Je conseille d’ailleurs à ceux qui ne l’auraient pas encore fait de lire les 87 pages de l’avis qu’elle a rendu. C’est un travail de dentelle, d’un niveau tel que l’on a rarement l’occasion d’y être confronté, même dans une institution comme la nôtre. Le rapport de la commission des lois lui consacre du reste un encadré pour en souligner l’excellence.
J’ajoute que les attaques personnelles dont elle a fait l’objet à cette occasion sont tout à fait honteuses.
Cela étant, si j’ai changé d’avis, ce n’est pas tant en raison de l’excellence de ce travail, disais-je, qu’à cause d’une critique très virulente parue dans le recueil Dalloz, intitulée La turpitude du fou, et dans laquelle la transposition de la règle nemo auditur que je viens de mentionner n’avait pas reçu l’accueil chaleureux que j’escomptais.
Si l’on ne touche pas aux principes de la responsabilité pénale découlant de l’application de l’article 122-1 du code pénal, quelle place accordera-t-on et quelle réponse fera-t-on aux familles des victimes, placées dans une situation très difficile ? Que faire des auteurs de crimes et de délits pour lesquels des doutes subsistent ? Comment règlera-t-on cette question ?
Le débat devant la chambre de l’instruction a montré ses limites, car il ne s’agit en aucune façon d’une juridiction de jugement. En effet, elle ne prononce pas de peines ; les audiences d’irresponsabilité, même si elles peuvent être longues – ce fut le cas pour l’affaire Sarah Halimi, dont l’audience a duré huit heures –, peuvent se tenir en l’absence de la personne mise en examen ; enfin, les victimes n’en sortent ni apaisées ni satisfaites.
Ce genre de procès finit toujours par être celui de la justice. C’est la raison pour laquelle notre commission des lois a adopté un texte qui ne modifie pas le dispositif de l’article 122-1, mais qui, en quelque sorte, dans le continuum de la loi Dati de 2008, va ouvrir aux victimes le droit à un procès, dans les cas où le fait fautif de l’auteur a partiellement aboli son discernement. Selon une jurisprudence constante, c’est dans pareil cas que les difficultés surgissent.
Il ne s’agit pas de juger les fous, mais de savoir qui et comment on juge de l’existence d’un trouble psychiatrique exonératoire de responsabilité. Il ne s’agit donc pas de juger la folie, mais de repenser, dans les rares cas où la responsabilité pénale est contestée, l’accès au juge au sens l’article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l’homme.
Je vous renvoie d’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, ainsi que vos services, à un article très intéressant de Mme Dervieux, présidente de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris – elle est bien placée pour connaître son fait –, sur le besoin du procès tel qu’elle l’expose : elle est assez convaincante dans sa démonstration.
En tous les cas, si vous ne modifiez pas l’article 122-1 du code pénal, monsieur le garde des sceaux, il faudra malgré tout trouver une solution. Je vous invite à cet égard à suivre la position que notre commission a adoptée.
Nous devons trouver le moyen le plus juste d’appréhender les effets du fait fautif sur l’irresponsabilité de l’auteur d’un acte criminel ou délictuel. C’est bien au juge qu’il appartient de décider de l’irresponsabilité pénale et, singulièrement, du lien entre le fait fautif et l’irresponsabilité.
Dans le prolongement de la réforme Dati de 2008, la commission des lois a donc choisi un renvoi par le juge d’instruction vers le juge du fond, à savoir le tribunal correctionnel ou la cour d’assises, lorsque le fait fautif de l’auteur a causé, au moins partiellement, l’abolition temporaire de son discernement.
La cause est nécessairement au moins partielle, car les causes exclusives ne se rencontrent presque jamais. L’abolition du discernement doit être temporaire, car l’abolition définitive du discernement doit continuer d’empêcher tout procès.
