Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale

Réunion du 19 mai 2021 à 9h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission désigne M. Marc-Philippe Daubresse et Mme Agnès Canayer rapporteurs sur le projet de loi (A.N. XVe leg.) relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, sous réserve de sa transmission.

La commission désigne M. Stéphane Le Rudulier rapporteur pour avis sur le projet de loi n° 551 (2020-2021) portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience, en remplacement de M. Arnaud de Belenet, empêché.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

La commission examine conjointement deux textes, la proposition de loi (PPL) tendant à revoir les conditions d'application de l'article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits de Mme Goulet et la proposition de loi relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale de M. Sol. La commission établira un texte unique sur ces deux PPL, qui reprendra l'intégralité des amendements que la commission des lois aura adoptés.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

La proposition de loi que j'ai déposée en janvier 2020 fait suite aux événements qui se sont déroulés au début de ce même mois : plusieurs attaques au couteau ont eu lieu, et leurs auteurs ont été jugés irresponsables. Nous avions par ailleurs alors eu connaissance de l'arrêt de la chambre de l'instruction concernant l'affaire Halimi. L'objet de ce texte était de modifier les dispositions de l'article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits pour exclure de son bénéfice la faute préalable de l'auteur ou une infraction concomitante. Nous voulions procéder à une sorte de transposition de la règle Nemo auditur pour qu'elle s'applique à l'irresponsabilité.

Cette proposition de loi a donné lieu à un débat de contrôle le 18 février 2020 devant Mme Belloubet, qui s'était engagée à travailler sur ce sujet. Dans le même temps, la commission des affaires sociales et la commission des lois, avec nos collègues Jean Sol et Jean-Yves Roux, ont réalisé un travail sur l'expertise psychiatrique et psychologique dans le cadre d'une mission commune et ont déposé une proposition de loi. À l'issue de nos travaux, le texte de Jean Sol et le mien seront réunis pour devenir le texte de la commission.

Depuis le dépôt de nos textes, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la famille de Sarah Halimi, ce qui a suscité une vague d'émotion et entraîné des déclarations du Président de la République et du garde des sceaux ainsi que des manifestations. La Cour de cassation a dû publier des communiqués pour s'expliquer, ce qui est quasiment inédit. En outre, l'avocate générale près la Cour de cassation a été menacée personnellement. Je tiens à souligner la qualité de son travail et j'encourage nos collègues à lire les 87 pages de ses conclusions pour mieux comprendre le contexte juridique.

Parallèlement, l'Assemblée nationale a confié à Mme Naïma Moutchou et à M. Antoine Savignat une mission flash sur la question de l'irresponsabilité pénale, tandis que la Chancellerie élabore un nouveau projet de loi.

Nous nous sommes saisis les premiers de cette question extrêmement importante. Pour y avoir travaillé en amont depuis plus d'un an, le Sénat est légitime à présenter un texte le plus complet possible sur un sujet délicat qui se situe entre le droit et la santé, sans véritable définition de la notion de discernement.

La question récurrente que nous devons trancher porte sur les conséquences de la faute préalable sur l'irresponsabilité pénale. Il s'agit non pas de juger la folie, mais de repenser, dans les cas où l'irresponsabilité pénale est contestée, l'accès au juge. Plusieurs affaires tragiques ont souligné la complexité des cas. Aux termes de l'article 122-1 du code pénal, le juge doit prendre en compte l'état mental de l'auteur de l'acte au moment des faits.

Après avoir lu et relu l'avis de l'avocat général près la Cour de cassation et auditionné de nombreuses personnalités, il s'avère que l'article 122-1 du code pénal constitue une sorte de totem, un principe de notre droit pénal. Modifier cet article conduirait probablement à des difficultés d'application et ne produirait pas l'effet escompté car il est extrêmement compliqué de fixer le curseur pour apprécier la folie. Aussi, j'ai choisi une évolution procédurale très lisible, qui s'inscrit dans le continuum de la loi Dati de 2008, laquelle a ouvert un débat contradictoire devant la chambre de l'instruction en ce qui concerne l'irresponsabilité. Toutefois, la chambre de l'instruction n'est pas une juridiction de jugement. C'est pourquoi je propose qu'il y ait un véritable procès - ce que souhaitent les associations de victimes - en modifiant l'article 706-120 du code de procédure pénale : en cas de faute préalable de l'auteur, la juridiction de jugement sera saisie. Nous ne touchons pas au socle de l'irresponsabilité pénale ; nous respectons l'article 10 du code de procédure pénale qui prévoit les garanties pour le justiciable. Outre les associations de victimes, plusieurs des professeurs de droit et magistrats auditionnés ont donné leur feu vert à ce changement de braquet.

Permettez-moi de porter à votre attention deux chiffres très importants. En 2018, on a enregistré 13 495 classements sans suite et 326 ordonnances d'irresponsabilité. Plus de 20 000 victimes se sont retrouvées avec une ordonnance de non-lieu ou un classement sans suite. Parallèlement, ce sont donc 20 000 auteurs, dont certains présentent une certaine dangerosité, qui ont été reconnus irresponsables pour des faits plus ou moins graves. Or aucun suivi n'est réalisé ; la commission pourrait à l'avenir se saisir de cette question.

L'article 1er de ma proposition de loi serait ainsi rédigé : « Lorsque le juge d'instruction au moment du règlement de son information estime que l'abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte au moins partiellement de son fait fautif, il renvoie devant la juridiction de jugement compétente qui statuera sur l'application de l'article 122-1 du code pénal et éventuellement sur la culpabilité. » Par ailleurs, je le répète, les dispositions de l'article 10 du code de procédure pénale continueront à s'appliquer.

En outre, le code pénal considère que l'alcool et les stupéfiants sont des causes aggravantes de responsabilité pour le viol, mais pas pour les actes de torture et de barbarie, le meurtre, l'homicide involontaire, les violences et la mutilation. Aussi, je propose de remédier à cette lacune en créant un article nouveau qui institue l'alcool et les stupéfiants comme cause aggravante pour tous les crimes et délits car ils sont des causes fréquentes d'irresponsabilité.

Enfin, les dispositions adoptées hier par la commission des affaires sociales feront l'objet d'une série d'amendements que nous allons examiner.

Permettez-moi d'ajouter trois éléments.

Premièrement, j'ai saisi notre collègue Antoine Lefèvre, rapporteur du budget de la justice au nom de la commission des finances, pour qu'il nous fasse un point sur les moyens mis à disposition pour procéder à des expertises psychiatriques. Il faut que la justice bénéficie maintenant du « quoi qu'il en coûte », notamment pour ce qui concerne les dispositifs psychiatriques, dont les budgets sont totalement indigents, ainsi que l'ont souligné les experts que nous avons auditionnés.

Deuxièmement, il convient d'améliorer le droit des victimes. De nombreuses difficultés nous ont été signalées. Aussi, je propose à notre commission de travailler à l'amélioration des dispositifs d'aide aux victimes.

Troisièmement, enfin, je proposerai avant nos travaux en séance publique un dispositif concernant le contrôle de l'hospitalisation complète. Il y a là un problème auquel il faut trouver une solution.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Merci pour cette présentation. L'affaire Halimi a été le point de départ. Il n'y a pas eu de jugement aux assises, mais une confrontation a bien eu lieu pendant huit heures entre l'auteur du crime et la famille de Sarah Halimi. L'auteur est resté en hôpital psychiatrique, mais une peine de sûreté a-t-elle été prononcée ?

Vous confiez donc aux juges du fond l'appréciation de l'irresponsabilité pénale, donc à une cour d'assises pour un crime. Or, lors des auditions, certains ont préféré que l'on s'en tienne à des juges professionnels, soulignant le manque d'empathie des jurés pour l'auteur du crime. Comment contrebalancer ? Quid d'une personne qui n'aurait pas recouvré sa lucidité au moment du procès ? Un délai est-il prévu pour organiser in fine le procès ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Ce sujet est très délicat et complexe. Il n'est pas certain que les propositions de loi qui nous sont soumises prospèrent, d'autant que la Chancellerie prépare un projet de loi.

