La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le rapport et le texte proposé par la commission sur la proposition de loi visant à nommer les enfants nés sans vie, présentée par Anne-Catherine Loisier.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Monsieur le président, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Anne-Catherine Loisier a un objet volontairement très circonscrit : il s'agit de donner un nom aux enfants nés sans vie pour mieux accompagner les familles qui subissent un deuil périnatal.

La notion d'enfant sans vie est une notion juridique provenant de l'article 6 de la loi du 8 janvier 1993 qui a distingué les enfants sans vie des enfants nés vivants et viables, qui sont eux dotés d'une personnalité juridique. Quand un enfant est-il viable ? En principe, un enfant est viable lorsqu'il naît après vingt-deux semaines d'aménorrhée, soit vingt semaines de gestation.

Malgré l'absence de personnalité juridique des enfants sans vie, le législateur a fait le choix d'accompagner les parents dans leur deuil en permettant leur enregistrement à l'état civil. L'acte d'enfant sans vie est inscrit directement dans le registre des décès. C'est un acte optionnel pour les parents, qui n'est pas soumis à un délai particulier, contrairement à l'acte de naissance qui doit être établi dans les cinq jours de l'accouchement.

Les parents sont désignés dans l'acte sous l'appellation de « père et mère », ce qui peut sembler paradoxal puisque l'enfant n'a pas de filiation, n'ayant pas de personnalité juridique. L'inscription à l'état civil vient donner l'apparence d'une existence juridique et l'apparence d'une filiation, même si, en réalité, celles-ci ne sont que mémorielles. C'est « un accompagnement bienveillant » par le droit, selon l'expression utilisée par un universitaire que j'ai entendu en audition. On a parlé aussi d'« accommodement raisonnable du droit ».

Les enfants nés sans vie ne peuvent pas être inscrits à l'état civil ; cela est fonction de leur stade de développement. Depuis 2008, l'acte d'enfant sans vie est conditionné à la production d'un certificat médical attestant de l'accouchement de la mère - de manière spontanée ou provoqué pour raison médicale - selon un modèle défini par arrêté du ministre de la santé.

N'ouvrent pas la possibilité d'un tel certificat d'accouchement - et donc d'une inscription à l'état civil - les interruptions de grossesse du premier trimestre, c'est-à-dire les interruptions spontanées précoces et les interruptions volontaires de grossesse. Je précise qu'auparavant une circulaire imposait aux officiers de l'état civil d'appliquer les seuils de viabilité reconnus par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), soit un poids de 500 grammes ou une grossesse de 22 semaines d'aménorrhée. Mais la Cour de cassation, par trois arrêts du 6 février 2008, a jugé qu'une simple circulaire ne pouvait limiter les droits des parents et ajouter au texte des conditions qu'il ne prévoit pas. Ce sont désormais aux médecins de constater s'il y a eu accouchement ou pas.

Depuis 2008, les couples non mariés dont le premier enfant est mort-né ou non viable peuvent également se faire délivrer par l'officier de l'état civil un livret de famille pour y inscrire leur enfant.

Une circulaire du 19 juin 2009 a ensuite reconnu aux parents le droit de pouvoir choisir un ou des prénoms pour leur enfant sans vie. Ils peuvent enfin organiser des funérailles et bénéficier de certains droits sociaux tels que les congés de maternité et paternité ou le congé de deuil.

L'auteure de la proposition de loi veut aller plus loin en permettant l'inscription de l'enfant sans vie à l'état civil sous un nom. Elle souhaite par ailleurs inscrire dans la loi la possibilité de lui donner un prénom.

L'intention de l'auteure de la proposition de loi est vraiment de limiter la portée de l'attribution d'un nom au seul acte d'enfant sans vie, pour éviter tout « effet de bord » potentiellement indésirable. La rédaction proposée précise à cette fin que l'acte d'enfant sans vie « emporte uniquement modification de l'état civil de l'enfant ».

Nous l'avons vu : les parents peuvent déjà inscrire leur enfant à l'état civil sous un prénom, l'inscrire sur leur livret de famille et organiser des funérailles. Faut-il leur accorder le droit supplémentaire de lui donner un nom ?

À titre personnel - et avec mon expérience de médecin -, je suis convaincue que la douleur de la perte d'un enfant est un vide sans fond que rien ne peut combler. Ce n'est pas dans l'ordre des choses que les parents enterrent leur enfant, surtout lorsqu'il s'agit d'un bébé. C'est le deuil de l'avenir. Il y a un énorme travail à faire en termes d'accompagnement, de soutien psychologique, administratif, mais cela ne dépend pas d'une loi...

Ceci étant dit, même s'il m'a semblé constater qu'il n'y avait pas de demande forte pour nommer les enfants sans vie - dans le temps contraint qui m'était imparti, j'ai réussi à réunir quelques contributions d'associations -, je pense qu'il est légitime d'aller au bout du processus d'identification de l'enfant mort-né ou non viable pour mieux l'inscrire dans l'histoire familiale et matérialiser symboliquement le lien de filiation du père qui n'a pas le même rapport charnel avec l'enfant que la mère.

Par ailleurs, donner un nom, aux côtés du prénom, permettrait de rendre plus cohérente la reconnaissance symbolique de l'enfant sans vie et procèderait finalement de la même logique compassionnelle que celle souhaitée par le législateur lors de la création de l'article 79-1 du code civil en 1993. Les familles ne comprennent pas l'« entre-deux » actuel qui consiste à pouvoir choisir un prénom, mais pas un nom.

Toutefois - et c'est un point très important - ce pas supplémentaire doit rester symbolique et ne créer aucune filiation ou droit. Il ne s'agit pas d'ouvrir la voie vers une reconnaissance d'une personnalité juridique à l'enfant sans vie via l'attribution de prénoms et d'un nom.

Dans cet esprit, j'ai déposé l'amendement COM-1 qui ajoute la précision selon laquelle « cette inscription de prénoms et nom n'emporte aucun effet juridique », ce qui permettrait d'écarter expressément tout éventuel effet, notamment en matière de filiation et de succession, sans faire mention, comme initialement proposé, d'un « état civil » dont l'enfant sans vie est dépourvu, puisqu'il n'a pas de personnalité juridique.

