Intervention de Alain Richard

Réunion du 25 mai 2021 à 14h30
Suivi des condamnés terroristes sortant de détention — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Alain RichardAlain Richard :

Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous écrivons un nouveau chapitre de l’histoire de l’adaptation de notre droit pénal à une criminalité particulière. C’est une histoire à épisodes. Avec l’aggravation de la criminalité terroriste, qui commence en 2012 dans notre pays et, bien vite, dans le reste de l’Europe, notre législation se renforce à la fois pour mieux caractériser et rendre punissables les crimes et délits qui constituent ce mouvement et pour adapter les procédures en prévenant les risques de prolongation excessive des jugements comme, il faut bien dire, le risque de l’intimidation de ceux qui instruisent et de ceux qui sanctionnent.

Les règles de ce droit rénové, qui vise à combattre le terrorisme, sont maintenant à l’œuvre. Le moment est opportun pour affirmer notre respect et notre soutien à tous les agents publics qui le mettent en œuvre : magistrats, policiers, agents des services, personnel pénitentiaire et personnel des services pénitentiaires d’insertion et de probation.

Toutefois, à mesure que ce dispositif répressif s’est déployé, un problème est apparu qui surplombe notre discussion d’aujourd’hui : l’idéologie meurtrière qui a conduit à l’acte terroriste, notamment pour ceux qui sont condamnés pour complicité et sont détenus moins longtemps, ne disparaît pas avec l’exécution de la peine.

Depuis quatre ou cinq ans se développe donc une discussion sur la déradicalisation, que Mme Esther Benbassa vient d’analyser de façon très juste. Si elle présente un réel intérêt, elle ne clôt cependant pas le sujet, car les anciens condamnés ne présentent pas tous, tant s’en faut, la disponibilité mentale et la capacité de retour dans la norme, qui en sont la première condition.

La dangerosité des anciens condamnés qui subsiste nous adresse une sorte de double défi : rester fidèles aux principes d’une justice humaniste, écarter la menace vitale d’individus restant enclins à combattre la société par le meurtre.

Le 27 juillet dernier, nous avons adopté une loi habilitant le juge à prendre, après l’exécution de la peine, un ensemble de mesures de sûreté à l’encontre des anciens condamnés pour terrorisme, dans le but de prévenir et, déjà, de détecter les agissements qui révéleraient leur tendance à vouloir de nouveau attenter au sort de nos concitoyens.

Le Conseil constitutionnel a déclaré cet ensemble de mesures contraire aux articles de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui protègent la liberté individuelle contre les sentences abusives. Il a critiqué le cumul de ces mesures de sûreté aboutissant, si on les appliquait toutes, à priver l’individu d’une part essentielle de sa liberté. Il en a également dénoncé la durée maximale d’application, puisqu’elles étaient susceptibles, dans le texte adopté, de poursuivre leurs effets sur une période pouvant aller jusqu’à dix ans.

Pourtant, cette loi avait reçu l’approbation des deux assemblées, avec une majorité assez large dans les deux cas et après un travail approfondi de leurs commissions des lois respectives. Beaucoup d’entre nous s’y étaient associés et je m’étais personnellement réjoui de vous entendre, monsieur le garde des sceaux, peu après votre entrée en fonction, apporter votre appui à ce dispositif.

À présent, il faut reprendre la plume, puisque, d’une part, le risque à combattre est toujours aussi présent et que, d’autre part, le Conseil constitutionnel a au moins reconnu – j’appelle aussi votre attention sur ce point, monsieur le garde des sceaux – la conformité au droit constitutionnel de mesures individuelles de sûreté en pareille situation. Il est donc souhaitable d’adapter un système de suivi sous le contrôle du juge judiciaire et d’une rigueur moins serrée que la panoplie trop large que nous avions fixée l’été dernier. Observons que des mesures comparables appliquées aux anciens délinquants sexuels condamnés, qui constituent un précédent, sont, quant à elles, jugées parfaitement conformes aux principes supérieurs du droit.

La proposition de loi de François-Noël Buffet tire très logiquement les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel et retient les trois principales mesures de contrainte qui était incluses dans l’ensemble plus vaste de 2020, à savoir l’obligation pour l’ancien détenu condamné pour terrorisme sortant de prison de faire connaître son lieu de résidence, l’interdiction de paraître dans certains lieux et l’interdiction d’entrer en contact avec certains individus. Un tel dispositif figure dans le code pénal de longue date et s’applique à nombre de situations.

Cette fois, la durée d’application de ces mesures est plus limitée. En outre, chaque mesure est décidée par un juge judiciaire après application des droits de la défense.

Nous trouvons ce dispositif équilibré et adapté au danger qu’il faut combattre et nous espérons, rationnellement, qu’il sera cette fois jugé conforme aux exigences supérieures du droit. Nous savons que, de son côté, le Gouvernement a en préparation une réponse légale à ce vide de législation que nous ne pouvons laisser subsister. Nous souhaitons vivement qu’un rapprochement entre les deux démarches ait lieu, comme cela avait été le cas dans le débat précédent.

Ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux, il faut veiller au risque du cumul entre les mesures administratives de contrôle et des mesures judiciaires. Pour autant, nous pensons qu’il faut poursuivre le débat. Je me permets donc d’insister pour qu’avant la fin de la préparation du projet de loi vous incorporiez certaines des mesures qui sont prévues par la proposition de loi que nous sommes en train d’examiner et que vous demandiez au Conseil d’État d’apprécier la compatibilité de l’ensemble de ces mesures, celles que vous avez en projet et celles dont nous délibérons aujourd’hui.

Dans ces conditions, nous souhaitons que le débat se poursuive. C’est pourquoi, sur ce texte, nous avons fait le choix d’une abstention compréhensive.

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