Intervention de Christian Cambon

Réunion du 11 mai 2021 à 14h30
Développement solidaire et lutte contre les inégalités mondiales — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Christian CambonChristian Cambon :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord mon groupe, Les Républicains, de m’avoir laissé le temps de parole qui lui était imparti, afin que je puisse m’exprimer, au nom de la commission que j’ai l’honneur de présider.

Enfin, nous y voilà, monsieur le ministre ! Du temps nous a été donné pour examiner ce projet de loi relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, dont la présentation devant le Parlement a été maintes fois reculée. Je veux vous redire notre gratitude, monsieur le ministre, car je sais toute l’énergie que vous avez consacrée à inscrire dans un ordre du jour parlementaire chargé ce texte ô combien important.

Depuis plusieurs années, nous observons avec une certaine inquiétude un monde plus chaotique, une montée des égoïsmes nationaux, une expansion du terrorisme, un changement climatique menaçant. Dans ce contexte, la politique de développement solidaire et de lutte contre les inégalités mondiales a un rôle essentiel à jouer.

Il ne s’agit pas là d’une posture empreinte d’un quelconque angélisme, car cette politique constitue un moyen d’influence et d’affirmation incontournable de la France sur la scène internationale. Lorsqu’elle est à la hauteur des enjeux, cette politique peut contribuer à renforcer la crédibilité de notre action diplomatique.

Dans des circonstances où notre pays est fortement engagé sur le plan militaire, en particulier pour lutter contre le terrorisme, l’aide au développement doit aussi combattre l’extrême pauvreté, véritable terreau du radicalisme des populations si souvent abandonnées par les défaillances de leur État.

À cet égard, monsieur le ministre, nous vous demandons plus que jamais de faire de la cohérence entre notre action militaire et notre politique de développement une priorité. À défaut, nous pourrions décupler les effectifs de Barkhane sans obtenir aucun succès durable.

Ainsi, en 2019, nous avons dépensé environ trois fois plus pour notre action militaire qu’en APD bilatérale pour l’ensemble des 5 pays du Sahel. C’est bien en luttant contre la pauvreté et en construisant des sociétés solides, où les citoyens, en particulier les jeunes, retrouvent des perspectives d’éducation, de santé et de travail, que nous sortirons de cette crise et que nous en éviterons d’autres.

Permettez-moi, à présent, de rappeler les grandes priorités qui nous ont guidés dans l’examen du texte en commission.

Premièrement, l’aide publique au développement ne doit jamais perdre de vue nos trois grandes priorités : nourrir, soigner et former. Notre commission a reformulé dans cet esprit, à la fois les grands objectifs de cette politique et les missions de l’Agence française de développement. Viennent ensuite, bien sûr, les grands objectifs de nature transversale : la protection du climat et de la biodiversité, l’égalité femmes-hommes et la bonne gouvernance.

Deuxièmement, nous souhaitons rééquilibrer notre aide publique au développement en augmentant la part des dons par rapport aux prêts, celle du bilatéral par rapport au multilatéral, et, enfin, la part consacrée aux pays les plus pauvres par rapport à celle qui bénéficie aux pays à revenu intermédiaire. C’est une nécessité pour mieux cibler les 19 pays prioritaires de l’aide française.

Faisons une comparaison avec le Royaume-Uni, qui, certes, a récemment réduit son effort. En 2018, quelque 11 pays africains ont reçu chacun plus de 100 millions de dollars d’APD des Britanniques et 5 pays chacun plus de 200 millions de dollars.

La même année, seuls 2 pays recevaient plus de 100 millions de dollars de la part de la France, dont 1 seul pays prioritaire, le Sénégal. Les nouveaux critères fixés par notre commission doivent ainsi nous permettre de concentrer davantage notre effort, pour obtenir un réel impact.

Troisièmement, au sein de cette loi dite « d’orientation et de programmation », nous avons eu un peu de mal à trouver cette programmation. De report en report, le texte ne programme plus que pour l’année 2022, à quelques mois du projet de loi de finances.

En pleine intelligence avec la commission des finances, nous avons donc décidé d’introduire une véritable programmation. Après tout, plusieurs lois de programmation récentes vont au-delà de la présente législature, qu’il s’agisse de la recherche ou de la fameuse loi de programmation militaire.

Nous espérons ainsi sanctuariser des moyens annuels supplémentaires, qui permettront notamment de soutenir des pays durement touchés par la crise économique consécutive à la crise sanitaire.

Quatrièmement, nous avons mis l’accent sur le pilotage et l’évaluation, qui est un de nos chevaux de bataille depuis bien longtemps.

La politique de développement solidaire pèse plus de 12 milliards d’euros, mes chers collègues, et bien davantage si l’on tient compte de l’ensemble des engagements en prêts de l’AFD, sans parler des apports réguliers de fonds propres à l’agence. De tels montants rendent nécessaires un pilotage efficace, davantage de transparence et un meilleur contrôle démocratique.

À cet égard, nous saluons vos efforts, monsieur le ministre, pour améliorer le pilotage de cette politique et l’exercice de la tutelle sur l’Agence française de développement. C’est d’autant plus nécessaire que le texte prévoit l’intégration à terme d’Expertise France au sein de l’AFD, conférant ainsi à l’agence une présence encore plus dominante dans le paysage de l’APD française.

Nous saluons également la création du conseil local de développement, dirigé par un ambassadeur. En améliorant la cohérence entre politique de développement et politique diplomatique, il pourra nous épargner bien des erreurs d’appréciation, liées à une approche trop centralisée.

Récemment encore, le président Larcher et moi-même avons eu un aperçu du chemin qui reste à parcourir dans ce domaine, en constatant un manque total de coordination entre le centre de crise du Quai d’Orsay et notre ambassade en Arménie. Celle-ci a en effet vu arriver des tonnes de pâtes et de couches-culottes qu’elle n’avait jamais demandées. Il faudra donc faire vivre ce nouveau conseil local, pour donner à l’ambassadeur le rôle de chef d’orchestre qui lui revient.

Par ailleurs, le contrôle démocratique sera renforcé par la création de la nouvelle commission indépendante d’évaluation, que nous appelions depuis longtemps de nos vœux. Nous avons souhaité préciser sa composition en prévoyant notamment la présence de quatre parlementaires. Ceux-ci porteront au sein de cette nouvelle instance une exigence de lisibilité, d’efficacité et de démocratie.

Le Gouvernement doit s’appuyer sur le Parlement, et non craindre son regard ; je sais que tel est votre sentiment, monsieur le ministre.

Nous aurions toutefois souhaité aller plus loin dans l’amélioration du pilotage. En commission, nous avons renforcé le rôle du ministre chargé du développement. La politique de développement solidaire étant essentielle au rayonnement et à la promotion des intérêts de la France, il serait toutefois préférable, selon nous, qu’elle soit incarnée, à vos côtés, par un ministre ou un secrétaire d’État dédié. Peut-être une prochaine législature le permettra-t-elle.

Je souhaite, pour finir, souligner que l’examen du projet de loi en commission, sous l’égide de nos excellents rapporteurs Hugues Saury et Rachid Temal, a eu lieu dans une atmosphère consensuelle. Nous avons adopté de nombreux amendements qui visaient à apporter au texte initial d’indéniables améliorations. Je suis persuadé que nous poursuivrons l’examen du texte dans le même esprit constructif, ce sujet en valant vraiment la peine.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, la France rayonne à travers le monde par son histoire, par son message et par ses valeurs.

À nous de montrer à présent qu’elle peut aussi, par le partage et la générosité, agir efficacement pour plus de paix dans le monde.

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