Compte tenu de la valeur simplement mémorielle de l'acte d'enfant sans vie, cette mention écarterait également l'application de l'alinéa 3 de l'article 311-21 du code civil en matière de dévolution du nom de famille, ce qui n'empêcherait évidemment pas les parents de choisir le même nom de famille pour leurs enfants nés postérieurement.

Enfin, conformément à la volonté initiale de l'auteure, l'amendement ferait apparaître de manière plus claire le caractère optionnel de l'inscription d'un ou plusieurs prénoms et d'un nom à leur enfant sans vie. Par ailleurs, il préciserait comment le choix du nom peut être fait par les parents.

Je vous propose d'adopter la proposition de loi de notre collègue Anne-Catherine Loisier ainsi modifiée, avec son assentiment.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

J'apprécie l'évolution que nous a rappelée notre rapporteur. Je constate à quel point, en une dizaine d'années, la douleur des parents a été mieux reconnue. Les protocoles sont désormais plus complets. Ce texte constitue une évolution supplémentaire, qui peut paraître mineure, mais qui est bienvenue. Je n'ai pas très bien compris le débat sur la personnalité juridique, qui semble être la crainte de la Chancellerie. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain est favorable à cette proposition modeste, sachant que nous ne pouvons pas faire mieux à cause de l'article 40 de la Constitution. Je regrette néanmoins que ce texte ne contienne pas des dispositifs plus précis en matière de droits sociaux, le régime applicable aux parents, notamment aux mères, étant très mince.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Di Folco

Pourquoi, lors de la première réforme, le législateur n'a-t-il prévu d'inscrire qu'un prénom et n'est-il pas allé au bout de la démarche ? S'agissait-il d'un problème constitutionnel ? J'apprécie que l'amendement du rapporteur fasse référence au père et à la mère. J'ai été chagrinée de la suppression de ces termes dans le code civil, qui fait désormais référence aux parents. Pourtant, les enfants ont bien un père et une mère, merci d'avoir réintroduit ces mots !

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Cette proposition de loi vise à donner un nom de famille aux enfants nés sans vie, pour accompagner le deuil des parents. C'est un objectif auquel nous souscrivons tous. Il s'agit de modifier le second alinéa de l'article 79-1 du code civil. Aux termes du droit en vigueur, un ou plusieurs prénoms peuvent être donnés à l'enfant né sans vie par les parents. En revanche, il ne peut lui être donné de nom, qui constitue un attribut de la personnalité juridique résultant elle-même du fait d'être né vivant et viable.

La délicatesse avec laquelle l'auteure a voulu équilibrer les choses a été reprise par le rapporteur, qu'il s'agisse de la conception de la personnalité juridique, du statut de l'enfant à naître ou de l'interruption volontaire de grossesse. L'amendement COM-1 vise à réécrire l'article unique de la proposition de loi qui, elle-même, va dans le bon sens car elle prend compte de la nécessité de ne pas remettre en cause les principes de droit civil concernant la personnalité juridique. Cet amendement tend, notamment, à mentionner au sein de l'article unique que cette inscription de prénoms et nom n'emporte aucun effet juridique.

Toutefois, la réécriture proposée continue de prévoir la possibilité pour les parents d'inscrire dans l'acte d'enfant sans vie un nom, qui peut être soit celui du père, soit celui de la mère. Certes, il n'est pas fait mention du nom de l'enfant, contrairement à la proposition de loi initiale. Il est d'ailleurs intéressant de souligner que la réécriture proposée marque la différence entre « le ou les prénoms de l'enfant », qui peuvent déjà être attribués à l'enfant sans vie au titre d'une ordonnance de 2019, et « un nom », sans mentionner qui en est l'attributaire.

La mention générale et indéterminée d'un nom, ainsi que la mention selon laquelle cette inscription de prénoms et nom n'emporte aucun effet juridique suffisent-elles vraiment à se prémunir d'une reconnaissance de la personnalité juridique de l'enfant sans vie ? Au regard de cette incertitude tenant à la portée réelle de la rédaction proposée, mais tout en soutenant la démarche d'équilibre ainsi que l'objet légitime de la proposition de loi, le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants s'abstiendra de façon positive.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Comme l'a souligné Marie-Pierre de La Gontrie, ces dernières décennies ont connu une évolution positive. On ne peut pas éviter tous les drames, mais on peut soulager les parents. Autrefois, les enfants mort-nés étaient considérés comme des « déchets hospitaliers ». C'était épouvantable pour les parents. J'ai rencontré il y a une quinzaine d'années un couple ayant appris, à l'occasion de la naissance d'un enfant mort-né, qu'ils étaient porteurs tous deux d'une maladie génétique faisant qu'ils n'auraient pas d'autre enfant. Il était donc extrêmement important pour eux que cet enfant mort-né soit reconnu. Le père tenait absolument à ce que cet enfant soit identifié à l'état civil, avec son nom de famille.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

J'éprouve une réticence liée à l'emploi des termes « père et mère ». Quid si les parents sont deux mères ? C'est une question dont il va falloir discuter, car les choses ont changé. La filiation est aujourd'hui bien plus compliquée. Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires souhaite que l'on remplace « père et mère » par « parents ».

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Comme l'a rappelé Marie-Pierre de la Gontrie, d'énormes progrès ont été réalisés pour accompagner les parents qui subissent ce drame. Ils reçoivent notamment un livret dans lequel tout est bien expliqué, en particulier pour les obsèques.

En ce qui concerne les droits sociaux, l'auteure de la proposition de loi a voulu que le texte soit sobre. Néanmoins, l'enfant né sans vie peut permettre l'attribution de certains droits sociaux, comme par exemple la majoration de retraite pour enfants, même s'il n'a pas vécu.

Pour répondre à la question de Catherine Di Folco, avec la mention du nom, on peut penser qu'il y a filiation, mais aussi succession. L'objet de cette proposition de loi est uniquement de prévoir un accompagnement du deuil périnatal. L'important est d'inscrire cet enfant dans l'histoire familiale afin qu'il ne soit pas un non-dit, même si, de mon point de vue, le silence constitue le linceul des tout-petits.

