Je développerai le premier point, relatif à la consolidation des outils de détection et de prévention précoce des difficultés des entreprises.
La prévention de l'insolvabilité des entreprises repose sur un ensemble de dispositifs de détection et de traitement précoce des difficultés, particulièrement diversifié dans notre pays, et qui fait appel à un grand nombre d'acteurs.
Si la source la plus directe d'informations pour détecter les difficultés d'une entreprise est sa comptabilité, l'exploitation des « signaux faibles » est de plus en plus utilisée. Parmi ces signaux, je citerai le non-respect de l'obligation légale de dépôt des comptes annuels, les incidents de paiement, les procédures contentieuses ou encore le recours à l'activité partielle. Il existe aussi des outils d'autodiagnostic et, enfin, des procédures d'alerte des dirigeants et des associés ou du président du tribunal de commerce.
Nous estimons à cet égard indispensable d'encourager les entrepreneurs à renforcer leurs outils d'analyse comptable et financière. Nous proposons notamment d'améliorer l'accès des dirigeants à la formation, qui deviendrait une mission prioritaire des réseaux consulaires, et de définir un socle de prestations d'expertise comptable qui donnerait droit à un soutien financier public. En particulier, il faut aider les petites entreprises à se doter d'un « tableau de bord financier », c'est-à-dire d'un outil de prévision des flux de trésorerie à court et moyen terme.
Un très grand nombre d'acteurs publics et privés interviennent dans la prévention des difficultés des entreprises de manière assez dispersée : outre les administrations de l'État et les juridictions, on peut citer les collectivités territoriales, la Banque de France, les réseaux consulaires, les organisations patronales et professionnelles, les organismes de sécurité sociale, les groupements de prévention agréés ou encore les centres d'information sur la prévention créés à l'initiative des professionnels du chiffre et du droit.
L'État joue un rôle particulièrement important, via ses commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés d'entreprises, compétents pour les entreprises comptant entre 50 et 400 salariés, le comité interministériel de restructuration industrielle, pour les entreprises de plus de 400 salariés, ou encore les comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi) réunis sous la présidence du préfet.
Il conviendrait toutefois de mieux coordonner ces acteurs. Les administrations de l'État étant les mieux placées pour cela, nous recommandons de confier à la direction générale des entreprises et à ses services déconcentrés le soin de créer une plateforme d'information destinée aux entreprises en difficulté recensant l'ensemble des outils et interlocuteurs disponibles dans chaque département et d'encourager la conclusion de contrats départementaux de prévention pour coordonner l'intervention des acteurs locaux.
Il nous semble également indispensable de mettre fin au cloisonnement des informations entre administrations et juridictions. Les juridictions sont en effet l'un des acteurs essentiels de la prévention. Les présidents de tribunaux judiciaires et de commerce disposent de pouvoirs d'enquête et peuvent convoquer les dirigeants à un entretien en s'appuyant sur les données détenues par les greffes, notamment des tribunaux de commerce. Il conviendrait toutefois d'améliorer l'accès des présidents aux informations utiles à l'exercice de leur mission en imposant à l'administration fiscale et aux organismes de sécurité sociale de transmettre au greffe la liste des entreprises présentant un retard de plus de trois mois dans le paiement de leurs impôts et cotisations, et en mettant en place un système d'information commun aux administrations et juridictions pour la détection des signaux faibles.
La réticence des chefs d'entreprise à se tourner vers le tribunal de commerce, associé aux procédures collectives et à la faillite, a souvent été citée lors de nos auditions. Pour dédramatiser ce moment, nous proposons que les juges puissent tenir leurs entretiens de prévention hors des locaux du tribunal.
Enfin, nous souhaitons renforcer l'attractivité des procédures amiables, qui sont trop peu utilisées, en particulier par les petites et moyennes entreprises (PME). Le livre VI du code de commerce prévoit deux procédures de ce type qui ont l'avantage d'être confidentielles. Le président du tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour exercer une mission qu'il détermine et sans limite de temps. En outre, il existe une procédure de conciliation ouverte aux entreprises qui éprouvent « une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible » et ne se trouvent pas en état de cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours. Le tribunal peut homologuer l'accord, ce qui lui donne force exécutoire.
Pour encourager le recours à ces procédures, nous proposons de pérenniser la faculté introduite pendant la crise sanitaire pour le président du tribunal de suspendre les poursuites de certains créanciers et de reporter le paiement des sommes dues pour la durée de la procédure de conciliation. Nous proposons également de mieux encadrer le coût de ces procédures en fixant une grille tarifaire pour la rémunération des mandataires ad hoc et des conciliateurs et en assurant leur prise en charge au moins partielle pour les PME. Nous proposons, enfin, de développer le vivier de mandataires et de conciliateurs en recourant aux professionnels du droit et du chiffre et aux chambres consulaires.
Dans le domaine de la prévention, nos préconisations rejoignent en grande partie celles formulées dans le rapport remis en février dernier au garde des sceaux par Georges Richelme, ancien président de la conférence générale des juges consulaires de France.