Intervention de Sophie Primas

Commission des affaires économiques — Réunion du 11 mai 2021 à 14h35
Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets — Audition de Mme Barbara Pompili ministre de la transition écologique

Photo de Sophie PrimasSophie Primas, présidente :

Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Barbara Pompili pour échanger sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit « Climat et Résilience ».

En préambule, je rappelle que notre commission considère la lutte contre le réchauffement climatique comme un enjeu essentiel pour notre pays, pour l'Europe et pour le monde. C'est la raison pour laquelle nous donnerons toujours la priorité, lors de l'examen de ce texte, à l'efficience réelle et mesurée des dispositifs législatifs proposés, à leur impact quantitatif sur nos émissions, à un haut niveau d'ambition, mais également à leur soutenabilité économique et sociale. C'est ce prisme - ambition, efficience, soutenabilité - qui nous guidera.

Ainsi, la décarbonation de notre économie est une priorité bien identifiée par notre commission : en juin 2020, nous avions proposé avant et, à l'époque, contre le Gouvernement, un ambitieux plan pour relancer notre économie en accélérant sa décarbonation, sans tarder et sans attendre le grand soir. C'est donc avec un très grand intérêt que nous vous accueillons, la moitié des dispositions de ce projet de loi relevant des compétences de notre commission, sur des sujets très variés tels que la consommation, l'agriculture et la forêt, l'urbanisme, le logement et la rénovation énergétique, les énergies renouvelables et les mines. Nous serons ainsi saisis au fond sur 86 articles et nous prendrons un avis sur 46 autres.

Comme vous le savez, à la différence du choix opéré à l'Assemblée nationale de créer une commission spéciale, le Sénat a préféré s'appuyer sur l'expertise et sur la mémoire des commissions permanentes. Nous avons donc confié ces articles à quatre rapporteurs spécialistes de leur secteur : Mme Anne-Catherine Loisier, sur les sujets concernant la consommation, l'alimentation et l'agriculture, dans le prolongement des travaux menés sur la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Égalim) qu'elle a rapportée ; Mme Dominique Estrosi Sassone, sur les questions de logement, qui a notamment été rapporteur de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ÉLAN) ; M. Daniel Gremillet, sur les questions d'énergie, dans la continuité de ses travaux sur la loi relative à l'énergie et au climat ; et M. Jean-Baptiste Blanc, sur l'objectif de zéro artificialisation nette, dans le prolongement du groupe de travail du même nom qu'il pilote. J'excuse l'absence de ce dernier, élu du Vaucluse, qui se trouve aux cérémonies en cours à Avignon.

Ce texte accélère des évolutions nécessaires, car la transition écologique n'est pas une option, mais une nécessité et offre des opportunités ; il comporte également des dispositions qui nous paraissent moins utiles, sauf en matière de communication ; il contient enfin des éléments plus ambivalents : certaines dispositions semblent déjà exister, d'autres laissent augurer des difficultés réelles quant à leur application, d'autres, en revanche, sont absentes.

Ce projet de loi n'intervient pas dans un contexte nouveau. À la suite du travail de notre commission, le Sénat a adopté la loi relative à l'énergie et au climat d'un commun d'accord avec l'Assemblée nationale, fin 2019. Il s'agissait d'un texte ambitieux, qui a placé la France sur le chemin de la neutralité carbone, mais dont l'application fait encore défaut : 30 % des textes sont attendus et 20 % des ordonnances ont été abandonnées. En outre, 20 % de ses dispositions s'apprêtent à être modifiées par le présent projet de loi. Madame la ministre, ne pensez-vous pas que l'inflation et l'instabilité normatives sont préjudiciables à la transition écologique qui nécessite de vastes et très lourds investissements du secteur public comme du secteur privé et par conséquent de la visibilité à long terme ? Nos citoyens comprennent-ils ce que nous faisons quand nous modifions des règles qui ont à peine eu le temps d'être appliquées ? La crise des « gilets jaunes » a montré le retard que des décisions à la fois imposées et fluctuantes pouvaient nous faire prendre. Les acteurs économiques et nos concitoyens sur le terrain nous disent qu'ils ont besoin d'un cap clair pour engager la transformation de notre modèle économique. Cela ne signifie pas qu'il faudrait ne rien changer, mais il faut le faire à un rythme compatible avec les capacités d'amortissement des investissements pour les entreprises, mais aussi pour les citoyens.

Le projet de loi tel qu'il ressort des travaux de l'Assemblée nationale n'est pas exempt d'ambiguïtés. L'examen d'un projet de loi au Parlement est l'occasion d'évaluer, d'une part, la cohérence entre les objectifs poursuivis et les dispositifs proposés, d'autre part, les inévitables effets de bord des textes qui nous sont soumis, de sorte que nous puissions mettre en balance les avantages et les inconvénients de ces nouveaux dispositifs législatifs et, éventuellement, les calibrer par rapport au but recherché. Sur le plan de la cohérence, ce texte manque d'un cap stratégique. Nombre de dispositifs importants adoptés en séance publique à l'Assemblée nationale n'ont fait l'objet d'aucune évaluation ni d'aucune concertation préalables. Je vous indique que nous nous en tiendrons autant que possible à la recommandation du Haut Conseil pour le climat (HCC) de signaler l'impact des mesures quant à l'objectif de neutralité carbone. D'autres dispositifs nous semblent être à contre-courant, au regard de la crise économique que nous traversons. On voit mal l'urgence qu'il y aurait à rigidifier le tissu commercial ou à interdire les terrasses chauffées, alors que la crise de la covid-19 fait encore sentir ses effets.

Enfin, le projet de loi présente plusieurs angles morts : il ne dit rien de l'énergie nucléaire et pas beaucoup plus de l'hydroélectricité, notre première source d'énergie renouvelable. Sur ces deux sujets essentiels pour atteindre l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050, le Sénat a été plus actif que le Gouvernement puisqu'il vient d'adopter une proposition de résolution sur l'énergie nucléaire et une proposition de loi sur l'hydroélectricité. Sur la forêt, nous aurons aussi des propositions.

Madame la ministre, vous pouvez compter sur nous pour être force de proposition. Êtes-vous prête à accueillir positivement ces initiatives sénatoriales qui ne manqueront pas d'animer nos débats ?

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