Nous partageons certainement tous l'émotion que suscite cette question. Même si nous pouvons entendre les juristes, il est difficile de comprendre qu'un acte soit déclaré antisémite et condamné comme tel et que son auteur soit déclaré irresponsable. Si l'acte est antisémite, c'est que son auteur a la volonté de le poser comme tel. Il est normal que nos concitoyens s'interrogent sur ce paradoxe.

Notre groupe a lancé une réflexion approfondie sur le sujet ; nous vous soumettrons des amendements de séance - nous voulions entendre Mme le rapporteur auparavant.

La proposition de loi que vous avez présentée était simple au départ : elle avait pour objet de modifier l'article 122-1 du code pénal. Mais après avoir procédé à des auditions, d'autres dispositions nous sont proposées. C'est dire si cette question n'est pas simple !

Dans leur rapport sur l'irresponsabilité pénale, Dominique Raimbourg et Philippe Houillon appellent à ne pas modifier l'article précité, de même que les professeurs de droit, les représentants des syndicats de magistrats, les représentants des avocats pénalistes. Autant nous pouvons modifier certains articles, autant il semble difficile effectivement de toucher au principe général posé par cet article - telle est d'ailleurs la position de Mme le rapporteur.

L'idée de recourir à la juridiction de jugement se heurte aux observations de Mme Vérien. Cette procédure risque de mettre fin au prononcé des irresponsabilités. La juridiction de jugement ne prononce que des peines, mais ne décide pas de l'irresponsabilité. Pensez-vous que des jurés d'assises déclareront, après des heures et des heures d'audiences, que la personne est irresponsable ? Non, c'est la chambre de l'instruction qui prononce l'irresponsabilité au vu d'expertises psychiatriques.

Sept experts psychiatriques, sauf peut-être l'un d'entre eux, se sont prononcés dans le même sens dans l'affaire Halimi : ils ont retenu la bouffée délirante. Je ne suis pas spécialiste, mais ils affirment que cette bouffée délirante est indépendante de l'état de toxicomanie. Mais la cour d'assises prononce une peine, la question de l'irresponsabilité ne se pose plus. Y a-t-il des cas où des cours d'assises ont prononcé l'irresponsabilité pénale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

La question que l'on peut se poser est la suivante : la personne décide-t-elle intentionnellement ou non de se mettre en état d'irresponsabilité ? Peut-on prévoir une disposition à ce sujet ? Si je décide volontairement de créer l'irresponsabilité, alors je ne suis pas irresponsable. Cela pose des questions sur l'acte initial d'alcoolisme, de toxicomanie. Comment l'appréhender dans le processus judiciaire ?

Saluons le travail de M. Sol sur l'expertise psychiatrique : j'espère que ses propositions utiles seront reprises, avec un bémol. Il n'est pas évident que l'expert puisse avoir accès à l'ensemble du dossier médical de l'intéressé.

À mon sens, le statu quo n'est pas possible. Il faut préserver l'article 122-1 du code pénal dans sa rédaction actuelle, mais il n'est pas facile de trouver une alternative. C'est pourquoi je me garderai, au nom de mon groupe, de prendre une position très ferme. Nous poursuivons notre réflexion.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Je tiens à saluer le travail de Mme le rapporteur sur ce sujet très sensible. Les personnes auditionnées ont largement insisté sur les dégâts causés dans l'opinion publique par l'affaire Halimi. J'ai cosigné en janvier 2020 la proposition de loi de Mme Goulet tant le statu quo me paraissait impossible. Mme le rapporteur nous propose aujourd'hui de changer de braquet, en choisissant une évolution procédurale tendant à confier à une juridiction de jugement l'appréciation et, donc, la décision de l'irresponsabilité pénale. À la réflexion, il me semble que c'est une bonne idée. L'opinion publique s'était émue du fait qu'il n'y avait pas eu de jugement. Pourquoi une cour d'assises ne pourrait-elle pas exonérer un coupable si son irresponsabilité est reconnue, monsieur Sueur ? Cette procédure fait droit à l'attente légitime des victimes de bénéficier d'un procès.

Toutefois, se pose la question des conséquences de cette décision d'irresponsabilité, comme l'a souligné Mme Vérien. Je suis atterré d'apprendre que 20 000 auteurs d'actes ont été déclarées irresponsables. L'affaire Halimi est loin d'être un cas isolé ! Au moment où l'on met en place un suivi des terroristes sortant de prison, que deviennent ces coupables déclarés irresponsables ? Et c'est d'ailleurs l'une des préoccupations de Mme le rapporteur.

Enfin, Mme le rapporteur a indiqué que l'alcool et les stupéfiants ne sont pas considérés comme cause aggravante dans certains cas - je l'ignorais. Si nous voulons traiter cette question dans son intégralité, nous devons effectivement légiférer en la matière, mais ces dispositions ne risquent-elles pas d'être irrecevables au titre de l'article 45 de la Constitution ?

Debut de section - PermalienPhoto de Guy Benarroche

Je remercie Mme le rapporteur d'avoir changé de doctrine au fil des auditions. Je partage quelques questionnements de mes collègues. Pour ma part, je me demande quels critères seront retenus pour renvoyer devant la juridiction de jugement - nous en avons discuté avec M. Molins. L'objectif est effectivement de répondre au besoin de procès des victimes. Est-il possible d'introduire une notion de délit lié à la décision volontaire de l'auteur de créer une irresponsabilité pénale, comme l'a indiqué M. Sueur ? Cette décision antérieure à la décision d'irresponsabilité pénale pourrait faire l'objet d'un jugement. Concernant le statut de victime, pouvons-nous prévoir que la chambre d'instruction soit également être compétente quant à la responsabilité civile, comme cela nous a été proposé ? J'aimerais avoir des précisions sur ces points.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Cette question grave, on ne le dira jamais assez, est très sensible. Je remercie Mme le rapporteur de ne pas modifier l'article 122-1 du code pénal et d'avoir trouvé une alternative. Pour autant, je demeure, à titre personnel, interrogatif pour deux raisons.

Premièrement, les notions d'abolition temporaire de discernement et de fait fautif sont trop larges pour être acceptées telles quelles dans le droit pénal. Nous savons ce que sont l'abolition du discernement, l'altération du discernement, mais pas ce qu'est l'abolition temporaire du discernement. Quid de l'abolition du discernement au moment de l'acte - c'est bien de cela qu'il s'agit ? Si l'abolition même temporaire est établie la question de l'irresponsabilité pénale est tranchée.

À cet égard, monsieur Sueur, la cour d'assises peut décider de l'abolition du discernement. Elle ne fait d'ailleurs que répondre par oui ou non à la question de savoir si la personne mise en examen a commis l'acte qui lui est reproché et, dans l'affirmative et si la question lui a été posée, elle répondra également par oui ou non à la question de savoir si l'abolition du discernement est avérée.

Deuxièmement, quelle est la portée du dispositif que vous proposez au regard de la réforme de 2008 : les articles 706-19 et suivants du code de procédure pénale permettent d'ores et déjà un débat public devant la chambre de l'instruction à la demande des parties. Il revient à un juge professionnel de conduire ce travail minutieux et très technique juridiquement - ce ne sont pas des jurés d'assises, madame Vérien.

Sans plaider pour le statu quo, je ne suis convaincu qu'il faille légiférer dans le sens que vous proposez. N'oublions pas que, dans notre système judiciaire, une première instance apprécie les faits, une procédure d'appel est prévue, un pourvoi en cassation, voire un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme. Aussi, il importe, à mon sens, d'élargir notre réflexion. À titre personnel, je ne suivrai pas la position de Mme le rapporteur en dépit de son travail d'amélioration.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Merci de ce débat de qualité. Nous avons peut-être la possibilité de trouver la solution adaptée à cette question très délicate, même si nous voyons la difficulté juridique. La Chancellerie prépare un projet de loi ; je ne suis pas convaincu que le garde des sceaux soit très favorable à cette réforme.

Le dispositif proposé par Mme le rapporteur soulève plusieurs questions. Quid de la pertinence de transférer à une juridiction de jugement ce qui relève de la procédure pénale ? Quid des jurés populaires ? M. Molins, lors de son audition, a évoqué des critères que je ne retrouve pas dans l'amendement de Mme le rapporteur. Notre collègue Thani Mohamed Soilihi s'interroge sur la notion d'abolition temporaire de discernement ; nous pouvons surmonter cette difficulté. Mais a été évoqué le fait que la personne devait avoir recouvré son discernement au moment du procès - c'est une question non pas morale, mais conventionnelle. La convention européenne des droits de l'homme impose le principe du procès équitable.

