Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, cette proposition de loi du président Buffet a donc pour but de répondre à un enjeu de sécurité publique majeur : la sortie de détention des terroristes qui présenteraient toujours un caractère de dangerosité.
Cette question n’est pas seulement théorique, elle va se poser avec une certaine acuité : à ce jour, 469 personnes se trouvent en détention pour des faits de terrorisme en lien avec la mouvance islamiste ; parmi elles, 253 ont reçu une condamnation définitive ; et, début mai, on en dénombrait 162 qui sortiront de prison dans les quatre prochaines années.
Comme l’a expliqué le président Buffet, notre arsenal juridique n’est pas dépourvu de mesures dédiées au suivi des personnes sortant de détention et qui présentent toujours un caractère de dangerosité s’agissant de la commission d’actes terroristes islamistes.
Je vais vous brosser rapidement un tableau de ces mesures afin que vous rendiez compte des raisons pour lesquelles elles sont en réalité insuffisantes et de la nécessité d’une telle proposition de loi.
Premièrement, il existe la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance, que l’on a coutume d’appeler la Micas. Instaurée par la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite loi SILT, cette mesure est intéressante en ce qu’elle s’accompagne d’obligations de surveillance à l’égard des individus qui sortent de détention.
Mais la Micas demeure une mesure administrative, prononcée par le ministre de l’intérieur. De ce fait, parce qu’elle est attentatoire aux libertés individuelles, elle ne peut être appliquée que dans un cadre extrêmement restrictif.
Ainsi, sa mise en œuvre ne peut excéder douze mois. C’est précisément sur le fondement de cette durée réduite que le Conseil constitutionnel a validé la Micas lorsque la loi SILT lui a été déférée. Toutefois, cette durée est trop courte pour permettre un suivi raisonnable.
Deuxièmement, il existe la peine de suivi sociojudiciaire. Elle peut être prononcée en même temps qu’est condamné l’auteur de faits en lien avec le terrorisme. Malheureusement, elle n’est obligatoire que depuis le mois d’août 2020 : elle n’a donc été que rarement prononcée.
Troisièmement, les mesures d’application des peines offrent un panel d’obligations pouvant être imposées aux terroristes lorsqu’ils sortent de détention, dont la durée est calquée sur la réduction de peine. Or, en juillet 2016, nous avons décidé de supprimer toute réduction de peine automatique pour les individus ayant commis une infraction de nature terroriste. La durée de ces mesures s’en trouve donc extrêmement restreinte.
Quatrièmement, d’autres mesures de sûreté spécifiques existent, destinées à s’imposer uniquement aux délinquants sexuels à leur sortie de détention – elles concernent des peines longues. Ici, la dangerosité de l’individu est appréciée au titre d’une expertise psychiatrique, laquelle ne peut servir à mesurer la dangerosité des terroristes islamistes. Ces mesures ne sont donc pas d’une grande utilité vis-à-vis de ces derniers.
Cinquièmement, enfin, il existe l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (Fijait). Parmi tous les dispositifs que j’ai évoqués, c’est le seul qui est spécifiquement dédié à la lutte contre le terrorisme islamiste : bien qu’il soit intéressant, il demeure assez faible en ce qu’il ne prévoit que des obligations déclaratives.
Des mesures diverses, tant administratives que judiciaires, existent donc bel et bien. À y regarder de plus près, force est de constater que, pour les faits commis entre juillet 2016 – à ce moment, les suivis calqués sur la durée de réduction des peines deviennent extrêmement brefs faute de réduction automatique des peines – et août 2020, date à laquelle un suivi sociojudiciaire obligatoire peut être enfin prononcé, nous ne disposions, sur ce laps de temps relativement long, que de peu de moyens.
Sur l’ensemble des individus actuellement suivis pour des faits en lien avec le terrorisme islamiste par le juge de l’application des peines antiterroriste, 75 % de ceux qui s’apprêtent à sortir de détention seront soumis à un suivi calqué sur la réduction des peines, dont la durée, je viens de l’indiquer, est relativement faible.