Pour revenir sur les réticences de Thani Mohamed Soilihi, le dispositif est très sécurisé. Un nom et un prénom ne suffisent pas à créer la personnalité juridique. Ce qui crée la personnalité juridique, c'est d'être né vivant et viable.

Je me suis posé la question soulevée par Esther Benbassa au sujet des deux mamans. La rédaction « père et mère » existe déjà dans l'article 79-1 et on ne fait que la reprendre.

S'agissant du périmètre de l'article 45 de la Constitution, je vous propose de considérer qu'il inclut les dispositions relatives au statut juridique des enfants sans vie.

EXAMEN DES ARTICLES

Article unique

Debut de section - PermalienPhoto de Marie Mercier

Comme je l'ai évoqué dans mon exposé général, l'amendement COM-1 a pour objet de réécrire l'article unique de la proposition de loi. L'attribution du nom resterait bien dans le registre du symbole et n'aurait aucune conséquence en ce qui concerne une éventuelle reconnaissance de la personnalité juridique de l'enfant. Le choix d'un ou de prénoms ainsi que d'un nom resterait purement optionnel : on n'imposerait rien aux parents. Le choix du nom serait encadré. Je me suis calquée sur les règles classiques de dévolution du nom sans renvoyer directement à l'article 311-21 du code civil puisque cet enfant sans vie n'a pas de filiation.

Depuis l'origine, l'acte d'enfant sans vie est un acte d'inscription mémorielle à l'état civil. Donner la possibilité de choisir un nom, aux côtés du prénom, c'est aller au bout de cette logique, sans en changer la nature.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Je précise que cet amendement est présenté en accord avec l'auteure de la proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Je partage la préoccupation d'Esther Benbassa. Il y a effectivement lieu de présenter un amendement pour modifier la rédaction de l'article unique, cette mention de père et de mère n'ayant plus lieu d'être. Je ne suis pas convaincue par les explications de Marie Mercier concernant la succession et reste perplexe quant à la réticence de la Chancellerie sur ce point.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

La volonté de l'auteure a été de ne pas avoir d'effet juridique, qu'il s'agisse de filiation ou de succession. Il est donc clairement spécifié que cette inscription de prénoms et nom n'emporte aucun effet juridique, en conformité avec l'intention d'Anne-Catherine Loisier. Cela répond également à la question posée sur les droits sociaux. On est là clairement dans une notion mémorielle, pour répondre à l'attente des familles.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Di Folco

Je ne peux pas laisser dire que la notion de père et de mère n'a plus lieu d'être. Les couples hétérosexuels existent encore ! Que l'on souhaite prévoir l'existence d'une deuxième maman, pourquoi pas, mais cela ne doit pas se faire au détriment du concept de père et mère !

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

La réunion, suspendue à 10 h 05, est reprise à 10 h 15.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Nous avons le plaisir d'accueillir ce matin Guy Geoffroy, représentant le président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalités (AMF), dont nous regrettons l'absence et qui m'a prié de bien vouloir l'excuser. Nous inaugurons notre cycle d'auditions publiques sur le projet de loi, anciennement appelé « 4D », aujourdui dit « 3DS » pour « différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification de l'action publique », dont l'examen débutera au Sénat le 7 juillet. La commission se réunira le 30 juin pour examiner le rapport de Françoise Gatel et Mathieu Darnaud. Nous avons délégué une partie des articles à la commission des affaires sociales, à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et à la commission des affaires économiques. Je salue à cet égard la présence d'Alain Milon et celle de Daniel Gueret.

Monsieur Geoffroy, nous attendons le sentiment général de l'AMF sur ce projet de loi. Ensuite, le jeu des questions-réponses nous fera entrer plus en détail dans le texte.

Debut de section - Permalien
Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville et président des maires de Seine-et-Marne, représentant de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF)

Je vous remercie de m'accueillir dans cette salle, où je me trouve un peu en terrain connu, pour y avoir participé à un certain nombre de réunions de commissions mixtes paritaires.

Je vous demande une nouvelle fois de bien vouloir excuser l'absence du président Baroin, qui m'a chargé de le représenter. Ce n'est pas, de sa part, une marque de désintérêt envers le Sénat, loin de là.

Vous avez souhaité obtenir l'avis de l'AMF sur ce projet de loi « 4D », qui demeure l'association généraliste ayant vocation à représenter les maires de France et présidents d'intercommunalités. Je veux d'abord saluer le travail au long cours effectué par l'ensemble de mes collègues au sein de toutes les commissions spécialisées.

Ce texte suscitait de grands espoirs. Malheureusement, les attentes sont un peu déçues, même s'il a évolué quelque peu à la faveur de passages nombreux devant le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) et après un avis du Conseil d'État qui, sans être complètement négatif, a été pour le moins critique.

Pour nous, ce texte est important pour au moins trois des D formant son intitulé : différenciation, décentralisation et déconcentration. Le quatrième D semble plutôt renvoyer à des dispositions diverses particulièrement disparates et de faible portée, ce qui résume un peu l'impression générale qui ressort du texte.

Tout d'abord, concernant la différenciation. J'ai eu l'honneur de représenter l'AMF à un travail passionnant dans le cadre d'un groupe de réflexion mis en place à la demande du Premier ministre au Conseil d'État, et qui avait justement comme objectif d'évaluer le dispositif national d'expérimentation, tel qu'il est prévu dans la Constitution. Nous avons immédiatement mis le doigt sur ce qui nous semblait indispensable à partir du moment où l'on parlait d'expérimenter des adaptations les plus fines possible au terrain, dans le respect du principe d'égalité, de dispositions nationales découlant de la loi et du règlement, de sorte que nos institutions fonctionnent de manière efficace et en proximité.

Le moins que l'on puisse dire est que cet objectif de différenciation, tel que nous pouvions l'attendre dans ce projet de loi, n'est pas atteint.