Je ne retrouve pas non plus, dans la rédaction que vous nous proposez, l'hypothèse d'une divergence des experts : cela n'est-il plus pertinent ?

Manifestement, nous ne sommes pas au bout de nos questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je remercie notre rapporteur pour son travail.

J'ai partagé le sentiment de stupéfaction de nos concitoyens au prononcé de l'irresponsabilité pénale de l'assassin de Mme Sarah Halimi et je m'interroge sur les éléments retenus par le juge. L'auteur du crime est certes toxicomane, mais il n'aurait pas agi sous la seule emprise des stupéfiants, il aurait également été sous le coup d'une bouffée délirante. Une distinction semble donc être faite par le juge entre drogue et pathologie.

Une clarification est sans doute nécessaire pour prévoir expressément que l'alcoolisme et, plus généralement, la toxicomanie ne peuvent à eux seuls justifier l'irresponsabilité pénale. Cette précision serait une première étape dans notre travail pour envoyer une consigne législative au juge. Cela n'aurait toutefois pas empêché le prononcé de l'irresponsabilité pénale du meurtrier de Mme Halimi...

Je m'interroge encore sur le réglage du dispositif législatif qui nous est proposé. Il est fait mention à l'article 1er du « fait fautif » de l'auteur du crime, qui provoquerait l'abolition temporaire de son discernement et dont il ne pourrait se prévaloir pour échapper à une condamnation pénale. Mais mettons-nous du côté du juge qui va devoir appliquer ces textes : être drogué est-il un fait fautif ? Cela peut s'examiner sous un angle moral, mais aussi sanitaire : l'addiction est-elle un fait fautif ou une maladie ? Quand il y a abolition de la volonté, comme dans le cas d'une addiction, la caractérisation de la faute et de l'intention devient très difficile. Nous tâtonnons, sans encore trouver de dispositif véritablement opérationnel.

Je suis également troublé par une sorte de miroitement à l'article 2 : le maximum de la peine privative serait relevé dans le cas où l'individu serait sous l'emprise d'une addiction. Mais que se passe-t-il si l'individu est de surcroît sous l'emprise d'un trouble psychique aigu, comme ce fut le cas pour le meurtrier de Mme Halimi ? J'ai des doutes sur l'applicabilité de ce dispositif.

Je tenais à exprimer mes doutes très sincèrement : je veux aller dans votre sens, mais il me semble que notre dispositif n'est pas encore abouti.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Il est rare que notre commission des lois soit à ce point dans l'incertitude et le doute. Les conditions atroces de la mort de Mme Halimi ont beaucoup choqué les Français et la réponse judiciaire n'a fait que renforcer cette émotion. Notre groupe poursuit sa réflexion, avec le plus de pragmatisme possible.

Le Président de la République s'est exprimé très tôt sur le sujet. Le 23 janvier 2020, il déclarait : « même si à la fin le juge décidait que la responsabilité pénale n'est pas là, le besoin de procès est là. » La magistrature s'était d'ailleurs émue, à juste titre, de cette étrange conception de la séparation des pouvoirs... L'exécutif a annoncé un projet de réforme avant la fin du mois de mai en conseil des ministres, mais rien ne semble prévu dans le projet de loi porté par le garde des sceaux... Que prévoit l'exécutif ?

Il semblerait toutefois que le code pénal espagnol ait traité cette question.

Je remercie notre rapporteur de ses évolutions personnelles sur le sujet, qui témoignent de nos interrogations collectives.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Je félicite notre rapporteur pour son travail.

C'est un sujet difficile, aux confins du droit et de la santé. N'oublions pas que l'addiction n'est pas une question de volonté : on ne choisit pas de se droguer ; sortir de la drogue, c'est une question de motivation positive. La drogue révèle-t-elle une pathologie psychiatrique sous-jacente ou la crée-t-elle ? Le travail du psychiatre est de remettre le patient dans notre réalité et le procès participe de la prise de conscience de ce patient.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Nous avons beaucoup auditionné : Mme Valérie Dervieux, présidente de la chambre d'instruction près la cour d'appel de Paris, M. Régis de Jorna, premier président de chambre à la cour d'appel de Paris, coordonnateur de la cour d'assises de Paris, M. Jean-Christophe Muller, avocat général, adjoint au chef du service des Assises de la cour d'appel de Paris qui préside l'Association nationale des praticiens de la Cour d'assises, M. Charles Prats, juge des libertés, vice-président du tribunal judiciaire de Paris, et bien sûr le procureur général.

La piste de la loi Dati n'est pas satisfaisante, car elle renvoie à une juridiction d'instruction - et non de jugement -, qui ne prononce pas de peine, dont les débats peuvent se tenir en l'absence de la personne mise en examen et qui exclut les voies de recours ordinaires. C'est donc une impasse et cela ne constitue pas une amélioration du point de vue des victimes.

Le dispositif que nous proposons a été soumis aux personnes auditionnées et la plupart l'ont soutenu sans réserve. Même le rapport Houillon, qui pourtant ne formule pas à mon sens de vraies propositions, va dans notre sens...

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Certes, mais c'est Le Guépard : il faudrait que tout change pour que rien ne change...

Notre proposition ne change rien à la procédure de l'instruction. Mais en cas de fait fautif, l'auteur sera renvoyé devant la juridiction de jugement, à condition toutefois qu'il soit en capacité de comparaître conformément à l'article 10. Et en cas de divergence flagrante entre experts, le renvoi se fait aussi devant la juridiction de jugement. Cela n'est pas écrit noir sur blanc, mais c'est la pratique. Nous pourrions l'ajouter si Mme de La Gontrie y tient. Nous pourrions également ajouter que cela se fait à la demande de la partie civile, mais cela serait systématique. Nous sommes bien dans le continuum de la loi Dati.

La piste de la modification de l'article 122-1 du code pénal ne me semble plus pertinente : je reconnais que j'ai changé d'avis.

Pourquoi avoir choisi la juridiction de jugement ? Parce que tous les arrêts de la Cour de cassation - y compris celui de 2018 qui ne constitue en réalité pas un revirement de jurisprudence - confirment que ce sont toujours les juges du fond qui se prononcent sur la responsabilité et la capacité.

La piste de la définition d'un délit distinct non intentionnel ne tient pas la route. Mme l'avocat général près la Cour de cassation appelle le législateur à statuer en ce sens, mais elle ne propose aucune rédaction, pas plus que le rapport Houillon. Comment faire cohabiter dans une même phrase « non intentionnel » et « fautif » ? Je ne sais pas faire...

Notre dispositif n'est peut-être pas parfait, mais il a été validé par de nombreux acteurs, comme je l'ai indiqué.

Dans huit cas d'irresponsabilité sur dix, l'alcool ou les stupéfiants sont en cause. Souvenez-nous de cet homme qui rentre saoul de la fête des betteraves, se trompe d'immeuble, d'appartement, de lit et poignarde l'homme qu'il y trouve et qu'il pense être l'amant de sa femme... Il a été jugé irresponsable, car il était sous l'emprise de l'alcool. Dans notre droit, sept infractions - et non des moindres, je l'ai dit - ne sont pas aggravées par la prise d'alcool et de stupéfiants, contrairement aux autres crimes et délits, comme le viol par exemple. Il convenait donc d'y remédier et d'harmoniser les textes. Il y a une connexité entre cette disposition et la question de l'irresponsabilité pénale.

M. Bennarroche m'interroge sur la possibilité pour la chambre de l'instruction de régler la question des dommages civils : c'est déjà prévu par le code.

Il semblerait que l'exécutif travaille sur une exonération de responsabilité en cas de cause exclusive, mais c'est un cas qui ne se produit pratiquement jamais...

Quelqu'un qui arrête volontairement de prendre une médication obligatoire voit-il son discernement aboli ? Si oui, à partir de quand ? Le curseur est manifestement très difficile à placer, mais ce n'est pas la faute des victimes : elles ont besoin d'un procès, sous réserve que les conditions soient remplies.

Pour répondre à Mme Vérien, M. Kobili Traoré est actuellement hospitalisé sous contrainte. Mais sa sortie dépendra des médecins et non des juges.