En modifiant non pas l’article 122-1 du code pénal, mais, au contraire, le code de procédure pénale, nous apportons deux innovations majeures dans notre droit : la première est la prise en compte du fait fautif antérieur sur l’abolition du discernement ; la seconde est que, dans le cas d’un fait fautif, l’abolition du discernement entraîne non pas l’irresponsabilité, mais le renvoi vers le juge du fond, qui, lui, se prononce sur l’irresponsabilité et pourra ne pas la reconnaître.
On nous reproche que les tribunaux correctionnels, et, surtout, certaines cours d’assises ne prononceront pas l’irresponsabilité pénale en cas de fait fautif. Je rejette totalement cette idée qui suppose que les jurés populaires des cours d’assises seraient incapables de juger au cas par cas, ce qui est leur mission. Au contraire, qui mieux que le juge du fond saura placer correctement le délicat curseur entre responsabilité en raison d’un fait fautif et irresponsabilité partielle du fait de l’abolition du discernement.
Cette solution, qui permettra de décider de l’application de l’article 122-1 du code pénal, est celle qui nous paraît offrir les garanties les plus importantes au regard des principes de notre droit, répondre aux interrogations légitimes de l’opinion publique et donner satisfaction aux victimes.
En 2018, on a dénombré 326 non-lieux pour abolition du discernement et 13 495 classements sans suite, soit un doublement des cas motivés par l’irresponsabilité pénale pour troubles mentaux de la personne mise en cause. Le nombre de cas a doublé entre 2012 et 2018. Alors, certes, ils ne constituent que 0, 7 % de l’activité des parquets, mais ils représentent tout de même près de 14 000 affaires. C’est beaucoup !
Une autre option aurait été de créer une infraction spécifique en cas d’homicide en situation d’abolition du discernement, comme cela existe en Suisse ou en Espagne.
Dès janvier 2020, après un débat de contrôle sur le sujet avec Mme Belloubet, nous avions demandé aux services du Sénat de réaliser une étude de législation comparée pour tenter d’identifier quelle pourrait être la meilleure solution. Nous n’en avons pas trouvé, et il nous a paru totalement inopportun de créer un nouveau délit. Tout cela pour dire que la solution que la commission a adoptée semble être la plus claire et la plus lisible.
Par cohérence, la commission des lois a cependant choisi de prévoir que l’intoxication alcoolique ou par stupéfiant constitue un cas d’aggravation systématique des peines et délits inscrits au code pénal. On sait en effet très bien que ces intoxications sont très souvent la cause de l’irresponsabilité.
Je laisserai mon collègue Jean Sol développer l’importante question de l’expertise psychiatrique, qui se fonde sur le très important travail qu’il a conduit au nom de la commission des affaires sociales et de la commission des lois. Il vous interpellera, monsieur le garde des sceaux, sur l’état de l’expertise psychiatrique, son manque de personnel et de moyens, et les difficultés des conditions d’exercice de cette mission essentielle à tous les niveaux de l’instruction et du jugement.
La commission des lois a cherché, sur la question complexe de l’irresponsabilité, à trouver une solution équilibrée, conforme à nos principes et permettant, nous l’espérons, de progresser ensemble.
Nous savons que vous êtes en train d’élaborer un texte en la matière. Nous savons aussi que la commission des lois de l’Assemblée nationale a lancé une mission « flash » sur la question, même si elle ne m’a malheureusement pas auditionnée. Nous attendons donc de connaître votre position sur ce sujet précis.
Nous avons sollicité notre collègue Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances sur les crédits de la mission « Justice », pour mener un travail spécifique sur le budget de votre ministère en ce qui concerne l’expertise psychiatrique.
Nous sommes également déterminés à engager un travail en profondeur sur l’indemnisation des victimes.
Le texte de la commission des lois est, je le répète, clair et lisible. Quelques amendements ont été déposés. J’espère, monsieur le garde des sceaux, que vous pourrez le soutenir ou, en tous les cas, que vous nous donnerez votre point de vue sur ce dossier important, car, voyez-vous, au-delà de l’affaire Halimi, ce sont des centaines de victimes qui attendent que nous réglions le problème de l’irresponsabilité liée à la faute de l’auteur des faits incriminés.