Qu’en est-il du plan national de prévention de la radicalisation annoncé par Édouard Philippe, le 13 juillet 2018 ? Nous n’en avons aucune évaluation !
La problématique à laquelle nous tentons de répondre en ce moment même va percuter le débat qui suivra l’examen de cette proposition de loi et qui porte sur l’irresponsabilité pénale. En effet, nous le savons, de nombreux détenus reconnus comme radicalisés n’ont pas leur place en prison, mais doivent être placés dans des hôpitaux psychiatriques ; or ces établissements n’ont déjà pas les moyens de prendre soin de leurs malades.
On a psychiatrisé le terrorisme avec des effets en cascade : des terroristes dangereux plongés dans le bouillon carcéral sortent plus délinquants qu’ils ne sont entrés. Les médecins experts, peu nombreux, ne peuvent jouer leur rôle.
Quant à la prévention, elle brille par son inefficacité !
Monsieur le garde des sceaux, je souhaite adresser ici, pour la énième fois, un réquisitoire contre le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, le CIPDR. Projets de loi de finances rectificative après projets de loi de finances, nous demandons des évaluations de son action. Il serait temps ! Nous n’avons ni stratégie, ni statistiques, ni suivi. Or c’est extrêmement important, cela a été rappelé à plusieurs reprises au Sénat. Ainsi, la mission d’information conduite par Esther Benbassa et Catherine Troendlé sur les outils de la déradicalisation ou de la lutte contre la radicalisation ou de la reconstruction du lien citoyen – appelons cela comme on veut ! – a montré que ce maillon-là aussi était manquant, ce qui nous conduit à de très nombreuses incertitudes.
Je vous renvoie aussi, mes chers collègues, au travail de la commission des lois et de la commission des affaires sociales sur les failles et les faiblesses de l’expertise psychiatrique – manque d’experts, surcharge de travail, rémunération ridicule…
D’ici au projet de loi de finances, monsieur le garde des sceaux, nous devrons nous pencher très attentivement sur la lutte contre la radicalisation. Nous pourrons évidemment voter ex post, comme d’habitude, de très nombreuses mesures d’ordre répressif. Il n’en demeure pas moins que la prévention est une sécurité qu’il nous faut absolument développer et évaluer. Sinon, nous n’aurons jamais les outils nécessaires pour lutter contre le terrorisme.
Enfin, d’ici à l’examen du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, que vous portez actuellement à l’Assemblée nationale, nous pourrions procéder à une évaluation de l’article 729-2 du code de procédure pénale, qui permet des libérations conditionnelles sous condition d’expulsion. Combien de détenus, dangereux ou non, pourraient-ils se voir appliquer cette disposition ? Cette mesure est-elle susceptible de déplacer le curseur ? Il serait intéressant de le savoir.
Sur ces questions, le Sénat a toujours été aux côtés des ministres de l’intérieur et de la justice qui se sont succédé depuis 2015. Nous avons conscience de l’importance de l’unité nationale dans la lutte contre le terrorisme et dans la prévention, qui doit être placée au cœur du débat, et non « à côté ».
Nous voterons donc le texte proposé, même si, comme d’autres avant lui, celui-ci manquera de moyens humains et financiers. C’est pourquoi j’insiste sur les questions d’évaluation, monsieur le ministre, et j’espère que nous pourrons vous soutenir dans les textes, notamment financiers, à venir.