Intervention de Thani Mohamed Soilihi

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 19 mai 2021 à 9h00
Outils juridiques de prévention et de traitement des difficultés des entreprises à l'aune de la crise de la covid-19 — Examen du rapport d'information

Photo de Thani Mohamed SoilihiThani Mohamed Soilihi, rapporteur :

J'en viens à la création d'une nouvelle juridiction économique.

L'existence de juridictions spécialisées, composées de magistrats non professionnels issus du monde de l'entreprise, doit être comptée parmi les atouts du droit économique français. S'agissant de la prévention et du traitement des difficultés des entreprises, le tribunal de commerce n'est toutefois compétent qu'à l'égard des commerçants et artisans. C'est le tribunal judiciaire qui est compétent pour les exploitants agricoles et les professionnels libéraux, y compris les professions réglementées, ainsi que pour les personnes morales de droit privé non commerçantes, c'est-à-dire essentiellement des associations ayant une activité économique.

Des spécificités existent pour les agriculteurs, qui bénéficient notamment du règlement amiable agricole, inspiré de la procédure de conciliation, et pour les professions réglementées dont les instances ordinales ou professionnelles sont associées à la procédure par le tribunal.

Dans la continuité des travaux antérieurs du Sénat - je pense notamment à la mission d'information sur le redressement de la justice conduite par Philippe Bas et au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dont l'un des rapporteurs était François-Noël Buffet - nous proposons de revoir l'organisation judiciaire pour créer une véritable justice économique, en confiant au tribunal de commerce, qui serait renommé « tribunal des affaires économiques », une compétence exclusive pour l'ensemble des mesures et procédures relevant du livre VI du code de commerce, quel que soit le statut du débiteur.

Nos auditions ont mis en évidence la nécessité de préserver les garanties et règles actuelles bénéficiant aux agriculteurs et aux professions libérales, notamment règlementées, ce à quoi nous sommes attachés ; c'est la raison pour laquelle nous proposons en parallèle de former les juges consulaires aux spécificités des nouveaux ressortissants du tribunal des affaires économiques.

Dans la même logique, nous proposons notamment d'attribuer aux tribunaux de commerce compétence pour statuer sur tout litige relatif au bail du débiteur dans une procédure collective, afin d'éviter le ralentissement des procédures. Plus largement, les tribunaux de commerce deviendraient compétents pour statuer sur les litiges relatifs aux baux commerciaux ou professionnels et aux conventions d'occupation précaire opposant des commerçants ou artisans.

Cette extension de compétence irait de pair, selon nous, avec la poursuite de la modernisation de cette juridiction. Le corps électoral des juges consulaires et l'éligibilité à ces fonctions pourraient ainsi être élargis aux nouvelles professions ressortissantes, pour leur permettre d'être représentées parmi les juges consulaires formant ce tribunal. Les garanties entourant le statut des juges consulaires seraient renforcées, notamment par l'instauration d'une obligation de formation pour les présidents de juridiction à leur prise de fonctions. Enfin, la spécialisation de certains tribunaux de commerce pourrait être approfondie afin d'aligner leur compétence sur les seuils prévus pour la mise en place obligatoire de comités de créanciers, qui deviendront demain les « classes de parties affectées » ; l'extension outre-mer de cette spécialisation pourrait être envisagée.

Nous avons toutefois choisi d'écarter, à ce stade, toute évolution générale vers l'échevinage de cette juridiction, c'est-à-dire la présence au sein des tribunaux de commerce de magistrats professionnels en plus des juges consulaires, compte tenu notamment de la qualité des décisions des tribunaux de commerce, qui n'est pas contestée, mais aussi de la présence des magistrats du parquet, de l'appel jugé par des magistrats professionnels et, surtout, de la consolidation récente du statut des juges consulaires, qui a permis de renforcer l'impartialité de ce tribunal. Enfin, dans un contexte budgétaire difficile, créer plusieurs centaines de postes de magistrats professionnels ressemble à une gageure. Je note qu'en outre-mer, c'est au contraire l'échevinage qui prévaut.

Je remercie à mon tour chaleureusement mon collègue et ami François Bonhomme.

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