D'après une étude de droit comparé réalisée par les services du Sénat à ma demande en janvier 2020, les codes pénaux suisse et espagnol prévoient une sorte de délit non intentionnel ; cette étude s'est également penchée sur les jurisprudences allemande, américaine, britannique et italienne, mais je n'y ai rien trouvé de pertinent à transposer dans le système français.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Merci, madame le rapporteur. L'exercice est difficile, mais nous devons avancer, car le problème juridique est réel. Nous avons la certitude qu'il ne faut pas toucher aux dispositions de l'article 122-1 du code pénal : on ne juge pas les fous, cela est totalement acquis.

Si un article spécifique devait être écrit, destiné à prendre en compte, pour le sanctionner, le fait fautif de l'auteur, il faudrait définir un quantum de peine et caractériser cet acte : cela est loin d'être simple.

La piste proposée par notre rapporteur permet un renvoi devant la juridiction de jugement, sous conditions. Il y aura donc un premier filtre et il n'y a pas lieu de craindre une arrivée massive de dossiers. Même s'il convient de rester prudent sur le sujet, sachons entendre que les victimes ont besoin d'un procès.

Un texte du Gouvernement semble en préparation ; nous n'en disposons pas encore.

Notre dispositif est certainement encore améliorable, mais un chemin est désormais ouvert. Avançons, prudemment, mais avançons.

Nous examinons ce matin conjointement deux textes, la proposition de loi de Mme Goulet et celle de M. Sol. La commission établira un texte unique sur ces deux propositions de loi, qui reprendra l'intégralité des amendements que nous aurons adoptés. Formellement, c'est en l'occurrence sur le plus volumineux de ces deux textes - celui de M. Sol - que sera établi le texte de la commission et qui sera, après l'examen en séance publique par le Sénat, transmis à l'Assemblée nationale pour la suite de la navette, les amendements portant sur l'irresponsabilité proprement dite ayant été dupliqués sur les deux textes.

S'agissant du périmètre de l'article 45, je vous propose de considérer qu'entretiennent une relation avec l'objet du texte, les amendements relatifs au régime de l'irresponsabilité pénale, à l'expertise psychiatrique et aux conséquences pénales de l'intoxication alcoolique ou du fait de stupéfiants.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Mon amendement COM-8 prévoit que lorsque le juge d'instruction estime que l'abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte au moins partiellement de son fait fautif, il renvoie devant la juridiction de jugement compétente qui statuera sur l'application de l'article 122-1 du code pénal et éventuellement sur la culpabilité.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Ainsi que nous l'avons exposé plus tôt, notre groupe poursuit ses réflexions sur ce sujet et déposera des amendements en vue de la séance publique. Il ne prendra donc pas part aux votes en commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je souhaite rectifier mon amendement pour remplacer « éventuellement » par « le cas échéant ».

L'amendement COM-8 rectifié est adopté.

Article additionnel après l'article 1er

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

L'amendement COM-10 tend à reconnaître l'impact des violences conjugales sur l'état psychique de la personne et à prévoir une irresponsabilité pénale étendue. Il s'agit d'une question très importante, mais il me semble toutefois que cette disposition aurait plus sa place aux articles 122-2 ou 122-5 du code pénal. Je demande donc le retrait de cet amendement, dans l'attente d'une meilleure insertion d'ici la séance publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Valérie Boyer

Je vous remercie de votre attention aux violences conjugales. Dans la sinistre affaire Valérie Bacot, l'expert psychiatrique a reconnu qu'elle était atteinte, au moment des faits, du syndrome de la femme battue : c'est une première qu'il faut saluer !

L'amendement COM-10 est retiré.

Article 2

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Mon amendement COM-9 insère, dans le code pénal, un nouvel article général d'aggravation des délits et des peines en cas de consommation d'alcool ou de stupéfiants.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Cet amendement élargit-il l'éventail des infractions concernées ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Désormais, cette aggravation s'appliquera à tous les crimes et délits. Pour les crimes et délits existants, nous préparerons si besoin un amendement de coordination en vue de la séance publique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Cet amendement n'excède-t-il pas l'objet du texte ? Il entre certes dans le champ de l'article 45 tel que l'a défini notre président, mais celui-ci me semble très large par rapport à l'objet des propositions de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Nous avons étudié la jurisprudence avec attention : dans plus de 80 % des cas, l'irresponsabilité est prononcée en raison de l'alcool ou de stupéfiants. L'édiction d'un principe général aidera nos magistrats.

L'amendement COM-9 est adopté.

Article 4

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Il faut qu'une expertise clinique soit réalisée lors de la garde à vue, mais le rapport de Jean Sol montre que l'expertise psychiatrique est difficile à ce stade et doit être proscrite. Les amendements identiques COM-2 et COM-5 prévoient toutefois le cas des infractions sexuelles pour lesquelles l'examen psychiatrique est obligatoirement prévu, aux termes de l'article 706-47-1 du code de procédure pénale.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Il est certes préférable de réaliser l'expertise pendant la garde à vue, mais il est parfois difficile de trouver un expert disponible, par exemple pendant les vacances ou les ponts !

Les amendements COM-2 et COM-5 sont adoptés.

Article 5

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Les amendements identiques COM-3 et COM-6 prévoient un mécanisme de transmission des documents de médecin à médecin, sans passage par le juge. C'est une proposition de la commission des affaires sociales.

Les amendements COM-3 et COM-6 sont adoptés.

Article 10

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Les amendements identiques COM-4 et COM-7 limitent l'expression publique des experts : ils ne pourront plus s'exprimer sur une affaire en cours, comme nous l'avions vu dans l'affaire Lelandais.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Le retrait de la capacité d'être expert.

Les amendements COM-4 et COM-7 sont adoptés.

Intitulé de la proposition de loi

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

L'amendement COM-1 propose de donner le nom de Sarah Halimi au projet de loi. Je comprends l'intention, mais j'y suis défavorable.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Nous examinons maintenant la proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises, sur le rapport de Mme Jacky Deromedi.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

À l'heure où la jeunesse est particulièrement touchée par la crise sanitaire et les mesures de restrictions d'activité qui en découlent, nous ne pouvons que partager l'objectif de la proposition de loi de Mme Conway-Mouret. Le Sénat consacre d'ailleurs actuellement trois missions d'information à des problématiques proches : les conditions de vie étudiante en France, la politique en faveur de l'égalité des chances et de l'émancipation de la jeunesse, ainsi que l'évolution et la lutte contre la précarisation et la paupérisation d'une partie des Français.

Notre collègue s'est appuyée sur les nombreux travaux menés ces dernières années sur le thème de la diversité et de l'égalité des chances qui établissent la réalité des inégalités de traitement que subissent les personnes selon leur origine sociale, culturelle ou géographique.

La proposition de loi vise à compléter le droit existant par une série de mesures ponctuelles tendant tout d'abord à favoriser l'entrée des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) et des zones de revitalisation rurale (ZRR) dans la fonction publique de l'État, et également à limiter les risques de discrimination à leur égard dans le monde de l'entreprise.

L'article 1er propose de réserver une proportion minimale des nominations aux emplois de la haute fonction publique de l'État qui sont laissées à la décision du Gouvernement à des personnes, appartenant ou non à l'administration, qui exercent ou ont exercé une activité professionnelle pendant au moins deux ans dans un QPV, dans le respect de la parité. Il créerait un même mécanisme pour les nominations aux postes de délégué du représentant de l'État dans le département dans les QPV.

Dans l'esprit, cette disposition s'inspire du dispositif dit des « nominations équilibrées », qui oblige certains employeurs publics à nommer 40 % de personnes de chaque sexe dans les emplois supérieurs et de direction. Toutefois, ce modèle est difficilement transposable faute de base constitutionnelle. Les nominations par priorité de certaines catégories de personnes sont en effet contraires au principe d'égalité, ainsi que l'avait jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 16 mars 2006 relative à la loi en matière d'égalité salariale entre les femmes et les hommes. L'introduction en droit français de quotas pour assurer l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la vie politique et professionnelle a nécessité deux réformes constitutionnelles successives.

