Je vous remercie de m'accueillir dans cette salle, où je me trouve un peu en terrain connu, pour y avoir participé à un certain nombre de réunions de commissions mixtes paritaires.
Je vous demande une nouvelle fois de bien vouloir excuser l'absence du président Baroin, qui m'a chargé de le représenter. Ce n'est pas, de sa part, une marque de désintérêt envers le Sénat, loin de là.
Vous avez souhaité obtenir l'avis de l'AMF sur ce projet de loi « 4D », qui demeure l'association généraliste ayant vocation à représenter les maires de France et présidents d'intercommunalités. Je veux d'abord saluer le travail au long cours effectué par l'ensemble de mes collègues au sein de toutes les commissions spécialisées.
Ce texte suscitait de grands espoirs. Malheureusement, les attentes sont un peu déçues, même s'il a évolué quelque peu à la faveur de passages nombreux devant le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) et après un avis du Conseil d'État qui, sans être complètement négatif, a été pour le moins critique.
Pour nous, ce texte est important pour au moins trois des D formant son intitulé : différenciation, décentralisation et déconcentration. Le quatrième D semble plutôt renvoyer à des dispositions diverses particulièrement disparates et de faible portée, ce qui résume un peu l'impression générale qui ressort du texte.
Tout d'abord, concernant la différenciation. J'ai eu l'honneur de représenter l'AMF à un travail passionnant dans le cadre d'un groupe de réflexion mis en place à la demande du Premier ministre au Conseil d'État, et qui avait justement comme objectif d'évaluer le dispositif national d'expérimentation, tel qu'il est prévu dans la Constitution. Nous avons immédiatement mis le doigt sur ce qui nous semblait indispensable à partir du moment où l'on parlait d'expérimenter des adaptations les plus fines possible au terrain, dans le respect du principe d'égalité, de dispositions nationales découlant de la loi et du règlement, de sorte que nos institutions fonctionnent de manière efficace et en proximité.
Le moins que l'on puisse dire est que cet objectif de différenciation, tel que nous pouvions l'attendre dans ce projet de loi, n'est pas atteint.
La décentralisation, ensuite. Les maires de France constatent, comme beaucoup d'élus locaux et nationaux, que nous sommes encore au milieu du gué en ce qui concerne la mise en oeuvre d'une décentralisation efficace. La question qui revient sans cesse est bien entendu celle des moyens, des transferts de crédits correspondant aux transferts de compétences, de l'autonomie financière et fiscale. Je ne m'étendrai pas sur la suppression de la taxe d'habitation, dernier exemple en date de ce long cortège de décisions qui réduisent à peau de chagrin la capacité des collectivités à assumer, par elles-mêmes et pour elles-mêmes, les choix qu'elles pourraient faire en toute responsabilité, sur le mandat de leurs électeurs.
Or il est clair que le volet décentralisation de ce texte est finalement anecdotique. Nous n'en sommes pas encore à cette ultime et décisive étape de la décentralisation, qui conduirait à ce que chacun s'installe dans ses compétences, avec une application effective du principe de subsidiarité, que nous appelons toujours de nos voeux.
Enfin, s'agissant de la déconcentration, qui est pour nous le corollaire indispensable de la décentralisation. Il n'y a pas de bonne gestion des affaires publiques à l'échelle locale sans ce fameux couple maire-préfet, revenu en grâce ces derniers mois à la faveur de la crise sanitaire, pour avoir fait la preuve de son efficacité. C'est surtout le maire qui a connu une sorte de renaissance, après être passé à la moulinette de toutes les réformes successives, et notamment de la baisse drastique de la dotation globale de fonctionnement (DGF).
Avec la pandémie, un constat s'est imposé : sans les maires, rien n'aurait été possible. Aussi, nous attendions plus de cet acte de décentralisation. C'est pour cela, aussi, que nous avons fait des propositions sur la transition écologique, la santé, le logement, la culture, le sport.
Il est plus que jamais nécessaire d'approfondir les relations entre les maires et l'État au contact des habitants. Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, j'espère que vous saurez enrichir ce texte.
