Intervention de Stéphane Le Rudulier

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 26 mai 2021 à 9h00
Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets — Examen du rapport pour avis

Photo de Stéphane Le RudulierStéphane Le Rudulier, rapporteur pour avis :

Notre commission s'est saisie pour avis de ce projet de loi, qui est examiné au fond par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et par la commission des affaires économiques.

Plusieurs dispositions du texte entrent dans le champ de compétences de notre commission : le titre VI, sur la protection judiciaire de l'environnement ; l'article 15, sur le « verdissement » de la commande publique ; les dispositions introduites à l'Assemblée nationale pour lutter contre l'orpaillage illégal en Guyane, qui touchent au droit pénal ; des dispositions sur les transports et sur la lutte contre l'artificialisation des sols qui nous intéressent à travers le prisme des collectivités territoriales. J'ai veillé à ce que les mesures envisagées respectent le principe de libre administration des collectivités et ne fassent pas peser sur elles des contraintes excessives.

Nous examinerons une trentaine d'articles sur les 218 que compte ce projet de loi protéiforme. J'ai beaucoup échangé avec mes collègues rapporteurs au fond pour essayer de dégager des positions communes qui donneront plus de force à l'expression du Sénat.

La protection judiciaire de l'environnement constitue le coeur de notre saisine.

Les deux articles principaux, les articles 67 et 68, créent de nouvelles infractions pour mieux réprimer la mise en danger de l'environnement et les atteintes graves et durables causées à l'environnement, dont certaines seraient qualifiées d'écocide et punies de dix ans d'emprisonnement. Ces nouvelles incriminations suscitent des critiques contradictoires. D'une part, les associations de protection de l'environnement souhaiteraient que les condamnations soient facilitées. D'autre part, les organisations d'employeurs s'inquiètent de leurs conséquences sur l'activité industrielle et sur les investissements étrangers. Ces nouvelles infractions apparaissent en réalité assez difficiles à caractériser. Il faut d'abord que l'auteur des faits ait violé les règles administratives protégeant l'environnement pour que des poursuites pénales puissent être engagées, et la notion d'atteinte durable à l'environnement est définie comme une atteinte susceptible de durer au moins dix ans, ce qui est une condition exigeante.

C'est l'article 68 qui pose le plus de problèmes sur le plan juridique. Le Conseil d'État a émis un avis défavorable sur ce dispositif, considérant qu'il réprimait de manière incohérente les atteintes à l'environnement et posait un problème constitutionnel en raison d'un risque de double incrimination. Les mêmes faits pourraient donner lieu à une condamnation à une peine différente en fonction du texte d'incrimination choisi par les autorités de poursuite. En conséquence, je vous présenterai tout à l'heure un amendement tendant à réécrire largement cet article 68, afin de répondre aux critiques du Conseil d'État. Je vous proposerai d'abandonner le terme d'écocide, qui n'est pas utilisé à bon escient.

Autre point de vigilance, l'article 69 bis, ajouté à l'Assemblée nationale, autorise l'utilisation de drones par les agents de contrôle chargés de veiller au respect des normes environnementales. À la lumière des travaux de la commission lors de l'examen de la proposition de loi pour une sécurité globale préservant les libertés et de la récente décision du Conseil constitutionnel, je vous proposerai plusieurs amendements tendant à mieux encadrer le recours aux drones.

Je suggère d'abroger le référé pénal, à l'article 69 ter. Ce dispositif n'a quasiment jamais été utilisé et paraît redondant avec les référés civil et administratif.

En revanche, je vous propose d'approuver la mesure tendant à confier le contentieux du devoir de vigilance à un ou plusieurs tribunaux judiciaires, comme le prévoit l'article 71 ter. Il y a une vraie incertitude concernant la juridiction compétente. Ce contentieux paraît déborder du champ de compétences habituel des tribunaux de commerce.

Les articles relatifs à la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane comportent d'autres mesures de droit pénal. Les moyens déployés par l'État sont extrêmement importants ; je pense à l'opération Harpie qui associe l'armée et la gendarmerie. Mais les résultats restent relativement modestes.

Sont notamment prévus des mesures pour habiliter des inspecteurs de l'environnement et des agents de l'Office national de forêts (ONF) à constater les infractions au droit minier en Guyane, le renforcement des sanctions pénales en cas d'infraction au droit minier et l'extension de la possibilité de reporter de vingt heures au maximum le début de la garde à vue. Il faut parfois des heures pour qu'une personne interpellée en Guyane soit acheminée au poste de gendarmerie le plus proche, ce qui justifie de reporter le point de départ de la garde à vue.

Ce sont des mesures attendues par les acteurs de terrain comme les auditions l'ont montré. Elles rejoignent certaines des préconisations de notre commission dans son rapport de février 2020 sur la Guyane. Elles sont utiles et proportionnées aux enjeux de la lutte contre l'orpaillage illégal. Je vous propose donc de soutenir leur adoption.