Par ailleurs, cet article introduit un nouveau critère de différenciation : l'expérience professionnelle dans un quartier prioritaire. Or ce critère est ambigu : vise-t-il à enrichir les parcours des hauts fonctionnaires en les incitant à aller travailler dans un quartier prioritaire ou à favoriser la nomination de personnes issues de ces quartiers ? Dans le premier cas, il s'agirait d'exiger une expérience qui ne serait pas toujours en lien avec les capacités requises pour exercer le poste. Dans le second, il s'agirait de poser de manière indirecte un critère social qui n'est pas forcément opérant : travailler dans un quartier prioritaire n'est pas le gage d'être issu d'un milieu modeste. Par ailleurs, il faut se méfier des catégorisations sur des critères géographiques ou financiers : une valorisation des parcours des candidats sur les territoires et de leur expérience de vie semble davantage avoir la faveur des associations.

L'article 2 crée de nouvelles différenciations en faveur des bacheliers ayant obtenu leur diplôme au sein d'un établissement scolaire situé dans un QPV, ou dans une ZRR en qualité d'élèves boursiers, à l'entrée dans des établissements d'enseignement supérieur ou de la fonction publique de l'État. Or les textes prévoient déjà la possibilité d'assurer une mixité sociale et géographique.

L'article 3 tend à diversifier les recrutements en rendant obligatoire la présence d'au moins 50 % de personnes extérieures à l'administration dans les jurys et les comités de sélection constitués pour le recrutement ou la promotion des fonctionnaires de l'État. Il prévoit également la présence d'au moins une personne extérieure à l'établissement ou aux services de l'autorité académique dans les commissions d'examen des voeux exprimés sur Parcoursup.

La diversification et la formation des membres qui siègent dans les jurys sont des enjeux bien identifiés depuis plusieurs années, en particulier par le rapport L'Horty de 2016 qui a mis au jour de manière objective l'existence de biais évaluatifs. Toutefois, imposer la présence obligatoire dans chaque jury de personnes extérieures à l'administration - dans le respect de l'obligation de nomination équilibrée entre les femmes et les hommes qui s'applique déjà - risque de créer de véritables casse-têtes pour les organisateurs, surtout dans la proportion de 50 % souhaitée par l'auteure de la proposition de loi. D'un point de vue pratique et au-delà du débat sur le profil des personnes à choisir, il semble compliqué de recruter suffisamment de personnes extérieures à l'administration ayant la disponibilité nécessaire pour siéger dans les très nombreux jurys organisés par l'État. À titre d'illustration, en 2018, plus de 41 000 postes de la fonction publique de l'État ont été offerts par voie de concours externes, ce qui donne une idée du volume de concours à organiser et de jurys à constituer.

L'article 4 prévoit la création d'une nouvelle autorité publique indépendante, l'Autorité pour l'égalité des chances dans la fonction publique, chargée notamment de rassembler, d'analyser et de diffuser les informations et données relatives à la promotion de l'égalité des chances dans l'accès à la fonction publique. La commission d'enquête du Sénat de 2015 sur les autorités administratives indépendantes avait souligné le risque d'illisibilité que faisait peser un nombre trop important d'autorités indépendantes et la nécessité de limiter la création de ce type de structures, par ailleurs coûteuses pour le budget de l'État.

Dans le cas présent, la direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP) et le Défenseur des droits sont déjà chargés d'un rapport biennal relatif à la lutte contre les discriminations et à la prise en compte de la diversité de la société française dans la fonction publique, dont la première édition est parue en juin 2019. Il peut probablement être amélioré, mais il a le mérite d'exister. Je souligne que le service statistique de la DGAFP travaille en toute indépendance professionnelle dans le cadre du code de bonnes pratiques de la statistique européenne.

Par ailleurs, avant de créer cette nouvelle autorité, il faudrait déterminer quels indicateurs lui permettraient d'évaluer les politiques publiques de promotion de l'égalité des chances, par qui et comment ils seraient construits. La « diversité » ou « l'égalité des chances » sont en effet des concepts à préciser. S'agit-il de s'intéresser aux minorités ethniques ou à d'autres groupes ciblés selon leur âge, leur handicap ou leur orientation sexuelle ? Comment prendre en compte le facteur social ou le niveau d'étude ? De plus, la création de tels indicateurs suppose la collecte et le traitement de données qualifiées de « sensibles » par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

L'article 5 introduit un nouveau critère de non-discrimination en fonction du lieu d'origine. Les critères d'origine et de lieu de résidence existant déjà, cette addition ne paraît pas nécessaire.

L'article 6 tend à imposer aux entreprises de justifier les motifs de non-embauche auprès de tout candidat refusé. Cette obligation nouvelle risque de créer un contentieux prud'homal et des contraintes administratives lourdes pour les petites et moyennes entreprises.

Enfin, l'article 7 prévoit l'obligation, pour les entreprises de plus de 50 salariés, de recueillir des données permettant une mise à disposition d'indicateurs sur l'égalité des chances au comité social et économique, les soumettant à des règles de collecte et de conservation très contraignantes s'agissant de données personnelles sensibles. Cet article étend également les missions du conseil social et économique à l'égalité des chances, ajout qui paraît redondant.

Ces deux dernières mesures pèseraient de manière très contraignante sur les petites et moyennes entreprises. De plus, comme l'a relevé le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, celles-ci laissent à penser que les employeurs seraient a priori discriminants, alors que leurs difficultés actuelles à recruter les conduisent au contraire à diversifier leurs viviers de candidats. Par ailleurs, une non-embauche est souvent liée à un manque d'« employabilité » en termes de formation ou de savoir-être.

Si l'intention des auteurs de la proposition de loi est louable et rejoint les préoccupations actuelles du Sénat au sujet de la jeunesse, les mesures proposées soulèvent des objections à la fois juridiques et pratiques.

Le groupe socialiste a déposé des amendements visant à réduire le champ de certains de ces dispositifs en supprimant le quota de l'article 1er, en limitant le nombre de personnes extérieures dans les jurys à une ou en n'obligeant les entreprises à motiver les refus d'embauche qu'en cas de demande du candidat.

Malgré ces propositions, il ne semble pas possible à ce stade d'adopter une version qui respecte les intentions de la proposition de loi. Dans ces conditions, je suis au regret de vous proposer de ne pas adopter le texte, ce qui permettra de débattre en séance de l'intégralité des dispositifs proposés.

Comme les auteurs de cette proposition de loi, j'estime qu'il reste encore beaucoup à faire pour les jeunes, par exemple dans le secteur de l'apprentissage et de la formation en alternance. Je crois beaucoup à ces formations, si possible dès quatorze ans et avec des garanties d'instruction générale. De nombreux jeunes pourraient ainsi s'épanouir en apprenant un métier et avoir des perspectives d'avenir. J'ai envisagé de déposer des amendements en ce sens, mais j'y ai renoncé, car telle n'était pas l'intention initiale de ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Je salue le travail du rapporteur. L'intitulé de la proposition de loi m'interpelle : ses auteurs semblent tenir pour acquis que l'accès à la fonction publique serait le Graal, or j'observe, pour ma part, que les jeunes n'aspirent pas à des carrières linéaires.

Le département de l'Aveyron, pourtant entièrement en ZRR, se place au deuxième rang français en termes de résultats scolaires. Le fait d'être issu d'un département placé en ZRR n'a donc pas de lien avec la capacité d'entrer ou non dans la fonction publique.

Par ailleurs, la recherche de l'égalité des sexes dans la fonction publique risque de poser quelques problèmes comme le démontre la parité femme-homme. Aujourd'hui, l'écrasante majorité des candidats reçus aux concours de l'enseignement dans le premier degré sont des femmes. C'est un fait qu'il faut prendre en considération afin de prendre des mesures véritablement utiles à la société.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Nul ne peut ignorer que la situation des jeunes, en particulier des quartiers en difficulté, est préoccupante. La crise que nous vivons a terriblement accentué ce phénomène.

Je rappelle que lorsque j'ai manifesté le souhait d'être nommé rapporteur de cette proposition de loi, cela m'a été refusé au motif que j'appartenais au même groupe que ses auteurs. Or ce principe a été démenti immédiatement après sur un autre texte, preuve que les évolutions sont parfois très rapides !

Le rapporteur a mis en évidence un certain nombre de difficultés techniques ; les amendements que j'ai déposés visent à en lever certaines. Ainsi amendé, ce texte resterait de portée assez générale.