La décentralisation, ensuite. Les maires de France constatent, comme beaucoup d'élus locaux et nationaux, que nous sommes encore au milieu du gué en ce qui concerne la mise en oeuvre d'une décentralisation efficace. La question qui revient sans cesse est bien entendu celle des moyens, des transferts de crédits correspondant aux transferts de compétences, de l'autonomie financière et fiscale. Je ne m'étendrai pas sur la suppression de la taxe d'habitation, dernier exemple en date de ce long cortège de décisions qui réduisent à peau de chagrin la capacité des collectivités à assumer, par elles-mêmes et pour elles-mêmes, les choix qu'elles pourraient faire en toute responsabilité, sur le mandat de leurs électeurs.

Or il est clair que le volet décentralisation de ce texte est finalement anecdotique. Nous n'en sommes pas encore à cette ultime et décisive étape de la décentralisation, qui conduirait à ce que chacun s'installe dans ses compétences, avec une application effective du principe de subsidiarité, que nous appelons toujours de nos voeux.

Enfin, s'agissant de la déconcentration, qui est pour nous le corollaire indispensable de la décentralisation. Il n'y a pas de bonne gestion des affaires publiques à l'échelle locale sans ce fameux couple maire-préfet, revenu en grâce ces derniers mois à la faveur de la crise sanitaire, pour avoir fait la preuve de son efficacité. C'est surtout le maire qui a connu une sorte de renaissance, après être passé à la moulinette de toutes les réformes successives, et notamment de la baisse drastique de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

Avec la pandémie, un constat s'est imposé : sans les maires, rien n'aurait été possible. Aussi, nous attendions plus de cet acte de décentralisation. C'est pour cela, aussi, que nous avons fait des propositions sur la transition écologique, la santé, le logement, la culture, le sport.

Il est plus que jamais nécessaire d'approfondir les relations entre les maires et l'État au contact des habitants. Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, j'espère que vous saurez enrichir ce texte.

À cet instant, je veux faire référence aux 50 propositions que porte le Sénat, et qui sont, pour l'essentiel, des propositions que nous pourrions revendiquer comme étant les nôtres. Cela n'est pas étonnant de la part de la chambre qui représente les collectivités locales. Je tiens à saluer, au nom de l'AMF, les avancées volontaristes que vous portez à travers trois propositions de loi, dont deux, organique et constitutionnelle, ont déjà été votées en première lecture par votre assemblée. La troisième proposition de loi, ordinaire, qui reprend certaines de ces 50 propositions, pourra, je l'espère, prospérer prochainement à travers vos amendements au texte du Gouvernement. C'est en tout cas l'invitation amicale que vous adresse l'AMF, pour redonner du souffle et une architecture puissante à ces 83 articles qui manquent cruellement d'ambition.

En fait, nous sommes face à une addition de dispositions qui, dans leur principe, vont dans le bon sens, mais qui sont dévoyées dans leur déclinaison. Je pense notamment au titre relatif aux outre-mer, et tout particulièrement à l'article 83 relatif aux modalités de cession du foncier de l'État en Guyane, sur lequel je reviendrai plus précisément par la suite.

Avant d'entrer dans le détail, en réponse à vos questions, je veux aborder devant vous quelques motifs d'insatisfaction.

Il y a en premier lieu le sujet de la gouvernance des agences régionales de santé (ARS). Ce qui est proposé est insuffisant à la lumière de ce qu'a révélé la crise sanitaire. Nous militons pour un renforcement du rôle des délégués départementaux à l'article 31 du projet de loi.

À l'article 46 du texte, qui concerne la politique locale de l'eau, le dispositif nous semble très pervers et s'apparente, pour nous, à une véritable recentralisation. En effet, cet article remet en cause, et nous ne l'acceptons pas, les fondements mêmes des comités de bassin, qui sont des organes délibérants faits pour être décentralisés. Le texte de l'article que vous examinerez ne peut aboutir en l'état, même s'il est moins inacceptable que l'avant-projet qui nous avait été présenté.

En matière de transition énergétique, les collectivités, et particulièrement le bloc local, sont perplexes et inquiètes, car elles se voient assigner un rôle non pas de partenaires, mais de sous-traitants de cette politique publique. Il ne faut pas oublier que la fonction de coordonnateur de la transition énergétique a été déléguée par la loi en 2015 aux intercommunalités dotées d'un plan climat-air-énergie territorial (PCAET). De plus en plus d'intercommunalités en étant pourvues, il nous semble émerger un conflit de normes si le texte est maintenu en l'état.

Au sujet de l'article 47, nous souhaitons faire remarquer que les communes et intercommunalités ne peuvent pas être écartées de l'élaboration et de la signature de futurs contrats de cohésion territoriale, qui visent à coordonner les politiques et modalités d'intervention comme de soutien de l'État aux politiques que portent les communes et intercommunalités. Elles doivent donc être présentes au stade de la préparation, comme de la signature.

À vouloir trop simplifier l'action publique locale, il arrive malheureusement qu'on la complexifie. C'est le cas avec l'évolution du rôle des collectivités aux côtés de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Nous nous interrogeons sur l'efficacité du dispositif qui est proposé. Ce puissant levier financier a plus que jamais besoin d'agilité pour venir en support des collectivités.

L'article 83, qui concerne l'établissement public foncier et d'aménagement de la Guyane, nous préoccupe énormément. C'est une recentralisation de fait. Espérons que la sagesse l'emportera et que le Parlement ne confirmera pas par son vote un tel choix.

L'AMF porte un jugement plutôt favorable sur les mesures relatives au logement, notamment la prolongation des dispositifs de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi « SRU », au-delà de 2025. Certes, nous aurions quelques suggestions complémentaires. La question des communes lourdement carencées mérite d'être mieux traitée qu'elle ne l'est actuellement dans le projet de loi.

Encore une fois, les maires de France sont à votre disposition pour répondre à vos questions, vous fournir des informations qui vous auraient pu vous échapper, voire - pourquoi pas ? - vous adresser des suggestions dans le cadre du nécessaire travail d'amélioration du projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Gatel

Le travail que nous avons mené avec les associations d'élus rassemblées au sein de Territoires unis a abouti aux fameuses cinquante propositions du Sénat pour le plein exercice des libertés locales, remises au Président de la République au mois de juillet dernier.