Malgré l’arsenal existant, nous avons besoin de nouvelles mesures.
Cette prise de conscience est relativement ancienne : après l’évaluation de la loi SILT par le Sénat et l’Assemblée nationale, les présidents des commissions des lois des deux assemblées ont chacun déposé une proposition de loi visant à mettre en œuvre une mesure de sûreté qui assujettit les terroristes islamistes sortant de détention à des obligations à la fois de surveillance et de réinsertion. C’est bien sur ces deux piliers que repose une telle mesure de sûreté.
Un accord fut trouvé à l’issue d’une commission mixte paritaire et un texte a été voté en juillet 2020, mais le Conseil constitutionnel l’a partiellement invalidé. C’est pour tirer les conséquences d’une telle décision que nous sommes réunis aujourd’hui.
Dans un premier temps, le Conseil constitutionnel a énoncé des choses tout à fait positives. Je ne crois pas trahir sa pensée en disant qu’il a décidé que le législateur était légitime à mettre en œuvre une mesure de nature à prévenir les troubles à l’ordre public et, partant, à décider d’une mesure de sûreté. Celle-ci est fondée non pas sur l’infraction commise, mais bien sur la dangerosité persistante de la personne qui sort de détention. Autrement, le président Buffet l’a très bien expliqué, elle constituerait une double peine.
Nous savons d’ores et déjà que le dispositif que nous allons mettre en place présente bien le caractère d’une mesure de sûreté, d’application immédiate. Elle peut donc s’appliquer aux terroristes qui s’apprêtent à sortir de détention.
Voilà donc l’élément positif important que le Conseil constitutionnel a exprimé.
Il a également énoncé des choses moins positives. Sur le texte issu de l’accord trouvé en commission mixte paritaire. Le Conseil constitutionnel a ainsi estimé que n’était pas correctement assuré l’équilibre entre l’objectif à valeur constitutionnelle de prévention des troubles à l’ordre public et l’atteinte aux libertés constitutionnellement reconnues.
C’est donc sur ces éléments que le président Buffet a dû se pencher pour rééquilibrer ce texte ; la commission des lois ne l’a que très peu modifié car il paraissait répondre en tous points à la décision et à la censure du Conseil constitutionnel.
Désormais, l’application de la mesure de sûreté, qui s’apparente à un dispositif de surveillance et de réinsertion, est décidée comme suit : une évaluation du détenu est réalisée avant sa sortie de détention ; sur requête du parquet antiterroriste, la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris est saisie ; l’avis du juge de l’application des peines antiterroriste est requis ; un débat contradictoire a lieu en présence du détenu, assisté d’un avocat ; une décision est prise.
La mesure de sûreté ne peut être prononcée si le détenu n’a pu suivre un parcours de réinsertion ou des activités de réinsertion lors de sa détention. De même, elle ne peut l’être si le détenu a fait l’objet d’une condamnation à une peine de prison avec sursis. Enfin, elle ne peut être prononcée, ou peut être réformée, s’il existe d’autres mesures moins attentatoires qui satisfont aux objectifs de surveillance et de réinsertion.
Cette mesure sera prononcée pour une durée limitée, de trois à cinq ans maximum, et les autres mesures existantes ne pourront être prononcées ensemble. Il conviendra de mettre en œuvre la gradation dont le président Buffet est l’auteur et qu’il a présentée. Le système est le suivant : plus le détenu est dangereux à sa sortie de détention, plus les mesures auxquelles il est soumis seront importantes. La proposition de loi permettra d’inscrire au fichier des personnes recherchées les différentes obligations imposées aux détenus qui sortent de prison.
Voilà, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, brossée à grands traits l’architecture de cette nouvelle mesure de sûreté. Nous espérons, cette fois-ci, qu’elle obtiendra les faveurs du Conseil constitutionnel.