Madame le rapporteur, je sais que vous avez beaucoup dialogué avec Mme Conway-Mouret. C'est pourquoi je suis surpris que vous nous annonciez que vous n'êtes pas en situation de présenter des amendements et que vous préconisez le rejet de ce texte. Sur un tel sujet, j'estime qu'il n'est pas bien que la commission des lois procède ainsi, et nous le dirons. Nous aurions dû travailler à améliorer ce texte.

Debut de section - PermalienPhoto de Patrick Kanner

Cette proposition de loi vise à attirer l'attention sur ce sujet ; en aucun cas, elle n'apporte de réponse idéologique. Quelque 5 millions de nos concitoyens vivent dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Le taux de chômage des jeunes y est deux fois plus élevé. Nous devons répondre à la désespérance que connaissent ces jeunes. Si trois missions d'information ont été lancées autour de cette thématique, c'est bien parce que la réponse sécuritaire, bien qu'indispensable, n'est pas suffisante.

Le Président de la République a indiqué qu'il fallait travailler pour favoriser l'égalité des chances. Or à ce jour, aucun projet de loi n'est en voie d'être adopté en conseil des ministres. Malgré toutes ses imperfections et ses imprécisions, notre texte permet de mettre en évidence qu'une partie de la jeunesse de ces quartiers a besoin de réponses.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

Malgré de longues discussions avec Mme Conway-Mouret, nous n'avons pu trouver d'amendements satisfaisants. Nous aurons donc le débat en séance.

En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.

Je vous propose d'indiquer que ce périmètre comprend les dispositions relatives aux règles d'accès à la fonction publique, aux procédures d'admission dans les établissements dispensant une formation d'enseignement supérieur, à la composition des jurys et des comités de sélection dans la fonction publique ainsi qu'aux commissions d'examen des voeux dans le cadre de la procédure Parcoursup, au suivi statistique et à l'étude de la promotion de l'égalité des chances dans l'accès à la fonction publique, à la lutte contre la discrimination au travail, aux procédures de recrutement dans les entreprises et aux missions du comité social et économique en matière d'égalité des chances.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

L'amendement COM-1 vise à remplacer le quota fixé par décret initialement prévu par l'objectif plus général de « favoriser la nomination » de personnes ayant ou ayant eu une expérience professionnelle de deux ans dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ce critère ne paraît pas forcément opérant et créerait une nouvelle catégorisation.

Si la valorisation d'une expérience dans un QPV paraît tout à fait intéressante pour certaines nominations - cela semble même aller de soi pour un délégué du préfet dans un QPV -, il ne faut pas en faire un critère de priorisation systématique. Avis défavorable.

L'amendement COM-1 n'est pas adopté.

Article 2

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

L'amendement COM-2 tend à modifier la rédaction de l'alinéa 2.

La loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 prévoit déjà que les établissements d'enseignement supérieur peuvent diversifier leur recrutement pour « assurer une mixité sociale et géographique ». Nous venons de voter cette loi ; attendons d'en évaluer les résultats avant de la changer.

Les précisions apportées par l'article 2, même amendé, sont de nature réglementaire. Par ailleurs, le renvoi à un décret semble incompatible avec le principe d'autonomie des établissements. Le texte actuel prévoit que ceux-ci fixent leurs modalités selon des objectifs arrêtés par les ministres de tutelle, ce qui semble préférable. Avis défavorable.

L'amendement COM-2 n'est pas adopté.

Article 3

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

L'amendement n° COM-3 vise à réduire la proportion de personnes extérieures à l'administration qui serait exigée dans la composition des jurys. De 50 % du panel, on passerait à une personne minimum.

Malgré tout, cette disposition, qui se cumulerait avec le principe de nomination équilibrée de 40 % de personnes de chaque sexe, ajouterait de la complexité pour les organisateurs de concours. Il semble donc préférable que cela reste une bonne pratique réservée à certaines épreuves telles que le grand oral. Avis défavorable.

L'amendement COM-3 n'est pas adopté.

Article 6

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

Cet amendement vise à restreindre l'obligation pour les entreprises de justifier les non-embauches aux seuls cas où le candidat en fait la demande.

Il reprend une préconisation de l'association française des managers de la diversité dont les représentants nous ont indiqué que certains candidats ne sont pas prêts à entendre des critiques sur leur comportement en entretien.

Cette disposition engendrerait une charge administrative certes moins importante pour les entreprises, mais le risque de contentieux demeurerait. À ce stade, avis défavorable.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Il s'agit simplement de permettre aux personnes qui ont été reçues pour un entretien et qui en font la demande de connaître les raisons pour lesquelles leur candidature n'a pas été retenue. Cette proposition ne me paraît pas inacceptable, et pourtant, elle sera rejetée également. Nous nous heurtons à une fin de non-recevoir !

Debut de section - PermalienPhoto de Jacky Deromedi

En tant qu'entrepreneur, je peux vous dire que lors d'un recrutement, on cherche le meilleur candidat pour le poste. À mon avis, il s'agit davantage d'un problème de formation que de discrimination.

L'amendement COM-4 n'est pas adopté.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Nous examinons à présent le rapport d'information sur les outils juridiques de prévention et de traitement des difficultés des entreprises à l'aune de la crise de la covid-19.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Je remercie Thani Mohamed Soilihi pour la qualité de nos échanges.

Le surgissement de l'épidémie de covid-19 pendant l'hiver 2020 et les mesures de police sévères prises par les autorités publiques pour en enrayer sa progression ont provoqué au niveau international la plus grave crise économique depuis la Seconde Guerre mondiale. En France, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le produit intérieur brut a diminué de 8,3 % en 2020.

Toutefois, le nombre de défaillances d'entreprises a diminué de 40 %, passant de 52 000 en 2019 à 32 000 en 2020. Ce paradoxe apparent s'explique aisément : nos entreprises, depuis plus d'un an, sont maintenues sous « perfusion » financière, grâce aux aides des pouvoirs publics, ou ont bénéficié de mesures pour prévenir ou retarder leur dépôt de bilan comme le « gel » de la situation des débiteurs pour l'appréciation de l'état de cessation des paiements, ou encore l'instruction informelle donnée à l'administration fiscale et aux Urssaf de suspendre les assignations d'entreprises en redressement ou en liquidation judiciaire.

La fin prochaine des aides publiques risque de se traduire par la défaillance et la disparition de nombreuses entreprises viables, confrontées à de graves problèmes de liquidité alors même qu'elles dégagent, à moyen et long terme, des bénéfices suffisants pour couvrir leurs besoins de financement.

Par ailleurs, on pourrait assister à la multiplication des entreprises « zombies », insuffisamment rentables pour faire face à une dette trop lourde. Cela résulte d'abord du fait que des entreprises, qui étaient déjà en difficulté avant la crise, ont bénéficié de mesures de soutien public indifférenciées, et ont ainsi été maintenues artificiellement en vie. Mais même parmi les entreprises qui étaient en bonne santé avant la crise, beaucoup pourraient avoir des difficultés à s'en remettre, car elles devront consacrer une part accrue de leurs bénéfices à rembourser les dettes accumulées, au détriment de leurs investissements et de leur productivité à long terme.

Dans ce contexte, nos recommandations s'articulent autour de trois axes : consolider les outils de détection et de prévention précoce des difficultés des entreprises ; renforcer l'efficacité de nos procédures collectives ; créer une nouvelle juridiction économique.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Je développerai le premier point, relatif à la consolidation des outils de détection et de prévention précoce des difficultés des entreprises.

La prévention de l'insolvabilité des entreprises repose sur un ensemble de dispositifs de détection et de traitement précoce des difficultés, particulièrement diversifié dans notre pays, et qui fait appel à un grand nombre d'acteurs.

Si la source la plus directe d'informations pour détecter les difficultés d'une entreprise est sa comptabilité, l'exploitation des « signaux faibles » est de plus en plus utilisée. Parmi ces signaux, je citerai le non-respect de l'obligation légale de dépôt des comptes annuels, les incidents de paiement, les procédures contentieuses ou encore le recours à l'activité partielle. Il existe aussi des outils d'autodiagnostic et, enfin, des procédures d'alerte des dirigeants et des associés ou du président du tribunal de commerce.