Certes, le projet de loi s'intitule « 4D ». Mais le Conseil d'État a considéré que le « D » de décomplexification était assez léger et qu'il s'agissait plutôt de dispositions disparates... La différenciation, la décentralisation et la déconcentration sont des outils très utiles. Mais ce qui nous intéresse le plus au Sénat, c'est une autre lettre de l'alphabet : le E, pour « efficacité de l'action publique ». Or celle-ci passe - vous y avez fait référence - par la subsidiarité : quel est l'échelon le plus pertinent pour traiter d'un sujet ? La crise sanitaire a révélé à ceux qui en doutaient ou qui l'ignoraient combien les collectivités pouvaient inventer les réponses les plus efficaces.

Ce texte nous inspire un certain nombre d'interrogations. Il nous paraît insuffisant. Le Sénat, dont l'état d'esprit est constructif, mais très exigeant, aura à coeur de l'enrichir avec de nombreuses propositions. Nous voulons encourager la ministre à faire preuve de plus l'audace pour plus de pertinence.

L'article 1er inscrit dans la loi le principe de différenciation territoriale. Le Sénat, qui n'avait pas été entendu lors de l'examen du projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, plaide pour la différenciation. Mais cet article semble largement dépourvu de portée normative. Comment interprétez-vous cette disposition ? Est-ce un simple vernis ou une possibilité offerte pour aller plus loin ? Les nombreux élus que nous avons consultés ont manifesté une forte adhésion envers nos cinquante propositions. La différenciation n'est pas la rupture avec le principe d'égalité, qui suppose au contraire de pouvoir différencier les moyens mobilisés.

Le projet de loi prévoit le renforcement des conférences territoriales de l'action publique (CTAP), en les positionnant comme un lieu de décision des délégations de compétences entre collectivités, autour de projets structurants. Le Sénat a souvent critiqué l'inefficacité des CTAP, instances pléthoriques qui ne permettent pas un dialogue concret entre collectivités sur l'exercice des compétences qui leur sont dévolues. Estimez-vous que les CTAP constituent l'échelon pertinent pour favoriser les délégations de compétences entre collectivités ?

Le texte évoque peu les intercommunalités. Nous n'avons pas été entendus, lors de l'examen du projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, sur la territorialisation de compétences, les transferts « à la carte » ou le rétablissement de l'intérêt communautaire. La loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRE), qui visait à rationaliser les intercommunalités, prévoyait de supprimer des syndicats. Or, faute de territorialisation de certaines compétences, un certain nombre ont été maintenus. Êtes-vous favorable à ce que nous réintroduisions des dispositions relatives à l'intérêt communautaire et aux transferts de compétences dans le projet de loi ?

Enfin, que pensez-vous de la position du Conseil d'État qui, dans son avis très critique sur le projet de loi, a justement fait remarquer que les dispositions visant à renforcer le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales étaient particulièrement peu nombreuses, reprochant ainsi au Gouvernement de n'être pas allé assez loin ?

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

Je fais miennes les observations de ma collègue Françoise Gatel.

Nous vous rejoignons sur la déconcentration et la nécessité de trouver des leviers pour renforcer cette forme d'agilité qui peut et doit exister. Vous avez évoqué le rôle du couple préfet-maire pendant la crise sanitaire. Pensez-vous qu'il faille renforcer la possibilité pour le préfet de prendre des mesures à titre dérogatoire afin de répondre avec plus de souplesse et d'agilité aux demandes des collectivités territoriales, notamment des communes ? J'ai notamment en tête ce que nous avons vécu sur la vaccination.

Le Sénat souhaite évidemment aller vers plus de décentralisation dans la gestion de l'eau. Même si les comités de bassin sont des organes délibérants, il faut bien reconnaître qu'il y a un sujet sur l'attribution des subventions. Et aussi imparfaites soient-elles, les propositions formulées à l'article 46 nous interpellent. Comment mieux prendre en compte la situation des départements pour qui la question de la ressource en eau et du financement des investissements, notamment communaux, voire intercommunaux devient primordiale ? Sans doute faut-il revoir les procédures actuelles. Vous connaissez la constance du Sénat : nous avions déjà critiqué la nouvelle architecture proposée en matière d'eau et d'assainissement dans le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, et nous reviendrons probablement à la charge dans le cadre de l'examen de ce texte.

Vous avez rappelé le souffle simplificateur qui animait à la base l'élaboration du projet de loi. Nous avons également essayé de travailler dans le sens de la simplification, avec le concours du Conseil national d'évaluation des normes. Selon vous, quelles autres mesures de simplification pourraient utilement enrichir ce texte ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Les articles 31 et 32 portent sur des thématiques qui intéressent la commission des affaires sociales.

L'article 31 transforme le conseil de surveillance des agences régionales de santé (ARS) en conseil d'administration. Le Sénat avait suggéré que ce conseil d'administration soit présidé par le président du conseil régional ou son représentant. Par ailleurs, l'idée d'un objectif régional des dépenses d'assurance maladie est parfois avancée. Quelle est la position de l'AMF à cet égard ?

L'article 32, qui concerne le financement des investissements hospitaliers par les collectivités territoriales, m'inquiète particulièrement. Je ne suis pas certain que tout le monde réalise bien de quoi il retourne. Prenons un exemple tout simple : l'État pourrait désormais demander à la commune d'Avignon une participation financière aux opérations de remise en état du service de réanimation et du service de soins palliatifs de l'hôpital public de la ville, dont le coût total est de 100 millions d'euros. Comme il n'est pas du tout certain que la commune ait les moyens d'une telle participation, l'État en tirera-t-il prétexte pour ne pas procéder aux améliorations nécessaires ? Une telle disposition représente donc un véritable danger. Le risque est également que les hôpitaux de villes moyennes soient fermés, sauf participation financière de la commune. Il ne me paraît guère pertinent de prévoir la participation des collectivités territoriales au financement du programme d'investissement des hôpitaux et des cliniques privées. De la même manière, la clinique construite récemment à Montpellier pour 1,5 milliard d'euros aurait-elle pu voir le jour si l'on avait exigé une participation financière de la ville et de la région ?