À cet instant, je veux faire référence aux 50 propositions que porte le Sénat, et qui sont, pour l'essentiel, des propositions que nous pourrions revendiquer comme étant les nôtres. Cela n'est pas étonnant de la part de la chambre qui représente les collectivités locales. Je tiens à saluer, au nom de l'AMF, les avancées volontaristes que vous portez à travers trois propositions de loi, dont deux, organique et constitutionnelle, ont déjà été votées en première lecture par votre assemblée. La troisième proposition de loi, ordinaire, qui reprend certaines de ces 50 propositions, pourra, je l'espère, prospérer prochainement à travers vos amendements au texte du Gouvernement. C'est en tout cas l'invitation amicale que vous adresse l'AMF, pour redonner du souffle et une architecture puissante à ces 83 articles qui manquent cruellement d'ambition.
En fait, nous sommes face à une addition de dispositions qui, dans leur principe, vont dans le bon sens, mais qui sont dévoyées dans leur déclinaison. Je pense notamment au titre relatif aux outre-mer, et tout particulièrement à l'article 83 relatif aux modalités de cession du foncier de l'État en Guyane, sur lequel je reviendrai plus précisément par la suite.
Avant d'entrer dans le détail, en réponse à vos questions, je veux aborder devant vous quelques motifs d'insatisfaction.
Il y a en premier lieu le sujet de la gouvernance des agences régionales de santé (ARS). Ce qui est proposé est insuffisant à la lumière de ce qu'a révélé la crise sanitaire. Nous militons pour un renforcement du rôle des délégués départementaux à l'article 31 du projet de loi.
À l'article 46 du texte, qui concerne la politique locale de l'eau, le dispositif nous semble très pervers et s'apparente, pour nous, à une véritable recentralisation. En effet, cet article remet en cause, et nous ne l'acceptons pas, les fondements mêmes des comités de bassin, qui sont des organes délibérants faits pour être décentralisés. Le texte de l'article que vous examinerez ne peut aboutir en l'état, même s'il est moins inacceptable que l'avant-projet qui nous avait été présenté.
En matière de transition énergétique, les collectivités, et particulièrement le bloc local, sont perplexes et inquiètes, car elles se voient assigner un rôle non pas de partenaires, mais de sous-traitants de cette politique publique. Il ne faut pas oublier que la fonction de coordonnateur de la transition énergétique a été déléguée par la loi en 2015 aux intercommunalités dotées d'un plan climat-air-énergie territorial (PCAET). De plus en plus d'intercommunalités en étant pourvues, il nous semble émerger un conflit de normes si le texte est maintenu en l'état.
Au sujet de l'article 47, nous souhaitons faire remarquer que les communes et intercommunalités ne peuvent pas être écartées de l'élaboration et de la signature de futurs contrats de cohésion territoriale, qui visent à coordonner les politiques et modalités d'intervention comme de soutien de l'État aux politiques que portent les communes et intercommunalités. Elles doivent donc être présentes au stade de la préparation, comme de la signature.
À vouloir trop simplifier l'action publique locale, il arrive malheureusement qu'on la complexifie. C'est le cas avec l'évolution du rôle des collectivités aux côtés de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Nous nous interrogeons sur l'efficacité du dispositif qui est proposé. Ce puissant levier financier a plus que jamais besoin d'agilité pour venir en support des collectivités.
L'article 83, qui concerne l'établissement public foncier et d'aménagement de la Guyane, nous préoccupe énormément. C'est une recentralisation de fait. Espérons que la sagesse l'emportera et que le Parlement ne confirmera pas par son vote un tel choix.
L'AMF porte un jugement plutôt favorable sur les mesures relatives au logement, notamment la prolongation des dispositifs de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi « SRU », au-delà de 2025. Certes, nous aurions quelques suggestions complémentaires. La question des communes lourdement carencées mérite d'être mieux traitée qu'elle ne l'est actuellement dans le projet de loi.
Encore une fois, les maires de France sont à votre disposition pour répondre à vos questions, vous fournir des informations qui vous auraient pu vous échapper, voire - pourquoi pas ? - vous adresser des suggestions dans le cadre du nécessaire travail d'amélioration du projet de loi.