Nous estimons à cet égard indispensable d'encourager les entrepreneurs à renforcer leurs outils d'analyse comptable et financière. Nous proposons notamment d'améliorer l'accès des dirigeants à la formation, qui deviendrait une mission prioritaire des réseaux consulaires, et de définir un socle de prestations d'expertise comptable qui donnerait droit à un soutien financier public. En particulier, il faut aider les petites entreprises à se doter d'un « tableau de bord financier », c'est-à-dire d'un outil de prévision des flux de trésorerie à court et moyen terme.

Un très grand nombre d'acteurs publics et privés interviennent dans la prévention des difficultés des entreprises de manière assez dispersée : outre les administrations de l'État et les juridictions, on peut citer les collectivités territoriales, la Banque de France, les réseaux consulaires, les organisations patronales et professionnelles, les organismes de sécurité sociale, les groupements de prévention agréés ou encore les centres d'information sur la prévention créés à l'initiative des professionnels du chiffre et du droit.

L'État joue un rôle particulièrement important, via ses commissaires aux restructurations et à la prévention des difficultés d'entreprises, compétents pour les entreprises comptant entre 50 et 400 salariés, le comité interministériel de restructuration industrielle, pour les entreprises de plus de 400 salariés, ou encore les comités départementaux d'examen des problèmes de financement des entreprises (Codefi) réunis sous la présidence du préfet.

Il conviendrait toutefois de mieux coordonner ces acteurs. Les administrations de l'État étant les mieux placées pour cela, nous recommandons de confier à la direction générale des entreprises et à ses services déconcentrés le soin de créer une plateforme d'information destinée aux entreprises en difficulté recensant l'ensemble des outils et interlocuteurs disponibles dans chaque département et d'encourager la conclusion de contrats départementaux de prévention pour coordonner l'intervention des acteurs locaux.

Il nous semble également indispensable de mettre fin au cloisonnement des informations entre administrations et juridictions. Les juridictions sont en effet l'un des acteurs essentiels de la prévention. Les présidents de tribunaux judiciaires et de commerce disposent de pouvoirs d'enquête et peuvent convoquer les dirigeants à un entretien en s'appuyant sur les données détenues par les greffes, notamment des tribunaux de commerce. Il conviendrait toutefois d'améliorer l'accès des présidents aux informations utiles à l'exercice de leur mission en imposant à l'administration fiscale et aux organismes de sécurité sociale de transmettre au greffe la liste des entreprises présentant un retard de plus de trois mois dans le paiement de leurs impôts et cotisations, et en mettant en place un système d'information commun aux administrations et juridictions pour la détection des signaux faibles.

La réticence des chefs d'entreprise à se tourner vers le tribunal de commerce, associé aux procédures collectives et à la faillite, a souvent été citée lors de nos auditions. Pour dédramatiser ce moment, nous proposons que les juges puissent tenir leurs entretiens de prévention hors des locaux du tribunal.

Enfin, nous souhaitons renforcer l'attractivité des procédures amiables, qui sont trop peu utilisées, en particulier par les petites et moyennes entreprises (PME). Le livre VI du code de commerce prévoit deux procédures de ce type qui ont l'avantage d'être confidentielles. Le président du tribunal peut désigner un mandataire ad hoc pour exercer une mission qu'il détermine et sans limite de temps. En outre, il existe une procédure de conciliation ouverte aux entreprises qui éprouvent « une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible » et ne se trouvent pas en état de cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours. Le tribunal peut homologuer l'accord, ce qui lui donne force exécutoire.

Pour encourager le recours à ces procédures, nous proposons de pérenniser la faculté introduite pendant la crise sanitaire pour le président du tribunal de suspendre les poursuites de certains créanciers et de reporter le paiement des sommes dues pour la durée de la procédure de conciliation. Nous proposons également de mieux encadrer le coût de ces procédures en fixant une grille tarifaire pour la rémunération des mandataires ad hoc et des conciliateurs et en assurant leur prise en charge au moins partielle pour les PME. Nous proposons, enfin, de développer le vivier de mandataires et de conciliateurs en recourant aux professionnels du droit et du chiffre et aux chambres consulaires.

Dans le domaine de la prévention, nos préconisations rejoignent en grande partie celles formulées dans le rapport remis en février dernier au garde des sceaux par Georges Richelme, ancien président de la conférence générale des juges consulaires de France.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Les mesures d'accompagnement et les négociations amiables ne suffisent pas à résoudre toutes les difficultés.

Qu'elles se trouvent dans une situation trop compromise ou qu'elles se heurtent à la mauvaise volonté de leurs créanciers, certaines entreprises sont contraintes de se placer sous la protection de la justice ; à l'inverse, les intérêts légitimes des créanciers et des motifs tirés de l'ordre public économique peuvent justifier que l'entreprise soit placée sous le contrôle d'un tribunal. Tel est l'objet des procédures judiciaires de traitement de l'insolvabilité des entreprises, également dénommées procédures collectives.

Du point de vue économique, les procédures collectives doivent répondre à un double impératif : d'une part, assurer un filtrage entre les entreprises viables et non viables, et d'autre part, assurer une protection suffisante des créanciers pour ne pas pénaliser le financement des entreprises.

De ce double point de vue, le droit français est souvent critiqué. Nous avons constaté que les pouvoirs publics manquent d'outils statistiques pour mesurer l'efficacité des procédures collectives, si bien que nous légiférons parfois « à l'aveugle ». Nous formulons des propositions pour y remédier.

Selon nous, une réforme des procédures collectives suppose d'abord de clarifier leurs objectifs et de mieux les articuler avec d'autres politiques publiques. En particulier, on a trop souvent tendance à considérer les procédures collectives, soit comme une forme de sanction à l'égard des dirigeants, soit au contraire comme une bouée de secours pour ces derniers. Cela aboutit à des solutions aberrantes d'un point de vue économique. Dans le cadre des procédures collectives elles-mêmes, la seule chose qui doit compter, c'est l'intérêt public économique et sa conciliation avec les intérêts légitimes des créanciers.

Par ailleurs, notre législation n'a que trop peu évolué depuis la loi Badinter de 1985, alors que l'économie s'est transformée, notamment dans le sens d'une financiarisation accrue. Nos procédures collectives doivent prendre en compte ces évolutions.

Nous souhaitons d'abord que la transposition prochaine de la directive Restructuration et insolvabilité du 20 juin 2019 soit l'occasion pour la France de moderniser les conditions d'adoption des plans de restructuration judiciaire d'entreprises, en faisant en sorte qu'elles opèrent une sélection plus efficace entre entreprises viables et non viables tout en tenant compte des spécificités des petites et moyennes entreprises.

À cet égard, il nous semble que l'avant-projet d'ordonnance publié par le Gouvernement au mois de janvier comporte certaines imperfections, voire certaines contradictions. Pour de plus amples développements sur ce sujet assez technique, je vous renvoie au rapport écrit.

Au-delà de la directive, nous avons examiné les conditions dans lesquelles les procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire pourraient être fusionnées. Plusieurs personnes que nous avons entendues ont plaidé en ce sens au nom de la simplification. Nous proposons également de revoir l'appréciation du critère de la cessation des paiements, qui conditionne l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, mais qui paraît en partie obsolète. Il existe d'autres indices de l'insolvabilité d'une entreprise. Il conviendrait donc que le ministère public puisse requérir l'ouverture d'une procédure collective s'il résulte de ces indices que l'entreprise est insolvable.

Nous proposons également d'imposer des garde-fous pour éviter les cessions à vil prix d'entreprises en procédure collective.

S'agissant enfin des entreprises pour lesquelles seule la liquidation est envisageable, il importe de favoriser le rebond des entrepreneurs, ce que notre droit ne fait pas suffisamment. Nous préconisons à cet effet d'autoriser la reprise d'une entreprise en difficulté par l'exploitant personne physique, les dirigeants de la personne morale ou leurs proches, si leur offre correspond au meilleur intérêt des créanciers, et en prenant en compte la contribution personnelle des dirigeants de PME à la viabilité de leur entreprise. Une incapacité d'acquérir assez stricte frappe aujourd'hui les dirigeants et leurs proches, ce qui a conduit le Gouvernement à assouplir cette procédure pendant la crise sanitaire : nous avons déjà évoqué ce sujet lors de l'examen d'une proposition de loi de Sophie Taillé-Polian. Il nous semble opportun de pérenniser cette mesure tout en l'encadrant.