La décentralisation, c'est bien, mais elle a des limites. En Espagne, où elle est importante, la qualité des soins diffère selon les régions et avec elle, l'espérance de vie ; en Allemagne, la troisième vague de l'épidémie de covid-19 a nécessité une recentralisation de la décision, pour des raisons d'efficacité.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Gueret

Notre commission a reçu délégation au fond des articles 9, 13, 61 et 62, qui concernent le transport ferroviaire, la protection des paysages et la biodiversité ; elle s'est, en outre, saisie pour avis de vingt-cinq autres articles relatifs à la transition énergétique, aux transports, routier et fluvial, à la gestion de l'eau et à l'aménagement du territoire.

S'agissant de la gouvernance d'instances nationales qui mènent des actions territoriales, qu'attendez-vous d'organismes comme le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema) ou l'Ademe ? Comment améliorer leur mode d'intervention au niveau local ?

Notre commission s'était saisie pour avis, à l'époque, des dispositions instituant l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), destinée à proposer aux élus locaux un guichet unique pour la conduite de leurs projets. Faut-il, selon vous, approfondir cette démarche de rationalisation en articulant mieux les actions menées par l'ANCT, l'Ademe et le Cerema ?

Que pensez-vous des dispositions du projet de loi renforçant le rôle des élus locaux dans la gouvernance de ces agences et des ARS ? Celles-ci vont-elles assez loin ? Les agences que je viens d'évoquer devraient-elles, par exemple, accueillir davantage d'élus de territoires ruraux ou fragilisés ?

Enfin, quel est votre sentiment à propos de l'article 14 attribuant un pouvoir de police spécial aux maires en matière de réglementation de la circulation dans les espaces naturels protégés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Deux textes s'entrechoquent ; cela pose problème : nous examinons en séance le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit « Climat et résilience », à partir du 15 juin, et nous allons évoquer ce texte dit « 4D » peu après, à partir du 7 juillet en séance. Or le sujet qui est revenu durant la dernière campagne électorale était l'aménagement du territoire, notamment la constructibilité, avec des débats concernant les schémas de cohérence territoriale (SCoT) et leur déclinaison, les plans locaux d'urbanisme intercommunal (PLUI). L'objectif zéro artificialisation nette en 2050, qui figure dans le projet de loi Climat et résilience, s'appuie sur une projection qui va déséquilibrer les territoires alors même que l'on relève une forte volonté de réoccuper l'espace rural. Des communes ayant déjà construit pourront, par exemple, opérer une « renaturation » des parkings de supermarché pour dégager de nouveaux espaces de construction, alors que les communes qui n'en ont pas, parce qu'elles sont, par exemple, trop éloignées des métropoles, ne pourront pas le faire malgré une forte demande. C'est dans ce type de situations qu'il faudrait actionner la différenciation. Qu'en pensez-vous ? Ces deux lois me semblent arriver de façon trop précipitée pour que nous travaillions au bénéfice de l'aménagement du territoire qui est pourtant en train de se redessiner.

Debut de section - Permalien
Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville et président des maires de Seine-et-Marne, représentant de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF)

Beaucoup d'entre vous ont fait référence à la lettre « E », pour « efficacité », qui manque au titre de ce texte. J'avais moi-même utilisé ce mot avec son frère jumeau « efficience ». Nos politiques publiques doivent être efficientes, pour répondre aux problèmes qui se posent, et efficaces, pour bien y répondre. De ce point de vue, la seule règle applicable devrait être le mot-clé « subsidiarité », pourvu qu'il soit correctement employé.

La portée de la différenciation, telle que définie à l'article 1er du projet de loi, se limite-t-elle à du vernis ? Je reprends ce terme, il correspond à l'affirmation d'un principe qui fait son chemin. Au-delà, alors que le Conseil constitutionnel remarque lui-même que l'esprit de différenciation est déjà présent dans la Constitution, le Conseil d'État a quant à lui relevé que ce texte n'était pas assez normatif pour aller plus loin dans ce domaine. C'est aussi notre avis ; il ne s'agit de rien de plus que d'une déclaration de principe supplémentaire. Cette aspiration recoupe pourtant le besoin de proximité : on n'y arrivera pas si tout le monde passe sous la même toise, vis-à-vis de l'État comme des autres niveaux. De ce point de vue, nous sommes réticents à ces chefs de filat supplémentaires qui conduiront à faire des communes des subordonnées de fait des collectivités les plus dotées.

S'agissant des conférences territoriales de l'action publique (CTAP), il me semble nécessaire que des outils de ce type fonctionnent, même si nous jugeons que ces conférences n'ont pas démontré leur capacité à apporter quelque chose. C'est dommage, dans la mesure où leur mission précise est de se pencher après chaque renouvellement des instances locales sur le développement de la décentralisation. Leur organisation n'est pas satisfaisante, il faut aller vers des CTAP plus proches du terrain, par exemple à l'échelle départementale, afin d'ouvrir une réflexion plus concrète et dirigée vers la mise en oeuvre. De ce point de vue, nous nous interrogeons sur la multiplicité des outils. Comment situer les CTAP au regard des nouvelles instances territoriales, comme la conférence régionale du sport, par exemple, ou les conférences de financement ? Soyons plus ramassés, plus précis et moins dispersés : ces outils sont intéressants, mais la réalité de leur fonctionnement ne l'est pas assez.

L'exigence de proximité doit permettre la territorialisation des compétences, laquelle ne constitue pas une entorse grave à la complémentarité entre communes et intercommunalité. L'intercommunalité n'est pas la supracommunalité, comme son nom l'indique, et le bloc communal n'est pas un bloc intercommunal. Si la loi a fixé des compétences obligatoires à l'échelle intercommunale, c'est parce que certaines d'entre elles s'y exercent de manière plus pertinente, mais ce n'est ni immuable ni invariable, si certains territoires mettent en place des coopérations limitées, par exemple à l'échelle européenne. La possibilité d'une territorialisation des compétences au sein du bloc communal doit être mise à disposition des instances locales, à travers des pactes de gouvernance, par exemple, susceptibles de mettre en oeuvre utilement ce principe.

