Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la sécurité des Français et l’intégrité du territoire national sont des préoccupations communes à tous les membres de la Haute Assemblée, je puis l’affirmer sans grande crainte.
Toutefois, étant donné ce que nous savons de la radicalisation, il nous semble que le Sénat a une approche bien réductrice de la prise en charge des personnes condamnées pour terrorisme. On pourrait la résumer ainsi : toujours plus de répression judiciaire et pas assez de réflexion quant aux causes des problèmes que l’on entend traiter.
En effet, le premier écueil de cette proposition de loi est d’ignorer la situation des prisonniers de droit commun qui se radicalisent lors de leur détention. Il convient d’objectiver le phénomène de radicalisation en prison et de mettre en œuvre un programme de réinsertion adapté et stable à ce type d’individus, pour qu’ils ne se retrouvent pas sans aucun accompagnement à la fin de la détention.
Ensuite, cette proposition de loi ne pousse pas plus avant la réflexion sur les pratiques sociojudiciaires en matière de réintégration en milieu ouvert ou semi-ouvert des personnes radicalisées. Elle se contente de mettre en place des dispositifs judiciaires de suivi de ces personnes.
C’est tout le système de suivi des radicalisés qu’il nous faut peut-être revoir. Aujourd’hui, la stratégie de la France est celle du désamorçage, sans aller plus loin. Catherine Troendlé, ancienne sénatrice du groupe Les Républicains, et moi-même avons rendu un rapport d’information sur la radicalisation et nous avons visité longuement les prisons et les structures de prise en charge de la radicalisation. Plutôt que « déradicalisation », je préfère parler de « désengagement » ou de « désembrigadement ». Celle-ci implique des modifications du système de croyances conduisant à rejeter l’idéologie extrémiste au profit de nouvelles valeurs. Toutefois, elle est réductrice, car il s’agit encore une fois d’une approche confrontationnelle, qui porte difficilement ses fruits.
Peut-être devrions-nous envisager de faire évoluer la conception de la prise en charge de ces personnes en France vers la notion de désengagement, qui, elle, s’inscrit dans la perspective d’un renoncement à la violence. Le Danemark a été un précurseur en la matière : dès 2007, il a employé une méthode basée sur le tutorat et l’accompagnement pour faire face à la radicalisation.
En France, il y a eu le programme « Recherches et intervention contre les violences extrémistes », ou RIVE, expérience inédite pour tenter de gérer la réinsertion des personnes radicalisées et leur suivi sous le contrôle des services pénitentiaires d’insertion et de probation. Elle a été interrompue pour laisser place à l’association Artemis, Atelier de recherche, traitement et médiation interculturelle et sociale, dont nous n’avons pour l’heure aucun retour d’expérience.