Dans le même esprit, nous reprenons une suggestion de notre collègue Nathalie Goulet, qui proposait d'étendre le bénéfice de la procédure de rétablissement professionnel sans liquidation aux personnes morales, afin de mettre fin à une différence de traitement entre petits entrepreneurs exploitant personnellement ou sous forme sociétaire.

Enfin, nous proposons plusieurs mesures visant à mieux protéger le patrimoine personnel des entrepreneurs, à revoir le régime de la faillite et des interdictions professionnelles et à faciliter les opérations de liquidation.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

J'en viens à la création d'une nouvelle juridiction économique.

L'existence de juridictions spécialisées, composées de magistrats non professionnels issus du monde de l'entreprise, doit être comptée parmi les atouts du droit économique français. S'agissant de la prévention et du traitement des difficultés des entreprises, le tribunal de commerce n'est toutefois compétent qu'à l'égard des commerçants et artisans. C'est le tribunal judiciaire qui est compétent pour les exploitants agricoles et les professionnels libéraux, y compris les professions réglementées, ainsi que pour les personnes morales de droit privé non commerçantes, c'est-à-dire essentiellement des associations ayant une activité économique.

Des spécificités existent pour les agriculteurs, qui bénéficient notamment du règlement amiable agricole, inspiré de la procédure de conciliation, et pour les professions réglementées dont les instances ordinales ou professionnelles sont associées à la procédure par le tribunal.

Dans la continuité des travaux antérieurs du Sénat - je pense notamment à la mission d'information sur le redressement de la justice conduite par Philippe Bas et au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dont l'un des rapporteurs était François-Noël Buffet - nous proposons de revoir l'organisation judiciaire pour créer une véritable justice économique, en confiant au tribunal de commerce, qui serait renommé « tribunal des affaires économiques », une compétence exclusive pour l'ensemble des mesures et procédures relevant du livre VI du code de commerce, quel que soit le statut du débiteur.

Nos auditions ont mis en évidence la nécessité de préserver les garanties et règles actuelles bénéficiant aux agriculteurs et aux professions libérales, notamment règlementées, ce à quoi nous sommes attachés ; c'est la raison pour laquelle nous proposons en parallèle de former les juges consulaires aux spécificités des nouveaux ressortissants du tribunal des affaires économiques.

Dans la même logique, nous proposons notamment d'attribuer aux tribunaux de commerce compétence pour statuer sur tout litige relatif au bail du débiteur dans une procédure collective, afin d'éviter le ralentissement des procédures. Plus largement, les tribunaux de commerce deviendraient compétents pour statuer sur les litiges relatifs aux baux commerciaux ou professionnels et aux conventions d'occupation précaire opposant des commerçants ou artisans.

Cette extension de compétence irait de pair, selon nous, avec la poursuite de la modernisation de cette juridiction. Le corps électoral des juges consulaires et l'éligibilité à ces fonctions pourraient ainsi être élargis aux nouvelles professions ressortissantes, pour leur permettre d'être représentées parmi les juges consulaires formant ce tribunal. Les garanties entourant le statut des juges consulaires seraient renforcées, notamment par l'instauration d'une obligation de formation pour les présidents de juridiction à leur prise de fonctions. Enfin, la spécialisation de certains tribunaux de commerce pourrait être approfondie afin d'aligner leur compétence sur les seuils prévus pour la mise en place obligatoire de comités de créanciers, qui deviendront demain les « classes de parties affectées » ; l'extension outre-mer de cette spécialisation pourrait être envisagée.

Nous avons toutefois choisi d'écarter, à ce stade, toute évolution générale vers l'échevinage de cette juridiction, c'est-à-dire la présence au sein des tribunaux de commerce de magistrats professionnels en plus des juges consulaires, compte tenu notamment de la qualité des décisions des tribunaux de commerce, qui n'est pas contestée, mais aussi de la présence des magistrats du parquet, de l'appel jugé par des magistrats professionnels et, surtout, de la consolidation récente du statut des juges consulaires, qui a permis de renforcer l'impartialité de ce tribunal. Enfin, dans un contexte budgétaire difficile, créer plusieurs centaines de postes de magistrats professionnels ressemble à une gageure. Je note qu'en outre-mer, c'est au contraire l'échevinage qui prévaut.

Je remercie à mon tour chaleureusement mon collègue et ami François Bonhomme.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Je vous remercie d'avoir pris en considération certaines de mes propositions. Lorsque les aides publiques actuelles seront suspendues, les dispositions que vous proposez seront très utiles.

Je suis sensible à la détection précoce des difficultés des entreprises. De ce point de vue, il me semble important de souligner l'utilité du dispositif nommé Banque-Carrefour des entreprises mis en place en Belgique. Celui-ci permet une concentration des informations, si bien que les huissiers, par exemple, sont avisés lorsqu'une même personne reçoit plusieurs assignations et peuvent déclencher des procédures de protection et d'information. Il s'agit d'un dispositif peu onéreux et très efficace.

Quoi qu'il en soit, j'espère que vos propositions pourront être mises en oeuvre au plus vite.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Je remercie et félicite à mon tour les deux rapporteurs.

Je souhaite insister sur le rôle des réseaux consulaires. Dans mon département, les chambres consulaires sont montées en puissance à l'occasion de la crise. J'estime qu'il faudrait pérenniser ce mode de fonctionnement, notamment en matière d'assistance collective et individuelle. Il revient également à ces réseaux, dont la vocation est d'accompagner les entreprises, de fournir des statistiques aux pouvoirs publics.

Vous soulignez à juste titre la nécessité de former les chefs d'entreprise en matière de gestion. Je rappelle que la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) a détricoté les exigences de formation dans un certain nombre de secteurs, notamment l'artisanat. J'estime au contraire que le temps est venu d'une plus grande qualification de toutes les entreprises, y compris les autoentrepreneurs, en matière de gestion.

En Alsace, nous n'avons pas de tribunaux de commerce. La chambre commerciale du tribunal judiciaire est l'instance compétente en la matière, et cela fonctionne bien. Vos préconisations devront être examinées en conservant à l'esprit les spécificités du droit alsacien et mosellan.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Les experts-comptables n'ont-ils pas un rôle à jouer pour aider les entreprises à détecter les risques ? Sont-ils actuellement soumis à une obligation d'information à l'extérieur de l'entreprise ?

Si les statistiques relatives au déroulement des procédures sont nombreuses, nous ne disposons pas de statistiques sur le contenu des jugements rendus par les tribunaux de commerce. Il semblerait pourtant intéressant que notre justice analyse ses propres tendances jurisprudentielles.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Il n'a pas été simple de mettre en place la formation proposée par le tribunal de commerce de Lille. Toutefois, ce dispositif devrait à mon sens être beaucoup plus systématique.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Je partage votre intérêt pour les réseaux consulaires, monsieur Reichardt. La loi Pacte a effectivement supprimé l'obligation de formation des artisans. Nous préconisons pour notre part un dispositif incitatif.

Par ailleurs, nous avons bien pris en considérations les spécificités du droit alsacien-mosellan, quoique nous n'envisagions pas de l'étendre à tout le territoire !

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Madame Goulet, nous nous sommes directement inspirés du droit belge, notamment en ce qui concerne la transmission d'informations au tribunal par les administrations.

À la différence des commissaires aux comptes, les experts-comptables ne sont pas investis par la loi d'une mission d'alerte. De nombreuses personnes auditionnées ont cependant souligné qu'il conviendrait de mieux utiliser leurs compétences.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Néanmoins, la rupture de la confidentialité changerait considérablement la nature de leur mission.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Par ailleurs, monsieur Richard, nous manquons effectivement de données sur le contenu des jugements et, surtout, sur l'exécution des plans de sauvegarde ou de redressement. Je le regrette, car la moindre des choses serait d'étudier l'efficacité des procédures collectives.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Goulet

Le premier à se faire payer, c'est bien l'expert-comptable. Dans la vraie vie, ce n'est pas toujours le premier partenaire de l'entreprise... Il y a donc un dispositif d'alerte à trouver.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Notre rapport est attendu. Le cabinet du Premier ministre semble intéressé.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

J'espère que le garde des sceaux l'est également !

La commission autorise la publication du rapport.

La réunion est close à 11 h 45.