Nous sommes, par ailleurs, favorables à de nouvelles délégations aux maires ; allons au-delà de ce qui est prévu par le texte, car cela reste encore insuffisant. Les maires ont la capacité de décider ou non de le faire. Le maître mot doit être l'efficacité au quotidien. Toutes les communes ne réunissent pas leur conseil municipal onze fois par an, comme je le fais, et entre temps, tout ce qui pourra permettre au maire de bénéficier de délégations nouvelles, y compris venant de l'État - dont il est aussi un représentant - serait bienvenu dans le cadre de la mise en oeuvre de ce principe, sous le contrôle, toujours, de l'assemblée municipale, conformément aux principes de différenciation et d'adaptation au plus près des réalités du terrain pour rendre efficaces les politiques publiques.

Faut-il aller plus loin dans les pouvoirs dérogatoires accordés aux préfets ? À mon sens, oui. Comme président d'union départementale des maires, j'ai cheminé bras dessus bras dessous avec le préfet et une telle évolution me semble positive pour nos concitoyens. Nous avons mesuré combien les préfets, représentant toutes les administrations de l'État, étaient à la peine pour sortir de ce qui avait été fixé par l'État, alors même qu'il leur apparaissait évident qu'il fallait trouver les moyens d'une différenciation dans l'adaptation de la politique publique locale. J'en veux pour exemple la question de l'ouverture des marchés durant le premier confinement : j'ai sollicité le préfet pour ouvrir le marché de ma commune, celui-ci m'a demandé mon avis sur l'opportunité qu'il souhaitait saisir d'accorder à certaines autres communes la possibilité de le faire. Je lui ai répondu que son hypothèse allait dans le sens de ce que nous souhaitions : aller le plus loin possible localement, en restant responsables et concrets. Il a pris la décision d'autoriser cinq ou six marchés à ouvrir et il est venu faire ses courses dans ma commune le lendemain, pour vérifier que l'autorisation accordée au nom de l'État l'avait été à juste titre. Il me l'a dit lui-même : sa décision était « borderline », mais elle était fondamentale pour nos concitoyens.

Les préfets ont une capacité reconnue à l'agilité. Au quotidien, ils aimeraient cumuler leur agilité et la nôtre pour rendre l'action publique plus lisible et donc plus efficace. Je plaide pour cela : il n'y a pas de raison d'être toujours obligés de remonter jusqu'on ne sait où des questions qui appellent des réponses locales.

Quant à la gestion de l'eau et de l'assainissement au sein du bloc communal, vous avez raison : rien n'est réglé. En la matière, la différenciation doit trouver une place éminente. Dans beaucoup de territoires, il est logique que ces questions soient traitées à une échelle plus large que celle de la commune. Bien souvent, on n'a pas attendu les lois récentes pour tirer les conséquences de cette évidence : dans mon territoire, cela fait quarante ans ! En revanche, dans certaines zones rurales, l'assainissement reste géré à l'échelle communale, parfois avec des nouvelles technologies très écologiques ; des choses peuvent et doivent se faire à cette échelle. Quant à la distribution de l'eau, on assiste au retour en force d'une volonté de gestion par soi-même, en régie. Permettre plus de différenciation à l'échelle du bloc communal me semble tout à fait bienvenu.

L'idée de simplification qui s'exprime dans ce texte risque plutôt de se traduire par une complexité accrue ! On connaît bien le problème général des normes : le principe selon lequel toute norme nouvelle doit s'accompagner de la suppression d'une norme ancienne n'est jamais appliqué, quand bien même nous le prônons tous.

Monsieur Milon, les maires entendent votre message sur la différence à faire entre les initiatives des communes en matière de soins de proximité, ainsi que le concours financier qu'elles apportent à la construction de ces locaux, et des participations qui seraient imposées aux communes. Nous voulons encourager le maintien, voire le développement d'une capacité hospitalière de proximité. Certes, on court un risque d'inégalité entre ceux qui peuvent financer de tels équipements et les autres. Néanmoins, nous sommes ouverts à cette proposition, parce que nous souhaitons que les collectivités territoriales retrouvent une place qu'elles ont quelque peu perdue dans le monde hospitalier ; ainsi, nous souhaitons que soient recréés les conseils d'administration des établissements hospitaliers. Nos concitoyens n'ont jamais eu autant besoin des élus locaux que pendant cette crise, y compris dans le domaine sanitaire ! Ce n'est faire injure à personne, ni à l'État ni au monde de la santé, que de reconnaître que, sans les collectivités locales, il n'y aurait pas eu de vaccination à l'échelle que nous connaissons enfin aujourd'hui. Nous sommes interpellés parce que nous avons une agilité et une inventivité réelles, au plus près du terrain. C'est pourquoi nous revendiquons que les élus locaux aient leur place dans le monde hospitalier. Cela n'exclut d'ailleurs pas une certaine modestie : pour l'organisation de la vaccination dans ma commune, je me suis concentré sur la logistique et non sur le recrutement des médecins, pour lequel je me suis appuyé sur l'hôpital et la préfecture.

Quant à l'article 48, qui porte sur la gouvernance du Cerema, dans la mesure où il renvoie les dispositions en question à une ordonnance, nous ne pourrons nous prononcer qu'au vu du texte de celle-ci.

Concernant un éventuel guichet unique pour l'ANCT, le Cerema et l'Ademe, nous n'avons ni revendication ni prévention. Avoir beaucoup d'interlocuteurs à l'échelle régionale peut être utile pour traiter certaines questions de manière spécifique, mais il peut y en avoir trop, auquel cas on ne s'y retrouve pas. Dans le projet de loi Climat et résilience, on veut créer un guichet unique alors qu'il existe déjà des interlocuteurs que l'on pourrait évaluer et dont on pourrait renforcer les capacités. L'État préfère toujours créer quelque chose de nouveau, au détriment de l'évaluation des expérimentations. Nous approuvons tout ce qui peut permettre plus de simplicité, mais faire du guichet unique une exigence permanente pour tous les sujets n'est probablement pas pertinent.