Je souhaite évoquer à présent le « verdissement » de la commande publique. L'article 15 tend à rendre systématique la prise en compte de considérations environnementales dans les conditions d'exécution des marchés publics et dans les critères de sélection des offres. Dans sa version initiale, l'article était acceptable : il est légitime que la commande publique contribue à la protection de l'environnement. Des modifications apportées à l'Assemblée nationale pour ajouter des critères sociaux apparaissent en revanche plus problématiques. Elles ne tiennent pas compte de la réalité des PME, qui risquent de se retrouver exclues des marchés publics, et ne paraissent pas compatibles avec le droit européen, qui impose l'existence d'un lien entre les critères posés dans l'appel d'offres et l'objet du marché. Je vous proposerai donc tout à l'heure plusieurs amendements pour remédier à ce problème.

J'en viens aux transports et à la lutte contre l'artificialisation des sols. J'ai examiné les articles 26 ter, 27, 29 et 32, ainsi que les articles 47 à 50 et 56 bis, relatifs à la lutte contre l'artificialisation des sols, en veillant à leurs effets sur les collectivités territoriales et en m'assurant de leur conformité au principe de libre administration.

Sur le volet transports, je vous proposerai des amendements à l'article 26 ter pour apporter des assouplissements à la trajectoire que le projet de loi entend imposer aux collectivités s'agissant du « verdissement » de leur flotte de véhicules.

À l'article 27, relatif aux zones à faibles émissions mobilités (ZFE-m), je vous suggérerai de défendre les prérogatives du maire en introduisant un mécanisme permettant aux communes de s'opposer au transfert automatique de cette compétence à l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI). Je proposerai de préserver la liberté pour les collectivités de définir comme elles le souhaitent les restrictions devant s'appliquer sur le périmètre des ZFE-m.

À l'article 29, relatif à la tarification des services ferroviaires d'intérêt régional, je vous proposerai un amendement visant à maintenir la liberté tarifaire des autorités organisatrices de transport (AOT) régionales, qui participe du principe de libre administration des collectivités.

L'article 32 est politiquement sensible. Il vise à habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnance toute mesure du domaine de la loi permettant aux régions qui le souhaitent d'instituer une écotaxe, assise sur le transport routier de marchandises. Celle-ci serait appliquée sur des routes dont le transfert aux régions est envisagé, à titre expérimental, dans le projet de loi dit « 4D », que nous examinerons prochainement. Cela pose un problème de cohérence, puisque le débat sur l'écotaxe précéderait le débat sur le transfert des routes qui en sont le support. Des interrogations demeurent concernant le champ de l'habilitation, particulièrement imprécis et vague. De plus, la révision prochaine de la directive Eurovignette risque de rendre caduque l'ordonnance. Enfin, nous sommes toujours en attente de l'ordonnance qui doit permettre à la Collectivité européenne d'Alsace (CEA) d'instituer une écotaxe. Si elle était prise, il pourrait se poser un problème d'articulation entre les deux dispositifs.

En matière de lutte contre l'artificialisation des sols, le projet de loi fixe un objectif national qui serait ensuite décliné dans les documents locaux de planification et d'urbanisme. Le rythme d'artificialisation des sols serait divisé par deux au cours des dix prochaines années par rapport aux dix années écoulées, avec l'objectif d'arriver à zéro artificialisation nette en 2050.

Néanmoins, on peut s'interroger sur le rôle central dévolu au schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET). Je vous proposerai de préserver la liberté des collectivités infrarégionales, en précisant que leurs documents - les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et les plans locaux d'urbanisme (PLU) - tiennent compte des objectifs fixés dans le SRADDET sans lui être subordonnés.

Je propose de supprimer plusieurs articles imposant aux collectivités des contraintes supplémentaires peu justifiées. D'abord, l'article 49 quater alourdit la composition des conférences territoriales de l'action publique (CTAP). Ensuite, l'article 49 quinquies crée des conventions de sobriété foncière ; si de tels outils de coordination de l'action des collectivités publiques impliquées dans la lutte contre l'artificialisation des sols peuvent être utiles, il n'est pas souhaitable d'en rigidifier le fonctionnement. Enfin, l'article 50 prévoit la production par les communes ou les EPCI compétents en matière d'urbanisme de rapports relatifs à l'artificialisation des sols, sans tenir compte des besoins et des moyens réels des communes ou des EPCI de petite taille.

Les amendements que je vous présenterai visent à trouver un juste équilibre entre le respect du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales et la mise en oeuvre de nouvelles dispositions tendant à protéger notre environnement, tout en préservant la vie économique de nos territoires.

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