amendement auquel je fais référence, sur le taux de 0, 7 %, les organisations de la société civile ont salué un moment historique. De cela aussi, je suis très fier, d’autant plus fier que ce combat, comme vous le savez, n’était pas gagné d’avance.

Ces moyens renforcés doivent permettre de faire une vraie différence sur le terrain. C’est particulièrement important à mes yeux, et je sais que vous y tenez aussi.

Il s’agit donc non pas seulement de faire plus, mais aussi de faire mieux, afin d’obtenir des résultats tangibles que la représentation nationale pourra apprécier sur des bases objectives et détaillées, grâce à la création d’une commission d’évaluation indépendante rattachée à la Cour des comptes.

Cette commission sera chargée de mesurer l’impact concret des projets que nous soutenons et de se prononcer sur l’efficacité de notre aide publique au développement. Puisque des moyens accrus vont être consacrés au développement, il est légitime que nos concitoyens sachent à quoi ils serviront. Je crois que nous serons tous d’accord sur ce point et je sais que nous partageons ce même objectif.

Faire mieux, c’est d’abord clarifier nos priorités géographiques. Dans la continuité des décisions prises lors du comité interministériel de la coopération internationale et du développement, le Cicid, en 2018, nous proposons d’orienter notre aide en dons sur 19 pays prioritaires qui concentrent les fragilités : Haïti et 18 pays d’Afrique subsaharienne.

Je pense, en particulier, aux 5 pays du Sahel où nos efforts – j’ai eu l’occasion de le rappeler il y a peu à cette tribune – s’inscrivent dans le cadre d’une approche globale et intégrée, qui articule engagement militaire, aux côtés des forces du G5 et de nos partenaires européens et internationaux, et soutien aux populations, sur tout l’arc de la solidarité internationale, qui va de l’humanitaire au développement, sans oublier l’étape cruciale de la stabilisation.

Depuis quelques années, les moyens affectés aux pays du Sahel sont en constante augmentation.

Entre 2016 et 2019, notre aide publique au développement en faveur des pays du G5 Sahel est passée de 382 millions d’euros à plus de 503 millions d’euros. Sa part bilatérale a progressé de 34 % par rapport à 2018. Elle s’élevait, en 2019, à 362 millions d’euros.

Pour ne citer que ces quelques exemples qui permettent de comprendre de quoi il retourne concrètement, nous avons récemment raccordé des foyers à l’électricité, permis la réalisation de barrages hydrauliques dans la région de Ménaka, maintenu 200 000 enfants nigériens à l’école primaire et réhabilité près de 2 000 classes au Mali.

Prises ensemble, ces avancées nous permettent de faire reculer durablement la menace terroriste au Sahel, qui est aussi – nous en sommes tous conscients – une menace pour la sécurité des Français et des Européens.

Faire mieux, c’est aussi clarifier nos priorités thématiques autour de nos biens communs – la santé, mais aussi le climat et la biodiversité –, autour de ces formidables leviers de développement que sont l’éducation et l’égalité entre les femmes et les hommes, et autour d’un objectif global de lutte contre les fragilités, qui sont des facteurs d’instabilité pour les sociétés, et donc des facteurs d’instabilité pour le monde entier.

Évidemment, ces sujets sont liés les uns aux autres. Faire mieux, c’est donc également veiller à les traiter comme un tout, pour répondre à la complexité des problèmes qui se posent sur le terrain et décupler l’efficacité de nos actions.

D’où l’attention que nous apportons à des questions comme celles de la scolarisation des filles ou encore des interactions entre santé humaine et santé animale, qui sont au confluent de nos différentes priorités.

D’où, pour ne prendre qu’un seul exemple, le soutien que nous apportons à la relance du projet de la « grande muraille verte » au Sahel, qui crée une dynamique vertueuse entre écologie et emploi des populations.

Faire plus, faire mieux, mais aussi faire avec : avec nos partenaires du Sud, et pas simplement pour eux. C’est aussi cela, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, une diplomatie du XXIe siècle.

C’est pourquoi nous proposons également un changement de méthode.

Nous voulons travailler autrement avec les pays du Sud, en particulier avec leurs sociétés civiles, pour bâtir et réaliser ensemble les projets dont les populations ont besoin.

Nous voulons mieux valoriser le rôle des ONG françaises, auxquelles nous proposons de reconnaître un droit d’initiative.

Nous voulons encourager la coopération décentralisée, qui permet à nos communes, à nos départements et à nos régions de partager leur expertise et leur expérience avec les collectivités locales des pays en développement.

Nous voulons réinventer le volontariat de solidarité internationale en ouvrant ce dispositif emblématique à la jeunesse du Sud, qui pourra venir prêter main-forte à nos associations, ici, en France.

Nous voulons mettre à contribution les diasporas africaines en France, qui sont des relais précieux entre la France et le continent africain.

Dire que le développement est un pilier de notre politique étrangère a des conséquences très concrètes. Cela signifie que le pilotage par l’État de notre action dans ce domaine doit être renforcé et que cette action doit répondre à des impératifs stratégiques. Cette volonté, nous la partageons ensemble ; nous avons eu l’occasion d’en discuter à plusieurs reprises lors de nos débats sur les projets de loi de finances successifs.

Les rapporteurs, MM. Saury et Temal, dont je salue l’investissement sur ce texte et la qualité de leurs travaux, …

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