Quant aux dispositions de l'article 14 sur les pouvoirs de police spéciale des maires, j'estime que les maires savent exercer leurs responsabilités et assumer l'ensemble des missions qui leur sont confiées. Nous ne voudrions pas que certaines actions relevant d'un pouvoir de police soient confiées à d'autres, mais que nous en assumions malgré tout la responsabilité. Vous aurez compris ce qui doit en découler dans la formulation législative.

Monsieur Marc, j'ai eu l'occasion ici même d'exprimer ce que les maires pensent des dispositions relatives à l'objectif « zéro artificialisation nette » du projet de loi Climat et résilience : on en dit à la fois trop et trop peu. On renvoie beaucoup au décret, sans fixer les règles qui permettraient à celui-ci de ne pas déborder de son domaine. L'imprécision de l'objectif fixé ouvre la porte à des déséquilibres fondamentaux entre ceux qui n'ont pas attendu la loi pour s'engager dans une démarche en ce sens et ceux à qui la loi offrira plus de souplesse pour faire évoluer leur territoire. La référence prévue aux années antérieures, plaquée de manière uniforme sur les territoires, causera des injustices territoriales. C'est une nécessité de lutter contre l'étalement urbain et l'imperméabilisation des sols, mais il faut trouver les voies et moyens adéquats. Là encore, « différenciation » doit être le mot-clé pour la mise en oeuvre de ce principe national.

Debut de section - PermalienPhoto de Mathieu Darnaud

Beaucoup de maires nous ont fait part de leurs inquiétudes quant à l'article 4, relatif à la participation citoyenne locale. Il peut apparaître comme un apport intéressant, une passerelle vertueuse entre citoyens et élus, mais beaucoup d'élus, notamment dans les petites communes, craignent que cet outil ne soit utilisé par des oppositions constituées pour faire de l'obstruction, en obligeant une collectivité qui ne disposerait pas de moyens suffisants à répondre à leurs nombreuses sollicitations.

Debut de section - PermalienPhoto de Ludovic Haye

Pour lutter contre l'artificialisation des sols et l'étalement urbain, il existe une solution, pour laquelle je milite : favoriser la réhabilitation de friches ou de bâtiments existants plutôt que la construction. Il est toujours plus facile pour les maires de présenter à leurs concitoyens des projets portant sur le patrimoine existant. Le problème est que la réhabilitation coûte bien souvent plus cher que de nouvelles constructions, qu'elle va moins vite et que le nombre de logements produits est plus faible ; l'efficience est globalement moindre. De la même manière, un programme triennal est plus difficile à tenir. Cette solution impose de sortir d'une logique arithmétique.

Debut de section - Permalien
Guy Geoffroy, maire de Combs-la-Ville et président des maires de Seine-et-Marne, représentant de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF)

J'ai justement eu hier soir un échange intéressant et passionné avec les maires de mon intercommunalité sur la participation citoyenne. À mon sens, le terme de « démocratie participative » n'a aucun sens ; la seule formule qui vaille, c'est la participation des citoyens au bon fonctionnement de l'outil démocratique de proximité qu'est la commune. On est tenté de faire du mot « citoyen » le concept qui va remplacer le malheureux élu de passage ; l'autoproclamation par lesdits citoyens d'une expertise doit être regardée avec beaucoup de prudence : on ne doit pas, même à l'échelle locale, donner à nos concitoyens le sentiment illusoire que leur parole devra faire loi, comme cela a été le cas à l'occasion d'une certaine convention citoyenne. De la sorte, on passerait complètement à côté de la renaissance démocratique à laquelle nous aspirons. Il faut plutôt travailler à ce qui peut permettre le retour aux urnes de nos concitoyens, sans se priver de demander l'avis de ceux qui souhaitent le donner, mais sans que ce soit une préfiguration de la décision que nous serons censés appliquer. Je regrette le vocabulaire assez verbeux, pour ne pas dire le galimatias dont on abuse en la matière : « université populaire », « assemblée citoyenne »... Le terme d' « assemblée » ne peut s'appliquer qu'à un organe pouvant prendre des décisions !

Les élus sont aussi des citoyens ; ils sont sans doute plus engagés et plus avertis, ils prennent à coup sûr plus de risques. Voilà ce qui doit gouverner nos tentatives de se saisir de tout ce qui peut être utile à la fabrication des décisions locales : ouvrir la porte aux électeurs sans pour autant faire entrer par la fenêtre ceux que l'isoloir a envoyés dans l'opposition.

En matière de logement, nous devons trouver les moyens de la réhabilitation. Ces moyens sont nécessaires en grand nombre pour que la réhabilitation ne devienne pas un chemin de croix tel qu'on y renonce avant même d'avoir commencé à y penser. Sont en cause non seulement les difficultés administratives dont il a été fait état, mais aussi des éléments proprement concrets en ce qui concerne le prix du foncier dans tous les espaces méritant réhabilitation. Qu'il s'agisse de sites artisanaux ou industriels, ces espaces ont parfois vocation à trouver une seconde vie, via des usages nouveaux en matière de logement ou de mixité sociale par exemple.

C'est toujours sur les questions de financement que l'on finit par buter, auxquelles s'ajoutent toutes les difficultés de fonctionnement administratif et de procédures. Ces dernières sont quelquefois nécessaires : des sols anciens peuvent être pollués et nécessiter des interventions indispensables. Personne, maires ou experts, n'a la solution miracle. La lutte contre l'étalement urbain, c'est plus de verticalité - il n'est pas facile de le faire admettre à nos concitoyens ! - et c'est également plus de capacité à réutiliser des sols existants dans l'enceinte urbaine, car nous avons précisément peine à les réutiliser en raison des difficultés budgétaires qui en découlent.

Des outils de l'État ou de la région peuvent certainement être utiles, comme les établissements publics fonciers locaux. Mais ces derniers ont besoin, en particulier dans le cadre du plan de relance, d'un soutien plus affirmé de l'État pour accompagner les élus locaux dans des prises de terrain disponibles à des fins de réhabilitation, pour un autre usage qui réponde à l'ensemble des critères que nous partageons.

Debut de section - PermalienPhoto de François-Noël Buffet

Je vous remercie, monsieur Guy Geoffroy, des propos très complets que vous avez tenus pour l'AMF.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 40.